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Ce début du XXIe siècle est marqué par une digitalisation progressive de l’économie à l’échelle mondiale. Ce phénomène est de plus en plus largement étudié, notamment pour les transformations structurelles qui l’accompagnent, affectant de multiples aspects des sociétés humaines. L’intérêt pour ces transformations a également pénétré le champ des études en tourisme, où la recherche dépasse à présent la question de l’adoption des technologies numériques par les touristes et les prestataires de services pour en investiguer les différents enjeux et effets structurels ou institutionnels : adéquation des formations et compétences aux nouveaux besoins du secteur, gestion et gouvernance des destinations touristiques dans un contexte de tourisme digitalisé, etc.

C’est à la question de la transformation des modes de gestion et de gouvernance des destinations touristiques que le présent article entend contribuer. Plus précisément, nous visons à décrire comment cette transformation s’opère concrètement en examinant le cas de la Région de Bruxelles-Capitale. De cette description, nous ferons ressortir les enjeux qui en découlent pour les organismes de gestion de destinations touristiques (OGD) et les écarts observés entre le champ des idées, notamment celles sur la destination intelligente (smart tourism destination), et les actions menées sur le terrain par les acteurs touristiques, avec leurs moyens et leur compréhension du système dans lequel ils évoluent. Pour les besoins de cet article, nous définirons la gestion d’une destination touristique comme la coordination et le management de tous les éléments qui composent la destination (UNWTO), suivant une stratégie globale. La tâche de gestion d’une destination est souvent, mais pas toujours, confiée à un OGD. La gouvernance est abordée, quant à elle, comme l’une des composantes de la gestion ; elle porte plus précisément sur le développement de règles et de stratégies en matière de politiques touristiques, tout en assurant la coordination des institutions du secteur (Beritelli et al., 2007).

La suite de cet article commence par une revue de la littérature sur les rôles des acteurs touristiques dans la gestion et la gouvernance des destinations et la manière dont les différents auteurs abordent les modifications de ces rôles dans le contexte d’une digitalisation accrue du tourisme. S’ensuivent une présentation contextuelle du mode de gestion et de gouvernance de Bruxelles, puis la présentation de la méthodologie et des résultats obtenus concernant les modifications apportées pour répondre aux enjeux posés par la digitalisation. Ces résultats seront ensuite discutés à la lumière des connaissances disponibles dans la littérature et des pistes seront proposées en vue d’approfondir la compréhension du processus de transformation digitale en cours dans les destinations touristiques.

Revue de la littérature

Le rôle des acteurs touristiques dans la gestion des destinations

La littérature sur les rôles des acteurs en matière de gestion de destination touristique accorde une importance croissante à la participation et à la coopération entre les acteurs touristiques, notamment en raison de la professionnalisation du secteur. Pour des auteurs tels que Larry Dwyer et Chulwon Kim (2003) ou Pietro Beritelli, Thomas Bieger et Christian Laesser (2014), il appartient à l’OGD de faciliter cette collaboration, notamment par la coordination des acteurs, tout en assurant le développement et l’attractivité de la destination – généralement dans une perspective de croissance des flux touristiques. Cette vision du rôle de l’OGD est partagée par d’autres auteurs qui distinguent deux types de missions (Presenza et al., 2005 ; Volgger et Pechlaner, 2014). D’une part, les missions relatives au marketing externe de la destination qui visent principalement la promotion de la destination. Ces missions touchent, par exemple, à la définition d’une stratégie marketing ou d’une image de marque pour la destination. D’autre part, les missions relatives au développement interne de la destination qui touchent, quant à elles, à la coordination des acteurs du système touristique. Il est attendu de l’OGD qu’il se positionne en tant que médiateur et gestionnaire de réseau (Volgger et Pechlaner, 2014).

En effet, dès lors que l’activité touristique au sein d’une destination se caractérise par les actions d’acteurs multiples, qu’ils soient publics ou privés, les chercheurs soulignent l’intérêt de les amener à collaborer en vue d’améliorer, par leur coordination, l’efficacité du déploiement des ressources (Nordin et Svensson, 2007 ; Pechlaner et al., 2012 ; Volgger et Pechlaner, 2014). Mariangela Franch, Umberto Martini et Federica Buffa (2010) vont plus loin en distinguant deux types d’acteurs : les acteurs dits « primaires » dont la participation est essentielle à la survie du système et qui disposent généralement de plus de pouvoir, de légitimité et de ressources ; et les acteurs dits « secondaires » qui influent sur le réseau et sont influencés par celui-ci, mais ne sont pas considérés comme essentiels à sa survie. Selon Franch et ses collègues (2010), tous les acteurs touristiques ne peuvent avoir le même poids en raison de la position qu’ils occupent au sein du réseau, de leur degré d’influence et de pouvoir au sein de celui-ci. Cette position et ce degré d’influence peuvent varier d’une destination à l’autre. C’est alors aux pouvoirs publics et/ou à l’OGD qu’il appartient, aux yeux de ces auteurs, de développer la stratégie touristique de la destination, en assurant que les acteurs primaires soient des acteurs primordiaux au bon fonctionnement du système (ibid.).

