Résumés
Résumé
Cet article souhaite problématiser le recours à Paul comme figure de conversion, avant d’analyser quelques textes du Nouveau Testament qui essaient de rendre compte de l’expérience paulinienne « de Damas » (spécialement 1Co 15,8-10 ; Ph 3,2-14 ; Ga 1,11-24 ; 2,19-20 ; Ac 9). L’article montre l’existence d’un clivage entre deux approches de la conversion, qui gagnent à être considérées comme complémentaires : 1) objectivation d’un processus « cause/effet », sous le mode du comment ; et 2) interprétation subjectivante (mais non pas subjectiviste) d’une expérience inattendue, sous le mode du pourquoi. Ce clivage traverse les sciences humaines, les études exégétiques sur Paul, et peut-être même le Nouveau Testament (Actes des Apôtresvs lettres proprement pauliniennes). Au plan théologique, l’énonciation paulinienne des lettres à propos « de Damas » peut être appréhendée comme l’effort de comprendre après coup le saisissement d’une rencontre messianique qui a tout changé, selon une double hypothèse. D’une part, l’expérience implique une totale identification de Paul au Christ (Ga 2,19-20 comme clé de lecture de Ph 3,2-14 et Ga 1,11-24) ; d’autre part, elle peut être interprétée comme un « effet de Sujet », dans la ligne de la réflexion philosophique d’Alain Badiou.
Abstract
It is necessary, though paradoxical and difficult, to reexamine the position of Paul of Tarsus as a figure of conversion. In the social sciences, the humanities, and theology, Paul has become, for better or for worse, a fascinating paradigm. But here as in any case of conversion study, there is a risk of reductionism, with its ensuing fragmentation and atomization of the explanations about the “Damascus Road” experience. Hence, the twofold aim of this paper is to problematize this use of Paul as a conversion paradigm, and to analyze some New Testament texts that try to describe the Pauline experience (especially 1Co 15:8-10, Phil 3:2-14, Gal 1:11-24, 2:19-20, Acts 9). These two steps of the presentation show that two distinct approaches to conversion coexist, which are not necessarily mutually exclusive and may even be seen as complementary: 1/ the objectification of a “cause/effect” process, questioning the “how”; 2/ the “subjectivizing” interpretation (not purely subjectivist) of an unexpected experience, questioning the “why.” This cleavage between the two approaches spans the humanities and the social sciences, Pauline studies (largely adhering to the “cause/effect” perspective), and even the New Testament itself, with its two distinct approaches in Acts and the Pauline corpus proper. Moreover, on a theological level, the Pauline discourse about “Damascus,” laconic and elliptic as it may be, can be understood as an effort to apprehend, after the fact, the shock of a messianic encounter that changed everything. This understanding can be developed with two hypotheses: on the one hand, the experience implies a total identification between Paul and Christ (Gal 2:19-20 as interpretative key to Phil 3:2-14 and Gal 1:11-14); on the other hand, it can be interpreted as a “subject-effect,” in the line of the French philosopher Alain Badiou.
Corps de l’article
The literature on the conversion of Paul is a study in frustration. My own opinion of that maze is that the studies tell one far more about the individual authors and their own agendas than they do about Paul’s conversion. The subject is important not only to biblical studies but to all conversion studies because Paul’s conversion is a prototypical model of conversion.
Rambo 1982, 157, je souligne
Écrite il y a trente ans et souvent reprise dans les études entourant l’événement de Damas[1], cette citation liminaire demeure très pertinente. En quelques lignes, Lewis R. Rambo, auquel on doit aussi un livre qui a fait date dans l’étude de la conversion religieuse (Rambo 1993), exprime clairement la paradoxale et difficile nécessité d’aborder le cas « Paul de Tarse » dans un dossier sur la conversion[2]. Une telle étude est nécessaire, puisque, pour le meilleur et pour le pire, Paul est devenu un prototype de la conversion en théologie (histoire du christianisme et vie spirituelle, voir McFague 1978, 260) et un quasi idéal-typique en sciences humaines. Elle demeure paradoxale, puisque, derrière ce prototype ou idéal-typique, se cache le chercheur qui tente d’expliquer ou de comprendre la conversion et qui, pourtant, ne peut éviter à son égard un effet « réductionniste ». Elle s’avère enfin difficile, puisqu’on est confronté rapidement à l’éclatement des interprétations.
Le double objectif de cet article sera donc de problématiser ce recours à Paul (section 1) puis d’analyser quelques textes du Nouveau Testament qui essaient de rendre compte de l’expérience paulinienne (section 2). Ces deux étapes de mon exposé, prises ensemble, démontreront l’existence d’un clivage entre deux approches de la conversion : 1) objectivation d’un processus sous un mode « cause/effet » et 2) interprétation subjectivante (mais non pas subjectiviste) d’une expérience inattendue. Affirmons-le d’emblée : un tel clivage ne doit pas être compris de manière exclusiviste, mais comme une complémentarité. D’autant plus qu’il traverse les sciences humaines, les études exégétiques sur le cas paulinien et peut-être même le Nouveau Testament, avec les deux approches distinctes que sont les Actes des Apôtres et les lettres proprement pauliniennes.
Il s’agit de deux articles en un. De fait, mon interprétation de la conversion de Paul se trouve dans la section 2, alors que j’adopte une posture qui se veut théologique et que j’y développe une thèse d’ordre théologal (pour reprendre un vocabulaire classique en théologie). La section 1 est rédigée comme un état de la question assez détaillé où, toutefois, la mise en intrigue laisse entrevoir et prépare l’interprétation de la section suivante. Dans un dialogue avec les sciences humaines et sociales, la question se trouve donc posée : Paul est-il ou peut-il être vraiment une figure de la conversion ? Dans une perspective théologique, la réponse apportée est positive, à condition de déplacer la compréhension habituelle du signifiant « conversion ». Paul n’est peut-être pas la figure de conversion à laquelle on pense spontanément.
1. La pertinence d’un recours à Paul — pour peu qu’on le problématise
Tout en brossant à gros traits un état de la question de la recherche, j’aimerais approfondir mon constat initial : un retour sur la figure de Paul comme converti s’avère nécessaire, paradoxal et difficile — et pour ces trois raisons, pertinent.
1.1 Une nécessité : pour le meilleur et pour le pire, Paul est une figure de conversion qui fascine
Un des modèles les plus influents au xxe siècle, concernant la conversion, est sans doute celui de William James (1902). Dans une veine psychologique qu’on a pu lui reprocher, mais qui a fait école (Gooren 2010, 21), ce modèle est centré sur la crise (voir aussi Lofland et Stark 1965 ; Rambo 1993, 44). La conversion émerge à l’occasion d’une période de questionnement intense qui prépare et suscite un basculement, d’une situation personnelle négative de division, de malaise et de mal-être, où domine un sentiment d’infériorité et d’inadéquation à la réalité, vers une situation positive d’unification, de confort et de bonheur, où prévaut un sentiment de supériorité et d’ajustement au réel[3]. Or, tout au long de son ouvrage, l’auteur fait régulièrement référence à Paul, soit directement, soit par la médiation des témoignages de conversion qu’il analyse et qui font eux aussi référence à Paul. D’Augustin à Theodore Parker, de Martin Luther à Stephen Bradley, Paul fournit des mots pour dire l’expérience de conversion et, par là, il fournit à James un fil conducteur pour la construction de son propre modèle des conversions soudaines :
Those striking instantaneous instances of which Saint Paul’s is the most eminent, and in which, often amid tremendous emotional excitement or perturbation of the senses, a complete division is established in the twinkling of an eye between the old life and the new. Conversion of this type is an important phase of religious experience, owing to the part which it has played in Protestant theology, and it behooves us to study it conscientiously on that account.
James 1902, 213, je souligne
Il existerait donc un « modèle paulinien de conversion » qui combinerait « notions of an unexpected flash of revelation, a radical reversal of previous beliefs and allegiances, and an underlying assumption that converts are passive respondents to outside forces » (Rambo 2003, 213).
Autrement dit, un peu comme pour la notion sociologique de « charisme » (Gignac 2009, 142), il semblerait que la figure de Paul ait inspiré certains modèles opératoires de la conversion et que, par effet de retour, on comprenne maintenant Paul à partir de ces modèles sociologiques, anthropologiques ou psychologiques. Pour illustrer le premier versant de cette équation (la figure biblique de Paul influençant les sciences humaines), en complément de ce que nous évoquions de Rambo, en ouverture, citons encore Tomas Sundnes Drønen, dans une étude d’inspiration cognitiviste où la conversion est comprise dans le cadre de la théorie des changements de paradigme de Thomas Kuhn :
Our modern conception of conversion is built on a Pauline model where, for various reasons, something is left behind and something new has been found. The central point in this movement and « break with the past » is « the new faith » that brings the convert from one level of consciousness to another, even though the nature of these levels of consciousness is much debated, especially within the psychology of religion.
Drønen 2006, 248, je souligne
Inversement, pour l’autre versant de l’équation (les sciences humaines influençant l’interprétation de la conversion de Paul), mentionnons l’étude de Beverly Roberts Gaventa (1986), qui demeure encore une référence majeure sur la conversion de Paul, car la plus complète à ce jour du point de vue exégétique. Gaventa s’appuie d’emblée sur les études contemporaines de la conversion, mais de manière assez critique, et discute avec elles. Comme on le verra dans la section 1.3, elle n’est pas la seule à utiliser les sciences humaines.
