Le dépanneur est une véritable institution au Québec. Ce n’est pas tellement que ce type d’épicerie n’existe pas dans d’autres pays, mais il a acquis, au fil de sa courte existence, une importance symbolique telle qu’il occupe désormais une place de choix dans l’imaginaire collectif. Des aliments de base aux jeux de loterie, en passant par les journaux et les magazines, les bonbons, les cigarettes et la bière, ces établissements vendent plus ou moins les mêmes produits et ont tous comme point commun d’avoir des heures d’ouverture qui s’étendent, sept jours sur sept, jusqu’à 23 h, parfois même toute la nuit. Disséminés dans la ville pour desservir une clientèle de proximité, ils sont presque un indice d’urbanité. Répartis sur les bords du réseau autoroutier, ils sont de véritables oasis pour le voyageur. Il n’est donc pas étonnant qu’un ouvrage vienne enfin de leur être consacré. L’ouvrage est divisé en quatre chapitres. Un premier retrace la genèse du dépanneur et en examine les déclinaisons géographiques. Invention états-unienne des marchands de glace qui profitèrent d’heures d’ouverture moins strictes pour vendre d’autres produits, le concept traverse la frontière à la suite de l’adoption de la loi sur le commerce de détail au début des années 1970. Une clause permet alors au « marchand artisan », c’est-à-dire un propriétaire exploitant qui n’a pas plus de deux employés, de ne pas fermer le soir et le dimanche. Un épicier de la rue Saint-Zotique du quartier Rosemont à Montréal aurait été la première entreprise en milieu urbain à se prévaloir de ce droit. Résistances et incompréhensions accompagnèrent les débuts du nouveau commerce, mais s’estompèrent devant la pertinence d’un tel commerce. Les trois autres chapitres proposent une lecture de la société québécoise à travers ce qu’on y achète, les manières de consommer et les transformations récentes du dépanneur. En effet, le deuxième chapitre porte un regard intéressant sur les produits qui y sont vendus : alcool, pornographie, préservatifs, loterie, cigarette et aliments secs ont fait du lieu un espace de consommation bien particulier. Le troisième chapitre explore les pratiques d’achat qui lui sont associées (coût des produits, crédit, proximité et livraison). Le quatrième chapitre, quant à lui, s’intéresse tant aux dépanneurs ethniques qui changent le visage traditionnel des commerces qu’aux chaînes qui laissent de moins en moins de place aux propriétaires indépendants. L’ouvrage Sacré dépanneur! apporte un éclairage pertinent sur un phénomène à la fois familier et peu connu. Nous sommes ici devant un sujet de recherche qui aborde un fait de culture des plus intéressants à traiter. Le peu d’empressement à s’aventurer dans une lecture plus fouillée s’explique peut-être par la difficulté d’identifier les sources pour en comprendre la genèse, la diffusion et les réalités diverses que le dépanneur sous-tend. Enquêtes orales, documents écrits ou statistiques officielles, les voies imaginables sont multiples, tout comme les approches possibles, qu’elles soient ethnologiques, historiques, géographiques ou sociologiques. L’auteure emprunte une démarche journaliste puisque c’est son métier. Ce parti-pris a l’avantage de favoriser l’exploration de facettes composites de ce commerce et d’en donner un aperçu général. Le choix a toutefois le défaut de ses qualités, c’est-à-dire qu’il ne permet pas toujours d’aller au fond des choses et propose parfois un regard trop empirique. De plus, le lecteur a, par moment, l’impression que l’auteure s’est uniquement intéressée au dépanneur montréalais. Se décline-t-il de la même manière ailleurs, dans d’autres villes du Québec ou en milieu rural? Cela dit, Sacré dépanneur! vient occuper un territoire jusque-là peu défriché du champ des connaissances. L’ouvrage souligne également, à l’aide des nombreuses illustrations, le caractère unique de ces lieux. Après le magasin général, déjà bien …
Judith Lussier, Sacré Dépanneur!, photographies de Dominique Lafond, édition Héliotrope, 2010, 223 p. (Coll. : Bienvenue au Québec) ISBN 978-2-92351-120-7[Notice]
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Martin Drouin
Département d’études urbaines et touristiques, École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal