Volume 21, numéro 1, 2013 L’archéologie et la Bible Sous la direction de Alain Gignac
Sommaire (12 articles)
Liminaire
Thème
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L’origine des cités-royaumes cypriotes et des royaumes d’Israël et de Juda : simultanéité et similitudes
Thierry Petit
p. 23–49
RésuméFR :
Sur la question de l’origine des cités-royaumes de Chypre à l’Âge du Fer existe une controverse similaire à celle qui concerne l’existence du royaume unifié et l’émergence des États d’Israël et de Juda au Levant. Les uns soutiennent qu’ils seraient apparus au début de l’Âge du Fer, soit au xiie ou au xie s., les autres qu’ils émergent dans le courant du viiie s. sous l’influence de l’expansion phénicienne. On se propose de démontrer ici que les corrélats archéologiques de l’État à Chypre ne sont perceptibles qu’à partir du viiie s. En particulier, les découvertes au Palais d’Amathonte corroborent la « théorie phénicienne ». On peut donc situer Chypre dans le même mouvement de diffusion du modèle étatique par les Phéniciens que celui qui aboutit à la constitution des royaumes d’Israël et de Juda, respectivement au ixe et au viiie s. av. JC, selon les défenseurs de la chronologie basse.
EN :
There is a similar controversy over the origin of Cyprus’ City-states in the Iron Age to the one there is concerning a unified Kingdom and the emerging states of Israel and Judah in the East. Some believe they appeared in the early Iron Age—that is in the xiith or xith century. Others believe they appeared during the viiith century, under the influence of the Phoenician expansion. I intend to show in this paper that archaeological similarities with the Cyprus State are only visible around the viiith century. Findings in the palace of Amathus in particular give weight to the “Phoenician theory”. As a consequence, Cyprus can be understood to belong to the same trend of Phoenician state organization model as the one that lead to the constitution of the Kingdoms of Israel and Judah in the ixth and viiith centuries B.C. according to the contenders of the “Low Chronology”.
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L’énigme topographique de Gibea : archéologie de terrain et « archéologie » des textes
Christophe Lemardelé
p. 51–66
RésuméFR :
Tout récemment, l’archéologue Israel Finkelstein a récusé l’identification du site de Tell el-Ful comme pouvant être la cité biblique de Gibea. Sans remettre en cause sa lecture de la stratigraphie du site, il apparaît toutefois qu’on ne peut tirer de conclusion définitive à partir des données d’un site confrontées trop directement à ce que dit la Bible. En effet, si l’on procède à une « archéologie » des mentions de la ville dans les textes bibliques, il ressort qu’elle ne fut pas la cité fortifiée de Saül et que le massacre des habitants de Gibea peut être envisagé comme postérieur à ce roi, bouleversant la chronologie biblique habituelle. Pour faire de l’histoire avec la Bible, il importe de se baser sur une archéologie scientifique mais également sur une critique des textes bibliques totalement émancipée de leurs enjeux théologiques.
EN :
Recently, Israel Finkelstein published an article about the archaeological site of Tell el-Ful and against its usual identification as Gibeah. Of course, the analysis of the stratigraphy is correct but the interpretations are not totally convincing because we cannot continue to interpret a site with the biblical facts in our mind. Concerning Gibeah, after the analysis of its mentions in the Bible, we cannot say that it was indeed King Saul’s fortified place, and the crime of Gibeah (Judges 19-21), or the days of Gibeah (Hoseah 9-10), could be an event not so ancient — not before but after Saul. Indeed, we cannot keep the biblical chronology if we want to have access to the ancient history of the Israel’s kingdom. The scientific archaeology is necessary for this but the exegesis of the biblical texts must be led without any theological concern.
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« Coupez-le en deux... » (1R 3,25) : la question de la royauté unifiée sous le couperet de l’archéologie
Robert David
p. 67–96
RésuméFR :
La période dite de la « royauté unifiée » en Israël pose de plus en plus de problèmes aux exégètes, aux historiens et aux archéologues. Les débats sont houleux, les positions contradictoires, les arguments évoqués sont utilisés pour soutenir des thèses diamétralement opposées. Le présent article veut présenter quelques données tirées principalement des débats qui ont cours dans le domaine de l’archéologie, qu’il s’agisse du recours à la poterie, au Carbone 14 ou aux inscriptions, entre autres, pour illustrer les tensions qui existent entre les chercheurs, et les difficultés rencontrées quand vient le temps de tenter de présenter un consensus qui rallierait la majorité. L’impasse observée invite à considérer peut-être l’option de s’imposer un moratoire sur les études qui tentent d’établir des liens entre textes bibliques et archéologie.
EN :
The so-called period of the « United Monarchy » in Israel continues to raise serious problems for exegetes, historians and archaeologists alike. The debates are fierce, the views contradictory, and the arguments presented substantiate diametrically opposed theses. Drawing mainly on the ongoing debates in the field of archaeology, this paper presents data such as the use of pottery, 14C or inscriptions, to illustrate how tensions between scholars of diverse disciplines make it impossible to achieve a consensus. This impasse beckons a call to articulate a moratorium on research that tries to establish links between biblical texts and archaeology.