Il fallait donc d’entrée de jeu rappeler cette dialectique quasi généalogique, pour souligner l’interdépendance entre réflexion théologique et réflexion des sciences humaines sur la conversion.
1.2 Un paradoxe : le danger du réductionnisme
En soi, l’étude de la conversion s’avère paradoxale, du fait même de l’objet d’étude, difficile à définir et multidimensionnel, mais surtout à cause de la position subjective du chercheur. Qu’étudie-t-on et dans quel but ? De fait, les deux questions sont liées : selon qu’on adopte une perspective anthropologique, psychologique, historique, philosophique, sociologique… ou théologique, la définition de l’objet d’étude connaîtra des oscillations[4]. Selon le cas, on accentuera :
le caractère soudain ou graduel de la conversion, à inscrire dans l’instant ou la durée ;
la discontinuité ou la continuité qu’elle sous-tend ;
l’anormalité de sa génération spontanée ou la normalité de sa lente maturation ;
sa dynamique individuelle ou communautaire ;
son originalité ou sa conformité à un modèle ;
le rôle passif ou volontaire de la personne qui vit la conversion.
Tout cela indique la présence d’un large spectre d’explications, la possibilité de coups de balanciers inopportuns et la difficulté de garder l’équilibre. C’est pourquoi, avec Rambo (1993), on conviendra de l’importance d’un regard pluridisciplinaire : aucune approche ne peut épuiser le phénomène « conversion », car chaque approche ne peut que proposer une explication forcément réductrice du phénomène. On conviendra par ailleurs de l’intérêt d’établir des nuances dans le champ sémantique du mot conversion, afin de ne pas circonscrire l’objet de manière trop étroite. Avec Gaventa (1986, 8-13), on distinguera donc au moins trois catégories, auxquelles on peut ajouter une quatrième, avec Stendahl (1963). Je les énumère ici selon un degré croissant de rupture, en montrant comment elles peuvent toutes s’appliquer à Paul, dans une jolie cacophonie de lectures (par anticipation de la section 1.3) :
altération (en anglais, alternation[5]) où le présent est en continuité avec le passé : évolution vers une plus grande radicalité sur une même trajectoire, sans changement identitaire profond — tel Saul, né dans la foi juive, qui adhère au courant pharisien ;
transformation où le présent restructure radicalement le passé sans le nier, à la lumière d’intuitions nouvelles : réorganisation des données au sein d’une même constellation de croyances, assez forte pour qu’on parle aussi de transformation identitaire — tel Paul qui réorganise sa théologie apocalyptique jusqu’alors centrée sur la Loi pour lui donner une allure messianique, c’est-à-dire christocentrique ;
conversion proprement dite, où le passé est rejeté : passage à une vision du monde totalement autre — tel Saul le persécuteur des disciples du Christ qui devient Paul l’apôtre de l’Évangile du Christ et qui rejette comme détritus tout ce qui avait jusqu’alors la plus grande valeur pour lui ;
appel, où le présent se tourne vers un futur envisagé de manière nouvelle par fidélité au passé : expérience perçue comme radicalement extrinsèque et attribuée généralement à une action divine — tel Paul qui décrit l’expérience de Damas comme une vocation prophétique.
En somme, il en va un peu de l’étude de la conversion comme de celle de la particule en physique quantique. Il est impossible de connaître à la fois sa vitesse et sa position, et l’observation même transforme sa position et sa vitesse. Paradoxe d’un objet d’étude insaisissable qui se transforme du fait même qu’on tente de le saisir.
Or, une perspective théologique ne vient-elle pas accentuer ce constat d’un paradoxe ? Apporte-t-elle vraiment quelque chose au débat ? Ou bien n’est-elle pas une nuisance ? La position croyante du théologien ne verse-t-elle pas dans le subjectivisme non scientifique, car non critique ? L’hypothèse que l’expérience religieuse fasse effectivement entrer en rapport avec le divin ne quitte-t-elle pas le territoire de la rationalité ?
Ces objections, en elles-mêmes valables et inévitables, voisinent néanmoins la méconnaissance, le cliché, voire le préjugé. Premièrement, si la position du théologien est en partie subjective, elle a, d’une part, le mérite de formuler sa propre subjectivité et, d’autre part, elle n’est pas que subjective, interrogeant sans cesse ses présupposés et ses énoncés au nom de la rationalité. « Anthropologists, psychologists, and sociologists need to recognize that conversion is a source of debate, conflict, and constant reevaluation within the Christian community. » (Rambo 2003, 216)
Deuxièmement, la théologie rappelle constamment aux autres sciences qu’il ne s’agit pas seulement d’expliquer et de décrire l’expérience religieuse (aspect heuristique, essentiel), mais aussi de la comprendre et de l’interpréter, comme de l’intérieur (aspect herméneutique, tout aussi essentiel[6]). Méthodologie, présupposés et épistémologie se tiennent. Mettre l’accent sur l’aspect contextuel et processuel laisse nécessairement en plan des angles morts. Le fait d’appréhender avant tout la conversion comme le produit d’une situation contingente, tels les facteurs socioculturels, suppose le risque de rejeter à l’arrière-plan ou de marginaliser l’expérience proprement dite et l’autocompréhension (interprétation) que le sujet en propose[7]. « The social science approaches to conversion would benefit greatly from the input of theology and mission studies to balance their inherent tendency to reduce religion to societal, cultural, or individual factors » (Gooren 2010, 42) — respectivement en sociologie, anthropologie et psychologie.
Troisièmement, au-delà de cet apport positif, la prise en compte de la perspective théologique opère aussi comme un contrôle, tant le discours religieux, y compris celui de la conversion et les témoignages de première main, est façonné, mais aussi régulé, par la théologie — qui est une norme parmi d’autres pour évaluer l’expérience de conversion :
Theology occupies a central place in understanding conversion processes. Whatever one’s opinions concerning the validity and value of theology, theology often plays a pivotal role in shaping experience and expectations regarding conversion. Moreover, theology constitutes part of the « DNA » of the conversion process for people existing within a particular religious tradition.
Rambo 2003, 214-215
Autrement dit, la prise en compte de la théologie permet de repérer les concepts et schémas narratifs qui structurent le discours religieux et ainsi de prendre une distance critique par rapport à ce discours.
Bref, le défi demeure : « how to negotiate between scientific explanations of conversion and theological doctrines that mandate the norms against which conversion experiences are measured » ? (Rambo 2003, 217) Au risque d’accentuer le caractère paradoxal de l’étude de la conversion, une lecture théologique s’avère complémentaire aux approches diverses des sciences humaines et sociales.
1.3 Une difficulté : l’éclatement des interprétations
Ces observations me permettent de souligner que l’exégèse biblique comme discipline scientifique est située au carrefour des sciences humaines et sociales (histoire, sociologie), des études littéraires (rhétorique, narratologie) et de la théologie (comme discours rationnel sur le divin). L’exégète se situe donc sur une frontière — on pourrait même dire qu’il patrouille dans un dangereux no man’s land. Or, s’il existe un consensus dans la recherche exégétique sur la conversion de Paul, c’est qu’aucun consensus ne se dégage — avec entre autres la difficulté déjà évoquée de définir le phénomène avec précision et de tenir ensemble ses multiples facettes, y compris théologique. En un mot, la citation de Rambo placée en ouverture de cet article est toujours actuelle : l’éclatement des interprétations pourrait conduire à la frustration. Pour ma part, je m’accommode cependant fort bien de la situation, puisque, d’un point de vue herméneutique, il faut bien vivre avec le conflit des interprétations…
Grossièrement, on pourrait d’abord distinguer les études selon qu’elles maximalisent ou minimalisent les données bibliques[8]. Seyoon Kim serait un exemple de maximalisation : « references to Paul’s conversion and call on the Damascus road abound in his letters » (Kim 1981, 28 ; aussi Kim 2002). De cette abondance, l’auteur donne comme exemple : Rm 5,1-11 (comme autobiographie de la réconciliation !) ; 1Co 9,1 ; 15,8-10 ; 2Co 4,1-6 ; 2Co 5,11-21( !). Non seulement cela, mais, comme l’indique le titre des ouvrages de Kim, Damas serait l’origine de toute la théologie paulinienne. Au contraire, Paula Fredriksen affirme que l’expérience paulinienne échappe presque entièrement à l’historien :
Omitting all of Luke’s problematic material, considering solely the evidence of the Epistles, what can we say about Paul’s understanding of his religious transformation when it occurred ? In truth, very little : [1] that it probably convinced him that Jesus was in some special way God’s Son, or the Messiah, or both (if that equation had already been made by c.34) ; [2] that he should stop harassing that part of the Jewish community in Damascus which held this view (which I assume at this time to be linked with eschatological expectation) ; [3] and possibly that as a result he should preach Christ Crucified—and about to return—to the Gentiles.
Fredriksen 1986, j’ajoute la numérotation des idées
Comme on le verra dans la section 2, la très grande prudence de Fredriksen s’ajuste à l’extrême laconisme de Paul qui ne s’épanche pas sur son expérience. Celle-ci concerne une révélation messianique, opère sa transformation de persécuteur à évangélisateur et l’assure de la certitude d’être commissionné vers les Gentils. Selon Fredriksen, on ne peut guère dire plus.
