Résumés
Résumé
Pourquoi Léonard de Vinci a-t-il, notamment, placé des anguilles, des harengs et des oranges sur la table de sa représentation de la Dernière Cène ? Pourquoi y fait-il figurer une salière renversée devant Judas ? Sachant qu’il ne sera plus possible de connaître les intentions de l’artiste, les auteurs mettent à l’épreuve quatre hypothèses qui peuvent nous aider à comprendre la valeur de chacun des aliments figurant sur la peinture. Tour à tour, ils évaluent si les aliments correspondent à ceux mentionnés dans les récits du Nouveau Testament, à ceux que Léonard aimait manger ; si leur goût ou leur nom leur donne une valeur symbolique particulière. Leur parcours rigoureux à travers l’exégèse biblique, les biographies de Léonard de Vinci, l’histoire médiévale de l’alimentation et la sémiotique de l’image, leur permet de conclure que le maître du sfumato a probablement « enfumé » celles et ceux qui ont contemplé son Cenacolo, en leur proposant une oeuvre en « trompe-la-bouche ».
Abstract
Why did Leonardo da Vinci place, for instance, eels, herrings, and oranges on the table of his representation of the Last Supper? Why did he paint a turned over salt shaker in front of Judas? Acknowledging that it will never be possible to fully understand the artist’s intentions, this paper puts to the test four hypotheses that can help assess the importance of the foods depicted in the painting. Are the foods identical to the ones mentioned in the New Testament or are they foods da Vinci liked eating? Did their names or their tastes give them a symbolic meaning? After a careful research through biblical exegesis, biographies of da Vinci, medieval history of food, and semiotics of images, the article concludes that the master of sfumato probably created some sort of a “smoke screen” for all who have been contemplating his Cenacolo.
Corps de l’article
Quand il est question de dernier repas, il est presque impossible de ne pas évoquer l’une des plus fameuses représentations de l’un des plus fameux derniers repas : le Cenacolo de Leonardo da Vinci.
Cependant, alors que cette fresque a fait l’objet d’innombrables études, peu de chercheurs se sont penchés sur la question des aliments présents sur la table.
« Leonardo’s last Supper is the most famous dinner party of all time. Yet for all its fame and familiarity, scant notice is ever taken of the food that is set before Christ and His disciples. » (Varriano 2008, 77)
À titre d’exemple, signalons que Leo Steinberg, dans sa magistrale synthèse, fruit de quarante années de recherche personnelle sur le tableau de da Vinci (Steinberg 2001), traite du moment représenté et du sujet, des personnages, de leurs mains et de leurs pieds, de l’espace, mais ne consacre que quelques brèves remarques sur les aliments qui figurent sur la table. Il est pourtant difficile de ne pas les remarquer. En adoptant un point de vue surélevé, en plaçant tous les convives derrière la table, Leonardo da Vinci les a particulièrement mis en valeur. Pasquier Le Moine, un contemporain de Leonardo da Vinci, l’avait bien remarqué lorsqu’il visita l’oeuvre en 1520.
La singularite des autres est la cene que nostre Seigneur fit a ses apostres paincte en plat a entrée du refectouer sur le coste de la porte par ou lon entre leans qui est vne chose par excellence singuliere, car a veoir le pain dessus la table diriez que cest pain naturellement fait et non artificiellement. Le vin, le voiries, les vaisseaux, table, nappe auer les viandes au cas pareil.
Cité par Pedretti 1983, 39
Il faut dire, à la décharge des commentateurs plus tardifs que Pasquier Le Moine a eu la chance de voir la peinture presque dans l’état où elle avait été réalisée. Malheureusement, sa dégradation a été rapide et les restaurations successives ont caché plus qu’elles n’ont révélé ce qu’il y figurait à l’origine, aliments compris. Mais la dernière restauration (effectuée par Pinin Brambilla Barcilon de 1979 à 1999) a permis de redécouvrir la plupart de ces nourritures. Nous savons maintenant — ou croyons savoir en partie — ce que le maître avait placé sur la table de son Cenacolo.
1. Le Cenacolo de Leonardo da Vinci
Le Cenacolo[2] est une fresque à la détrempe (huile de lin et oeuf) de 4,6 m par 8,8 m peinte par Leonardo da Vinci de 1494 à 1498 de manière discontinue. Commande du duc de Milan Ludovic Sforza — plus connu sous le nom de Ludovic le More —, elle décore le mur nord de ce qui fut le réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan. Elle représente simultanément plusieurs moments successifs du dernier repas de Jésus : certainement l’annonce par Jésus qu’un des convives le trahira, la réaction des apôtres et la suspicion que l’annonce provoque ; probablement l’institution de la Cène elle-même (Steinberg 2001, 19-29).
Par certains aspects, le Cenacolo est bien le produit de son époque, tant par son origine — commandée par un mécène pour un espace religieux — que par son motif[3] ou par la manière de le peindre :
« Le peintre reprend aux Cenacoli florentins du Quattrocento la composition horizontale, avec la longue table qui fait face aux spectateurs, le Christ au centre, tous les convives du même côté (disposition d’ailleurs fréquente dans les banquets et les repas monastiques de l’époque). »
Albani 1999, 280
Mais Leonardo da Vinci introduit dans son Cenacolo des éléments qui n’ont jamais été peints auparavant (Clark 1983, 19). On peut évoquer la simplicité du décor ou les personnages rassemblés en quatre groupes de trois, la place de Judas du même côté de la table que Jésus et ses apôtres[4], la personnalisation des visages, les attitudes individuellement différenciées de chacun des disciples et le choix de représenter un triple moment dans une ambiguïté ou une polysémie (multivalency ; Steinberg 2001, 25) non seulement assumée mais délibérément recherchée.
2. Les aliments
Commençons par identifier les aliments qui figurent sur la table du Cenacolo. Le meilleur moyen d’y parvenir, c’est d’observer longuement, minutieusement, à plusieurs reprises, avec toute l’ouverture d’esprit et la naïveté possible — c’est-à-dire en identifiant ses propres a priori de manière à pouvoir les dépasser — l’oeuvre du maître (Arasse, 2000 : 9). Mais l’observation de l’oeuvre est pénible et frustrante. L’état général de la peinture, même après la dernière restauration, est trop dégradé pour que tous les aliments puissent être identifiés avec certitude. Nous pensons en particulier au plat qui se trouve sur la partie droite du tableau, soit à la gauche de Jésus. Qu’était-il à l’origine ? Aujourd’hui, il ne présente plus qu’une masse brunâtre, dont il est difficile de dire quoi que ce soit. C’est tout le mérite de John Varriano d’avoir réussi à identifier les aliments :
While it was previously unclear just what food was on the table, we now see that is neither Paschal lamb nor, as some had supposed bread alone. There are three large serving platters in the picture, and although the one in front of Christ is empty, the two before Andrew and Matthew — the fourth figures to his right and left — are heaped with food. The plate to our left appears to contain about half a dozen whole fish, while the one on the right is damaged to the point of being all but illegible. Fortunately, the preservation of the three small serving dishes on the right side of the composition is sufficiently good to suggest that we are looking at, in fact, sections of grilled eel garnished with orange slices. Other pieces of fruit — pomegranates perhaps, some still with their leaves attached — complete the menu along with plenty of bread and wine, the only sacramental necessities in any depiction of the Last Supper. »
Varriano 2008, 76
À cette description, nous ajouterons que les grenades pourraient aussi bien être des oranges, des mandarines ou des figues, que les poissons pourraient être des harengs fumés ou des sardines grillées, que les tronçons d’aliments ronds accompagnés de quartiers d’orange pourraient être des dolmas ou des aubergines farcies, qu’il y a dix petites miches de pain entières et cinq ( ?) miches rompues ou coupées — mais leur taille, leur forme et leur couleur rappellent aussi celles des oeufs — et que les douze verres sont à moitié pleins d’un liquide rouge pâle qui pourrait aussi bien être du vin, de la bière, du jus d’orange ou encore de la grenadine. Il reste donc encore beaucoup d’incertitudes. Pour tenter de réduire la part de doute, nous pouvons confronter nos observations avec d’autres sources, notamment avec les commentaires et les reproductions (Steinberg 2001, 25-26).
