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Au cours des deux dernières décennies, la question de l’éthique en traduction et celle du rôle social de la traduction ont (pré)occupé nombre de traductologues. La multiciplicité des perspectives n’a d’égal que la complexité du sujet et la diversité des disciplines scientifiques qui ont alimenté et continuent d’alimenter la réflexion sur le sujet. En effet, on peut aborder la question de l’éthique du traducteur au sens « professionnel » du terme, comme le veut son acception anglaise (professional ethics), c’est-à-dire la déontologie, ou de son acception au sens d’« art de diriger la conduite ».
Celui qui fait oeuvre de traduction est appelé à faire des choix, et ces choix peuvent témoigner des principes qui poussent le traducteur à agir d’une manière plutôt que d’une autre. Lorsqu’on reconnaît le pouvoir de décision dont dispose le traducteur, le rôle du traducteur et de la traduction en tant qu’agents de transformation sociale ne fait plus de doute.
Ce numéro de TTR, qui compte neuf articles thématiques et réunit des auteurs des États-Unis, de la Finlande et, bien entendu, du Canada, s’ouvre sur un texte de Sathya Rao, remarquable tant pour sa qualité que son opportunité. L’auteur choisit de se pencher sur la question de l’invisibilité du traducteur en y ajoutant un lien avec les silences du traducteur, dans un premier temps, puis avec l’engagement ou le désengagement social du traducteur, dans un second temps.
Then follow two articles aimed at highlighting the links between contemporary currents of thoughts in Translation Studies and the works of the French philosopher Emmanuel Levinas (1906-1995). Using examples from Latin American literature, Christopher Larkosh endeavours to demonstrate how other terms, including cross-identification, can be used to imagine translation in order to foster a better understanding of the Other.
Le second article reposant sur la philosophie lévinassienne de l’éthique de l’Autre cherche à décrypter les notions d’« Image » et de « Visage », telles que les concevait Lévinas, notion d’Image qui devient la révélation du visage de l’Autre. Arnaud Laygues nous amène ensuite à réfléchir à la responsabilité éthique du traducteur par rapport à l’auteur, certes, mais aussi par rapport au lecteur de la traduction.
Pour sa part, Pier-Pascale Boulanger soutient que la pluralité des perspectives donne lieu à une multiplication pléthorique des approches théoriques, lesquelles nuiraient à l’établissement d’une « métathéorie prédominante ». Elle démontre par son exposé que tout parti pris en faveur d’un mouvement théorique en particulier témoigne d’un comportement éthique.
Chez Salah Basalamah, la question de l’éthique du traducteur est abordée par le biais de la déontologie du traducteur littéraire; l’auteur trace un lien avec le droit, plus précisément l’application des lois sur le droit d’auteur. Après avoir mis au jour les écarts entre pays industrialisés et pays en développement au chapitre des productions savantes et culturelles, Basalamah cherche à jeter les bases d’une éthique qui participerait de la conception d’une notion du traducteur nouveau genre, c'est-à-dire d’un traducteur animé de principes citoyens et altermondialistes.
Andrew Clifford’s article explores various approaches to community interpreting, especially the “conduit model,” and how they can be conducive of an ethical behaviour. Having explored how the conduit model came to be promoted in community interpreting, Clifford analyses it against competing ethical approaches and tries to understand why it is still promoted in spite of its limitations. In conclusion, the author argues that his research findings tend to show that health care practitioners might be open to working with community interpreters who are interested in taking a less limitative role in the communication triad. Finally, Clifford demonstrates that when it comes to health care interpreting there is more than meets the eye.
Prenant pour appui le cas de l’interprétation en milieu social, Marco A. Fiola souligne que les retombées négatives des activités langagières ont fait l’objet de peu de recherches. Certes, de nombreux travaux tendent à mettre en relief les dangers de la mauvaise interprétation, mais on sait peu de choses sur les effets négatifs que l’interprétation peut avoir sur les interprètes eux-mêmes et sur ceux qui bénéficient de leurs services. L’auteur propose une réflexion sur les répercussions sociales de l’interprétation en milieu social en citant deux décisions rendues par des tribunaux du Canada et la Déclaration universelle des droits de l’homme. Selon lui, l’exemple de ceux qui interprètent dans des langues à faible diffusion pourrait mener à une révision de la conception du travail de l’interprète et des retombées positives et négatives que ce travail peut avoir sur lui.
L’article de Philippe Cardinal traite également des langues à faible diffusion, et plus précisément des langues autochtones du Canada. L’auteur compare trois traductions du récit des hauts faits du corbeau, récit traditionnel des Premières Nations du nord-ouest de l’Amérique, et une traduction de la version en tuchoni septentrional du même récit. Les traductions du récit haïda sont le travail de trois universitaires qui ont bénéficié de la collaboration d’interprètes haïdas. L’auteur fait observer que les traductions faites en collaboration avec des interprètes témoignent d’une nette tendance à l’occidentalisation du récit, tandis que la version tuchoni serait plus près de la tradition amérindienne.
Poursuivant dans la veine des peuples autochtones du Canada, Marjorie Agrifoglio cherche à comprendre le rôle qu’ont pu jouer les interprètes qui ont participé aux négociations des traités de cession conclus entre 1850 et 1923. Elle débute en brossant un tableau synthétique du contexte de l’époque et dresse un portrait des interprètes qui ont participé à ces négociations. Ses travaux montrent que le rôle de l’interprète autochtone de l’époque allait bien au-delà de la simple communication interlinguistique et que ces pionniers de la profession au Nouveau Monde étaient également tantôt négociateurs, informateurs et conseillers. Dans la deuxième partie de son article, l’auteure illustre l’interprétation comme instrument d’assimilation et de résistance, véhicule de valeurs tout autant que de contenus informationnels. Cet article renvoie au tout premier de ce collectif en ce sens qu’il se fait l’écho d’un plaidoyer en faveur de la visibilité de l’interprète en tant qu’agent de médiation sociale, culturelle et idéologique.
En plus de toucher tantôt à la déontologie mais surtout à l’éthique, ce numéro de TTR propose d’ajouter un éclairage critique à la question en ouvrant la réflexion sur la dimension sociale de la traduction. Soulignons que les articles qui forment le présent numéro de TTR abordent des sujets qui ont d’abord été présentés sous forme de communications dans le cadre du 18e congrès de l’ACT, tenu à l’Université Western Ontario (London), en mai 2005. Bien entendu, ces communications ont été depuis considérablement remaniées pour former le collectif que vous avez aujourd’hui entre les mains.
Le parcours ambitieux auquel je vous convie nous entraîne dans une réflexion profonde sur le rôle du traducteur, une réflexion qui embrasse de larges horizons et où les questions demeurent plus nombreuses que les réponses, une réflexion qui, néanmoins, pousse à prendre un temps d’arrêt et encourage à saisir la pleine mesure de la portée éthique et sociale d’un acte qu’on appelle « traduction ».
Parties annexes
Auteur
Marco A. Fiola
Il est traducteur et terminologue agréé, est professeur au Département d’études langagières de l’Université du Québec en Outaouais depuis 2001, où il enseigne la méthodologie de la traduction professionnelle. Son parcours professionnel l’a amené à travailler comme traducteur, réviseur et interprète, de même qu’à former des interprètes en milieu social dans le Grand Nord.