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La Jérusalem souterraine du temps d’Ézéchias : le tunnel de Siloé
Maria Gorea
p. 97–116
RésuméFR :
L’histoire de la découverte à Jérusalem d’un système hydraulique complexe sous la colline méridionale où fut creusé le tunnel de Siloé et de l’une des inscriptions hébraïques de la plus haute importance pour cette région avare en documents de nature épigraphique illustre de quelle manière une série de faits, dont certains fortuits, s’est posée à l’origine d’une reconstitution qui a mobilisé et continue de le faire des spécialistes du terrain et ceux du texte biblique, en brisant les barrières disciplinaires.
EN :
This paper deals with the excavations’ history of the Siloam tunnel on the Southern hill of Jerusalem, and the record of one of the most important Hebrew inscriptions. This major epigraphical discovery as well as the tunnel survey illustrate in which manner a series of material facts, some fortuitous, was behind the reconstruction of the past, which mobilized in a concerted way archaeologists and specialists of the biblical text until today, thus breaking the disciplinary barriers.
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La figure d’Hérode d’après les sources épigraphiques et numismatiques
Christian-Georges Schwentzel
p. 117–139
RésuméFR :
Les documents épigraphiques et numismatiques en lien avec le pouvoir hérodien ne vont pas vraiment à l’encontre de ce que nous révèlent les sources textuelles au sujet d’Hérode. Ils confirment plutôt la complexité du roi et de sa politique, une complexité dont l’évocation n’est pas absente de l’oeuvre de Flavius Josèphe. Les inscriptions des amphores de Massada ou encore les types monétaires hérodiens nous font apparaître Hérode comme un souverain revendiquant son appartenance à l’ethnos juif, tout en affirmant sa parfaite intégration dans le monde gréco-romain de l’époque.
EN :
Study of the epigraphical and numismatical material connected with the Herodian State does not contradict the information given by the textual sources. On the contrary, it confirms the complexity of Herod and the Herodian politics as reported by Josephus. The Latin inscriptions on the amphorae found in Masada and the iconography of the Herodian coins show us Herod as a king claiming his Jewishness, but, at the same time, perfectly integrated in the Graeco-Roman world.
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Situation sociale de la Galilée d’Antipas et de Jésus : modèles sociaux et/ou archéologie
Jean-Paul Michaud
p. 141–171
RésuméFR :
Les recherches sur le Jésus de l’histoire se sont concentrées récemment sur le contexte social de la Galilée d’Hérode Antipas, milieu qui fut aussi celui de Jésus de Nazareth. Deux positions séparent actuellement les spécialistes. La première, basée spécialement sur les modèles sociaux, présente, comme contexte de l’activité de Jésus, une Galilée déchirée par de graves conflits économiques et sociaux. La seconde, au contraire, se basant sur les données archéologiques disponibles, dessine le portrait d’une Galilée plutôt économiquement florissante au ier siècle. Galilée selon les modèles ou Galilée selon ce qu’en découvre l’archéologie sur le terrain ? L’article montre que l’interprétation de crise, issue des projections catastrophiques des modèles, n’est pas confirmée par les recherches archéologiques récentes.
EN :
Recent research on historical Jesus has concentrated on the social context of Herod Antipas’ Galilee, the milieu of Jesus of Nazareth. Currently, two positions lead scholarly debates. The first, based on sociological models, presents a Galilee torn by serious economic and social conflicts as the context of Jesus’ activity. The second, based on the available archaeological evidence, portrays first century Galilee as rather economically prosperous. Galilee according to sociological theory or Galilee revealed by what archaeology has recovered from the ground ? This article shows that the interpretation of crisis, born of the catastrophizing projections of the models, is not confirmed by recent archaeological research.
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Jésus de Nazareth et l’archéologie de la Galilée : quelques réflexions d’un historien
Pierluigi Piovanelli
p. 173–189
RésuméFR :
La recherche actuelle sur le Jésus de l’histoire s’efforce de recontextualiser l’homme de Nazareth dans la société et la culture qui furent les siennes. Pour ce faire, il est primordial de pouvoir déterminer quel était le niveau de la romanisation de la Galilée au ier siècle de notre ère, s’il y avait des tensions sociales, des phénomènes d’acculturation ou de résistance. Les données archéologiques suggèrent que, en dépit de la prospérité et du calme apparents, les communautés rurales de la Galilée refusèrent d’adhérer aux valeurs du monde romain. Trois ouvrages récents se signalent tout particulièrement pour la volonté de leurs auteurs de réinscrire Jésus dans une perspective régionale galiléenne.
EN :
Contemporary historical Jesus research is making a considerable effort to situate the man from Nazareth within the context of his own society and culture. In order to accomplish this, it is extremely important to be able to ascertain the degree of Romanization within first century C.E. Galilee, to know if there were social tensions, as well as to identify phenomena of acculturation or resistance to it. Archaeological data suggests that, in spite of a relatively good level of opulence and tranquility, rural Galilean communities refused to adopt the values of the Roman world. Three recent monographs are of note for the attempt on the part of their authors to take a new look at Jesus from a regional Galilean perspective.
