L’ouvrage lumineux de Jean Greisch fait partie de ces ouvrages qui sont faits pour être lus et contemplés. Se composant de dix-huit méditations bibliques, d’abord présentées à Berlin de 2009 à 2012 quand il y fut titulaire de la Chaire de la Fondation Romano Guardini, puis certainement retravaillées et augmentées depuis lors, il propose des réflexions sur des thèmes bibliques en suivant non seulement le texte des Écritures, mais en s’inspirant aussi de la manière dont ils ont été interprétés dans l’iconographie occidentale dont des copies en couleur, d’une exceptionnelle qualité, seront reproduites afin d’en faciliter la lecture et la contemplation. L’herméneute français (et luxembourgeois, donc intimement familier de la vaste culture allemande) veut ainsi entrecroiser une poétique de la lecture et une poétique du regard. Il le fait avec un remarquable talent de Cicérone qui fait voir ce qu’une première lecture ou un premier regard (et même un deuxième ou un troisième…) ne voient pas. Ce sont donc autant des textes, très classiques, donc rarement lus avec l’attention méritée et rafraîchissante que leur consacre Jean Greisch, que des tableaux (parfois aussi des sculptures, des frontons d’église, des enluminures, des vitraux, des mosaïques et même deux scènes de film, sans négliger la manière dont la littérature et la poésie se sont emparées des thèmes bibliques) qui sont commentés. Se trouvent ainsi fusionnés les horizons de l’exégèse, de la philosophie de la religion, de l’herméneutique et de l’histoire de l’art, avec une ample culture et une érudition qui ne sont jamais intimidantes et qui restituent aux textes, comme aux tableaux, leur simplicité première. En se consacrant à des méditations bibliques, Jean Greisch suit le modèle de son maître Paul Ricoeur qui avait publié dans sa dernière décennie des méditations d’herméneutique biblique (Penser la Bible, 1998; L’herméneutique biblique, 2001), aux frontières de la philosophie. L’auteur en est conscient et emprunte même à Ricoeur son sous-titre : « Parcours de la reconnaissance » fut en effet le titre du dernier grand livre que Ricoeur a publié en 2004. Ricoeur y distinguait trois grands sens du terme, ceux de la reconnaissance comme identification, de la connaissance de soi-même et de la reconnaissance mutuelle, sans oublier celui de la gratitude. Greisch lui en découvre (au moins) un autre grand sens, dont il dit avoir discuté avec Ricoeur lui-même : en français, la reconnaissance désigne aussi « l’exploration d’un territoire, difficile ou dangereux, exploration qui est la tâche des éclaireurs, des pionniers, parfois même des espions ». C’est ce sens qui domine toutes ces méditations qui toutes accompliront de tels parcours exploratoires de reconnaissance. Cela est vrai du commentateur qui mène ses explorations herméneutiques comme des thèmes qui retiennent surtout son attention dans la Bible. Greisch se montre en effet attentif à tous les moments de reconnaissance qui se font jour dans le texte biblique : dans la Genèse, il s’intéresse autant à la « reconnaissance » par le créateur que sa création était très bonne qu’au moment où Adam et Ève « se reconnurent »; dans l’Évangile, il s’attarde à la question de savoir à quels signes les apôtres pourront « reconnaître » celui qui doit venir et au moment où les disciples d’Emmaüs ont « reconnu » Jésus à la fraction du pain. D’autres sens de la reconnaissance seront mis en évidence tout au long de l’ouvrage, dont celui de la reconnaissance des fautes, donc de l’aveu (autre thème ricoeurien) et de la confession (les Confessions d’Augustin sont-elles autre chose qu’un parcours de la reconnaissance?). De « parcours », au pluriel, il est aussi beaucoup question dans ce livre, car …
Jean Greisch, Croire. Un parcours de la reconnaissance. Méditations bibliques, Paris, Éditions Ipagine, 2022, 347 p. ISBN 979-10-97023-74-4[Notice]
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Jean Grondin
Département de philosophie, Université de Montréal