Volume 23, numéro 2, 2015 Théologies de la réconciliation Sous la direction de Denise Couture et Jean-François Roussel
Sommaire (13 articles)
Liminaire
Thème
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La Commission de vérité et réconciliation du Canada sur les pensionnats autochtones : bilan et prospective
Jean-François Roussel
p. 31–58
RésuméFR :
La Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) a traité abondamment du rôle des Églises dans le système des pensionnats autochtones et de leurs responsabilités pour surmonter cet héritage. La théologie est interpellée elle aussi par le rapport final de la CVR et par les implications de la « réconciliation ». Après avoir résumé l’histoire des pensionnats et expliqué l’origine de la CVR, nous rendons compte de ses résultats. Nous exposons les demandes que la CVR adresse spécifiquement aux Églises et aux coalitions oecuméniques. Nous examinons certaines critiques et mises en garde exprimées avant et pendant la CVR concernant le projet de réconciliation, les risques liés au mandat de la CVR et les aspects communicationnels des audiences. Nous engageons ensuite une réflexion théologique sur le thème de la réconciliation. En conclusion, nous proposons quelques pistes de réflexion pour le travail de la théologie après la CVR.
EN :
The Truth and Reconciliation Commission of Canada (TRC) has extensively discussed the role of churches in the residential school system and their responsibilities in overcoming this legacy. Theology is also challenged by the TRC’s final report and the implications of “reconciliation”. After summarizing the history of the residential schools and explaining the origin of the TRC, we report on its outcomes. We outline the requests that the TRC specifically addresses to churches and ecumenical coalitions. We review some of the criticisms and caveats expressed before and during the TRC regarding the reconciliation project, the risks associated with the TRC’s mandate, and the communication aspects of the hearings. We then engage in theological reflection on the theme of reconciliation. In conclusion, we propose some ideas for the work of theology after the CVR.
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Les Églises, la théologie et les Autochtones : de la réconciliation à la décolonisation
Michel Andraos
p. 59–73
RésuméFR :
Le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) du Canada, et son Appels à l’action, ont porter à l’attention des théologiennes et théologiens la responsabilité éthique et théologique des églises et la théologie aux peuples autochtones, non seulement au Canada, mais aussi dans l’ensemble du continent et au-delà. Selon la CVR, la réconciliation exige la prise de responsabilité pour le passé et pour un nouveau départ basé sur le respect mutuel et une nouvelle relation décolonisée. Inspiré par le cadre analytique des penseurs décoloniaux, cet article soulève quelques questions à la théologie et aux églises et plaide en faveur de re-imaginer la relation avec les peuples autochtones. Une théologie en dialogue avec les mouvements de la résurgence des peuples autochtones et leur littérature, l’article soutient, pourrait ouvrir de nouvelles possibilités pour l’émergence d’une théologie décolonial qui contribuerait à la transformation des églises et leurs relations avec les Autochtones.
EN :
The final report of the Truth and Reconciliation Commission of Canada (TRC) and its Call to Actions brought to the attention of theologians the ethical and theological responsibility of the churches and theology to Indigenous Peoples, not only in Canada, but also in the rest of the continent and beyond. According to the TRC, reconciliation requires taking responsibility for the past and working toward a new start based on mutual respect and a decolonized relationship. Inspired by the analytical frameworks of decolonial thinkers, this article addresses some questions to theology and the churches and argues for a radical rethinking of the relationship with Indigenous Peoples. A theology in dialogue with the Indigenous resurgence movements and their literature, the article argues, could open new possibilities for the emergence of a decolonial theology that would contribute to the transformation of the churches.
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Le salut comme réconciliation
Jean Richard
p. 75–101
RésuméFR :
L’article traite de notre réconciliation avec les Premières Nations du Canada. Nous nous situons là du côté de l’offensant face à l’offensé. Une première partie se réfère donc à Karl Jaspers dans son opuscule sur La culpabilité allemande, où il montre comment l’ouverture de la conscience à la culpabilité amorce un processus de purification et de réconciliation. D’un point de vue théologique, il en va de même chez Paul Tillich, où la conscience de l’aliénation conduit à la réconciliation avec Dieu dans le Christ. Ce qu’on trouve, chez saint Paul, appliqué à la réconciliation des deux peuples, les Juifs et les Grecs. Dans une troisième partie, l’article fait voir comment le conflit entre « Blancs » et « Amérindiens » consiste dans la polarité entre l’enracinement communautaire et l’universalisme des Lumières. La réconciliation souhaitée devra donc se faire par l’union de ces deux pôles dans toute existence humaine, communautaire aussi bien que personnelle. Une dernière partie porte sur la polarité et la réconciliation des deux types de religions : religion cosmique et religion de l’alliance avec un Dieu personnel.
