Comptes rendus

Jan Walsh Hokenson and Marcella Munson. The Bilingual Text. History and Theory of Literary Self-Translation. Manchester, UK and Kinderhook (NY), St. Jerome, 2007, 236 p.[Notice]

  • Laurence Jay-Rayon

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  • Laurence Jay-Rayon
    Université de Montréal

C’est à partir du modèle de translatio horizontal et vertical de Stierle (1996) qu’Hokenson et Munson présentent l’évolution du concept de traduction à travers les âges. Le Moyen Âge a été plutôt marqué par la prédominance de l’axe vertical, soit du haut (le latin, transcription du verbe divin) vers le bas (le vernaculaire). L’axe horizontal, qui illustre une simultanéité de mondes et de discours pluriels, caractérise davantage la Renaissance et la traduction intervernaculaire. Les auteures soulignent d’ailleurs le parallèle de contexte diglossique entre époque médiévale et époque (post)coloniale; le latin, considéré comme une langue universelle à même d’exprimer toute pensée, bénéficiait en effet d’un statut hiérarchique nettement supérieur aux vernaculaires de l’époque. Les textes auto-traduits du Moyen Âge n’étaient pas conçus pour avoir une existence autonome, mais devaient être appréhendés comme un tout, avec leurs deux versions; ils s’adressaient donc à un lectorat résolument bilingue. Les auteures précisent par ailleurs que la notion contemporaine d’auteur ne pouvait pas se concevoir à l’époque médiévale, car seule la parole divine pouvait être mise sur un piédestal. Dans ce contexte, le traducteur médiéval avait plus de latitude et représentait un auteur parmi tant d’autres, davantage associé à un rhétoricien ou à un orateur avec pour mission de faire évoluer un texte de départ. Les auteures soulignent que la langue ne reflétait pas une identité sociale au Moyen Âge, période caractérisée par un multilinguisme territorial. Ce faisant, elles récusent la définition du bilinguisme donnée par Baggioni (1997) comme une maîtrise équivalente de deux langues et cultures. À la Renaissance, on assiste à une amélioration du statut des vernaculaires accompagnée d’un effritement progressif de la dominance du latin. L’Italie humaniste fait un retour aux sources en ajoutant le grec et l’hébreu à l’étude des langues classiques. La conquête du Nouveau Monde favorise un mouvement de traduction soit intervernaculaire soit latin-vernaculaire (par exemple, castillan/quechua ou latin/quechua). Parallèlement, les poètes de la Pléiade militent pour un enrichissement du français-langue-du-roi et contribuent à faire de ce vernaculaire une langue littéraire à part entière; enfin, le mouvement de la Réforme remet en question l’autorité du latin et demande un meilleur accès aux textes sacrés avec des traductions de la Bible en vernaculaires. L’activité traduisante comprend la pratique d’imitation poétique – du style et du statut de l’auteur, sur le principe de la mimesis d’Aristote – considérée comme un moyen d’enrichissement d’une littérature vernaculaire en plein développement. C’est à cette époque d’ailleurs que prospère l’auto-traduction. Docteur en théologie et évêque de Lisieux, auteur du premier traité médiéval d’économie De moneta (1356), Oresme auto-traducteur s’inspire d’Aristote pour véhiculer des idées démocratiques sur la monnaie comme bien public et non comme propriété de la couronne. Les versions côte à côte attestent du manque de maturité linguistique du français de l’époque : la présence de nombreux néologismes et paraphrases dans le Traictié des monnoies (publié entre 1358 et 1366) témoigne de l’indigence du français de l’époque par rapport au latin. Dans son oeuvre bilingue, Oresme établit un parallèle entre monnaie et mot, tous deux moyens d’échange à valeur hautement arbitraire et variable. Ce faisant, il souligne le pouvoir du traducteur comme (d)évaluateur potentiel, pouvant apprécier ou déprécier une oeuvre. Avec ce traité bilingue, Oresme attaque subtilement le souverain qui déprécie l’or, ainsi que les poètes de l’époque pratiquant l’inflation verbale. Oresme auto-traducteur s’érige ainsi en arbitre de la parité des signes, tant linguistiques que monétaires. Poète acclamé du XVe siècle, Charles d’Orléans fut emprisonné pendant de longues années en Angleterre lors la guerre de 100 ans. Il a traduit ses poésies lyriques du français vers l’anglais, illustrant parfaitement l’axe traductif horizontal de …

Parties annexes