Malgré l’avertissement de Fredriksen, de nombreux exégètes tentent de comprendre Damas rétroactivement, à partir des convictions ultérieurement énoncées dans les lettres. Il s’agit de pallier le laconisme paulinien, par voie d’extrapolation. Ainsi, Bruce Corley (1997, 16) recense quatre types d’explications théologiques — selon moi non exclusives — pour rendre compte de la prise de conscience ou du « déclic » de Damas :
sotériologique : si le Crucifié maudit par la Loi est aussi le Ressuscité (Ga 3,13), le salut advient indépendamment de la Loi : le Christ est la fin de la Loi (Rm 10,4) (Jacques Dupont, Ulrich Wilckens, Peter Stuhlmacher, auxquels je rattache aussi Seyoon Kim, déjà mentionné) ;
christologique : Paul reconnaît dans le Ressuscité le messie (christ) d’Israël, dont la résurrection inaugure « l’Âge à venir », accomplissant les promesses de l’intrigue narrative des Écritures juives (Philippe-H. Menoud, Richard B. Hays, N. Thomas Wright, auxquels j’ajoute Pierre-Marie Beaude 2005, 17 et Larry W. Hurtado 1993, 284) ;
doxologique : la gloire de Jésus ressuscité (2Co 4,6) qui se révèle à Damas se télescope avec la seigneurie glorieuse du Dieu d’Israël, telle une incarnation angélique de la gloire divine, dans la ligne de la mystique juive de la Merkabah (Ez 1) et de la théologie apocalyptique pharisienne (encore Seyoon Kim, mais aussi Alan Segal 2003 et Carey C. Newman 1991) ;
missiologique : Paul saisit le dessein divin d’incorporer les Gentils au peuple de Dieu, ainsi que le rôle central qu’il est appelé à jouer dans la réalisation de ce projet (Johannes Munck, Edward P. Sanders et James D.G. Dunn).
Les trois premiers types d’explications se ressemblent, alors que la « rencontre » fulgurante du Vivant entraîne chez Paul, comme par déduction, la cristallisation d’une nouvelle conviction (respectivement : caducité de la Loi, accomplissement de l’Écriture, divinisation du Christ). Elles extrapolent à partir de l’énoncé : « Mais lorsqu’il plut à Celui qui m’avait mis à part […] de révéler son Fils en moi… » (Ga 3,15a.16a). La quatrième explication se situe en retrait, mais reprend clairement la suite de l’énoncé paulinien : « […] pour que je l’annonce parmi les nations » (Ga 1,16b).
Toutes ces explications partagent deux présupposés en corrélation. Premièrement, elles inscrivent la « conversion » de Paul dans la durée (par exemple, des auteurs aussi divers que Rambo 1982, 156 ; Walsh 1999, 76-77 ; Theissen et Fink 2008 ; Brandt 2010, §9). Psychologisantes, elles valorisent le rôle du converti, contrairement aux « comptes-rendus » pauliniens ou lucaniens qui renvoient plutôt l’image d’un Paul passif, dans la perspective antique où la transformation identitaire est fonction de l’intervention extérieure d’autrui et selon un point de vue théologique où c’est Dieu qui a l’initiative (Brandt 2010, §37).
Deuxièmement, ces explications essaient d’articuler, dans la trajectoire paulinienne, le point de départ, le tournant de Damas et le point d’arrivée. Plus précisément, comment rendre compte de l’activisme du persécuteur ? Comment déterminer la nature de l’insatisfaction, la crise qu’on se sent bien obligé de postuler derrière ce revirement ? Par-delà la discontinuité, comment retrouver la continuité entre le pharisien zélé et l’apôtre entièrement dédié à la mission ? La crise qu’on croit discerner ne serait-elle pas la cause des activités de persécution et la solution (mystique) de cette crise n’en serait-elle pas comme le miroir inversé ? Sur le versant psychologique — dans la ligne d’un Charles-Harold Dodd (1933) —, les hypothèses sont légion, parfois loufoques, pour identifier l’origine de la crise :
On postule une insatisfaction inconsciente face à la Loi comme chemin d’accomplissement spirituel.
Ou encore, on discerne une culpabilité surgie d’une incapacité à accomplir la Loi (avec une lecture, parmi d’autres possibles, de Rm 7).
On insiste aussi sur le scandale suscité par la foi des disciples du Nazaréen, que ce scandale consiste en la prédication d’un messie crucifié, en une ouverture trop libérale aux païens ou dans le danger d’un mouvement qui fragmente la cohésion du peuple d’Israël.
On a même évoqué la possibilité d’un drame familial : la colère d’avoir perdu son épouse, impossible colère dirigée contre Dieu, aurait été déviée par Paul sur les disciples du Christ, constituant ainsi l’amorce d’une obsession/fascination pour le Christ (Murphy-O’Connor 1996, 65[9]).
Et faut-il mentionner l’approche carrément psychiatrique de Murray, Cunningham et Price (2012) dans le Journal of Neuropsychiatry and Clinical Neurosciences [10]?
Toutes ses hypothèses tentent d’expliquer, au-delà du pudique laconisme paulinien, l’activité de persécution et le fait qu’une expérience christologique intense ait pu faire accepter à Paul ce qui lui paraissait inacceptable et causait son activité de persécution.
Pour mieux contrôler ces hypothèses, on a eu recours à des modèles empruntés aux sciences humaines (sont souvent cités : Lofland et Stark 1965 ; Scroggs et Douglas 1967 ; Snow et Machalek 1984 ; Staples et Mauss 1987). Par exemple, Damas constituerait la résolution d’une dissonance cognitive (Togarasei 2004 — un auteur qui, par ailleurs, amalgame plusieurs des hypothèses du paragraphe précédent) ou, plus simplement, une réorganisation cognitive (changement de paradigme) de la vision du monde paulinienne (Donaldson 1989). Ou encore, Damas devrait être compris en termes plus sociologiques de rite de passage qui agrège une personne à une autre communauté (Gallagher 1993, Lamoreaux 2008). On a même suggéré que Damas se serait avéré une expérience d’état altéré de conscience (Pilch 2002, à partir des Actes ; Pilch 2005, à partir des lettres), ou une sorte de transe chamanique (Ashton 2000, Brady 2006)…
Zeba A. Crook (2004, 13-31) souligne le danger des approches psychologisantes et soulève l’objection classique de l’application de modèles élaborés empiriquement au xxe siècle sur des réalités du ier siècle. Pour sa part, il décode la trajectoire de Paul à partir d’un schéma anthroposociologique du ier siècle gréco-romain : l’honneur et le clientélisme. John J. Pilch, déjà mentionné, présente aussi l’état altéré de conscience comme intégré à la vision du monde du ier siècle méditerranéen[11]. Enfin, on a tenté de replacer Saul dans le cadre de la mystique juive pharisienne (Segal 2003, anglais 1992 ; Walsh 1999).
Pour terminer le tour d’horizon, signalons un débat important à l’arrière-plan de ce foisonnement de modèles et d’hypothèses : dans le cas de Paul, faut-il vraiment parler de conversion ou est-il préférable de parler d’appel ? Après tout, il ne change pas de religion, son cadre théologique demeure juif et il n’éprouve aucun remords moral vis-à-vis son passé. Formulée à l’origine par Stendahl (1963), la question est devenue récurrente, avec en filigrane l’enjeu d’une théologie chrétienne plus respectueuse de l’altérité du judaïsme (Gignac 1999). Quoi qu’il en soit, le débat a le mérite de remettre directement en question l’association des deux termes : « Paul » et « conversion ».
Il me semble que sur le plan de l’analyse « causes/effets » de la conversion de Paul, on ne puisse ajouter grand-chose. Ainsi, avec toutes ces informations en tête, mais sans vraiment les utiliser, je vais relire quelques textes néotestamentaires dans une perspective théologique, en étant attentif à l’énonciation plutôt qu’aux seuls énoncés, car la manière de dire est aussi importante que ce qui est dit. Minimaliste, me refusant à explorer le monde derrière le texte et à proposer des extrapolations à propos de la conscience de Paul, j’entends revenir à l’interprétation anthropothéologique fournie par Paul : « Damas[12] » comme expérience humaine du divin, comme événement où surgit un « effet de Sujet », comme le creuset d’une nouvelle identité et surtout comme le catalyseur d’une totale identification au messie Jésus.
2. Les pièces néotestamentaires du dossier
À propos des récits de conversion, les sciences humaines nous mettent en garde :
ils sont formulés dans un langage qui les précède et sont le fruit d’une interprétation (Proudfoot 1985, 61) ;
ils disent plus la signification de l’expérience au moment où ils sont énoncés qu’au moment où elle fut vécue (Donaldson 1989, 664) ;
ils évoluent donc à mesure qu’on s’éloigne de « l’événement » et surtout qu’on le raconte pour se l’approprier (Gallagher 1993, 2-3) ;
ils n’ont pas pour finalité de saisir l’expérience elle-même, mais de provoquer un effet chez les narrataires, « afin de promouvoir l’adhésion aux valeurs de la nouvelle communauté et l’abandon des valeurs anciennes » (Theissen et Fink 2008, 50).
Je ne vois pas pourquoi ces mises en garde ne s’appliqueraient pas au Nouveau Testament. Nous verrons d’abord la mise en discours de Paul, pour proposer ensuite de l’interpréter sous la thématique de « l’effet de Sujet », et finalement nous dirons un mot de la reconstruction des Actes des Apôtres, par voie de comparaison.