Si l’on se souvient par exemple que Pasquier Le Moine avait vu « une nappe avec les viandes », on devrait en conclure que des viandes figurent au menu de la Cène, et qu’elles doivent forcément se trouver dans le plat non identifié, puisqu’elles ne sont plus visibles nulle part ailleurs. C’est la conclusion que tire Ladwein (2005, 67) : « Normalement, [le] plat [vide] aurait dû recevoir l’agneau pascal. Mais celui-ci se trouve dans un plat un peu plus loin à droite. ». Mais cette conclusion nous laisse dubitatif. Si da Vinci a choisi de laisser vide le plat au centre de la table pourquoi aurait-il ajouté un agneau ailleurs dans sa peinture ?
On le voit, les choses ne sont pas aussi simples qu’on le voudrait. Car la fresque de Santa Maria delle Grazie s’est très vite dégradée. Les spectateurs ont pu se tromper. Et les copistes ont adapté le Cenacolo selon leurs propres conceptions théologiques ou artistiques. S’ils ont le plus souvent scrupuleusement respecté le cadre général de la peinture, ils ont pris plus de liberté avec les aliments, en particulier pour renforcer l’aspect eucharistique de l’oeuvre. L’exemple le plus frappant étant la gravure de Pieter Claesz Soutman, d’après un dessin de Pierre-Paul Rubens, perdu depuis. En 1620, l’artiste y a littéralement débarrassé la table, ne laissant plus qu’un pain rond, un calice devant Jésus… et une salière renversée devant Judas. La salière pose d’ailleurs un problème spécifique. Car le Cenacolo n’en garde plus guère de trace aujourd’hui, hormis une vague tache blanche devant l’apôtre. Mais sa présence sur la fresque est cependant quasi certaine, vu la constance avec laquelle les copistes la représentent.
De fait, l’identification de certains aliments dépend plus de justifications externes que de l’observation de la peinture. Ainsi, il est visuellement indéniable que Leonardo a placé des verres transparents qui contiennent un liquide rouge ou rose. Voilà ce que donne l’observation de la fresque. Mais les commentateurs ne s’arrêtent pas à ce constat. Ils concluent tous, sans hésitation, qu’il s’agit de vin. C’est évidemment très probable mais loin d’être indiscutable. Car la certitude vient surtout de considérations extérieures au tableau, dans un syllogisme réfutable : s’il s’agit du dernier repas de Jésus, alors il doit y avoir du pain et du vin, par conséquent le liquide rouge est forcément du vin.
Les aliments sont-ils si facilement identifiables ? Nous gageons que non. Ainsi, Varriano paraît absolument convaincu de voir des morceaux d’anguille. Mais il est le seul. A-t-il raison ? Certes, la teinte des morceaux peut évoquer la chair et la peau de l’anguille. Mais justement, à l’époque de Leonardo, les recettes à base d’anguille requièrent d’en enlever la peau[5]. Quand on les rapporte aux mains des personnages, les tronçons semblent un peu petits pour être des anguilles. Enfin, les doutes pourraient bien provenir d’un élément plus fondamental que la détérioration de l’oeuvre. Steinberg rappelle que, lorsqu’il s’agit d’une oeuvre de Leonardo da Vinci, une chose est certaine : toute interprétation trop univoque est forcément erronée (Steinberg 2001, 25-26).
Se pourrait-il alors que les doutes qui planent sur les aliments du Cenacolo ne soient pas accidentels mais intentionnels ? L’hypothèse ouvre des perspectives intéressantes que nous reprendrons dans notre conclusion. Pour l’instant, revenons aux résultats de l’observation et aux recoupements avec les corpus d’interprétation. Ils nous permettent de répartir les aliments en trois catégories.
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Des aliments dont la présence est certaine : du pain, des agrumes et des quartiers d’orange, des poissons, une boisson rouge pâle et du sel.
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Des aliments dont la présence reste hypothétique : du vin, des anguilles et des pommes grenades.
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Et un plat non identifié qui garde tout son mystère. Ce sera un des intérêts de la recherche que de découvrir la nourriture qu’il pourrait contenir, si toutefois il en contient !
3. Hypothèses
La question demeure : pourquoi Leonardo da Vinci a-t-il choisi de placer ces aliments-là sur sa Cène ? Plusieurs hypothèses sont possibles, des plus fantaisistes — da Vinci aurait voulu « rejudaïser » le dernier repas de Jésus en en faisant un Séder, le repas de la Pâque juive[6] — aux plus conservatrices — sur le Cenacolo de Leonardo da Vinci, comme sur toutes les Cènes, ne pourraient scrupuleusement figurer que les seuls aliments du dernier repas de Jésus[7]. Nous retenons quatre hypothèses plus sérieuses, que nous allons examiner, non pas pour les prouver — comment pourrions-nous prétendre savoir ce qu’il y avait réellement sur la table de la Cène ou comment pourrions-nous être sûrs de connaître les intentions du peintre ? —, mais pour vérifier qu’elles résistent à quelques réfutations habilement choisies.
3.1 Leonardo da Vinci choisit de représenter les aliments du dernier repas de Jésus
Dans le Nouveau Testament, Jésus est souvent présenté à table[8], y compris lors de ses derniers instants, pour un dernier repas, célébré au moment de la Pâque juive, la veille de sa crucifixion. Si l’Évangile de Jean en fait l’occasion du lavement des pieds, les évangiles de Matthieu (Mt 26,17-29), Marc (Mc 14,12-25) et Luc (Lc 22,7-20) y situent l’institution de la Cène :
17Le soir venu, il arrive avec les Douze. 18Pendant qu’ils étaient à table et mangeaient, Jésus dit : “En vérité, je vous le déclare, l’un de vous va me livrer, un qui mange avec moi.”19 Pris de tristesse, ils se mirent à lui dire l’un après l’autre : “Serait-ce moi ?” 20Il leur dit : “C’est l’un des Douze, qui plonge la main avec moi dans le plat. 21Car le Fils de l’homme s’en va selon ce qui est écrit de lui, mais malheureux l’homme par qui le Fils de l’homme est livré ! Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne soit pas né, cet homme-là !” 22Pendant le repas, il prit du pain et, après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit, le leur donna et dit : “Prenez, ceci est mon corps.” 23Puis il prit une coupe et, après avoir rendu grâce, il la leur donna et ils en burent tous. 24Et il leur dit : “Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. 25En vérité, je vous le déclare, jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le Royaume de Dieu.”
Mc 14,17-25
Sur une trame commune, chacune des versions néotestamentaires contient des différences substantielles de contexte, de structure et de contenu. Mais, du point de vue des aliments, les diverses versions présentent une remarquable unanimité. Les trois récits mentionnent les deux mêmes nourritures : le pain — certainement du pain sans levain puisque les évangiles situent ce repas au moment de « la fête des pains sans levain » — et une « coupe » qui contient du « fruit de la vigne » — ce qui ne signifie pas automatiquement du vin.
Conformément aux récits bibliques, Leonardo da Vinci peint effectivement sur la table de son Cenacolo du pain et une coupe qui pourrait contenir du « fruit de la vigne », à condition qu’il ait été au préalable pressé et qu’il soit ou non fermenté. C’est ce que nous conservons de notre première hypothèse. Mais l’explication ne vaut que pour ces deux aliments. Les références bibliques ne permettent ni d’identifier les autres nourritures ni d’expliquer leur présence. Il faut donc envisager une autre hypothèse.
3.2 Leonardo da Vinci choisit de représenter les aliments qu’il aime manger
Il est difficile de reconstituer les menus du maître tant il est resté discret sur ses habitudes alimentaires. « Parmi les quelque 3000 pages que Leonardo nous a laissées sous forme de codex et de manuscrit, il n’existe aucune trace de recettes ou de recommandations culinaires » (Masci, 2006, 99).
Mais nous savons toutefois que da Vinci était végétarien, car il ne supportait pas la souffrance infligée aux animaux de boucherie. La viande ne figurait donc pas dans son alimentation. Mais jusqu’où portait son végétarisme ? Mangeait-il des produits d’origine animale ? Consommait-il des anguilles ? Dans sa biographie de Leonardo da Vinci, Silvia Alberti de Mazzeri affirme péremptoirement que le peintre mangeait des oeufs, des anguilles, du pain et des légumes (Alberti de Mazzeri 1984, 78), mais sans citer aucune source. D’autres biographes sont d’un avis différent. Ils estiment que da Vinci était plutôt végétalien et qu’il s’abstenait donc de tout produit d’origine animale, comme le suggèrent certains de ses écrits.
In addition to the above Prophecies, which consider killing and enslavement of animals, da Vinci even entertained the notion that taking milk from cows amounts to stealing. Under the heading, « Of the beasts from whom cheese is made », he answers, « the milk will be taken from the tiny children ».
Hurwitz, 2002
Ses repas semblent donc avoir été principalement composés de salade, de fruits, de légumes, de céréales, de pâtes alimentaires, de champignons, de minestrone et de vin, qu’il buvait avec beaucoup de modération et seulement au cours des repas (Bramly 1988, 266-267). Mais il ne faut pas en conclure que la viande et le poisson ne figuraient pas dans son alimentation. Car le maître — végétalien strict mais non sectaire — en achetait pour nourrir ses élèves (Bramly 1988, 266), comme le confirme une liste de course écrite de sa main (Varriano 2008, 77).
De tous les aliments figurant sur la table du Cenacolo, da Vinci n’aurait donc pu goûter que le pain, le peu de « vin », encore une fois, s’il s’agit bien de vin — les verres à moitié pleins pourraient correspondre au goût de Leonardo — et les fruits, sauf à considérer que le plat non identifié soit un plat de pâtes ou de légumes, ou, une fois encore, le harosset du Séder. Nous pouvons donc conclure avec suffisamment d’assurance que le choix des éléments sur la table du Cenacolo ne dépend pas, au moins pas seulement des goûts personnels de da Vinci. Cette hypothèse doit donc être abandonnée.
3.3 Leonardo da Vinci choisit des aliments pour leurs valeurs symboliques
En peinture, en plus de représenter la réalité, la nourriture remplit aussi une fonction symbolique.
Les nourritures sont à manger, à voir, elles donnent aussi à penser, et enfin, comme les langages phonétiques, elles entrent dans de multiples systèmes d’échanges — les uns, internes et inconscients, les autres externes — ou de communication : le pain se rompt et se partage comme une idée exprimée en mots, on assimile un discours, ou on le rejette, comme une viande, les nourritures s’échangent sur le marché ou à table.
Margolin 1982, 278
Intéressons-nous donc à la valeur symbolique précise de chacun des aliments. Pour éviter les anachronismes, nous allons les replacer dans leur contexte historique, artistique, culturel et religieux.
3.3.1 La « grande chaîne de l’être »
Au Moyen Âge, la valeur des aliments dépend d’une taxonomie des êtres vivants appelée la « grande chaîne de l’être ».
Selon la Chaîne de l’être, l’univers s’ordonnait verticalement, commençant au sommet de la chaîne, par Dieu lui-même et finissant, tout en bas, par les objets inanimés. Entre ces deux extrêmes se trouvaient tous les animaux et les plantes de la création. La Chaîne de l’être, comme la nature en général, était subdivisée en quatre segments distincts, qui correspondaient aux quatre éléments, disposés dans un ordre descendant, le feu, l’air, l’eau et la terre. Chacun de ces éléments contenaient l’organisme vivant qui lui était propre.
Grieco 1993, 12
Juste au-dessous de Dieu figure le feu avec des animaux mythologiques comme la salamandre et le Phénix ; puis l’air avec les oiseaux de proie, les « petits oiseaux chanteurs » et les volailles ; ensuite l’eau avec les cétacés, les poissons, les crustacés, les coquillages et les éponges ; enfin la terre, divisée en deux catégories : au-dessus de la terre les arbres fruitiers, les arbustes et les baies, les fleurs et les plantes herbacées, au-dessous de la terre, les racines, comme les carottes, les bulbes ou les oignons. Les quadrupèdes ne s’insèrent pas aisément dans ce diagramme. Animaux terrestres, ils ne sauraient pas figurer sous les animaux aquatiques. Ils sont donc placés latéralement dans une catégorie qui leur est propre (Grieco 1996, 486).
Cette hiérarchisation exerce des effets directs sur la manière de se nourrir. En définitive, les nourritures supérieures vont aux « classes supérieures » et les nourritures inférieures aux « classes inférieures ».
La mentalité médiévale établit une très forte correspondance entre l’alimentation et le style de vie, considéré comme l’expression matérielle d’un état social déterminé que tout individu se doit de manifester clairement. Le comportement alimentaire est bien le premier mode de communication et de différentiation sociale. Le rang occupé dans la société et les options culturelles de chacun conditionnent le rapport aux produits de la terre et de la forêt, aux ressources des domaines cultivés ou incultes, qui constituent pourtant dans l’ensemble, comme nous l’avons vu, un système intégré.
