TTR
Traduction, terminologie, rédaction
Volume 20, numéro 2, 2e semestre 2007 TTR a 20 ans II TTR Turns 20 II Sous la direction de Annick Chapdelaine
Sommaire (12 articles)
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Brève archéologie de l’hypothèse relativiste et du comparatisme linguistique dans la mouvance de l’Aufklärung
Laurent Lamy
p. 9–62
RésuméFR :
Cette étude se propose d’exhumer et de mettre en lumière, dans le cadre des débats engagés à l’Académie de Berlin au XVIIIe siècle, un filon de la pensée qui allait culminer aux XIXe et XXe siècles dans l’hypothèse du relativisme linguistique et l’élaboration de la méthode comparative. Reconnaissant en Giambattista Vico un précurseur notoire et par le relais des travaux de Condillac, la question de l’origine du langage et de son influence sur le développement des cultures et des nations va servir d’amorce à une contestation très ferme de l’innéisme cartésien et du criticisme kantien chez Hamann et Herder. S’inscrivant dans la mouvance de l’Aufklärung, cette dissidence établira avec un luxe d’érudition et de sensibilité à l’endroit des cultures exogènes qu’il n’est désormais plus possible de faire l’économie de la composante langagière dans la gestation de la pensée et que cette donnée de portée ontologique engage une multiplicité de points de vue liés à l’enracinement respectif des divers terroirs culturels.
EN :
This paper intends to exhume and bring to light a major but underrated trend of thought developed initially in the disputes at the Academy of Berlin in the 18th century, which should prove in the 19th and 20th centuries to be the direct ancestor of the thesis of linguistic relativism and the comparative method in linguistics. Acknowledging Giambattista Vico as an outstanding harbinger of this trend and taking cues from the views of Condillac, the question of the origin of language and its influence on the development of cultures and nations will lead to a thorough questioning of cartesian innate ideas and kantian criticism in the thoughts of Hamann and Herder. Working in the wake of the Aufklärung, this parting of ways will establish with an awesome display of learning and strong sensibility towards exotic cultures that the linguistic component can no more be disregarded in the workings of thought and entails as such a manifold set of world views correlated to the diversity of languages and cultures.
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The Translator’s Closet: Editing Sexualities in Argentine Literary Culture
Christopher Larkosh
p. 63–88
RésuméEN :
This article attempts to draw a theoretical line between closeted (homo)sexuality and translation through the example of the translational activity of those who collaborated on the 20th-century Argentine literary journal SUR: J. Bianco, E. Pezzoni, V. Ocampo, and H. A. Murena. Through a critical reading of explicit and thinly-veiled discourses on homosexuality in works both written and translated in this period, especially when placed in the context of theoretical discourses on translation, gender and sexuality, it reveals a question all the more unavoidable for present-day discussions: Is translation a closet, and if so, when and how?
FR :
Cet article vise à tracer une ligne théorique entre l’(homo)sexualité du placard et la traduction à travers l’exemple des activités traductrices de collaborateurs de la revue littéraire argentine du vingtième siècle SUR : J. Bianco, E. Pezzoni, V. Ocampo et H. A. Murena. Par une lecture critique des discours explicites et voilés sur l’homosexualité dans des oeuvres écrites et traduites pendant cette période, surtout dans le contexte des discours théoriques sur la traduction, le genre et la sexualité, une question s’avère encore plus incontournable pour la discussion actuelle : la traduction est-elle un placard, et si oui, quand et comment?
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Translation and the Literary Text
Augusto Ponzio
p. 89–119
RésuméEN :
In the present paper we shall focus on literary translation, on the question ofthe translation of “complex” or “secondary” texts, but with the intention of makinga contribution to the problem of translating non-literary, “simple,” “primary” textsas well. In other words, we shall examine the problem of text translation from asemiotic perspective. In fact, this study founds translation theory in sign theorydeveloping a semiotic-linguistic approach to the problem of translation in thedirection of so-called interpretation semiotics which also implies the semiotics ofsignificance. Translation concerns both simple and complex texts, which correspondrespectively to Mikhail Bakhtin’s primary and secondary texts. Simple texts concernnon literary discourse genres whilst complex texts the literary genres, where theformer are better understood in the light of the latter, and not vice versa. Thispaper also focuses on the concept of the literary text as a hypertext maintainingthat the hypertext is a methodics for translative practice. The relation between thetext and language understood as a modeling device is also important for anadequate theory of translation and sheds light on the question of translatability.Another central issue in this study is the relation between translation andintertextuality.
