Présentation[Notice]

  • Louise Ladouceur et
  • Sathya Rao

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  • Louise Ladouceur
    Université de l’Alberta

  • Sathya Rao
    Université de l’Alberta

C’est en étudiant les traductions effectuées par Michel Tremblay que l’idée nous est venue de proposer un numéro sur les écrivains-traducteurs. Parce que Tremblay est l’auteur d’une oeuvre considérable rédigée dans un style très caractéristique et qu’il a traduit parallèlement de nombreuses pièces de théâtre, il se prêtait remarquablement bien à notre recherche sur les rapports entre écriture en traduction. L’étude du corpus des traductions effectuées par Tremblay a révélé une recherche esthétique qui se veut aussi une éthique de la traduction spécifique au texte de théâtre. Soucieux de restituer non seulement le sens du texte mais aussi une oralité qui lui serait particulière, Tremblay traduit « à l’oreille » en portant une attention spéciale au rythme, aux sonorités et à la musicalité du texte destiné à être joué afin d’en reproduire la prosodie dans un français d’Amérique. Cette préoccupation prosodique est une constante : elle parcourt tout le corpus des traductions effectuées par Tremblay; elle résiste au temps, aux modes ainsi qu’aux diverses contraintes propres au contexte et à l’époque dans lesquels s’inscrit la traduction et qui peuvent influer sur les choix qu’elle met en oeuvre. D’abord perçue comme relevant exclusivement du politique et de l’idéologie, l’insistance que met Tremblay à rechercher une équivalence qui soit à la fois fidèle à la prosodie du texte original et ancrée dans l’oralité particulière du destinataire québécois participe avant tout d’une éthique de la traduction appliquée à restituer le texte traduit avec la plus grande efficacité dramatique. Cette efficacité, déjà mise à l’épreuve dans sa propre écriture, est ici au service de la traduction. Il s’agit d’une ingérence assumée de la part d’un auteur confiant dans ses moyens et désireux de les mettre à profit afin de donner au texte traduit une voix qui sonne juste. L’itinéraire de Michel Tremblay illustre à lui seul la complexité du rapport entre traduction et écriture. À ce titre, il pourrait être replacé dans le cadre plus large d’une réévaluation des termes classiques de ce rapport, qui a conduit à l’émancipation progressive du traduire. Plutôt que de nous lancer dans la généalogie ou l’archéologie des relations entre traduction et écriture, nous nous contenterons ici d’en poser quelques jalons. Le premier d’entre eux est sans doute le mouvement de la déconstruction (Heidegger, Derrida) qui a fait du traducteur l’agent privilégié de la mise en question de l’autorité métaphysique de l’original. Au terme d’un surprenant renversement de perspectives, le défaut constitutif qu’un certain platonisme imputait à la traduction se révélait être la condition même d’un dépassement, mieux, d’un renouvellement de l’original. De simple pratique ancillaire, donc, la traduction a acquis un statut inédit en ouvrant l’original au mouvement germinatif de son historicité. Dans le sillage de Marx et d’Althusser, Venuti a, quant à lui, pris fait et cause pour le traducteur prolétaire dont il n’a cessé de dénoncer la scandaleuse « invisibilité ». Le combat pour la visibilité allait désormais prendre place sur le terrain politico-juridique et investir le traducteur d’un devoir de résistance face à l’impérialisme de l’anglais global et du Même en général. Envisagée dans l’optique de la lutte, la visibilité du traducteur ne peut être que stratégique sous peine de perdre toute efficace : l’injection de la différence – ou foreignization – dans le texte cible doit être dosée de façon homéopathique pour ne pas nuire à la lisibilité ou, pire, s’institutionnaliser. Aux antipodes du traducteur-résistant de Venuti, se trouve le traducteur d’état de la sociocritique, complice des normes de son temps et simple engrenage dans la machine. En ce qui concerne les tenants de l’herméneutique de la traduction (Ladmiral, Le Blanc, Steiner, Ricoeur, Wilhelm), …