Montanari 1996, 295
Ainsi, la valeur d’un fruit dépend de l’endroit où il pousse. Plus un fruit pousse haut — dans un grand arbre par exemple —, plus il est proche de Dieu (Masci 2006, 21), plus il est jugé bon et plus il est prisé par la noblesse (Laurioux 1989, 62). Les légumes, nourriture jugée grossière, sont laissés aux pauvres et aux paysans, particulièrement ceux qui poussent dans la terre (Laurioux 1989, 54). Il est encore d’autres manières d’évaluer la valeur d’un aliment. Ainsi, la valeur d’un poisson dépend de sa taille et de sa rareté. Les gros poissons sont rares, donc chers (Moulin 1988, 363). Les poissons d’eau douce sont consommés frais près de leurs lieux de pêche, mais les poissons de mer présentent l’avantage de pouvoir être salés, ce qui permet de les conserver et de les transporter, d’où la popularité du hareng, nourriture de base lors du carême (Laurioux 1989, 79). Les poissons les plus communs sont le gardon, le barbeau, la carpe, la tanche, la brème, le brochet, la truite, la vandoise, la perche et l’anguille. À l’inverse, le pageot, la daurade, le loup, le grondin, le saumon et la lamproie — visuellement très proche de l’anguille — sont des produits de luxe (Laurioux 1989, 68-69). Enfin, dernier exemple, la valeur de la viande — si fréquente sur les tables entre 1450 et 1550, que Fernand Braudel a pu parler d’une « Europe carnivore » (Braudel 1979, 149) ou d’une « Europe des carnivores » (Braudel 1979, 142) — dépend à la fois de sa place dans la « grande chaîne de l’être[9] » — et d’autres considérations, notamment des prix et des préférences régionales. Ainsi, dans l’Europe méridionale, on mangeait surtout de la « viande de mouton, de chevreau et d’agneau surtout, avec un peu de porc » (Pélicier 1982, 16).
3.3.2 Le maigre et le gras
Puisque Leonardo da Vinci a peint son Cenacolo dans le réfectoire d’un monastère et que les moines voyaient cette fresque à chaque repas, il est intéressant de considérer ce que des religieux pouvaient manger. Il nous faut utiliser ici une seconde taxonomie médiévale des aliments, celle qui les répartit entre « gras » et « maigre ». Au Moyen Âge, l’année chrétienne était divisée entre période de carême — jours d’abstinence : on jeûne la journée et on mange un repas maigre le soir — et temps de charnage, lui-même divisé entre les jours maigres — on se prive de viande et de produits provenant d’animaux terrestres : lait oeufs, saindoux, etc. — et les jours gras — où tout est permis… selon les moyens du mangeur[10] (Flandrin 2002, 60). Le total des jours d’abstinence et des jours maigres représentait près de cent cinquante jours par année (Chevalier 1982, 193).
De manière générale, les moines mangeaient maigre toute l’année[11], sans que cela n’empêche des différences entre monastères. Si certains couvents étaient réputés pour l’abondance et la qualité de leurs repas, la plupart servait le menu réglementaire : pain, légumes — notamment du chou — et poissons dont l’anguille (Laurioux 1989, 26).
3.3.3 La valeur symbolique des aliments peints par Leonardo da Vinci
Sur son Cenacolo, da Vinci peint des nourritures disponibles à son époque et dans son contexte géographique. Il représente des nourritures plutôt simples, des aliments maigres qui ont tous leur place sur la table des monastères. Ces aliments peuvent être classés selon une hiérarchie croissante : en bas, le pain fabriqué à partir de céréales ; puis le vin fabriqué à partir de raisin qui pousse sur un arbuste ; ensuite les oranges ou les pommes grenades poussent sur des arbres ; enfin les poissons et les anguilles qui vivent dans l’eau. Nous pouvons aller plus loin en évoquant les valeurs symboliques des différents aliments, que nous classons, encore une fois selon une hiérarchie croissante.
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Le sel — qui ne figure pas dans la grande chaîne de l’être[12], mais qui peut être souterrain ou marin — est à la fois précieux et indispensable ; il bénéficie lui aussi d’une forte valeur spirituelle. Produit cher, il reste indispensable (Laurioux 1989, 81). Il permet de conserver les aliments — dont la viande et le poisson, évidemment — et sert à épicer les plats. Sur un plan symbolique, il fait référence au mot de Jésus à ses disciples : « Vous êtes le sel de la terre » (Matthieu 5,13). Ainsi Judas qui renverse une salière « rejette symboliquement la promesse dans laquelle le Christ l’avait aussi englobé, d’être le “sel de la terre”, et met fin ainsi à son alliance avec le Christ. » (Ladwein 2005, 70).
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Le pain représente la nourriture principale dans l’ensemble de l’Europe. Mais le christianisme lui attribue une forte valeur spirituelle. Il est « la nourriture de base du plus grand nombre » ; de lui « dépend la vie, la mort et le rêve » ; il est « objet culturel, point et instrument culminant, réel et symbolique de l’existence. » (Rigaux 1989, 242).
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Le vin est consommé sans modération. Outre sa valeur de « sang du Christ », mentionnons l’évidente dimension festive qui lui est associée. Ainsi, les pochades de carnaval à la fin du xve siècle, mettent toutes en scène « des énormes beuveries, détail d’autant plus instructif que jamais l’abstinence du vin n’a été prescrite, même les jours de jeûne. » (Chevalier 1982, 195).
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Les agrumes ont la plus haute valeur symbolique, puisqu’ils poussent sur des arbres. En peinture, les oranges sont « les marques des célébrations du mariage » (Bendiner 2004, 184). Plus largement, « les principales connotations attachées aux fruits et à leur dégustateur demeurent les mêmes : gourmandise, sensualité, liaison entre la sensualité gustative ou dégustative et la sensualité érotique. » (Margolin 1982, 266).
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Le poisson renvoie aux récits bibliques de pêches miraculeuses ou de multiplication des poissons. Il est le met maigre par excellence[13].
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L’anguille est un symbole pictural plutôt rare. En tous cas, nous n’en avons pas trouvé mention dans les dictionnaires des symboles picturaux que nous avons consultés. Elle semble avoir souvent été associée au serpent, donc au mal et à la tromperie[14].
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Enfin, l’agneau est une référence aux prescriptions de l’Exode[15]. Mais les chrétiens ont vite considéré que l’agneau des Pâques chrétiennes avait remplacé celui de la Pâque juive[16].
L’hypothèse de la valeur symbolique des aliments représente la première hypothèse qui résiste à la mise à l’épreuve. Les aliments du Cenacolo de Leonardo da Vinci appartiennent aux aliments maigres que l’Église catholique autorise tout au long de l’année. Si d’un point de vue social, les nourritures représentées ne sont, à proprement parler, ni celles de nobles, ni celles des pauvres, ni celles des religieux, elles sont consommables par tous à la fois et par toute la population. Elles sont chargées d’une forte valeur symbolique induite notamment par leur place dans la Bible ou leur fonction dans le christianisme.