FR :
Le présent article s’intéresse à la traduction littéraire et à la traduction destextes complexes ou secondaires, et se penche également sur les problèmes liés à latraduction des textes non littéraires, simples, ou primaires. Nous aborderons donccette problématique sous un angle sémiotique. Cette étude, en plus de révélerl’importance de la théorie de la traduction dans la théorie du signe, développe uneapproche sémiotique et linguistique au problème de traduction en matièred’interprétation sémiotique, laquelle comprend la sémiotique de la signifiance. Latraduction s’intéresse aux textes simples et complexes, lesquels correspondentrespectivement aux textes primaires et secondaires proposés par Mikhaïl Bakhtine.Les textes simples concernent le genre non littéraire, tandis que les textescomplexes sont associés au genre littéraire, qui comporte plus de difficultés que legenre précédent. Par ailleurs, cet article étudie le concept du texte littéraire entant qu’hypertexte et soutient que ce dernier est une méthode pour la pratiquetraduisante. La relation entre le texte etla langue, comprise en tant qu’agent demodélisation, est importante pour forger une théorie adéquate de la traduction.Cette relation nous éclaire également quant à la question de la traduisibilité. Larelation entre la traduction et l’intertextualité est une autre problématiquecruciale dont traite le présent article.
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Retraduire le Hamlet de Faulkner : la réflexion à l’oeuvre, la réflexion par l’oeuvre
Annick Chapdelaine
p. 121–209
RésuméFR :
Les véritables mots d’ordre ayant assisté à la mise en place du projet de retraduction du Hamlet de Faulkner étaient réflexion et expérience, une dialectique mise à jour par la transparence des choix de traduction et de leurs justifications. La transparence recherchée par le groupe de recherche en traductologie (GRETI) de l’université McGill avait pour objectif non pas d’effacer le geste traducteur mais au contraire de le rendre manifeste, de le porter à l’avant-scène, de le démêler puis d’analyser le travail de transmutation accompli. Le GRETI posait sa retraduction comme un acte historiquement et culturellement marqué, décentré par rapport à l’Hexagone, et mis en branle par sa « réflexion à l’oeuvre » et sa « réflexion par l’oeuvre ». En 2001, les résultats des travaux du groupe furent publiés dans un ouvrage intitulé Faulkner. Une expérience de retraduction, à l’exclusion du Chapitre trois du Livre I, pour lesquels les droits de traduction n’avaient pas été obtenus. Aujourd’hui, avec une nouvelle autorisation de Gallimard et l’aimable autorisation de Random House, le GRETI offre à lire ce chapitre sous forme d’édition bilingue, ayant appris que la première traduction française du Hamlet établie par René Hilleret est protégée pendant 70 ans après le décès du traducteur, survenu le 19 novembre 1969. Il n’était plus question d’attendre l’An de grâce 2039 pour publier cette retraduction de Faulkner signée au Québec.
EN :
Reflexion and experience were the two starting points of the project of retranslating Faulkner’s Hamlet, in a dialectic movement revealed by the transparency of each translative decision as well as its justification. The transparency sought by McGill University’s Research Group in Translatology (known by its French acronym, GRETI) signified that every translative gesture had to be made visible, put on the forefront, unraveled and finally that the resulting transmutation required a thorough analysis. The GRETI posited that its retranslation was both a historical and cultural act, decentred from the Hexagon (France), and set in motion by its “reflection at work” as well as its “reflection via the work.” In 2001, the results of the research were published in a book entitled Faulkner. Une expérience de retraduction, except for Chapter three of Book One, for which translation rights had not been obtained. Today, with a new permission from Gallimard and an authorization from Random House, the GRETI is presenting this chapter in a bilingual edition, having heard that the first French translation of the novel established by René Hilleret is protected for 70 years following the translator’s death, which occurred on 19 November 1969. The GRETI could not think of waiting till the year of grace 2039 to publish this retranslation of Faulkner signed in Quebec.