2.1 La mise en discours des lettres pauliniennes (1Co 9,1 ; 15,8-10 ; Ph 3,2-14 ; Ga 1,11-24 ; 2,19-20)
Un repère chronologique s’avère utile. Si Jésus de Nazareth a été crucifié en avril de l’an 30 et si on situe la « conversion » de Paul vers 35 au plus tard, le témoignage de Paul dans ces lettres, datées du début de la décennie 50, intervient quinze à vingt ans après coup — au moment où Paul a établi son quartier général à Éphèse, où il a muri sa théologie et l’affine encore par ses lettres, où il s’appuie sur une longue pratique missionnaire auprès des païens et où il a statué que ceux-ci étaient dispensés des marqueurs identitaires juifs (particulièrement la circoncision) s’ils voulaient s’intégrer à l’assemblée chrétienne.
Paul utilise pour les autres le vocabulaire technique de conversion, mais jamais à propos de lui-même. Ce vocabulaire est d’origine essentiellement profane, mais il est appliqué métaphoriquement à l’expérience religieuse : retournement (ἐπιστρέφω : 2Co 3,16 ; Ga 4,9 ; 1Th 1,9) et repentance (μετάνοια, μετανοέω : Rm 2,4 ; 2Co 7,9.10 ; 2Co 12,21). L’image centrale du champ lexical est celle de la marche : prise de conscience du mauvais chemin, confiance d’en trouver un meilleur et choix d’une nouvelle direction (Peace 1999, 353). En Rm 12,2, Paul exhortera ses destinataires : « Et ne vous modelez pas sur cet âge-ci mais soyez métamorphosés par le renouvellement de l’intelligence. » Or, pour évoquer « Damas », Paul se situe plutôt sur le registre de la vision, du dévoilement, de la lumière.
D’abord, notons deux allusions à « Damas » tirées de la correspondance avec les Corinthiens[13], où Paul défend son statut d’apôtre (littéralement : envoyé, ambassadeur), qui repose sur une expérience christophanique : « Ne suis-je pas libre ? Ne suis-je pas apôtre ? N’ai-je donc pas vu Jésus, notre Seigneur ? N’êtes-vous pas mon oeuvre dans le Seigneur ? » (1Co 9,1). Un peu plus loin, rappelant la résurrection du Christ avant de discuter de la résurrection qui attend les chrétiens, il se fait un peu plus précis à propos de l’expérience par laquelle il est devenu apôtre :
8 Et après eux tous, [Christ] m’est apparu à moi aussi, comme à l’avorton. 9 Car moi, je suis le moindre des apôtres ; je ne mérite pas d’être appelé apôtre, parce que j’ai poursuivi l’assemblée appelée par Dieu. 10 C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce envers moi n’a pas été vaine : j’ai peiné plus qu’eux tous, non pas moi, certes, mais la grâce de Dieu, [qui est] avec moi.
1Co 15,8-10 — Osty et Trinquet 1973 modifié[14]
Paul fait jouer une rhétorique de l’abaissement qui se termine, de manière contrastée, par une surévaluation de son apostolat : le dernier dans la liste des témoins de la résurrection, il a fait mieux « qu’eux tous ». Trois figures contribuent à cette rhétorique et elles reviendront en Philippiens et Galates. 1) D’abord, la naissance/mort de l’avorton (ἔκτρωμα), déchet expulsé du ventre de la mère, qui ne peut attendre la vie que d’une résurrection (moyen subtil d’associer la faiblesse humaine à la puissance de Dieu). La rencontre du Ressuscité signifie être associé à sa vie. Pour l’avorton, le fait d’avoir été désigné apôtre constitue une résurrection. 2) Ensuite, la poursuite, soit l’activité du persécuteur qui devait être un fait connu dans les communautés. Le mot grec « poursuivre » (δίωκω) indique un mouvement, une trajectoire. Le sens de persécution est clair, mais peut-être est-il possible de lire « poursuivre l’assemblée » à un autre niveau : la poursuite-chasse se double peut-être d’une poursuite-quête. 3) Enfin, un jeu de mots autour de l’appel : d’une part, une communauté qui est l’assemblée appelée, convoquée par Dieu (ἐκκλησία) ; d’autre part, l’appel, la nomination, la convocation de l’apôtre. « Être appelé » (καλεῖσθαι) apôtre peut recevoir le double sens de « recevoir le titre » (de la part des Corinthiens) et de « recevoir la mission » (de la part de Dieu). Bref, du fait de la christophanie, Paul reçoit son identité de Dieu lui-même : « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis », une identité qui coïncide avec sa mission d’apôtre. De l’ancrage géographique ou chronologique de cette christophanie, ou de son contexte, nulle mention, sinon la précision qualitative qu’elle se situe en dernier dans l’énumération des témoins de la résurrection, loin de la « primauté ».
Venons-en aux deux pièces maîtresses du dossier. D’abord, Ph 3,2-14, qu’il vaut la peine de citer in extenso :
2 Prenez garde aux chiens ! Prenez garde aux mauvais ouvriers ! Prenez garde à la mutilation ! 3 Car c’est nous qui sommes la circoncision, qui rendons un culte à Dieu par le souffle et qui plaçons notre orgueil dans le messie Jésus, au lieu de nous confier dans la chair, 4 bien que j’aie, moi, sujet de mettre aussi ma confiance dans la chair.
Si quelque autre pense pouvoir se confier dans la chair, je le puis, moi, davantage : 5 circoncis dès le huitième jour, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu issu d’Hébreux ; pour la Loi, Pharisien ; 6 pour le zèle, poursuivant de l’assemblée des appelés ; pour la justice légale, irréprochable.
7 Mais ces choses qui étaient pour moi des gains, je les ai estimées comme une perte à cause du Christ. 8 Oui, bien sûr, j’estime que tout est perte à cause de la valeur suréminente de la connaissance de Christ Jésus, mon Seigneur. A cause de lui, j’ai tout perdu, et j’estime tout comme immondices, afin de gagner Christ 9 et d’être trouvé en lui, non pas avec ma justice à moi, celle qui vient de la Loi, mais la justice par la foi du Christ, la justice qui vient de Dieu [et s’appuie] sur la foi ; 10 afin de le connaître, lui et la puissance de sa résurrection, et la communion à ses souffrances en me rendant conforme à sa mort, 11 pour parvenir, si possible, à la résurrection d’entre les morts.
12 Non que j’aie déjà obtenu. Ou que je sois déjà devenu parfait. Mais je poursuis pour tâcher de saisir. Puisque j’ai été aussi saisi par Christ Jésus. 13 Frères, moi, je ne compte pas encore avoir saisi. Une seule chose : oubliant ce qui est derrière, tendu vers devant, 14 droit au but, je poursuis le prix de l’appel de Dieu là-haut en Christ Jésus.
Osty et Trinquet modifié, je souligne
Quelques remarques sur un texte très riche qui vient encore récemment de faire l’objet d’une monographie (Matta 2013). On constate à nouveau l’utilisation des figures du déchet (v. 8), de la poursuite (v. 6.12.14) et de l’appel (v. 14), « configurées » toutefois d’une manière complètement différente de celle de 1Co 15,8-10. Sur un registre commercial ou comptable, le changement paulinien se présente comme la perte d’une identité passée et le gain à venir d’une identité nouvelle. Mais l’enchaînement des idées et des images ne cesse de surprendre. À la fin de la lecture, on est étonné d’être rendu à ce point, compte tenu des exhortations qui avaient constitué l’amorce du discours. Déclinons plus précisément ce cheminement discursif.
Aux versets 2-3, Paul met en garde les chrétiens païens à l’égard de missionnaires judéo-chrétiens. Outre qu’ils valorisent la circoncision comme signe d’adhésion au messie, il est quasi impossible de les identifier avec plus de précision. La mise en garde est extrêmement sarcastique et caustique. Cette circoncision dans la chair, réduite à une mutilation, s’oppose à la circoncision dans le souffle. « Chair » constitue ici un jeu de mots et doit être pris aux sens propre et figuré. D’une part, rituellement, la circoncision laisse une cicatrice sur l’organe de la reproduction et de l’engendrement — une marque dans la chair qui inscrit l’individu juif mâle dans une lignée. D’autre part, théologiquement, la chair (mortelle) est ce qui s’oppose au souffle (vivant) et donc à Dieu. Paradoxalement, l’identité chrétienne assume, en le transformant, le signe charnel de la circoncision : « nous sommes la circoncision » (v. 3).
Aux versets 4-6, Paul enchaîne en faisant la nomenclature des marqueurs de son identité juive, en commençant par la circoncision. Cette énumération frise la surenchère. C’est un pedigree dont il semble encore fier, à première vue. Il mentionne d’abord sa condition de naissance : circoncis, Israélite (peuple), issu de Benjamin (tribu), Hébreu fils d’Hébreux (enracinement) ; puis, il marque des traits acquis par ses propres décisions : Pharisien (loi), persécuteur (zèle), irréprochable (justice). On peut s’étonner d’y trouver, bien que formulée en passant, l’étiquette de persécuteur (poursuivant), mais l’ensemble semble se tenir, former corps. Ces marqueurs identitaires sont du genre auxquels nul humain n’échappe de par son appartenance à une lignée humaine, et auxquels Paul n’échappe pas plus au moment où il écrit. Or, il les interprète comme étant du domaine théologique de la chair (v. 4) et les inscrit dans la colonne des pertes, voire des immondices, en comparaison de sa découverte du Christ (v. 7-8). Il s’agit d’une réévaluation. Le patrimoine israélite, qui en soi constitue une source de fierté et possède une valeur considérable, est inscrit malgré tout au passif, du fait même de l’expérience messianique. Celle-ci occupe toute la place et Paul, ancré dans une culture dont la vertu cardinale est l’honneur, y investit tout son honneur (v. 3).