3.3.4 Leonardo choisit des aliments pour signifier quelque chose
Pour approfondir notre analyse de l’oeuvre, nous allons encore examiner un détail particulièrement signifiant — techniquement, il s’agit d’une « unité sémiotique »[17] —, les neuf assiettes plates remplies des morceaux apprêtés que Leonardo répète sur la table de son Cenacolo. Chaque assiette forme un signe complexe[18] qui fonctionne comme une unité de sens (Eco 1988, 37) dans la syntaxe picturale de la fresque. Cette unité est composée de deux éléments : une forme cylindrique coupée en tronçons dont l’intérieur est pâle et l’extérieur foncé, ainsi qu’une forme de tranche en demi-cercle dont la couleur chaude semble orangée. Le signifiant pictural ainsi décrit, il reste à savoir ce que cet objet culinaire — composé de morceaux découpés et cuisinés, il relève du « cuit » et appartient par conséquent à l’ordre de la culture[19] — représente. Poursuivons donc l’investigation afin d’identifier plus spécifiquement cette unité de sens.
La tranche en demi-cercle évoque des quartiers d’orange, impression renforcée lorsque l’on sait que des recettes de l’époque de Leonardo invitaient à apprêter le poisson ou l’anguille avec des agrumes (Maestro Martino 2004). Ces quartiers d’orange fonctionnent comme des indices qui facilitent l’identification de l’icône — les tronçons d’anguille ou de poisson —, une identification qu’appuie encore la présence de poissons entiers dans un grand plat de service sur la gauche du tableau. Nous aurions alors sous les yeux la représentation iconique d’un antipasto de poisson. Mais de quel poisson ? Varriano prétendait y voir des tronçons d’anguille, ce qui reste à démontrer. Quoi qu’il en soit, nous pouvons d’ores et déjà appréhender une première symbolique de l’objet culinaire, car la présence d’un plat de poisson sur une Cène dans le réfectoire d’un couvent connote — à première vue du moins — un repas maigre, un repas de carême ou de Vendredi Saint. Mais est-ce bien de cela dont il s’agit ?
Les domaines cognitifs
Puisque l’image est altérée par le passage du temps et qu’une identification visuelle est problématique, nous proposons d’explorer les domaines cognitifs que le signe « morceaux de poisson cuisiné avec des tranches d’orange » mobilise. Pour déceler le sens de ce signe, il nous faut le remettre dans le double contexte particulier de ce moment de la Cène et de l’époque de Leonardo da Vinci[20]. Nous pourrons ainsi vérifier si la présence d’anguille ou d’autres poissons peut orienter l’interprétation du Cenacolo.
Selon Jean-Pierre Meunier, les images sont des signes iconiques dont le signifiant et le signifié sont juxtaposés. Il n’y a pas entre eux la distance qui, dans le signe linguistique, sépare la forme dite du concept réfléchi.
Le signifiant iconique est avant tout le moyen d’une mise en correspondance mimétique avec des formes dont la signification — comportant une forte composante émotionnelle — dépend des accommodations perceptives déterminées par un jeu inconscient d’activations et d’interactions entre domaines cognitifs.
Meunier 2006, 144[21]
Explorons les domaines cognitifs que le signe « poisson cuisiné aux oranges » pouvait évoquer dans l’Italie du Nord au xve siècle quand il figurait sur une Cène. Nous suivons la ligne d’interprétation de Meunier qui souligne la mise en correspondance mimétique en présumant que la signification vient « par un jeu inconscient d’activations et d’interactions ». Plus que du goût des aliments représentés, nous utiliserons leur nom, en italien évidemment[22].
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Le terme « arancia » (orange en italien) permet de nombreuses métaphores ou métonymies, des allitérations et des jeux de mots qui tracent des chemins sémiotiques, par le signifiant linguistique — le nom — que suppose le signifiant iconique — l’image. Phonétiquement, arancia se rapproche d’arrangiare (arranger). L’orange évoquerait donc le domaine de la musique — arrangements musicaux[23] —, mais aussi, plus largement, le domaine des accommodements — faire des arrangements. Arranger un morceau de musique, c’est, en effet, l’adapter pour d’autres instruments que ceux prévus lors de la composition initiale.
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À l’époque de Leonardo da Vinci, l’anguille possédait déjà une forte densité sémantique et connotative, qu’elle a conservée par la suite. Encore dans les Opere Burlesche de Berni (1721) — sketches parodiques de la vie quotidienne des politiciens et ecclésiastiques —, le terme anguilla (anguille) est souvent utilisé pour déprécier certains personnages. L’un des protagonistes des Opere Burlesche s’appelle d’ailleurs Dell’Anguillara, du nom d’une noble famille qui a vraiment existé et dont plusieurs membres auraient été accusés d’avoir trahi l’Église catholique et plusieurs papes. L’anguille nous emmène donc d’abord dans le domaine du théâtre, de l’ironie et de la trahison. Mais biologiquement, l’anguille est un poisson à part : elle peut survivre longtemps hors de l’eau, elle est difficile à tuer. Ce qui nous conduit au domaine de la vigueur, de la vie, de la survie et de la mort. Mais l’anguille renvoie encore à la Smorfia[24], un jeu divinatoire qui associait des symboles selon une combinatoire numérique qu’on disait inspirée de la Cabbale : qui rêve d’une anguille doit jouer le numéro 32 à la loterie. Nous voilà donc plongés dans les domaines du jeu et du destin, de la chance et de la malchance, de la superstition, mais aussi d’un bricolage de croyances populaires indiquant le métissage judéo-chrétien du peuple italien.
Et si les tronçons étaient les morceaux d’un autre poisson[25] ? Leur grosseur et leur forme pourraient en faire des tronçons de hareng (aringa) ou de grosses sardines fraîches (nommées elles aussi aringa[26]). Si des sardines figurent dans les recettes de Maestro Martino, le chef en vogue à l’époque, on sait que le hareng est un plat plus modeste, probablement indigne d’apparaître dans les recettes gastronomiques, mais digne de figurer sur la table modeste de Jésus et ses apôtres. La piste du hareng s’avère plus intéressante. Elle nous emmène dans le champ du religieux, à la fois juif — le hareng est cachère, contrairement à l’anguille — et chrétien, puisque le hareng est une nourriture dite « maigre ». Ainsi, le hareng renforce le domaine du métissage et celui du double-jeu, la dynamique de la duperie. De plus, le mot « aringa » permet de jouer sur des homophonies. « Arringa » avec un double « r » signifie « harangue », « plaidoyer », et nous entraîne dans le domaine de la rhétorique, donc de la politique, du droit, de l’armée, peut-être même de la prédication religieuse. Si l’on ne retient que la terminaison de « aringa » (« inga ») le jeu devient fascinant. Car le phonème évoque à la fois « ingannare » (tromper) et « ingaggiare » (engager), deux termes qui ne sont pas étrangers l’un à l’autre et qui sont tous deux relatifs à la confiance : « ingaggiare » est un crédit de confiance et « ingannare » un vol de confiance. Nous entrons donc dans le domaine de la tromperie, de l’imposture, de l’hypocrisie, du double-jeu, de l’escroquerie et de son contraire : la confiance et la foi. Plus encore, « Inganno » est un terme de musique : la « Cadenza per inganno » est une cadence qui donne une résolution différente de celle que l’oreille attend, ce qui renforce le domaine de la musique et la connotation de la tromperie. Enfin, au nord de l’Italie, on appelle la sardine et le hareng « renga », un diminutif qui évoque phonétiquement le « rinnegato » — le renégat — qui est celui qui nie la religion.