EN :
The article is about our reconciliation with the First Nations of Canada. In the conflict, we situate as offenders against offended. So, the first part refers to the Karl Jaspers lecture on the German culpability, where he shows how the guilt consciousness opens one to purification and reconciliation. From a theological view-point, Paul Tillich affirms likewise that consciousness of alienation leads to reconciliation with God in Christ. In saint Paul, the idea applies to the reconciliation between Jews and Greeks. In the third part, the article shows how the conflict between « Whites » and « Amerindians » is about the polarity of the community roots and the rational universalism. The reconciliation then consists in the union of both poles in personal and communal existence. Likewise, the last part is about the polarity and reconciliation of both types of religions : cosmic religion and religious covenant with a personal God.
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La réconciliation chez Paul (2 Co 5,11–6,2 ; Rm 5,1-11) : perspective discursive et socio-politique
Alain Gignac
p. 103–131
RésuméFR :
Théologiquement, on ne peut réfléchir à la réconciliation sans revenir à Paul. 2 Co 5,11–6,2 et Rm 5,1-11 sont donc l’objet d’une lecture attentive (close reading) afin d’expliquer le fonctionnement de la métaphore de la réconciliation selon deux axes. 1/ Comment le contexte socio-politique du Ier siècle éclaire-t-il le quasi néologisme théologique paulinien ? 2/ Comment la manière de mettre en discours la réconciliation a-t-elle une portée théologique ? La réconciliation relève du vocabulaire politique, mais Paul la met en discours de sorte que l’énonciataire se sente concerné par l’histoire d’un Dieu qui, par la médiation du Christ, se réconcilie l’humanité, ou plutôt, « nous réconcilie avec lui ». Le vous auquel s’adresse le discours est comme aspiré par un récit qui se décline sous le mode d’un nous inclusif.
EN :
When revisiting the doctrine of reconciliation, the Pauline passages that use this model are inevitable because of how they remarkably convey, in the New Testament, the area where discourses were deployed with magnitude regarding this subject. I would like to review two passages said to be « authentic » : 2 Cor. 5 : 11- 6 : 2 and Rom. 5 : 1-11, in order to glean from the new as well as the old. On one part, a brief literature review will summarize the requirements of the research to reflect a bibliography that continues to expand. On the other hand, I propose to review these two passages theologically with two views : 1 : How the socio-politic context of the first century sheds light on the Pauline theological neologism ? —since the word « reconciliation » is taken from a political vocabulary and is used in a metaphorical way by Paul. 2 : How can the manner of discussing reconciliation have a theological emphasis ? —since the manner in which something is said is equally as important to its content, the manner of telling or of saying is as important as what is being said. In other words, I hypothesise that a meticulous re-reading (closed reading) would raise new questions and possibly even challenging received ideas (closed readings).
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La mission de l’Église : réconciliation de l’humanité désunie
Gregory Baum
p. 133–148
RésuméFR :
Dans cet article je soutiens la thèse, encore controversée dans l’Église, selon laquelle la situation historique produite par la mondialisation oblige l’Église à repenser sa mission dans le monde et à y déployer un ministère de réconciliation au service du bien commun universel. Je présente d’abord une analyse de la situation historique actuelle, que je complète par des réflexions bibliques, une analyse de l’évolution du magistère, des arguments contre le prosélytisme et finalement une théologie de la mission, guidée par l’appel divin à la réconciliation.
EN :
In this article I defend the thesis, at this time controversial in the Church, that the historical situation produced by globalization obliges the Church to rethink its mission and institute a ministry of reconciliation in the service of the common good. I begin with an analysis of today’s historical situation, followed by biblical reflections, an account of the evolution of the magisterium, an argument against proselytism and at the end, a theology of mission guided by God’s call for reconciliation.
