Résumés
Résumé
Le phénomène « mafia », ni actif ni perçu de la même manière d’un côté à l’autre des Alpes, fait l’objet d’un traitement différent par les presses française et italienne : si elle n’est pas officiellement reconnue en France, la mafia a été précisément définie par le Code pénal italien dès 1982. Cet article se propose de montrer en quoi l’asymétrie du traitement médiatique de cette organisation criminelle d’un pays à l’autre est symptôme et cause d’une différence de perception collective, chez les citoyens, et de choix politiques, du point de vue des institutions. La mafia italienne est source de mythes et de fantasmes nourris par une riche production artistique, à la fois dans la littérature et au cinéma, qui contribue à diffuser des stéréotypes inspirés de la réalité. La profusion de représentations fictives de cet objet génère l’importation, dans la langue française, de quantité de termes et expressions italiens spécifiques à cette thématique, par le truchement d’emprunts et de néologismes fréquemment relayés par la presse. Une contextualisation insuffisante expose ces termes au risque d’un glissement sémantique. Nous analysons ici un corpus composé d’une soixantaine d’articles issus des quotidiens français Le Monde, Le Figaro et Libération afin d’observer la manière dont les journalistes couvrent un phénomène qui est appréhendé, culturellement, différemment en France et en Italie. Une comparaison entre le traitement terminologique et le déploiement figural de l’objet « mafia » par la presse française de la fin du XIXe et par celle d’aujourd’hui permettra de constater la persistance de procédés d’exotisation employés par les journalistes; il s’agira ensuite de réfléchir à l’incidence de la langue sur la perception de phénomènes sociaux et sur les implications politiques des choix terminologiques.
Mots-clés :
- traduction journalistique,
- couverture médiatique,
- mafia,
- exotisation,
- asymétrie culturelle
Abstract
The “mafia” phenomenon, neither active nor perceived in the same way on both sides of the Alps, is treated differently by the French and Italian media: the definition of “the mafia” entered the Italian penal Code in 1982 when it was precisely defined. By contrast, it is not yet officially recognized in France. This article proposes to show how the asymmetrical treatment by the media of this criminal organization from one country to the other is a symptom and a cause of a difference in collective perception, among citizens, and in political choices, from the point of view of institutions. The Italian mafia is a source of myth and fantasy fed by a broad array of artistic productions, both in literature and in cinema, which generate the proliferation of stereotypes inspired by reality. The profusion of fictional representations of the mafia has led to the importation into the French language of a large number of related Italian terms and expressions on the subject, by means of borrowings and neologisms frequently relayed by the media. An inadequate contextualization of these terms exposes them to the risk of a semantic shift. In this article, we examine a selection of about sixty articles from the French newspapers Le Monde, Le Figaro and Libération in order to analyze the way journalists cover a phenomenon that is apprehended differently in France and in Italy from a cultural point of view. A comparison between the terminological treatment of the “mafia” by the French press at the end of the 19th century and by the press of today will reveal the persistence of exoticization processes used by journalists, leading to a reflection on the impact of language on the perception of social phenomena and on the political implications of terminological choices.
Keywords:
- journalistic translation,
- media coverage,
- mafia,
- exoticization,
- cultural asymmetry
Parties annexes
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