Comptes rendus de lecture

Michel Plourde avec la collaboration de Hélène Duval et de Pierre Georgeault (sous la dir.), Le Français au Québec. 400 ans d’histoire et de vie, Montréal, Fides, 2002, 516 p.[Notice]

  • Michel Biron

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  • Michel Biron
    Université McGill

Cet ouvrage réalisé sous l’égide du Conseil supérieur de la langue française (anciennement le Conseil de la langue française) est imposant à plusieurs égards. Rédigé par une équipe de plus de quatre-vingts spécialistes, il présente l’évolution linguistique en l’articulant de manière systématique et rigoureuse à l’histoire générale du Québec (démographique, politique, culturelle et sociale). Divisé en quatre grandes périodes (1608-1760, 1760-1850, 1850-1960, 1960-2000), il constitue une synthèse intelligente, neuve et pédagogique de l’évolution linguistique au Québec. La richesse de l’information est remarquable, en particulier dans les trois premières parties qui proposent un tableau extrêmement nuancé de l’évolution linguistique depuis les débuts de la Colonie jusqu’à la Révolution tranquille. Parmi les chapitres les plus intéressants, signalons ceux qui décrivent l’origine des premiers colons. Selon le linguiste Raymond Mougeon, ceux-ci parlaient déjà français avant d’arriver en Nouvelle-France, contrairement à ce qu’on avait cru jusqu’à récemment. Ce fait explique en partie la relative homogénéité de la langue parlée dans la colonie. Un autre linguiste, Jean-Denis Gendron, décrit de façon précise le français de l’époque, réputé « sans accent » selon le témoignage de nombreux voyageurs. On y apprend par exemple que des usages populaires, comme « c’moment-ici » (encore en vigueur aujourd’hui, notamment chez notre premier ministre sortant), étaient courants à Versailles, mais non à Paris. La « pureté » du français disparaît toutefois avec la Conquête et l’anglicisation des élites canadiennes. Plusieurs chapitres décrivent les rapports difficiles (Claude Poirier parle d’une « langue qui se définit dans l’adversité ») du français avec l’anglais après 1774, que ce soit dans les journaux, dans les textes législatifs, dans l’assemblée de 1791, dans les manuels, dans l’affichage public ou dans le discours général. On voit bien se dessiner, d’une analyse à l’autre, la dimension politique des combats linguistiques, depuis le conflit entre le Mercury et Le Canadien au début du dix-neuvième siècle jusqu’à la Charte de la langue française votée en 1977 (la loi 101). Peu à peu se développe un sentiment de honte à l’égard du français parlé au Québec. Certains emprunts sont pourtant exquis, comme le fait de se « souhaiter la pinouillère » (d’après Happy New Year), mais le ver est dans le fruit. En 1841, Thomas Maguire est le premier d’une longue série d’auteurs de manuels destinés à redresser la situation (le sien s’intitule Manuel des difficultés les plus communes de la langue française adapté au jeune âge et suivi d’un Recueil des locutions vicieuses). Les Anglo-Saxons commencent après 1850 à parler du « French Canadian patois » et l’image s’impose au point que les journaux sont inondés de lettres et d’articles dénonçant les mauvais usages. Des écrivains et des journalistes comme Arthur Buies, Louis Fréchette ou Jules-Paul Tardivel mènent tour à tour d’intempestives campagnes de purification linguistique. Chantal Bouchard montre bien toutefois que l’autodépréciation continue de croître jusqu’au milieu du vingtième siècle. C’est précisément ce sentiment de honte qu’exprimeront les écrivains « joualisants » des années 1960. D’autres aspects de cette vaste enquête permettent de mieux comprendre la logique sociale d’une telle autodépréciation. L’analyse déjà citée de Claude Poirier montre bien la prise en charge de la langue par le peuple (en l’absence d’une élite suffisamment nombreuse). Dans le même sens, le développement malaisé de l’instruction publique obligatoire contribue aussi à conforter l’image d’une société qui parle mal sa propre langue. L’élite lettrée réclame et obtient finalement davantage d’écoles, mais le débat sur la maîtrise de la langue semble « perpétuel ». Il suffit de regarder du côté des écrivains pour constater à quel point un tel malaise est présent d’une génération à l’autre. Il est même assez frappant d’observer …