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Pour des réconciliations ecclésiales, religieuses et personnelles : les communautés locales de Poitiers et la confiance
Rémi Lepage
p. 149–164
RésuméFR :
Puisque les communautés chrétiennes connaissent non seulement des tensions, mais aussi des blessures et parfois même de l’oppression venant d’attitudes cléricales, la réconciliation les concerne. À ce titre, le modèle des communautés locales du diocèse de Poitiers, en France, peut servir d’exemple. Développé depuis une vingtaine d’années et misant sur les liens de proximité entre tous les baptisés d’un même milieu, clercs et laïcs, ce modèle fait une option fondamentale pour la confiance, une attitude qui fait croire que malgré des blessures subies, il demeure possible de faire la vérité et d’entrer dans une histoire commune renouvelée. La confiance apparaît ainsi comme une clé de la réconciliation, qu’elle soit vécue sur le plan ecclésial, religieux ou personnel. Des réconciliations ecclésiales font dépasser des attitudes cléricales pour oser inclure tous les baptisés et faire place à leurs charismes pour le bien de la communauté. Des réconciliations religieuses amènent à laisser tomber les distinctions entre le sacré et le profane pour accepter avec confiance le mystérieux, l’insaisissable, l’incontrôlable dans l’expérience de foi. Quant aux réconciliations personnelles, elles deviennent nécessaires lorsqu’on s’est laissé prendre par des valeurs véhiculées par des attitudes cléricales. Elles impliquent alors de reprendre confiance en ses ressources intérieures pour arriver à plonger à nouveau dans le mystère de la foi.
EN :
Since clerical attitudes cause not only tensions, but also wounds and even oppression at times in Christian communities, reconciliation is relevant for their members. For this, the local communities model in the Diocese of Poitiers, France, may serve as an example. Developed over twenty years and focused on territorial proximity between all the baptized — cleric and lay people — of specific localities, this model makes a fundamental choice for trust, an attitude that leads one to believe that despite the wounds sustained, bringing out the truth and entering a renewed common story remain possible. Trust appears therefore as a key for reconciliation, whether it is lived on an ecclesial, religious or personal level. Ecclesial reconciliations lead to overcome clerical attitudes in order to dare to include all the baptized and to honour their charisms for the good of the community. Religious reconciliations bring somebody to abandon the distinction between the sacred and the profane and to accept with confidence what is mysterious, intangible or out of control in the experience of faith. For their part, personal reconciliations become necessary when someone got caught out by values spread through clerical attitudes. These reconciliations involve the recovery of trust in one’s internal resources so that entering once again in the mystery of faith becomes possible.
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La réconciliation comme mission : de l’usage théologique de la notion de réconciliation par le décret sur la mission de la 35e Congrégation générale de la Compagnie de Jésus
André Brouillette
p. 165–183
RésuméFR :
Dans un décret présentant une vision de sa mission lors de la 35e congrégation générale, en 2008, la Compagnie de Jésus a choisi de manière singulière la notion théologique de réconciliation comme principe intégrateur. S’inscrivant dans une généalogie de décrets sur la mission depuis les années 1960, ce décret sur la réconciliation comme mission harmonise à frais nouveaux les notions de service de la foi et de promotion de la justice, qui avaient marqué la 32e congrégation générale (1974-75) et ses suites parfois conflictuelles, tout en en renforçant l’aspect holistique par l’ajout d’un troisième terme : la création. La notion de réconciliation fournit le cadre d’une relecture originale des fondements bibliques, historiques, spirituels et existentiels de la mission de cet ordre religieux, sur fond des tensions habitant le monde moderne. Au final, une nouvelle géographie de la mission se dégage, qui assigne une valeur différenciée aux frontières et aux agents de réconciliation qui y oeuvrent. L’usage très circonstancié de la notion de réconciliation pour rendre compte de la mission d’une communauté religieuse met ainsi en lumière la plasticité et la fécondité du concept même de réconciliation.
EN :
In a decree presenting the vision for its mission during the 35th General Congregation, in 2008, the Society of Jesus has chosen the theological notion of reconciliation as the integrative principle. Immediate heir to a series of decrees on mission going back to the 1960s, this decree on reconciliation as mission harmonizes anew the notions of the service of the faith and the promotion of justice that had marked the 32nd General Congregation (1974-75) and its conflictual aftermath, while strengthening the holistic dimension by the addition of a third term : creation. The notion of reconciliation provides the framework for an original rereading of the biblical, historical, spiritual and existential foundations of the mission of this religious order, while acknowledging the tensions at work in the modern world. As a result, a new geography of the mission emerges, which assigns a differentiated value to frontiers and to the agents of reconciliation who work there. The very specific use of the notion of reconciliation to reflect upon the mission of a religious community highlights the plasticity and the fecundity of the very concept of reconciliation.