Et voilà que le discours poursuit sa course… en évoquant une course-poursuite. Le poursuivant-persécuteur est devenu un poursuivant-en-quête du Christ. Ce qui n’était qu’implicite en 1Co 15,8-10 devient ici explicite : rencontrer le Ressuscité, c’est s’associer à sa résurrection (v. 10-11). Mais il faut surtout noter la force des versets 11-14 qui décrivent une poursuite pleine de tensions. Le style discursif lui-même crée la tension : métonymie (saisir/être saisi), syntaxe extrêmement saccadée des v. 12-13, accumulation de génitifs au v. 14, champ lexical de la course (parvenir, obtenir, poursuivre [2x], saisir [3x], derrière, devant, droit au but). Si les marqueurs identitaires juifs sont derrière Paul, la rencontre du Christ et l’appel de Dieu, paradoxalement, sont devant lui. Le prix de la victoire sera l’appel de Dieu (v. 14) — comme si Paul n’avait pas été appelé ! Comme si la « conversion » identitaire n’était pas encore achevée ou était encore à venir. Aucun repère géographique ou chronologique réel, sinon l’ici et maintenant d’une trajectoire en mouvement, d’une course tendue vers son terme. L’appel n’est pas derrière Paul, mais en avant, en haut (on a l’impression d’entendre la devise olympique[15]). Autrement dit, il s’agit d’une expérience qui a saisi Paul, mais qu’il a de la difficulté à saisir, à formuler par des mots, si ce n’est à l’improviste, au détour d’une controverse sur la circoncision. Visuellement, on peut représenter cette course en tension (voir Schéma 1. Tenter de saisir après avoir été saisi).
L’identité christologique, à la différence de celle que Paul laisse derrière lui, ne se possède pas, mais se reçoit d’un autre. « Être trouvé en lui, non pas avec ma justice à moi, celle qui vient de la Loi, mais la justice par la foi du Christ, la justice qui vient de Dieu [et s’appuie] sur la foi » (v. 9). On n’est pas loin d’une autre métonymie, récurrente dans les lettres : moi en Christ, Christ en moi, qui reviendra explicitement en Galates. Si la justice qui procède de la fidélité vécue par le messie habite Paul[16], celui-ci se situera bel et bien dans un espace messianique, « en Christ ». Bref, derrière, Paul laisse une lignée et une identité déterminées, pour ainsi dire immobiles, pour s’inscrire dans une dynamique en cours (et en course), où la nouvelle identité, indéterminée, n’en est pas vraiment une.
J’en viens maintenant à Ga 1,11-24, le texte à la fois le plus explicite et le plus elliptique, quant à l’expérience « de Damas » :
11 Car je vous le fais savoir, frères, l’Évangile qui a été annoncé par moi n’a rien de l’homme, 12 et ce n’est pas non plus d’un homme que moi je l’ai reçu ou appris, mais par une révélation de Jésus Christ. 13 Vous avez entendu parler, certes, de ma conduite de jadis dans le judaïsme : comment je poursuivais à outrance l’Église de Dieu et la malmenais, 14 et comment j’avançais en judaïsme plus que beaucoup de ceux de mon âge et de ma race, me montrant plus zélé que personne pour les traditions de mes pères. 15 Mais lorsqu’il plut à Celui qui m’avait mis à part, [me] sortant du ventre de ma mère et m’avait appelé par sa grâce, 16 de révéler son Fils en moi pour que je l’annonce parmi les nations, aussitôt, sans consulter chair et sang17 et sans monter à Jérusalem vers ceux qui étaient Apôtres avant moi, je partis pour l’Arabie, et de nouveau je retournai à Damas. 18 Ensuite, après trois ans, je montai à Jérusalem pour faire la connaissance de Képhas, et je restai quinze jours auprès de lui ; 19 mais je ne vis aucun autre des Apôtres, sauf Jacques, le frère du Seigneur. 20 Ce que je vous écris, je le dis devant Dieu, n’est pas un mensonge. 21 Ensuite je vins dans les régions de Syrie et de Cilicie. 22 J’étais d’ailleurs personnellement inconnu des Églises de la Judée qui sont en Christ. 23 Elles entendaient seulement dire que celui qui les poursuivait jadis annonçait maintenant la foi que jadis il malmenait, 24 et elles glorifiaient Dieu à mon sujet.
J’ai commenté ailleurs ce texte de manière plus détaillée (Gignac 2006 ; 2007a, 112-115 ; 2008). Il est encadré par la mention de la poursuite-persécution paulinienne (v. 13.23), ce qui donne de l’importance à celle-ci. Au centre du texte se trouve une nouvelle poursuite, apostolique celle-là : « aussitôt […] je partis » (v. 17). On sent la hâte et le mouvement. Il y a cette fois apparence de repères chronologiques (jadis, lorsque, aussitôt, trois ans, quinze jours) et géographiques (Arabie, retour à Damas, Jérusalem, Syrie, Cilicie, Judée). Toutefois, en y regardant bien, « l’événement » de la révélation du Fils se situe à un moment indéterminé sur la période du judaïsme de Paul. Bien plus, cet événement devient le point de départ absolu d’une nouvelle chronologie. En outre, si ce n’est la mention du retour à Damas (v. 17), l’événement n’est pas situé dans l’espace : Paul ne dit pas que « ça » se passe à Damas. Enfin, l’événement est dédoublé : d’une part, il y a un appel prophétique dès le ventre de la mère ou mieux, par extraction du ventre de la mère[17] et, d’autre part, la révélation proprement dite. Donc, deux irruptions du divin dans la vie de Paul, en deux temps, comme deux origines et deux naissances — télescopage qui brouille encore plus tout repérage chronologique. Or, qui dit origine et naissance pointe l’impossibilité de saisir l’expérience. Graphiquement (voir schéma 2), on pourrait donc illustrer la trajectoire de Paul dans le judaïsme par une ligne horizontale, trajectoire qui se trouve doublement interrompue par des lignes verticales qui font dévier l’apôtre de la tradition des pères et l’extirpent du ventre de sa mère (dans une naissance avant terme, comme en 1Co 15,8[18]).
Bref, nous rencontrons à nouveau la triade : 1) appel, 2) poursuite (persécution, mais aussi quête) et 3) naissance-déchet (ἐκ κοιλίας μητρός = hors du sein maternel ; σαρκὶ καὶ αἵματι = chair et sang). La rencontre du Fils est comme une naissance qui permet d’échapper à la généalogie (Gignac 2008), lignée où Paul rencontrait pourtant un succès indéniable et dont il semble paradoxalement encore fier, d’une certaine manière, comme en Ph 3,2-6 (« je poursuivais à outrance », « j’avançais plus que beaucoup », « plus zélé que personne », v. 13-14).
Mais en quoi consiste cette expérience décisive qui constitue ainsi un kairos (moment) venant interrompre le chronos (la durée) ? Paul est laconique, hermétique. Il parle seulement d’une révélation de Jésus Christ accompagnée d’une mission : porter cet Évangile aux nations païennes. De la sorte, sa trajectoire prévisible s’en est trouvée réorientée. Or, un peu plus loin dans la lettre aux Galates, Paul rapporte, encore une fois après coup, un discours qu’il aurait tenu à Pierre (ce fameux Képhas mentionné en 1,18) lors d’une altercation, à Antioche. Ce discours porte avec emphase les marques de l’énonciation (cinq fois le pronom « moi » ; le déictique « maintenant », sans compter les verbes conjugués à la 1re personne) :
19 Pour moi, en effet, par le moyen de la Loi je suis mort à la Loi, afin de vivre pour Dieu. Je suis à jamais crucifié avec Christ ; 20je vis, mais non plus moi, c’est Christ qui vit en moi. Et ce que maintenantje vis dans la chair, c’est dans la foi que je le vis, celle du Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi.
Ga 2,19-20, Osty
Je fais l’hypothèse que ces versets dévoilent subrepticement la teneur de l’expérience « de Damas », non pas son mécanisme, sa genèse, son processus ou sa phénoménologie, mais sa signification. L’expérience possède ainsi trois caractéristiques : 1) la vitalité, par le passage de la mort à la vie ; 2) l’identification au Christ, car Paul est crucifié « avec » Christ, qui vit lui-même « en » Paul ; 3) une perspective quasi « amoureuse », avec la conviction que Christ a aimé Paul et a manifesté cet amour en « mourant pour » lui. Avec un résultat surprenant : l’identité de l’apôtre demeure paradoxale. « Je est un autre », pour emprunter une célèbre formule d’Arthur Rimbaud (2007, 64.68), elle-même reprise par un théologien de la spiritualité, Maurice Zundel (1971). En un mot, Ga 2,19-20 est en assonance avec Ph 3,9-14.
