Résumés
Résumé
L’expression ami carneus, récurrente dans le Cycle Vulgate, contient le paradoxe d’un lien qui se fonde à la fois sur une parenté charnelle, sens premier de l’expression, et sur une relation spirituelle, celle de l’amicitia; elle révèle donc les contradictions d’une parenté à la fois assumée et à amender. En effet, l’étude de ses occurrences dans le Lancelot-Graal permet de définir deux grands types de rapports entre les personnages. Les uns, horizontaux, sont fondés sur une élection et mettent en évidence un réseau de parenté diffus, allant des plus proches parents aux plus lointains et surtout, définissant un cercle privilégié d’intimes; les autres, verticaux, relèvent de l’alliance et du lien féodo-vassalique unissant parfois d’ailleurs les membres d’une même parentèle, reposent sur la fides et paraissent nettement valorisés. L’ambiguïté de l’expression repose sur l’usage spécifique qui se dessine dans son emploi en langue vernaculaire : les amis carneus entretiennent des relations de confiance et de fidélité à l’opposé des amitiés charnelles telles que les décrit le discours théologique, celui d’Aelred de Rielvaux en particulier. Il est de plus remarquable de constater que les mentions qui sont faites des « amis charnels », le sont toujours dans des moments de crise. À ce titre, la crise seigneuriale qui ouvre le Lancelot propre est particulièrement intéressante : ayant pour origine la domination des terres par les dominants laïcs, elle oppose Claudas l’usurpateur à Pharien, fidèle au lien qui le lie à son ancien seigneur, Bohort de Gaunes, le roi déchu. Or, Claudas est un roi défaillant qui a tissé un réseau d’alliances reposant sur des amitiés charnelles au sens où l’entend l’abbé de Rielvaux : intéressées et monnayables, elles révèlent un mauvais dominant laïc qui a fondé son pouvoir sur l’avaritia et la potentiae cupiditas. À l’opposé, ses ennemis recourent à leurs « amis charnels » parce que les liens qui les unissent reposent au contraire sur la fides et l’amor, l’alliance redoublée par la parenté. On voit ainsi, dans un épisode exemplaire de renversement des alliances, Lambègue, le neveu de Pharien, secourir son oncle avec qui il était brouillé, au nom de la carnel amor qui les unit : la pitié qui guide l’élan du neveu révèle le modèle sous-jacent de circulation de la caritas entre grands seigneurs laïcs. Capables ainsi d’une forme d’amitié parfaite parce qu’assises sur des liens naturels, l’oncle et le neveu se placent dans l’imitation de la relation verticale qui unit le chrétien à Dieu et peuvent alors refonder l’ordre féodal mis à mal par le traître. Cet épisode, en réorganisant la hiérarchie spirituel / charnel au profit du charnel, met en évidence une charnalité assumée puisque vectrice d’une bone amor faite de pitié et de miséricorde, charnalité qui, paradoxalement, conduit à une forme de spiritualisation de la chevalerie.
Mots-clés :
- amitié,
- graal,
- féodalité,
- charnel,
- spirituel
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