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Les alliances interethniques en Afrique de l’Ouest : nouvelles stratégies de réconciliation
Zaoro Hyacinthe Loua
p. 185–201
RésuméFR :
En Afrique de l’Ouest, l’alliance est un concept clé des relations sociales ou mieux des relations intercommunautaires et interethniques. L’introduction de ces « alliances interethniques » dans les processus de réconciliation sociopolitique permet de rejoindre non seulement les protagonistes des conflits, mais aussi les autres communautés qui leur sont liées par des alliances. Car la véritable réconciliation n’est possible que lorsqu’on est capable de se remettre en question, d’aller au-delà des liens biologiques, ethniques et régionaux pour dire la dure vérité aux frères et aux soeurs de même sang, voire aux géniteurs. Mais l’usage de ces alliances exige réactualisation et adaptation en vue d’en faire une « nouvelle stratégie » de réconciliation sociopolitique en Afrique de l’Ouest. Les acteurs de réconciliation ne devraient-ils pas dialoguer avec la sagesse des traditions religieuses locales ?
EN :
In West Africa, covenant is a key concept in social relations and even more so within intercommunity and interethnic relationships. The introduction of these « interethnic relationships » in the process of social-political reconciliation allows not only the protagonists in the conflict to be reached but also the other communities that are attached to them through covenants. True reconciliation cannot be attained except where we are able to reassess oneself into question, going above and beyond biological, ethnic and regional ties to speak the hard truth to our blood brothers and sisters, even our progenitors. However the use of these covenants demands readjustment and adaption for a « new strategy » for a social-political reconciliation in West Africa. Should not the actors of reconciliation converse with the wisdom of the local religious traditions ?
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Rôle de la femme dans la société et dans l’Église : pour une justice et une réconciliation durables en Afrique
Albertine Tshibilondi Ngoyi
p. 203–228
RésuméFR :
L’auteure examine le rôle de la femme africaine dans un continent marqué par les conflits, les guerres et le pillage de ses ressources naturelles. La population, et particulièrement les femmes confrontées à cette violence multiforme, aspire à la paix durable en Afrique. Elle s’interroge sur les actions concrètes et l’engagement de la communauté internationale, des États, des Églises, des communautés chrétiennes pour relever le défi de la paix, de la justice et de la réconciliation en Afrique.
Cette étude montre l’implication et la responsabilité des femmes dans la société africaine, précoloniale et dans une Afrique mondialisée en s’inspirant souvent du cas de la République démocratique du Congo. Malgré leur marginalisation, les Africaines sont créatrices et actrices incontournables dans tous les secteurs socio-économique, politique, culturel et religieux. L’auteure remet en question les mécanismes de subordination qui, dans un système patriarcal, freinent leur pleine participation dans l’Église comme dans la société. Elle souligne le rôle que les chrétiennes africaines dotées d’une solide formation humaine et théologique jouent et pourront davantage jouer dans l’Église en tant qu’actrices de paix, de justice et de réconciliation à la lumière du 2e synode africain. Le défi majeur qui reste à relever est celui de redéfinir, de façon nouvelle, leur place et leur prise de décision dans un partenariat hommes-femmes dans l’Église, en vue de la justice et la réconciliation durables du continent.
EN :
The author examines the implications that African women have on a continent rife with conflict, war and the pillage of its natural resources. The entire African population and particularly women are confronted with this multifaceted violence long for durable peace in Africa. The author asks if the concrete actions and commitment of the international community, States, Church and Christian communities are enough to take on the task of peace, justice and reconciliation in Africa.
This study shows the implication and the responsibility of women in pre-colonial African society as well as in the modern global Africa, primarily through the inspiration of the situation of the Democratic Republic of the Congo. Despite being marginalized, African women are creative and indispensable actors in all socio-economic, political, cultural and religious sectors. The author challenges the mechanism of subordination in a patriarchal system that inhibits women’s full involvement in the Church as well as in society. She emphasizes the role that African women, who have a well-founded human and theological education, play and the potential influence they could have as actors of peace, justice and reconciliation in the Church in light of the 2nd African synod. The major challenge that remains, in view of durable justice and reconciliation on the continent, is finding new ways of defining women’s place and their decision-making in male-female partnerships in the Church.