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Journal d’intimes
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Metamorphosis or Metramorphosis? Towards a Feminist Ethics of Difference in Translation
Carolyn Shread
p. 213–242
RésuméEN :
Translation has been theorized as a process of metamorphosis, either as metaphor (replacing the original) or metonymy (substituting part for original whole). I propose an additional model for translation exchanges: the metramorphic processes described by psychoanalyst Bracha Ettinger. Ettinger expands the scope of interactions by describing maternal/late pre-natal infant relations as ‘subjectivity-as-encounter.’ Her focus on a ‘severality’ preceding autonomous subject positions overcomes the problematic self/other divide and helps us rethink the relation between source and target text. Ettinger posits ‘matrixial’ metramorphosis, which, unlike metamorphosis, does not involve total transformations; rather, it indicates expansion or development. Textually, this means that translations do not efface sources through equivalent matches or inevitable losses, but extend them through exchanges in which sources are still present within translations. An alternative to equivalence as the goal of translation and fidelity as the ethics of translation, a matrixial paradigm reflects the dependency of the source text on the translation, as well as the plurality of many texts prior to translation. A metramorphic translation practice amplifies source texts, mediating them through a less polarized and more interconnected perception of difference which is the grounds for a new feminist ethics.
FR :
La traduction est souvent perçue comme un processus de métamorphose, ou encore comme métaphore (remplacement de l’original) ou métonymie (la substitution d’une partie au tout). Nous proposons un autre modèle pour concevoir les échanges de la traduction fondé sur les processus de métramorphose énoncés par la psychanalyste Bracha Ettinger. Ettinger élargit le champ des interactions en décrivant les rapports mère/enfant prénatal au dernier stade de la grossesse comme une subjectivité fondée sur une rencontre de sujets partiels. Son insistance sur ce qu’elle nomme « la plusieurité », qui précède les positions autonomes du sujet individuel, dépasse la division problématique du Soi et de l’Autre et nous aide à repenser la relation entre texte source et texte cible. Ettinger nous offre la métramorphose « matrixielle », qui, à la différence de la métamorphose, n’implique pas de transformations totales, car elle signale plutôt une expansion ou un développement. Sur le plan textuel, les traductions n’effacent pas leur origine dans des correspondances équivalentes ou des pertes inévitables; elles les prolongent grâce aux échanges où l’origine demeure au sein des traductions. Remplaçant l’équivalence comme but et la fidélité comme éthique de la traduction, un paradigme matrixiel reflète la dépendance du texte source, ainsi que la pluralité de maints textes avant leur traduction. Une pratique de la traduction métramorphique amplifie le texte à traduire en le médiatisant par le biais d’une perception de la différence moins polarisée et plus interreliée, établissant ainsi les bases d’une nouvelle éthique féministe.
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“...waterlogged somewhere in mid-Atlantic.” Why American Readers Need Intralingual Translation but don’t often Get it
John Denton
p. 243–270
RésuméEN :
The quotation in the title is a comment on presumed American reception difficulties of British author Sue Townsend’s bestseller The Secret Diary of Adrian Mole Aged 13 3/4 (1982). A number of American reviews of the book and a questionnaire I used with American readers amply demonstrated a (partial) breakdown in transatlantic communication. Does this mean that American readers of British texts where informal register and cultural embeddedness predominate need some form of intralingual translation? As ‘speakers of the same language’ (albeit a pluricentric one) they do not often get it, in consideration of the widely held belief in a common language and culture. Thus, when shared British text producer-receptor pre-established knowledge schemata can no longer be consistently activated, Americans may well be at a disadvantage as compared with readers of interlingual translations.
FR :
La citation contenue dans le titre de cet article illustre les difficultés de réception aux États-Unis du best-seller The Secret Diary of Adrian Mole Aged 13 3/4 (1982), de l’auteure britannique Sue Townsend. Certains comptes rendus de l’ouvrage, ainsi qu’un questionnaire que j’ai utilisé auprès des lecteurs américains, démontrent clairement la rupture (partielle) de la communication transatlantique. Est-ce à dire que les lecteurs américains de textes britanniques, au sein desquels le registre informel et les traces d’un enracinement culturel sont omniprésents, ont besoin d’une certaine forme de traduction intralinguale? En tant que « locuteurs d’une même langue » (bien qu’il s’agisse d’une langue pluricentrique), ils n’en bénéficient pas souvent, compte tenu de la croyance répandue en une langue unifiée et une culture commune. Ainsi, lorsque les lecteurs américains ne partagent pas les mêmes schémas pré-établis de connaissances que les producteurs et les récepteurs de textes britanniques, ils peuvent se trouver désavantagés par rapport aux lecteurs de traductions interlinguales.
