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Les symboles du pouvoir politique sont partout, au Moyen Âge tout comme au début de la période moderne. Ils occupent l’espace public et induisent une représentation des institutions gouvernantes. La sémiologie de l’État est au centre du programme de recherche SAS (Signs and States) mis en branle par Jean-Philippe Genet en 2009 avec la collaboration du Laboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris (LAMOP). Les « vecteurs de l’idéel » forment le thème du premier cycle de tables rondes dont les actes sont publiés dans la collection « Le Pouvoir symbolique en Occident ». Le huitième volume, Marquer la ville, s’arrête plus précisément sur le cadre urbain. Comme l’explique Patrick Boucheron en introduction, l’idée est d’étudier ces signes dans leurs matérialités explicites afin de comprendre leurs significations concrètes dans les pratiques sociales qu’ils engendrent. Un grand nombre de monographies traitent déjà de monuments importants ou encore des cérémoniels associés à un prince. Toutefois, cet ouvrage propose une perspective comparatiste entre des phénomènes de marquage qui touchent divers ensembles urbains. À ce titre, même si les cités de l’Italie du Nord et de Flandres sont bien représentées dans l’ouvrage, quelques contributions traitent également de villes un peu moins souvent étudiées, comme Toulouse ou Amiens. Mais la principale réussite de l’ouvrage demeure assurément sa façon d’offrir une perspective sur la diversité des symboles qui peuvent être étudiés. Le colloque ayant réuni autant des historiens de l’urbain et de l’architecture que des spécialistes des institutions politiques ou religieuses, chacun des participants a pu apporter un angle particulier sur une variété de cas, mettant à contribution une grande diversité de sources documentaires.

Les vingt-deux contributions, partagées entre le français, l’anglais et l’italien, sont organisées en cinq ensembles. La première partie, « L’empreinte du pouvoir sur la ville », traite principalement des lieux de résidence des dirigeants. S’y côtoient notamment des articles sur les forteresses seigneuriales italiennes du XIVe siècle (A. Zorzi) et sur les hôtels particuliers de l’aristocratie à Paris, entre le XVIe et le XVIIIe siècle (F. Lemerle). Les contributions de cette partie ont en commun d’illustrer la façon dont les bâtiments urbains évoluent autant dans leur apparence externe que dans leur organisation fonctionnelle, de façon à suggérer une certaine image du prince qui y vit. La deuxième partie, intitulée « Tracer, parcourir », effectue une transition du bâti vers la ville en mouvement : y sont étudiées les significations que peuvent prendre par exemple la traversée des portes d’une ville ou d’un arc de triomphe ou encore les itinéraires empruntés lors d’une entrée solennelle. Le point de vue sur le symbole n’est alors plus statique et ses possibilités de représentation s’en trouvent multipliées, comme le montre la triple opposition illustrée sur les différentes parties de la Porta Romana à Milan, étudiée par J.-C. Schmitt.

Dans la troisième partie, « Mémoires des tracés, durée des villes », les articles montrent les diverses façons dont les pouvoirs successifs d’un espace urbain gèrent la présence de symboles préexistants, inscrits dans la mémoire des citadins. Le nouveau prince a le choix entre le réinvestissement des marques anciennes, en s’y associant de près, comme ce fut le cas avec la famille Trinci à Foligno au XIVe siècle (J.-B. Delzant), ou le développement parallèle d’un nouveau centre du pouvoir, comme ce qui a pu se produire à Toulouse tout le long du Moyen Âge du fait de sa très grande enceinte (Q. Cazes). La quatrième partie aborde avec une originalité surprenante les marquages du paysage sonore, soit les « Cris, bruits, musiques et rythmes de la ville ». Que ce soit par le biais d’une institution comme les académies italiennes, qui parfois produisent des représentations musicales en public (I. Mai Groote), ou simplement par la diffusion d’un nouveau style de chanson sous l’influence de la cour de Cosme Ier de Médicis (P. Canguilhem), cette partie offre quelques exemples de la manière dont le pouvoir arrive à produire des signes lui étant associés, et ce, dans tous les aspects de la vie quotidienne. Finalement, la cinquième partie se penche sur « Les marques de la concorde » au sein de la communauté urbaine, par exemple celles qui permettent à tous ses habitants de participer à la constitution des espaces publics (T. Dutour). Le livre démontre avec succès, de par ses différentes approches, comment la rhétorique du pouvoir s’incarne dans les marques les plus variées. Le corpus des symboles à étudier peut s’étendre à l’infini, surtout si l’on porte une plus grande attention aux marques les moins visibles, celles d’acteurs anonymes qui témoignent du dialogue constant se jouant sur les places publiques (É. Crouzet-Pavan).

Toutefois, il apparaît que la comparaison entre les différents phénomènes de marquage ne soit pas aisée. Malgré la conclusion de Jean-Claude Maire Vigueur, les liens demeurent incomplets et la synthèse fait défaut. La partie sur la musique ainsi que la contribution d’Élisabeth Crouzet-Pavan démontrent avec succès la pertinence d’élargir l’éventail des signes étudiés. Ce livre intéressera autant les historiens de l’urbain que les spécialistes des institutions politiques.