Nous pouvons organiser nos découvertes dans le tableau suivant :
Interprétation
Le discours qui se déplie dans l’interaction des domaines cognitifs évoque la religion et la musique, deux champs qui ne sont pas étrangers au quotidien des moines qui partageaient leurs repas avec les personnages du Cenacolo. Plus étonnant sont les connotations liées à la rhétorique, au jeu et au théâtre, comme si le discours de l’oeuvre soutenait une critique de la religion qu’on attribue à Leonardo da Vinci[27]. Sa marginalité spirituelle l’obligeait à trouver des accommodements pour pouvoir travailler au service de la noblesse et de l’Église. Enfin, cette critique trouve son apogée dans la mobilisation des domaines cognitifs de la duperie et de la trahison, dans la droite ligne du moment représenté dans le Cenacolo, où Jésus révèle la trahison de Judas. Démasqué, le traître se trahit lui-même et renverse le sel sur la nappe, un geste qui fait l’objet de nombreuses superstitions.
Da Vinci a-t-il voulu délibérément tromper le spectateur en jouant avec des formes ambiguës qui pouvaient évoquer tantôt l’anguille tantôt le hareng ? A-t-il voulu signifier la duperie de manière plastique ? Le jeu est subtil mais il vaut la peine d’être pris en compte quand on se souvient que da Vinci est le maître du sfumato et du code secret. Qu’il ait introduit une ambiguïté délibérée entre des anguilles et des harengs renforcerait la densité sémantique de son oeuvre. Puisque chacun des deux signifiants linguistiques issus de probables signifiés iconiques connotent eux-mêmes la manipulation, la tromperie, l’imposture et le coup de théâtre, une volonté de les réunir et de les confondre, non seulement doublerait la duperie, mais dévoilerait aussi la duplicité et la révélerait à qui sait bien regarder.
Notre quatrième hypothèse nous paraît convaincante. Dans ou par son Cenacolo, da Vinci a bel et bien quelque chose à signifier. Si, au regard de notre troisième hypothèse et parce qu’ils étaient humbles, maigres et bibliques, les aliments apparaissaient comme des symboles d’une certaine humilité chrétienne et donc dignes de figurer sur la table de la Cène et sur le mur d’un réfectoire, il en va tout autrement maintenant. Il semble bien que Leonardo ait choisi des aliments apparemment inoffensifs pour cacher une interprétation subversive d’un thème fondamental au christianisme. On croyait qu’il dévoilait la Cène dans une transparence toute évangélique, on s’aperçoit qu’il l’enfume dans un troublant jeu de dupes.
4. Conclusion
Nous pensions pouvoir expliquer les raisons qui auraient conduit Leonardo da Vinci à placer certains aliments particuliers sur la table de son Cenacolo. Au terme de notre recherche, nous révisons nos ambitions. Nous ne pouvons que préciser — dans une réponse toute provisoire, tant la recherche a apporté de nouvelles questions, soulevé de nouvelles problématiques, créé de nouveaux intérêts — le sens que la présence de chaque aliment donne ou enlève au Cenacolo d’abord, au dernier repas de Jésus ensuite, à l’eucharistie chrétienne enfin.
Le choix de Leonardo da Vinci d’inclure dans sa peinture des aliments spécifiques fonctionne comme une interprétation visuelle de la Cène. En ne s’en tenant pas strictement au seul pain et au seul vin, il lui donne un sens qui lui est propre et dont nous pouvons esquisser quelques traits.
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La représentation de pain levé déjudaïse (il ne s’agit pas de matsoth, de pain azyme) et « déseucharistise » (il ne s’agit pas non plus d’hostie) le dernier repas de Jésus, tandis que la présence de verres à moitié remplis de vin rouge, ou d’un liquide dont le spectateur peut penser qu’il s’agit de vin rouge, tend à le « rejudaïser » (les verres sont peu remplis conformément à l’usage du Séder) et à le « leonardoïser » (da Vinci consommant le vin avec modération).
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Les oranges entières, ou les grenades, sur le bord de la table tendent à inscrire le dernier repas de Jésus dans le contexte gastronomique de l’Italie de la fin du xve siècle. Dans le même temps, la présence de ces fruits — qui poussent en hauteur, sur des arbres — ennoblit ce repas. Puisque l’orange est parfois associée au fruit défendu[28], ainsi que la grenade, et qu’aucun personnage de l’oeuvre n’y touche, elle indique — huit fois plutôt qu’une — que Jésus est le « Nouvel Adam » qui vient rétablir l’alliance brisée par les premiers êtres humains. Enfin, parce qu’elle est associée au mariage et aux accords musicaux (arancia-arrangiare), nous irions jusqu’à penser qu’elle connote la communion et l’harmonie — toutes deux réarrangées au goût de Leonardo da Vinci ! — autour d’une table par ailleurs bien agitée et divisée.
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En plaçant une assiette vide au centre de l’image, au coeur du triangle ouvert que forment les deux bras de Jésus, da Vinci désigne, par défaut, le véritable agneau du sacrifice : le Christ évidemment. Il annonce que celui qui est vivant va mourir, que celui qui mange est celui qui sera mangé, ce qui tend à « eucharistiser » le Cenacolo. L’assiette vide fonctionne de la même manière que le tombeau vide qui indiquera — par défaut — que le crucifié est ressuscité, que celui qui était mort est maintenant vivant.
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Le harosset, s’il s’agit bien de ce plat dans la partie lumineuse du tableau, plat typiquement juif et entièrement végétalien, correspondrait à la volonté du peintre de judaïser le dernier repas en même temps que de le « leonardoïser ». Nous imaginons sans peine que da Vinci se serait senti à l’aise pour participer à un tel dernier repas, s’il voulait bien manger du poisson…
Enfin nous abordons les deux derniers éléments — et non les moindres — le sel et les poissons.
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On a parfois estimé que Judas renverse la salière, indiquant par là qu’il refuse l’alliance que Jésus propose à ses apôtres. Encouragés par la polysémie de l’oeuvre de Leonardo, nous nous permettrons d’émettre un avis différent. La salière renversée pourrait être non pas le signe de la malice de Judas, mais le signe de sa malchance. Il fallait que quelqu’un remplisse le rôle du traître, et ce fut sur Judas que le sort tomba. Et la salière renversée — par qui ? La peinture ne le « montre » pas et ne peut pas le « montrer » —, signe traditionnel de malheur, pourrait servir à dédouaner Judas en affirmant qu’il ne fait que remplir, de manière très consciencieuse, le rôle pour lequel le hasard — le destin, Dieu lui-même ? — l’a désigné.
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Les poissons — anguilles et harengs — ont bien entendu pour fonction de rappeler que la vie de Jésus s’est déroulée essentiellement autour du lac de Tibériade, qu’il a choisi plusieurs de ses apôtres parmi les pêcheurs et que plusieurs épisodes évoquent des poissons que Jésus multiplie ou des pêches qu’il rend miraculeuses. Mais par-delà cette symbolique chrétienne orthodoxe, les poissons évoquent des valeurs plus hétérodoxes, la tromperie du « (ar)inga », la duperie de la Smorfia, la peau glissante de l’anguille et son caractère insaisissable, au sens propre comme au sens figuré.