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Understanding Justice: Criminal Courtroom Interpretation in Eighteenth-Century London and Twenty-First-Century Toronto
Karen A. Macfarlane
p. 271–299
RésuméEN :
This paper compares criminal courtroom interpretation in present-day Toronto with eighteenth-century London. Eighteenth-century London, like Toronto, was home to a large immigrant population, and faced similar challenges. This article argues that expedience was the most important factor in shaping eighteenth-century criminal courtroom interpretation. The right to an interpreter is now a constitutional and common law right. Modern defendants enjoy greater protections, such as the developments of the presumption of innocence, the law of evidence, and the right to legal counsel. However, the attitudes of many Anglophone trial participants remain unchanged and negatively affect defendants who use interpreters.
FR :
Cet article compare la situation de l’interprétation devant les tribunaux dans le Toronto contemporain à celle de Londres au dix-huitième siècle. À l’époque, Londres avait une population immigrante et faisait face à des défis similaires à ceux qu’affronte aujourd’hui Toronto. La commodité s’avérait le facteur le plus important régissant cette question. Le droit à un interprète est de nos jours un droit constitutionnel, ainsi qu’un droit de la common law. Les accusés aujourd’hui jouissent de protections plus étendues, telles que la présomption d’innocence, la loi de la preuve et le droit à un avocat. Toutefois, l’attitude inchangée des participants anglophones aux procès continue d’avoir un impact négatif sur les accusés qui ont recours à des interprètes.
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Du passeur à l’agent de métamorphose : étude exploratoire de quelques représentations du traducteur littéraire
Denise Merkle
p. 301–325
RésuméFR :
Cet article se propose d’explorer quelques figures parmi les plus répandues du traducteur littéraire qui, davantage que le traducteur de textes pragmatiques, est appelé à composer avec les faits de culture, voire avec l’altérité. L’objet de cet article est l’étude de « comment » le traducteur ou la traductrice réagit envers la différence culturelle ou encore interagit avec elle, et l’effet de son rapport avec l’altérité sur le produit traductif. À un pôle nous retrouvons la figure du traducteur passeur de textes morts d’Henri Meschonnic, et à l’autre, la figure du traducteur comme agent de métamorphose culturelle de Michael Cronin. Les traducteurs qui se retrouvent entre ces deux pôles, dans l’« entre-deux » ou « dans le troisième espace », vivent dans une zone où deux ou plusieurs cultures se recoupent; ils sont sensibles à la temporalité et sont ainsi amenés à reconnaître le caractère illusoire, fantasmatique, des cultures nationales. Par conséquent, ils ne peuvent manquer d’être conscients de leur position en deçà et au-delà des oppositions binaires. Ceux qui vivent en proximité avec l’étranger ne le trouvent ni dangereux ni répulsif. Les possibilités d’aliénation et de rejet de l’altérité dans le texte traduit s’en trouvent considérablement réduites.
EN :
This article sets out to examine a number of the more prevalent representations of the literary translator in theoretical writings. The literary translator, more so than the translator of pragmatic texts, is called upon to deal with the transfer of foreign cultural elements, or alterity, to the target culture during the translation process. Of particular interest in this paper is how the translator deals with cultural alterity (rejection versus acceptance) and the impact of his or her position on the translation product. At one extreme is Henri Meschonnic’s figure of the translator as a “passeur” of dead texts who have lost their cultural memory, and at the other is Michael Cronin’s figure of the translator as an agent of metamorphosis, who while enacting change also undergoes transformation. Figures of translators located between these two extremes occupy an in-between, or a third, space where two or more cultures come into contact and overlap. These translators are sensitive to the passage of time and are very aware of the degree to which national cultures can be an artificial construction. Thus, they are invariably aware of their position that is located both outside of and within binary oppositions of Self versus Other. Those literary translators who live in close contact with the linguistic and cultural Other tend to find it neither dangerous nor repulsive. As a result, the likelihood of rejecting the foreign in the literary translation is considerably reduced.
Comptes rendus
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Freddie Plassard. Lire pour traduire. Paris, Les Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2007, 323 p.
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Jean Delisle. La traduction en citations. Ottawa, Presses Universitaires d’Ottawa, 2007, 396 p.
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Paul St-Pierre et Prafulla C. Kar (dirs). In Translation–Reflections, Refractions, Transformations. Amsterdam/Philadelphia, John Benjamins Publishing Company, coll. Benjamins Translation Library, vol. 71, 2007, 313 p.