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Pratiques de réconciliation au Liban : un état des lieux
Pamela Chrabieh
p. 229–252
RésuméFR :
Bien que les pratiques de réconciliation connaissent une longue histoire au Liban, celles-ci se diversifient à partir des années 1990. Elles constituent un important objet d’étude pour de nombreux académiciens et académiciennes ainsi que chercheurs et chercheuses ; elles sont devenues la cause commune d’une pléthore d’organismes non-gouvernementaux, d’associations civiles, de mouvements sociaux et d’artistes. Le thème de la réconciliation des Libanais et Libanaises sert aussi de cadre pour le discours politique. Cet article présente un état des lieux de ces pratiques en traitant premièrement de la relation de la réconciliation au dialogue interreligieux puis de la relation de la réconciliation à la mémoire nationale. Il présente par la suite certains exemples au sein de la société civile et identifie en conclusion quelques pistes de réflexion.
EN :
Although reconciliation practices have a long history in Lebanon, they have been diversifying since the 1990s. Furthermore, they have become an important object of study for many scholars and researchers, and the common cause for numerous non-governmental organizations, civic associations, social movements and artists. The theme of reconciliation also serves as a framework for political discourse. This article presents first an overview of these practices by tackling the relationship between reconciliation, interreligious dialogue and national memory. It then highlights some examples found in the Lebanese civil society. It finally suggests some avenues to be explored.
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Entre le devoir de pardonner et le droit de ne pas pardonner
Karlijn Demasure et Jean-Guy Nadeau
p. 253–270
RésuméFR :
Les auteurs abordent la question du pardon à partir de l’expérience des victimes d’abus sexuels qui la posent souvent d’une façon très aiguë. Le christianisme tient généralement le pardon pour un devoir chrétien, fondé sur une théologie qui considère la réconciliation comme le coeur de l’histoire de salut. Le Nouveau Testament porte un appel à pardonner qui ne peut être nié. Par contre, celui-ci ne va pas nécessairement sans condition ni en faisant abstraction du contexte de la faute ou de la relation. Opérant une étrange inversion de la dynamique du pardon, la psychologie considère de son côté les bienfaits du pardon pour celui ou celle qui le donne plus que pour celui ou celle qui le reçoit. La psychologie connaît aussi les longs cheminements et les impasses du pardon dont la théologie ne saurait faire abstraction. Cela appelle une théologie qui soit plus sensible à la justice et qui approche avec plus de retenue la question du pardon et de la réconciliation. Comme l’amour, le pardon est un don et il ne peut être forcé.
Le pardon n’est pas une obligation dont il faudrait se culpabiliser ou culpabiliser les victimes, souvent les plus faibles, de ne pas y répondre. Si la grâce de Dieu permet de pardonner là où la volonté et le pouvoir humains touchent à leurs limites, peut-être y a-t-il aussi une grâce qui permet de retenir le pardon jusqu’à ce que quelque chose change, voire une grâce qui permet de faire justice pour que la vie se poursuive en abondance.
EN :
The authors address the issue of forgiveness from the experience of victims of sexual abuse who often bear it very acutely. Christianity generally holds forgiveness as a Christian duty, based on a theology that views reconciliation as the heart of salvation history. The New Testament carries a call to forgive that cannot be denied. But it is not necessarily without conditions, and we should not disregard the context of the fault or the relationship between the actors. In a strange inversion of the dynamics of forgiveness, psychology on the other hand considers the benefits of forgiveness for the one who forgives rather than for the one who is forgiven. It also knows the long paths and dead ends of forgiveness which theology cannot ignore. This calls for a theology that is more sensitive to victims and justice, and that handles the issue of forgiveness and reconciliation more cautiously. Like love, forgiveness is a gift and it cannot be forced.
Forgiveness is not an obligation that should be imposed on victims, who often are the weakest ones. If the grace of God allows us to forgive where human will and power reach their limits, maybe there also is a grace to refuse forgiveness until something changes or a grace to make justice so that life abounds.