Comptes rendus de lecture

Kristal, Efraín. Invisible Work. Borges and Translation, Nashville, Vanderbilt University Press, xxii, 2002, 213 p.[Notice]

  • Georges Bastin

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  • Georges Bastin
    Université de Montréal

Outre le fait d’être des monuments de la littérature latino-américaine contemporains, quel autre trait partagent Gabriel García Márquez, Carlos Fuentes et Mario Vargas Llosa? Celui de l’appropriation! García Márquez n’a-t-il pas transformé le comté de Yoknapatawpha de Faulkner en Macondo et fait de la ligne du temps de Buddenbrooks de Thomas Mann la colonne vertébrale généalogique de la famille Buendía? La mort d’Artemio Cruz de Fuentes n’est-elle pas une reprise du Citizen Cane d’Orson Welles? Vargas Llosa n’a-t-il pas réécrit Joseph Conrad et Victor Hugo entre autres? C’est en tout cas ce qu’affirme Efraín Kristal pour expliquer l’héritage légué par Jorge Luis Borges (1899–1986) à la littérature latino-américaine et mondiale. Professeur à l’UCLA et détenteur d’un doctorat de Stanford, Efraín Kristal est spécialiste de la littérature hispano-américaine des XIXe et XXe siècles et de littérature comparée. Il a notamment publié plusieurs ouvrages sur Mario Vargas Llosa dont Temptation of the Word (1998) et divers articles sur J.L. Borges. Jorge Luis Borges, donc, le plus universel des écrivains latino-américains était copieur, adaptateur, faussaire, génie, éternel insatisfait, rêveur, misogyne, hétéro, narcissique ; telle apparaissait la personnalité du maître de la réécriture et de la retraduction. À peine âgé de dix ans, Borges entreprend de traduire Oscar Wilde. Jusqu’à la fin de sa vie, alors qu’il préparait une version espagnole de Prose Edda, Borges a énormément traduit : des oeuvres de Herman Melville, Ralph Waldo Emerson, Carlyle, Robert Louis Stevenson, Henri Michaux, Walt Whitman, Angelus Silesius et Snorri Sturluson; des nouvelles de Franz Kafka, Herman Melville, Jack London, Chesterton, Edgar Allan Poe, Villiers de l’Isle Adam, Guillaume Apollinaire, Nathaniel Hawthorne et Rudyard Kipling; et des poèmes de Wilhelm Klemm, André Gide, Wallace Stevens, Langston Hughes et Herman Hesse. Il a aussi traduit des essais et des chapitres de livres, ainsi que des centaines de passages d’ouvrages qu’il a cités dans ses anthologies et essais. Dans de nombreuses études, conférences et entrevues, Borges a analysé les versions des autres et s’est donné une vision de la traduction. Il prétendait que traduire pouvait améliorer l’original, que les versions contradictoires d’une même oeuvre pouvaient être aussi valables et qu’un original pouvait être infidèle à sa traduction. La version du Don Quixote de Pierre Ménard en particulier, ainsi que nombre de ses écrits et de ses traductions, sont qualifiés par Borges lui-même d’« oeuvre invisible », de réalisation passée inaperçue, dissimulée et opaquée par une autre oeuvre qu’elle a dépassée. D’où le titre de l’étude : Invisible Work. Borges and Translation. L’objectif de l’ouvrage n’est pas de porter un jugement sur la valeur de la démarche traductionnelle de Borges ni sur sa pratique de traducteur, mais bien de les mettre au jour afin de démontrer leur impact sur la vision qu’avait Borges de la littérature comme art (pp. 135-136). Kristal cherche à prouver que la traduction, en tant que processus par lequel un écrivain remanie une séquence de mots en une autre, se trouve au coeur des réflexions de Borges sur l’écriture et de sa contribution à la littérature (xiii-xiv). Bref que les traductions de Borges, et sa vision de la traduction, font partie intégrante de son processus de création. L’ouvrage se divise en trois chapitres : Borges et la traduction, Borges traducteur et La traduction dans le processus de création, où la traduction est aussi traitée en tant que sujet littéraire de la fiction de Borges puisque de nombreux personnages y sont des traducteurs et que de nombreuses histoires y sont présentées comme des pseudo-traductions. Plusieurs des traductions de Borges, il ne s’agit en effet pas d’une étude exhaustive, y …