Il fait plaisir de retrouver dans ce livre une part essentielle des hypothèses de Marc Boone sur l’histoire urbaine des anciens Pays-Bas, ainsi que l’approche innovatrice qui les caractérisent d’autant plus que certaines de ses contributions ne sont encore disponibles qu’en anglais ou en néerlandais. L’objectif avoué de l’ouvrage, surtout dans les premiers chapitres, est de transcender la vision économiste d’Henri Pirenne, poids lourd de l’historiographie des villes belges et dont les hypothèses ont durablement marqué l’histoire économique occidentale (Mahomet et Charlemagne). L’auteur en parle même comme d’une « fatwa pirennienne » (p. 35). C’est pourtant dans le contexte d’une histoire nationale, ancrée dans les incertitudes des premières décennies du XXe siècle et la période de l’entre-deux-guerres, que Boone examine les rapports réels et écrits entre deux géants de l’histoire de ces pays, Henri Pirenne et Johan Huizinga. Si Henri Pirenne apparaît aujourd’hui comme un parangon d’une méthode un peu passéiste de l’histoire dans ses aspects les plus déterministes, Huizinga, jadis décrié comme trop romantique, est redevenu modèle d’une histoire post-moderne et culturelle. M. Boone se livre donc à une étude biobibliographique comparée qui révèle les rapports ambigus qu’eurent les deux hommes entre eux et surtout face aux nombreux conflits idéologiques et politiques de leur temps, ainsi qu’à une réflexion historiographique très pointue. Le premier chapitre se propose encore de nuancer la notion de « démocraties urbaines » si chère à Pirenne et prégnante dans l’histoire des villes médiévales. L’auteur entend substituer à ce concept galvaudé, l’idée plus juste et plus large d’« activités représentatives » auxquelles on devrait accorder davantage d’attention dans la recherche historique. Une des plus intéressantes facettes des études de Boone porte sur la culture politique des marchands et artisans des villes médiévales dans l’exercice représentatif et corporatif des métiers, véritable laboratoire de socialisation politique, instrumental à la mise en oeuvre de leurs revendications. Les corps de métiers apparaissent donc comme la « clé de voûte d’une culture politique urbaine » (p.47). En examinant la chronologie des révoltes populaires, cette thèse se précise pour démontrer que les antagonismes qui existaient à l’intérieur des villes ont servi à la propulsion d’une idéologie urbaine dans les soulèvements à caractère politique qui opposèrent les villes aux tentatives centralisatrices autour des jalons d’un État fort menées par les Bourguignons et plus tard les Habsbourgeois. L’auteur voit cette marche vers la modernité comme le résultat d’une incubation de l’action politique à travers l’expérience acquise par l’organisation municipale dans toutes ses manifestations : institutions, charités, corps de métiers, négociations commerciales qui se manifestent dans l’appropriation de l’espace urbain physique et symbolique. Les instruments de cet engagement se raffinent et se perfectionnent avec le temps, scandé au leitmotiv du « bien commun ». Dans ce contexte, Boone utilise plutôt les apports d’une histoire structuraliste et « par en bas » qui aboutit à la démonstration que les violences urbaines n’étaient pas de taille à s’opposer à la violence des États princiers qui en récupèrent vite la maîtrise et le monopole. C’est pourtant au détour du chapitre suivant que l’auteur exprime parfaitement cette thèse in a nut shell : « Le monopole sur l’exercice de la violence était la clé de voûte de l’État dit moderne, nouvelle construction politique en plein développement aux XIVe et XVe siècles ». Ainsi le règne de Charles Quint signe la fin des indépendances urbaines et constitue le « point d’orgue des expériences accumulées par des générations de “gens du commun” dans les villes des Pays-Bas » (p. 78). Le troisième chapitre se propose d’articuler deux ensembles de notions, celle du bien commun et …
Boone, Marc. À la recherche d’une modernité civique : la société urbaine des anciens Pays-Bas au bas Moyen Âge. Bruxelles, Université de Bruxelles, 2010. 191 p.[Notice]
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Geneviève Dumas
Université de Sherbrooke-Université Montpellier 3