2.2 Effet de Sujet
Récapitulons nos observations. L’expérience « de Damas » n’est jamais située dans un temps ou un lieu objectif, mais correspond au temps subjectif et à la posture de l’énonciateur lorsqu’il en évoque les conséquences concrètes ou les effets durables, au moment où il parle. Cette expérience, comme hors-lieu et hors-temps, inscrit cet énonciateur sur une trajectoire autre que celle héritée de ses pères et de sa mère ; elle est appréhendée comme un appel à aller vers les nations non juives ; elle s’avère être une nouvelle naissance ou mieux, une « anti-naissance » qui brise toute généalogie et toute identité, par le biais d’une filiation qui procède par l’identification au Fils. Autrement dit, à une identité possédée du fait d’une généalogie qui se prolonge indéfiniment de génération en génération, se substitue une identité messianique qui se reçoit d’un autre. Au zèle envers la tradition et à la poursuite-persécution contre les messianiques, qu’on peut situer sur une trajectoire horizontale, se substitue une trajectoire verticale, vers le haut, provoquée par l’irruption décisive et fulgurante (verticale elle aussi) du Christ ressuscité. Le moment de la « conversion » vient interrompre la répétition du même. Irruption et interruption, mais aussi identification au Christ, au messie, qui vide pour ainsi dire la nouvelle identité de son contenu. « Je est un autre » : Paul devient l’apôtre d’un autre, voire son esclave (Rm 1,1). Or, l’esclave dans le monde gréco-romain était dénué de toute identité, même d’un nom propre[19].
Je pose une seconde hypothèse dans le but de synthétiser la conception paulinienne « de Damas » : l’expérience paulinienne pourrait être condensée sous l’expression « effet de Sujet ». Je m’inspire d’une intuition du philosophe Alain Badiou, lui-même influencé par la psychanalyse lacanienne (Gignac 2008, 125-130). L’analyse de Badiou est agnostique et ne s’intéresse pas à l’expérience religieuse en elle-même, sinon pour faire de Paul de Tarse, d’une manière éminemment paradoxale, le modèle exemplaire de l’expérience que Badiou désigne sous le vocable « événement » (Badiou 1998 ; pour une présentation synthétique, voir Gignac 2007b). Dans la chronologie de l’histoire, tant individuelle que collective, Badiou distingue des moments « miraculeux » et vrais où surgit quelque chose. Il discerne quatre types d’événements : politique (révolutions), scientifique (mathématiques), artistique (création d’une oeuvre), amoureux. De tels événements ne surviennent pas toutes les semaines ni toutes les décennies. Ils sont exceptionnels et fabuleux, de l’ordre de la fable, seule capable de dire la vie. Or, l’événement suscite un « sujet » qui, simultanément et par effet de retour, lui donne existence par un acte de nomination. Le sujet interprète l’événement comme événement et en témoigne, et cette interprétation fait partie de l’événement. Autrement dit, sujet et événement existent l’un par l’autre ; le sujet n’existe pas indépendamment de l’événement. Précisons qu’il ne s’agit pas du je cartésien. Bien sûr, il y a un être humain qui expérimente quelque chose, mais la corrélation « événement/sujet » se situe au-delà de la phénoménologie et du constat. Le sujet n’est pas un je spectateur qui prend conscience d’un fait et le rapporte, mais il est celui qui est saisi par cet événement et qui, en même temps, cherche à saisir cet événement par un acte d’énonciation, sans le pouvoir vraiment. Ici, Badiou s’abstient de citer Ph 3,2-14, mais aurait pu le faire…
Le discours paulinien — un des premiers écrits au « je » dans l’Antiquité, sinon le premier — témoigne d’un effet de Sujet. J’utilise la majuscule pour marquer l’inadéquation avec le sujet de la conscience et pour rappeler que je modifie ici l’intuition de Badiou. Qu’est-ce à dire ? Dans la répétition prévisible et anecdotique des actions humaines, répétition qui constitue la trame d’une vie humaine emportée par une série de causes et d’effets, surgit soudain l’imprévu, l’impromptu, l’inouï, la pure contingence d’une expérience de plénitude. Je résume cette expérience sous l’expression : effet de Sujet. Expérience fulgurante et fugitive, inconditionnée et inconditionnelle, originelle et insaisissable, mais extrêmement forte et indélébile, où l’individu s’éprouve soudain comme Sujet, vivant, dynamisé, intégré, debout et en marche. C’est cela qu’aurait expérimenté Paul ou, du moins, est-ce ainsi qu’il le met en discours et en témoigne. D’où le schéma 3 :
Le Sujet témoigne d’un événement, sous le mode de la véridiction ; l’événement suscite un Sujet, sous le mode d’une vérité existentielle. Puisque Badiou n’a pas de cinquième catégorie pour désigner l’événement religieux (auquel, rappelons-le, il ne s’intéresse pas en soi), tentons une analogie avec l’événement amoureux, ainsi que nous y invite d’ailleurs l’histoire de la spiritualité chrétienne. L’expérience religieuse rejoindrait l’expérience amoureuse humaine dans une même « structure de foi » où, par une énonciation qui atteste d’une rencontre, le Sujet se laisse susciter, transformer, vivifier par cette rencontre, en la désignant comme « événement », alors qu’au plan factuel il ne s’agit que de l’accouplement insignifiant de deux primates, en vue de la reproduction de l’espèce. Les paroles balbutiantes « Je t’aime » et « Je suis aimé(e) » n’ont aucun sens sur le plan de l’énoncé et de sa véracité (c’est invérifiable), mais elles trouvent leur signification sur le plan de l’énonciation et de la véridiction, lorsque cet appel de l’un des partenaires devient à son tour « effet de Sujet » et réponse chez l’autre. Lorsque je dis ou j’entends « Je t’aime », je dois avoir confiance : seul le débordement de vie signale ou suggère que l’expérience amoureuse est vraiment révolutionnaire, effet de Sujet, structuration nouvelle de l’être.
En somme, si l’expérience « de Damas » est un « événement », au sens de Badiou, il est normal que Paul en témoigne sans l’ancrer dans le temps et l’espace de manière précise. Non que cela soit une invention, mais parce que, d’une part, les effets de l’événement sont durables et sa réalité constamment éprouvée comme actuelle (au double sens de présente et agissante) et que, d’autre part, cette imprécision permet d’en dire le caractère vraiment contingent et donc révolutionnaire. Or, rien n’explique une révolution ; celle-ci advient, rendant in-signifiant le passé (l’héritage juif de Paul) et suscitant par elle-même un Sujet dont l’existence sera dorénavant d’annoncer cette révolution (la mission apostolique de Paul). Ce Sujet révolutionnaire est une création nouvelle qui se donne « corps et âme » à cet événement, dans une identification qui ne saurait fonder une identité particulière, mais renvoie constamment au surgissement singulier de l’effet de Sujet. « Car, ce qui importe, ce n’est ni la circoncision, ni l’incirconcision, mais la nouvelle création » (Ga 6,15).
Paul affirme avoir fait une rencontre du Ressuscité sans que rien le prépare à cela, et non pas s’être « converti », au sens moral ou religieux d’un repentir, même si, bien sûr, il a réorganisé sa théologie en conséquence et adhéré à un nouveau groupe d’appartenance.
2.3 La mise en récit des Actes des Apôtres
Je ne veux pas proposer une analyse détaillée, mais en m’appuyant sur quelques études (Lohfink 1967, Hedrick 1981 ; Buitenwerf 2008 ; Cuvilier 2009), j’entends faire ressortir comment l’auteur des Actes des Apôtres (qu’on appelle, par convention « Luc ») est le premier à remplir les trous du témoignage paulinien. Par sa mise en intrigue narrative, qui diffère nécessairement d’une mise en discours, il fait entrer l’expérience paulinienne dans un cadre spatial et temporel. Il l’inscrit dans la durée et dans la chaîne des causes et des effets, et lui apporte une connotation psychologisante, même si, en définitive, l’initiative vient de Dieu qui tire les ficelles.
Preuve de son importance narrative, la scène de conversion est racontée trois fois par Luc, mais de manières différentes (Ac 9,1-25 ; 22,3-21 et 26,9-20) : la première, par le narrateur de l’oeuvre, à la troisième personne, et les deux autres, par le personnage de Paul lui-même, à la première personne (devant la foule qui veut le lyncher, à Jérusalem, puis devant le gouverneur Festus et le roi Agrippa, à Césarée). Rappelons rapidement les grandes lignes de la mise en scène du premier récit, qui est calqué sur un schéma « punition/repentir », présent dans la littérature biblique (comme ce qui arrive à Nabuchodonosor en Dn 3,31–4,34 ou à Héliodore en 2 M 3). Ce récit prend l’allure d’un parcours initiatique et d’un appel prophétique nominatif. Paul est en route pour Damas pour y traquer les disciples de Jésus. Soudain, une lumière l’enveloppe et il dialogue avec une voix qui l’interpelle deux fois par son prénom et qui se révèle être celle de Jésus, lorsque celui-ci s’identifie, à la suite de l’interrogation de Paul. Les compagnons de Paul, quant à eux, entendent la voix, mais ne voient personne (d’où on déduit que Paul a vu Jésus). En définitive, il s’agit d’une vision qui aveugle. Aveuglé et par conséquent aveugle, Paul est conduit à Damas où il jeûnera trois jours (symbole d’une mise au tombeau et d’une résurrection), avant qu’Ananias, envoyé par le Seigneur, le rejoigne, lui rende la vue et le baptise. Paul se met rapidement à prêcher l’Évangile, devra fuir Damas et se retrouvera bientôt à Jérusalem où Barnabé l’introduira auprès des apôtres.
