Comptes rendus

Gisella M. Vorderobermeier, ed. Remapping Habitus in Translation Studies. Amsterdam/New York, Brill/Rodopi, 2014, 235 pages[Notice]

  • Maud Gonne

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  • Maud Gonne
    FNRS - Université de Namur

L’excellent recueil dirigé par Gisella M. Vorderobermeier s’ouvre sur une question qui ne peut qu’interpeller le lecteur : « l’habitus (traductionnel) est-il un concept contrariant (en traductologie)? » (p. 10). Cette double interrogation qui, par l’emploi des parenthèses, porte autant sur la notion d’habitus que sur son application dans le champ traductologique, peut sembler désuète. En effet, bien établi dans la discipline pour sa capacité à transcender la tension objet-sujet, exacerbée entre autres par les approches polysystémiques, le fameux « système de dispositions durables et transposables, structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes » (Bourdieu, 1980, p. 88) n’en est plus au stade de l’essai. Qui plus est, l’habitus est devenu l’un des concepts-clés d’un tournant sociologique qui a placé le traducteur au centre de la réflexion traductologique. Alors, que peut encore nous apporter cet ouvrage? Les auteurs des onze contributions réunies dans Remapping Habitusin Translation Studies tiennent, d’une part, à réfléchir sur l’accueil critique du concept d’habitus en traductologie et, d’autre part, à réexaminer son rôle et sa pérennité dans la discipline. L’exercice n’est pas innocent : comme le suggère Jean-Marc Gouanvic dans le premier chapitre, l’intérêt accordé aux mécanismes de l’habitus dans un champ d’études en plein essor s’insère dans une dynamique autoréflexive vitale de positionnement disciplinaire (p. 39). Pensé pour déceler la logique des pratiques sociales (individuelles et collectives) au-delà du niveau de la conscience – et donc, appliqué en traductologie pour appréhender les paradoxes et tendances de l’activité du traducteur en relation avec la doxa –, l’habitus a fait l’objet de nombreuses critiques (cf. King, 2000; Lahire, 2003). Les plus fréquentes lui reprochent son déterminisme – la subordination de l’individu et des interactions humaines au contexte social – et son champ d’application de facto national et monolingue, peu adéquat pour saisir une activité traductionnelle qui, par définition, voyage au-delà des langues et des cultures. Tout en assimilant ces critiques et en intégrant les études traductologiques qui ont tenté d’y remédier (p. ex. Inghilleri, 2005; Sela-Sheffy, 2006; Wolf, 2007; Meylaerts, 2010), Remapping Habitus offre un panorama rafraichissant et original qui confronte l’habitus à une série de perspectives (psychologiques, anthropologiques, imaginaires, discursives, commerciales, philosophiques) tout à fait stimulantes. Dans une introduction de qualité, Gisella M. Vorderobermeier retrace la genèse d’un habitus qui plonge ses racines dans les traditions thomiste et aristotélicienne, nous rappellant que Pierre Bourdieu lui-même a complètement repensé le concept. La directrice de l’ouvrage interroge les enjeux traductologiques de l’habitus, en particulier sa capacité médiatrice (entre subjectivisme et objectivisme) et générative. Jean-Marc Gouanvic pose ensuite la question de la « solubilité » de l’habitus tel qu’il a été conçu par Bourdieu, en traductologie. Une lecture attentive des écrits de Bourdieu, accompagnée d’une étude contrastive passionnante – les trajectoires des traducteurs français Maurice-Edgar Coindreau et Marcel Duhamel –, amènent l’auteur à déclarer indésirable l’extraction du concept d’habitus d’un noeud de notions bourdieusiennes telles que celles de « champs » ou d’« illusio ». Toujours selon Gouanvic, il n’existerait pas de champ autonome des traducteurs. Leur habitus dépendrait dès lors des enjeux, capitaux et lois des champs dans lesquels ils traduisent (les champs cibles littéraire, économique, juridique, etc.). Dans le chapitre suivant, Rakefet Sela-Sheffy expose une approche radicalement différente. Partant de la nécessité de prendre en considération la multiplicité de dispositions au sein d’un groupe de traducteurs, l’auteure met en avant deux concepts psychologiques primordiaux provenant de recherches microsociologiques sur le « travail identitaire » (v. Goffman, 1956) : les intentions et l’auto-perception. Ces apports transdisciplinaires lui permettent de situer l’habitus dans un ensemble de ressources négociables par l’individu. De son corpus de traducteurs israéliens émerge …

Parties annexes