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La communauté paulinienne de Philippes à la lumière de l’archéologie historique : considérations méthodologiques
Marie-Françoise Baslez
p. 191–212
RésuméFR :
L’importance des fouilles archéologiques de Philippes, première fondation paulinienne en Europe, ainsi que leur longue histoire, offre l’occasion de réfléchir sur les rapports entre Bible et archéologie. Le bilan historiographique met en évidence des surinterprétations et des anachronismes, afin de faire « coller » les vestiges au texte des Actes des apôtres ou, au contraire, provoquer la tradition chrétienne en avançant des hypothèses hasardeuses sur de nouvelles découvertes et les silences des textes. À Philippes, l’intérêt historique des inscriptions l’emporte sur celui des vestiges et permet de restituer un contexte religieux et culturel de la mission chrétienne dans la moyenne durée, sinon pour la période précise du passage de l’apôtre. Mais c’est surtout la construction de la mémoire de saint Paul au cours des trois premiers siècles, comme héros fondateur et martyr intercesseur, que les vestiges archéologiques permettent d’étudier.
EN :
The value of the long-standing archaeological excavations at Philippi, where Paul is said to have preached for the first time on European soil, lies in the opportunity they offer to reflect on the relationships between the Bible and archaeology. The historical record has often been characterized by over-interpretation and anachronism, the intention being to make the remains ‘fit’ with the Acts of the Apostles, or, on the contrary, to upset Christian tradition by putting forward risky hypotheses about new discoveries and the silences in the texts. At Philippi the historical interest of the inscriptions outweighs that of the remains and allows us to restore a religious and cultural context to the Christian mission in the medium term, or indeed for the exact period when the apostle was there. But above all it is the construction of the memory of St Paul over the course of the first three centuries, as founding hero and martyr-intercessor, which the archaeological remains allow us to study.
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1 Corinthiens et l’archéologie : douze dossiers-test
Daniel Gerber
p. 213–245
RésuméFR :
Quel profit y a-t-il à interroger l’archéologie pour commenter la première lettre de Paul aux Corinthiens, alors même que les communautés pauliniennes des premiers temps n’ont pas laissé de traces visibles de leur existence ? Une reprise critique de douze dossiers-test, s’appuyant entre autres sur les actes de travaux interdisciplinaires publiés en 2005 et en 2010, tente de répondre à cette question relancée en 1983 par Jerome Murphy O’Connor. Si l’éclairage qu’apporte l’archéologie sur l’épître envoyée à ceux qui construisaient leur identité en Christ dans la cité isthmique vers le milieu du premier siècle est le plus souvent indirect, son apport est cependant loin d’être négligeable, dans la mesure où cette discipline s’intéresse aujourd’hui également au quotidien des petites gens.
EN :
What profit is there to turn to archaeology to comment on Paul’s First Corinthians when the first Pauline communities did not leave visible signs of their existence ? A critical assessment of 12 test-cases based—among other things—on interdisciplinary researches published from 2005 to 2010 tries to answer this question raised in 1983 by Jerome Murphy O’Connor. If the light that archaeology sheds on this epistle that was sent to those who were building their identity in Christ in the isthmic city around the middle of the first century shines often indirectly, its contribution is far from being negligible—considering this discipline takes great interest today in the common people’s everyday lives.
Post-scriptum
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Jeter l’historicisme, relativiser l’historicité, penser autrement la révélation et l’incarnation : « Histoire et théologie » dans une perspective narratologique
Alain Gignac
p. 247–275
RésuméFR :
L’archéologie biblique, devenue syro-palestinienne, s’est sortie de son cadre épistémologique historiciste. Mais qu’en est-il de la théologie elle-même dans son rapport à l’histoire ? Peut-on respecter l’historicité de la condition humaine — une grande découverte de la modernité — sans pour autant en faire le critère absolu de notre compréhension du monde ou sans demeurer dans une vision historiciste des « interventions » de Dieu dans le cours de l’histoire ? Peut-on penser révélation et incarnation autrement ? Le questionnement n’est pas nouveau mais mérite d’être repris encore une fois. Après avoir rappelé rapidement les acquis et impasses du débat (à travers les positions de Sesboüé, Bühler, Yarbrough et Pelletier), l’article propose une alternative narratologique — (post)moderne ? — à la compréhension moderne de divers concepts : « événement », « vérité », « révélation », « histoire », » historicité ».
EN :
Biblical archeology, or more accurately Syro-Palestinian archeology, has come out of its historicist epistemological frame. But how does theology itself fare in its own relation to history ? Can one respect the historicity of human condition—discovered by Modernity—without making of it an absolute criterion of one’s understanding of the world, or without maintaining an historicist vision of God’s mighty acts in the course of history ? Would there be another way of looking at Revelation and Incarnation ? This questioning is not new but it still deserves to be looked at once more. After reviewing the state of the debate, as illustrated by the positions of Sesbouë, Bühler, Yarbrough and Pelletier, this contribution offers a narrative—postmodern ?—alternative to the modern understanding of several concepts such as « event », « truth », « revelation », « (hi)story » and « historicity ».