Le récit de Luc reprend de nombreux éléments des lettres (le persécuteur, l’apparition du Christ, l’allusion à Damas, l’activité missionnaire immédiate, l’expérience comme passage de la mort à la vie), mais il ajoute des épisodes sur lesquels Paul fait l’impasse (cécité, médiation d’Ananias, baptême), voire contredit les propos de Galates selon lesquels Paul n’a surtout pas visité Jérusalem à ce moment-là, marquant ainsi l’indépendance de sa mission par rapport à la communauté de Jérusalem. Il y a aussi une omission de taille : aucun envoi en mission, sinon de manière indirecte, car seul Ananias est informé de la future carrière missionnaire de Paul (« Va, car cet homme est l’instrument que j’ai choisi pour porter mon nom devant les nations et les rois, comme devant les Israélites », Ac 9,15). L’expérience est publique et « objective », alors qu’elle semble être privée (1Co 15,8) et intuitive (Ga 1,16, « révéler en moi ») dans les lettres. Enfin, la description des Actes comble le laconisme paulinien, particulièrement au sujet de l’activité de persécution et de la christophanie, plus détaillées.
Deux éléments doivent être notés. Premièrement, le retournement de Paul s’inscrit dans une suite de « conversions » qui surviennent après la lapidation d’Étienne (à laquelle Paul assiste et qu’il approuve, Ac 7,54–8,1). Ces conversions illustrent le succès de la foi nouvelle et son avancée irrésistible. Elles fonctionnent en duo, missionnaire-converti : Philippe et l’eunuque éthiopien (Ac 8,26-40), Ananias et Paul (Ac 9), Pierre et Corneille (Ac 10) — où les « évangélisateurs » Ananias et Pierre vivent eux aussi une sorte de conversion de leur vision du monde, le premier devant initier son pire ennemi, le second devant accepter de baptiser un païen. Le contexte narratif est donc éminemment communautaire et le rôle des médiateurs dans le processus de conversion est accentué. Cela fait contraste avec la perspective autonome et individuelle des lettres.
Deuxièmement, la figure du persécuteur constitue la trame de l’intrigue. Avant la conversion, le personnage Paul est caractérisé par petites touches : « Saul approuvait le meurtre d’Étienne » (8,1) ; « Saul, lui, ravageait l’Église ; il pénétrait dans les maisons, en arrachait hommes et femmes et les faisait jeter en prison » (Ac 8,3) ; « Cependant Saul, qui respirait encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur, se rendit chez le grand prêtre et lui demanda des lettres pour les synagogues de Damas ; s’il y trouvait quelques-uns, hommes ou femmes, qui étaient de la Voie, il pourrait ainsi les arrêter et les amener à Jérusalem » (9,1-2). La christophanie elle-même est liée à cette activité de persécution, lorsque Jésus dit à Paul : « Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu ? » (9,4). Enfin, même après cette christophanie, Ananias s’objecte à la directive qu’il reçoit d’aller vers Paul : « Seigneur, j’ai entendu dire par beaucoup de gens tout le mal que cet homme a fait à tes saints à Jérusalem ; ici même, il a été investi par les grands prêtres de l’autorité pour arrêter tous ceux qui invoquent ton nom » (9,13-14). D’un côté, cela correspond bien au témoignage de Paul concernant son zèle, sa réputation établie d’ancien persécuteur et le caractère extrême (hyperbolique, à outrance) de la persécution qu’il mène. D’un autre côté, cela détonne par rapport à la manière dont Paul énonce les choses dans ses lettres, sans insister sur ses activités de persécuteur, sans les décrire ni les qualifier. Chez Paul, persécution et christophanie ne sont pas liées, mais simplement juxtaposées : c’est arrivé au moment où il était persécuteur, sans que l’une soit la cause de l’autre. Habilement, Luc donne un contenu à la révélation non décrite en Galates, révélation qui surgit du terreau de l’activité de persécution comme si elle y avait été semée. Or, si mon hypothèse d’éclairer Ga 1,16 par Ga 2,19-20 tient la route, Paul ne présente aucunement le Christ messie qu’il rencontre sous les traits de celui qui est persécuté à travers ses disciples persécutés, mais bien sous les traits du crucifié ressuscité auquel il s’identifie. Selon Luc, Paul se convertit parce qu’il était persécuteur ; selon Paul lui-même, il a cessé d’être persécuteur parce qu’il s’est identifié au Christ.
C’est bien en Ac 9, et non en Ph 3 ou Ga 1 que William James a pu trouver (ou retrouver) les paramètres de son modèle de la conversion : crise qui murit jusqu’à un paroxysme et qui se dénoue par une expérience religieuse en rapport avec elle. Ne manque qu’un coup de pouce vers une moralisation marquée du sceau de la repentance, frontière qui sera franchie par un disciple de Paul faisant parler son maître par le biais d’une pseudépigraphie :
[Christ Jésus] m’a jugé digne de confiance en me prenant à son service, 13 moi qui étais auparavant blasphémateur, persécuteur et violent. Mais il m’a été fait miséricorde, parce que j’ai agi par ignorance, n’ayant pas la foi. 14 Oui, elle a surabondé pour moi, la grâce de notre Seigneur, ainsi que la foi et l’amour qui est dans le Christ Jésus. 15 Elle est digne de confiance, cette parole, et mérite d’être pleinement accueillie par tous : Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs dont je suis, moi, le premier. 16 Mais s’il m’a été fait miséricorde, c’est afin qu’en moi, le premier, Christ Jésus démontrât toute sa générosité, comme exemple pour ceux qui allaient croire en lui, en vue d’une vie éternelle.
1Tm 1,12b-16, TOB 2010 — je souligne
Nous aurions ainsi trois énonciations différentes de Damas (avec ou sans guillemets) dans le Nouveau Testament, à ne pas confondre : 1) celle de Paul, succincte et christocentrique, qui insiste sur la vocation prophétique vécue sous un mode individuel ; 2) celle de Luc, dramatisée et ecclésiocentrique, qui insiste sur le caractère public et ecclésial de l’événement, qui agrège Paul à la communauté et a des conséquences importantes pour celle-ci (puisque le persécuteur disparaît) ; 3) celle de l’auteur de 1Tm, exhortative et centrée sur l’éthique, qui insiste sur un comportement moral à changer. Dans le premier cas, la conversion est un devenir apôtre ; dans le second cas, la conversion est l’entrée dans la communauté auparavant persécutée ; dans le troisième cas, la conversion est un repentir.
3. Conclusion
J’espère avoir démontré que le recours à Paul comme figure de la conversion est pertinent, dans une recherche multidimensionnelle et interdisciplinaire sur la question, ne serait-ce que parce que « Damas » habite l’imaginaire occidental, tant en théologie qu’en sciences des religions. De plus, les sciences humaines qui se penchent sur le phénomène de la conversion ont besoin d’une perspective théologique — que leur fournissent justement les textes théologiques laissés par Paul — pour pallier les angles morts que leurs propres outils ne peuvent scruter. Inversement, l’exégèse biblique — dont la visée est théologique ou non, mais qui travaille nécessairement sur du matériel théologique — a besoin des modèles des sciences humaines pour mieux évaluer, de manière critique, le discours du Nouveau Testament sur l’expérience de Paul.
S’il appert qu’il existe deux approches bien typées concernant la conversion, elles s’avèrent à mon sens complémentaires. Il s’agit d’une tension féconde qui traverse aussi l’exégèse biblique et qui est illustrée par les textes bibliques eux-mêmes. D’une part, l’approche « cause/effet » — elle-même déclinée en approches plus spécifiques : psychologique (dominante), culturelle, sociologique, historique — cherche à comprendre la conversion comme processus ancré dans un contexte individuel et collectif. Déjà, l’historiographe antique lucanien, dans sa rédaction des Actes des Apôtres, pourrait être considéré comme un précurseur de cette approche « cause/effet ». (Et d’ailleurs, son point de vue a peut-être eu beaucoup plus d’impact que les lettres sur l’émergence du modèle paulinien de conversion.) D’autre part, l’approche herméneutique — théologique et philosophique — cherche à explorer les possibilités de sens de l’expérience religieuse qu’est la conversion. Les lettres de Paul se situent elles-mêmes dans cette ligne, de par leur discursivité.
En partie, cette dualité d’approches recouvre la distinction « etic » et « emic ». On pourrait aussi reprendre la distinction de Dilthey entre expliquer et comprendre, entre l’interrogation du « Comment ? » et celle du « Pourquoi ? ». Contrairement à beaucoup d’études exégétiques fort pertinentes dont j’ai donné un aperçu dans la section 1 et qui privilégient l’option « cause/effet » (le « comment ? »), l’approche de cet article, dans la section 2, était de porter attention à la théologie qui se dégage de l’énonciation du discours paulinien comme tel (dans une ligne herméneutique, le « pourquoi ? »).
Toutefois, une lecture attentive de la mise en discours paulinienne proprement dite révèle une question plus fondamentale : « Quoi ? » Au-delà des changements constatables — Paul cesse d’être persécuteur et devient apôtre des païens non-juifs, laissant derrière lui son identité juive —, Paul renvoie constamment à l’expérience messianique relationnelle elle-même. Cette expérience comporte deux composantes. Elle provoque un effet de Sujet (deuxième hypothèse de cet article, selon laquelle la philosophie de Badiou éclaire effectivement l’énonciation paulinienne) ; elle produit une identification au Christ qui ne s’épuise dans aucune identité (première hypothèse de cet article, selon laquelle la révélation de Ga 1,16 est explicitée en Ga 2,19-20). Le théologien appréhende cette expérience avec un préjugé de foi favorable, puisqu’il la partage éventuellement (pour avoir vécu quelque chose d’analogue) et parce qu’il la suppose paradigmatique. Si « Damas » renvoie, en deçà de tout moralisme et de tout réductionnisme, à l’expérience chrétienne fondamentale, alors le théologien n’a pas d’objections à y accoler l’étiquette de « conversion ». Dès lors, celle-ci n’est plus synonyme de « crise », de « changement radical » ou d’« adhésion » à un nouveau groupe, mais bien synonyme de « rencontre ».