Et si nous avions là le thème central du Cenacolo ? Et si c’était là l’interprétation que Leonardo da Vinci fait du dernier repas de Jésus ? Un jeu de dupe, une peinture en trompe-l’oeil, un repas en « trompe-la-bouche ». Toute cuisine est forcément travestissement du goût, de l’apparence, de la texture, de l’odeur des aliments. Pour les riches, le carême est comme un jeu où en faisant maigre, ils jouent à paraître pauvres.
Mais au fond, dans le Cenacolo, devant le Cenacolo, qui est le dupeur et qui est le dupé ? Jésus trompe ses apôtres en ne leur révélant qu’à la toute fin de la Cène qu’il s’agit là de son repas d’adieu. Mais les apôtres vont tromper Jésus, en le laissant seul au moment de sa crucifixion. Jésus se sentira trompé par Dieu au point de penser qu’il l’a abandonné. Un Dieu qui trompera ceux qui pensaient le problème réglé, lorsqu’il ressuscitera Jésus le troisième jour. Leonardo, lui, trompe les moines en leur faisant croire que sa peinture est une honnête représentation d’un épisode biblique. Et chaque spectateur trompe Leonardo quand il voit ce qu’il veut bien voir ! Quant aux chercheurs, ils se trompent peut-être à leur tour, ce qui serait un ultime hommage au génie du maître.
Un dernier mot. Avez-vous remarqué que la petite assiette devant Judas est la seule à être vide ? Que faut-il en conclure ? Que Judas s’en est repu et que la tromperie est entrée en lui ? Ou, au contraire, qu’il est le seul à ne pas être dupe ?
Parties annexes
Notes biographiques
Olivier Bauer est professeur ordinaire à la Faculté de théologie et de sciences des religions à l’Université de Lausanne. Il est directeur de l’Institut lémanique de théologie pratique. Ses recherches portent notamment sur le rôle des six sens dans la transmission de la foi (ritualités, éducation de la foi), sur le sport et la religion (sport comme religion, aumônerie des milieux sportifs), ainsi que sur l’alimentation et la spiritualité (impact des religions sur les habitudes alimentaires, spiritualisation de l’alimentation). Il rédige actuellement un ouvrage d’érudition sur les aliments figurant sur les images médiévales de la Cène. Il a récemment publié (2017) : Les cultes des protestant·e·s. Méthodes originales pour approcher les rites, Genève, Labor et Fides.
Nancy Labonté est chargée de cours et superviseuse de stages à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal.
Notes
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[1]
Les auteurs ont bénéficié des recherches effectuées par Jonas St-Martin et Sébastien Fillion ainsi que de l’aide de Matteo Wladimiro Scardovelli et de Sharon Gubbaï-Helfer.
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[2]
Il est toujours préférable de voir l’oeuvre originale plutôt qu’une reproduction. Mais à défaut, on peut en consulter une image haute résolution. Faute de pouvoir nous rendre à Milan, c’est malheureusement ce que nous avons dû faire : Immagine. (2007). Leonardo da Vinci, Ultima Cena, Milano, Santa Maria delle Grazie, 1494-1498. Repéré le 12 mars 2009 à http://www.haltadefinizione.com/magnifier.jsp?idopera=1
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[3]
Dominique Rigaux a calculé que les Cènes représentaient 72 % des représentations du Christ à table dans la peinture italienne entre 1250-1497 (Rigaux 1989, 27).
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[4]
Cependant, les recherches menées par Olivier Bauer lui ont permis de constater que jusqu’au xie siècle, Judas est toujours représenté au milieu des apôtres. C’est sur un reliquaire gravé à Hildesheim (Basse-Saxe) autour de l’an 1000 qu’il est pour la première fois représenté à l’écart, seul au bout de la table.
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[5]
Sur les livres de cuisine au Moyen Âge, voir Lambert (1992).
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[6]
L’hypothèse ne résiste pas longtemps à l’épreuve de la cacherout : l’anguille n’est pas cachée et il manque des nourritures essentielles pour le repas du Séder qui comprend « […] trois mazzoth, […] des herbes vertes, du persil, des radis, etc., un petit vase avec de l’eau salée, des herbes amères, un mélange fait avec de la pomme, des noix et de la cannelle délayées dans du vin, un os avec un peu de viande adhérente, grillée sur des braises, un oeuf dur. » (Güns 1930, 12). Il serait cependant possible que le plat brunâtre contienne le harosset, le mélange de pomme et de noix.
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[7]
Ce qui n’est évidemment pas vrai. Il existe des Cènes aux écrevisses (Rigaux 1992), des Cènes au cochon d’Inde (Zendt 2010), une Cène au rat (Bauer 2012).
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[8]
Sur les repas de Jésus, voir Bauer (2000).
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[9]
« La chair des quadrupèdes était classées selon la même hiérarchie rigoureuse. Au sommet se trouvait le veau, la viande qui a toujours été la plus chère du marché et qui ne le cédait qu’aux volailles […] et le porc occupait l’échelon le plus bas. » (Grieco 1996, 488).
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[10]
« Les Jours gras préparent la Sainte Quarantaine pendant laquelle le poisson, l’huile, les fèves et les pois chiches viendront remplacer sur les tables la viande, le saindoux, le beurre, les oeufs et les laitages, bref, toute nourriture provenant d’espèces animales terrestres. Mais cette abstinence rigoureuse liée au jeûne n’est elle-même que le renforcement dans le rythme des saisons d’une alternance qui ponctue normalement la semaine : d’un bout à l’autre de l’année, le vendredi et le samedi, localement le mercredi, sont des jours sans viande. En ajoutant à ce compte les Rogations, les Quatre-Temps et certaines vigiles de fête, nous arrivons à un total de cent quarante-huit jours maigres par an en moyenne. » (Chevalier 1982, 193).
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[11]
La règle de Saint-Benoît qui, depuis le viie siècle, réglemente la cuisine des monastères européens, « recommande les légumes et le pain, nourriture des pauvres, et proscrit la viande des quadrupèdes, c’est-à-dire les viandes prestigieuses issues de l’élevage, liées aux notions de force et de sang. Elle n’interdit pas le vin, mais c’est à contre-coeur : le moine bénédictin recevra donc une hémine par jour, à savoir un peu moins d’un litre de vin de piètre qualité. La Règle interdit précisément ce qui est recherché dans les banquets : la satiété et l’ivresse. » (Gautier 2009, 39).
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[12]
Il figure dans une troisième taxonomie médiévale des aliments, celle de la théorie des humeurs, que nous n’aborderons pas ici. Signalons seulement qu’il est chaud et sec. (Flandrin et al. 1998).
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[13]
« En pays chrétien au Moyen Âge, le poisson est le mets du vendredi et du Carême et cette prescription de l’Église tend à en faire dans la littérature et l’iconographie le signe de l’alimentation des clercs » (Rigaux 1989, 240-241).
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[14]
Dans un tout autre cadre — celui des disputes théologiques —, Luther utilise, dans un sens légèrement différent, le qualificatif « anguille » pour disqualifier Érasme et son ouvrage Du Libre-Arbitre. Il adresse ce reproche au théologien hollandais. « On dirait un homme qui sur des plats d’or et d’argent sert de la boue et du fumier. On ne peut vous saisir nulle part. Vous êtes comme une anguille qui glisse entre les mains […] » Cité par Merle d’Aubigné (1841, 400).