Parties annexes
Note biographique
Alain Gignac est professeur titulaire à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal et président de l’Association catholique des études bibliques au Canada (ACÉBAC). Spécialiste des lettres du Second Testament et des théories de l’interprétation, il vient de publier (2014) L’Épître aux Romains, Paris, Cerf (Commentaire biblique. Nouveau Testament 6).
Notes
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[1]
L’expression « chemin de Damas », en référence aux récits des Actes des Apôtres, est devenue proverbiale pour parler d’une conversion — même si mes étudiants la connaissent de moins en moins, déchristianisation oblige. Elle désigne au sens premier l’expérience de Saul/Paul, mais il faudrait toujours rajouter les guillemets et écrire : expérience « de Damas », car Paul lui-même ne mentionne jamais Damas (sinon indirectement) et cela dit beaucoup de l’interprétation qu’il fait de l’expérience. Nous y reviendrons.
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[2]
Même s’il s’agit d’un truisme, rappelons que la bibliographie sur la conversion est immense. On trouvera à la fin les études effectivement consultées. Pour un état de la question récent, voir Gooren (2010, 19-42) et Brandt (2009).
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[3]
Rappelons la célèbre définition de la conversion : « The process, gradual or sudden, by which a self hitherto divided, and consciously wrong inferior and unhappy, becomes unified and consciously right superior and happy, in consequence of its firmer hold upon religious realities. This at least is what conversion signifies in general terms, whether or not we believe that a direct divine operation is needed to bring such a moral change about. » (James 1902, 186).
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[4]
En proposant un bilan des problèmes que rencontre l’étude de la conversion, Rambo (2003, 213) pointe justement la corrélation entre la fluidité de la définition de la « conversion » et la perspective privilégiée pour son explication. En conséquence, il propose deux tâches à la recherche : 1) comment faut-il définir la conversion, et cela d’une manière qui prenne une distance par rapport au cadre traditionnel trop chrétien (voire paulinien) ? ; 2) comment réussir à équilibrer une approche « emic » (perspective d’autocompréhension) et « etic » (perspective extérieure) ?
-
[5]
Forgé à l’origine par Berger (1963), le concept sociologique d’alternation (au sens propre d’alternance) désigne d’abord l’oscillation vécue par celui qui change de groupe d’appartenance, entre son ancienne vision du monde et sa nouvelle. Or, Gaventa emploie le concept tel que réusiné par Travisano (1970), au sens second d’alternative, et il vaut mieux le traduire, en ce cas et sans jouer sur les mots, par « altération ».
-
[6]
Ainsi, même un sociologue pourra écrire : « To use a Pauline metaphor, sociologists, in their approaches to the study of conversion, have been more concerned with mapping the road to Damascus than with observing anything which individuals might experience while travelling on that road » (Taylor 1976, 9 — un autre exemple de l’influence du modèle paulinien de conversion).
-
[7]
D’un point de vue « sciences des religions » assez réfractaire à la théologie, ce danger est reconnu même par Proudfoot (1985), qui propose de distinguer entre « descriptive reduction » et « explanatory reduction ». La première ignore l’autocompréhension de la personne qui vit l’expérience religieuse et n’est donc pas souhaitable, tandis que la seconde est correcte, scientifiquement, puisqu’elle entend cette autocompréhension (« emic ») même si elle avance éventuellement une explication (« etic ») susceptible de contredire celle-ci. On a louangé cette monographie en ce qu’elle clarifie ce que n’est pas « l’expérience religieuse », mais on lui a reproché de ne pas proposer une description ou définition alternative positive — ce que c’est. Cela dit, une des limites du présent essai est d’utiliser l’expression « expérience religieuse » selon le sens commun, sans prétendre apporter plus de précisions.
-
[8]
Parmi les études majeures qui permettent de brosser un état de la question, mentionnons les articles de Hurtado (1993) et Brady (2006), les monographies de Gaventa (1986), Segal (1992), Peace (1999) et Ashton (2000), et un collectif sous la direction de Longenecker (1997). On voit que le sujet était plus populaire dans la décennie 1990 qu’actuellement. Pour un survol de la Wirkungsgeschichte, voir Corley (1997).
-
[9]
Même si l’hypothèse du drame familial est complètement spéculative, j’évoque avec respect la figure de Jérôme Murphy-O’Connor, o.p. (1935-2013), dont j’apprends le décès au moment de finaliser cet article. Le chercheur de l’École archéologique et biblique française de Jérusalem aura été une grande figure des études pauliniennes de la fin du siècle.
-
[10]
Les auteurs tentent de poser à distance un diagnostic qu’ils savent risqué, à partir de symptômes collectés dans les écrits non cliniques que sont les écrits bibliques. Ils découvrent ainsi une tendance paranoïde et à tout le moins un « mood disorder » chez Paul. « Analysis reveals that these individuals [Abraham, Moses, Jesus, and St. Paul] had experiences that resemble those now defined as psychotic symptoms, suggesting that their experiences may have been manifestations of primary or mood disorder-associated psychotic disorders. » (Murray, Cunningham et Price 2012, 410) Spécifiquement, Paul aurait souffert d’hallucinations auditives et visuelles, et de « paranoid-type (PS subtype) thought content », c’est-à-dire de « delusions [which] are typically persecutory or grandiose or both [… while] other themes, such as jealousy, religiosity, or somatization may also occur. » (413). L’exercice n’est pas à rejeter d’emblée, mais procède à tout le moins d’une approche naïve des textes dont les données, lues au premier degré, ne sont pas traitées de manière critique, tant au plan littéraire qu’au plan historique (un exemple où l’interdisciplinarité aurait été bienvenue). De plus, on s’étonne de l’adéquation posée entre expérience religieuse ou mystique et maladie psychotique, un raccourci qui ne devrait plus exister en ce début de siècle…
-
[11]
La position de Pilch s’avère ambiguë. D’une part, on peut accepter sa suggestion que la culture du ier siècle envisageait l’état altéré de conscience comme l’occasion d’une communication divine. D’autre part, Pilch ne cesse de fonder son concept d’état altéré de conscience sur certaines études neuroscientifiques actuelles (par ailleurs jamais contextualisées ni critiquées) et n’est pas loin d’une posture positiviste où la réalité d’un état altéré de conscience démontrerait que le divin se communique effectivement. Autrement dit, dans le prolongement de la note 4, il y a télescopage de « l’emic » (croyances du ier siècle) et « l’etic » (explication scientifique contrôlée). Prendre en compte que les humains du ier siècle comprenaient religieusement les états altérés de conscience ne nous permet pas de les interpréter nous-mêmes de cette façon ! Voir l’excellente recension de Eve (2012).
-
[12]
Ainsi que je l’annonçais en note 1, j’utilise dorénavant les guillemets pour bien marquer que le compte-rendu paulinien de l’expérience la situe hors lieu et hors temps.
-
[13]
Autre allusion possible : 2Co 4,1-6, où il est question du dévoilement de « la lumière de l’Évangile de l’éclat du Christ, qui est l’image de Dieu », car Dieu « a brillé dans nos coeurs, lumière de la connaissance de l’éclat de Dieu, qui est sur la face de Christ » (Osty et Trinquet 1973 modifié).
-
[14]
Lors d’une conversation captivante, mon collègue de Fribourg, Philippe Lefebvre, m’a fait remarquer que Paul, de la tribu de Benjamin (Ph 3,5) se décrivait typologiquement comme un nouveau Benjamin : le petit dernier, treizième de la famille, à la naissance difficile (Rachel est morte en donnant naissance à Benjamin et fut « mise au tombeau », comme il est dit du Christ en 1Co 15,4).
-
[15]
La devise olympique « Citius, Altius, Fortius » signifie : plus vite, plus haut, plus fort.
-
[16]
Dans le débat sur la signification de l’expression pivsti~ Cristou`, foi en Christ (génitif objectif) ou foi du Christ (génitif subjectif), je me situe parmi les tenants de la deuxième option. Pour un état de la question, voir Dunn (1997), Hays (1997), Bird et Sprinkle (2010), Easter (2010).
-
[17]
Il y a un consensus pour voir dans l’énonciation paulinienne du v. 15 un mimétisme de l’appel prophétique de Jr 1,5 et Is 49,1.
-
[18]
Le schéma 2 suit la narration paulinienne où Paul mentionne d’abord sa trajectoire en judaïsme et dans les traditions de ses pères, pour n’évoquer sa mère qu’au moment de la christophanie. Chronologiquement — une perspective que Paul évacue constamment — il aurait fallu interchanger les dessins de la mère (temps zéro de la vie) et ceux du père (temps de l’apprentissage et de l’inscription dans une culture, qui confère une identité).
-
[19]
Revoir dans cette ligne de non-identité les belles pages de Giorgio Agamben (2000, 48-50) : « Être messianique, vivre dans le messie signifie la dépossession, sous la forme du comme non, de toute propriété juridico-factuelle (circoncis/non-circoncis, libre/esclave ; homme/femme) ; mais cette dépossession ne fonde pas une nouvelle identité, et la « nouvelle créature » n’est que l’usage et la vocation messianique de l’ancienne (2Co 5, 17 […]) » (48).
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