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[15]
Pour commémorer la sortie d’Égypte, le livre de l’Exode prescrit au peuple d’Israël d’égorger, de rôtir et de manger « une bête, mâle, âgée d’un an », que l’on a coutume d’identifier à un agneau. « 1Le SEIGNEUR dit à Moïse et à Aaron dans le pays d’Égypte : 2 “Ce mois sera pour vous le premier des mois, c’est lui que vous mettrez au commencement de l’année. 3Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël : Le dix de ce mois, que l’on prenne une bête par famille, une bête par maison. 4Si la maison est trop peu nombreuse pour une bête, on la prendra avec le voisin le plus proche de la maison, selon le nombre des personnes. Vous choisirez la bête d’après ce que chacun peut manger. 5Vous aurez une bête sans défaut, mâle, âgée d’un an. Vous la prendrez parmi les agneaux ou les chevreaux. 6Vous la garderez jusqu’au quatorzième jour de ce mois. Toute l’assemblée de la communauté d’Israël l’égorgera au crépuscule. 7On prendra du sang ; on en mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on la mangera. 8On mangera la chair cette nuit-là. On la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères. 9N’en mangez rien cru ou cuit à l’eau, mais seulement rôti au feu, avec la tête, les pattes et les abats. 10Vous n’en aurez rien laissé le matin ; ce qui resterait le matin, brûlez-le. 11Mangez-la ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous la mangerez à la hâte. C’est la Pâque du SEIGNEUR.” » (Exode 12,1-11).
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[16]
Cette identification, pourtant évidente, a pourtant pris du temps pour s’imposer. « À la Table du Seigneur, le met par excellence est le poisson symbole du Christ depuis les origines de l’art chrétien. Certes, l’agneau, évidente allusion à l’agneau pascal, apparaît sur la table de la Cène dès la première moitié du xie siècle, à Sant’Angelo in Formis, notamment. Mais durant tout le xiiie siècle, le poisson reste plus fréquent dans les Cènes d’Italie centrale et surtout à Florence. C’est en Italie du Nord, semble-t-il que le motif se propage d’abord. Mais il faut attendre le xive siècle pour que l’agneau s’impose dans le plat principal sur les représentations du dernier repas de Jésus avec ses disciples. Cet agneau on ne le mange pas, on le contemple. Et encore en plein xve siècle, où sa présence est de règle, les artistes placent devant les convives des assiettes de poissons qui par contraste mettent en évidence le caractère symbolique du mammifère. » (Rigaux 1989, 230).
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[17]
« La sémiotique est la discipline qui étudie la vie de la sémiose » dont le moteur — ou le coeur — est le Signe (Eco 1988, 26). Le signe est une triade qui, selon Ferdinand de Saussure, comporte un niveau représentatif (le signifiant), un niveau réel (le référent) et un niveau conceptuel (le signifié). Un signe transmet des informations ; il est la matière d’un processus de communication.
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[18]
Complétons la définition du signe de Eco par la définition du signe de Peirce, dont s’inspire largement Eco, qui inclut une relation entre le signifiant (ou representamen) et le signifié (ou objet) pour en tirer un jugement ou une signification satisfaisante (ou interprétant). Au niveau de l’objet, Peirce distingue trois types d’objet sémiotique : indiciel, iconique et symbolique (Peirce 1978).
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[19]
Nous ne discuterons pas ici si ces morceaux découpés relèvent du « cuit » ou du « pourri », selon la distinction proposée par Lévi-Strauss (1965).
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[20]
Cette lecture relève de la sémiotique systémique développée en lien avec les sciences cognitives (voir Meunier 2003). Pour dépasser le structuralisme, Eco supposait la systématicité du « Système Sémantique » : « Dans cette perspective, toute la culture est conçue comme un système de systèmes de signes dans lequel le signifié d’un signifiant devient à son tour le signifiant d’un nouveau signifié, quel que soit le système en cause (paroles, objets, marchandises, idées, valeurs, sentiments, gestes ou comportements) » (Eco 1988, 131). Barthes a lui aussi proposé cette vision avec le diagramme du signifiant/signifié se déclinant sous le signifiant comme une chaîne conceptuelle (Barthes 1964, 130-132).
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[21]
Meunier compare le processus générant des affects à « une manière de regarder accompagnée d’attitudes corporelles particulières impliquant certains sentiments. » (Meunier 2006). Pour une approche cognitive de la signification iconique, voir Darras (2007, 143).
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[22]
Une telle manière de jouer sur les signifiants alimentaires est attestée en Italie du Nord : « Si un devisant énumère les ingrédients qui entrent dans la composition des frictelle (ici des beignes à la viande et au fromage), c’est qu’ils sont pris dans un jeu sur les signifiants — dont le narrateurs fournit la clef — par lequel Florence affirme, face à Bologne, sa volonté de soumettre les principales bourgades fortifiées qui contrôlent l’Appenin toscano-émilien : “[…] et les propos moqueurs des Florentins auraient pris fin, qui disaient : ‘Nous avons le vin aigrelet [brusco/Bruscolo], le pain chaud [pan caldo/Pancaldoli], le chevreau [capretto/Caprenno] et le sureau [sambuco/Sambuca], et il ne nous manque que le formage [casuolo] — c’est-à-dire le bourg de Casi — pour faire de bons beignets.’ (P58, 4)”. » (Fontes Barratto 1999, 106).
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[23]
Sur la musique dans la Cène, voir Maria Pala et Mazzarella (2007). Maria Pala affirme avoir retrouvé une partition cachée à l’envers dans la peinture. Ce sont les pains, les agrumes et les mains des apôtres qui forment les notes.
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[24]
Les origines du procédé restent floues, mais il pourrait provenir de Naples ou de Bologne, et peut-être être passé par Florence, la ville de Leonardo da Vinci (Seville 1999, 17).
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[25]
Nous avons poussé l’expérience jusqu’à cuisiner des anguilles, des harengs et des sardines pour voir leur aspect une fois cuit. Le résultat est éloquent. Lorsqu’ils sont apprêtés de manière similaire, sous forme de tronçons grillés, il est presque impossible de visuellement distinguer les trois poissons.
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[26]
Qu’un seul terme désigne le hareng et la sardine rend inutile les distinctions zoologique et gustative entre les deux poissons. Peu importe qu’ils soient des sardines ou des harengs, ils sont des aringa.
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[27]
Végétarien, peut-être homosexuel, Leonardo avait de bonnes raisons de critiquer une morale institutionnelle qui ne cadrait pas avec la philosophie pythagoricienne qu’il cultivait (Capra 2010, 158).
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[28]
La question de l’espèce du « fruit défendu » a souvent été débattue. Commentant Genèse 3, le judaïsme l’a identifié au raisin qui provoque l’ivresse de la puissance, au blé qui donne le pouvoir de la connaissance, à la figue puisqu’Adam et Ève en utilise les feuilles pour cacher leur nudité, au cédrat dont on peut consommer le bois et le fruit et dont la forme ressemble à celle du coeur humain, etc. (voir Tristan 1996).
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