Afin de réussir à coordonner les différentes organisations autonomes qui composent le réseau – leurs intérêts et visions étant parfois divergents (Dredge, 2006 ; Nordin et Svensson, 2007) –, une forme de gouvernance semble essentielle (Provan et Kenis, 2007 ; Thees et al., 2020). Alors que la littérature relève une tendance à la décentralisation de la gouvernance, en encourageant la participation des acteurs de la destination, la nécessaire coordination d’un tel système reste au cœur du raisonnement pour atteindre les objectifs collectifs qui sont fixés (D’Angella et al., 2010). Cela implique que les acteurs s’accordent sur des objectifs qui servent le développement de la destination dans son ensemble (Beritelli et al., 2014). Ce défi est d’autant plus important que le réseau d’une destination touristique est composé de multiples sous-systèmes – tels l’hôtellerie, les attractions touristiques, les musées ou encore le secteur des événements professionnels – soumis à des dynamiques différentes (Moretti, 2017). La tâche de créer un environnement favorable à la collaboration entre ces multiples acteurs est généralement attribuée à l’OGD. C’est pourquoi la littérature tend à insister sur la nécessité que celui-ci dispose de capacités de coordination et de réseautage (Volgger et Pechlaner, 2014).

Conceptualisation de la gestion des destinations touristiques dans un contexte de déploiement croissant des technologies numériques

La littérature s’intéressant à la gestion des destinations touristiques où la présence des technologies numériques s’est intensifiée (ou est appelée à le faire) tend à puiser dans un corpus plus général alimenté depuis plusieurs années, et qui porte sur la notion de « ville intelligente » (smart city). Au-delà de cet ancrage, il existe une grande diversité d’approches relatives à l’adoption des nouvelles technologies, tantôt sous l’angle de la « transition digitale », tantôt sous celui de la « transformation organisationnelle ». Ce phénomène relève d’un processus complexe qui associe tant les caractéristiques de l’outil, les normes sociales (Rogers, 1995), ou encore la nature de l’initiative et l’environnement dans lequel elle se déploie (Besson et Rowe, 2011 : 8). L’adoption d’une innovation n’est donc pas un processus qui va de soi, même si celle-ci suppose a priori des résultats positifs (Rogers, 1995). Le recours à la notion de ville intelligente se justifie par le fait que celle-ci ne se limite pas à la seule adoption des technologies, mais s’intéresse plus largement aux défis qu’elle peut représenter en termes de gouvernance (Ivars-Baidal et al., 2019).

La notion de « ville intelligente » est abordée selon deux approches principales, soit comme objet d’étude, soit comme élément d’une idéologie marketing qu’il faudrait appliquer et promouvoir au sein des villes. Dans ce second cas de figure, la notion fait référence à l’utilisation des technologies numériques pour optimiser la production et la consommation des ressources (Gretzel et al., 2015), ce qui amène certains auteurs à l’inscrire dans une perspective de durabilité du développement urbain (Gretzel et al., 2015 ; Ivars-Baidal et al., 2019). Appliquée au secteur du tourisme – où l’on parle de « destination intelligente » –, cela implique la fusion des technologies numériques avec les infrastructures traditionnelles – non numériques – afin de les mettre au service du développement et de l’attractivité de la destination (Del Chiappa et Baggio, 2015 ; Gomes et al., 2017 ; Gretzel, 2022).

Il est toutefois intéressant d’observer que, pour Mattias Höjer et Josefin Wangel (2015), le concept d’« intelligence » (smartness) ne fait pas tant référence aux avancées technologiques en elles-mêmes, mais plutôt à l’interconnexion, la synchronisation et l’utilisation coordonnée des différents types de technologies. Ainsi, la seule utilisation de technologies au sein d’une destination n’en ferait pas directement une ville intelligente. Kim Boes, Dimitrios Buhalis et Alessandro Inversini (2016) vont dans le même sens en précisant que l’utilisation des technologies n’acquiert de la valeur que lorsqu’elle se fait en association avec les ressources humaines et la structure sociale. Certains chercheurs font d’ailleurs la distinction entre hard smartness – c’est-à-dire les technologies mêmes – et soft smartness – le capital humain, la force de travail et les compétences –, toutes deux étant considérées comme essentielles au fonctionnement des villes intelligentes (Della Corte et al., 2017). Les données numériques sont également des composantes centrales des villes intelligentes (Del Chiappa et Baggio, 2015 ; Boes et al., 2016 ; Ivars-Baidal et al., 2019). En effet, l’exploitation de celles-ci est présentée comme un des moteurs de l’innovation pour une destination (Ivars-Baidal et al., 2019). Mais la ville intelligente ne se limite pas à l’exploitation des données, leur diffusion étant elle aussi centrale pour assurer la collaboration et l’échange de données entre les divers acteurs de la destination (Errichiello et Micera, 2021).

Par ailleurs, nous observons que la rhétorique relative à la ville intelligente tend à substituer la notion d’« écosystème » touristique à celle de « système », concept à visée analytique ancré dans la théorie générale des systèmes (von Bertalanffy, 1973). Selon les auteurs qui la soutiennent, cette notion d’« écosystème touristique intelligent » (smart tourism ecosystem) traduirait la prise en compte, dans le système touristique, d’une composante nouvelle : les technologies numériques (Gretzel et al., 2015 ; Boes et al., 2016). Dimitrios Buhalis et Aditya Amaranggana (2014 : 554) définissent ce sous-système technologique comme devant être en « synergie avec les composantes sociales afin d’améliorer la qualité de vie des citoyens et les services de la destination pour plus d’attractivité et de compétitivité ». Nous ne débattrons pas ici de l’intérêt scientifique de recourir à ce nouveau terme, mais nous retenons que son émergence dans la littérature scientifique peut être vue comme l’introduction d’une idée de changement profond dans la gestion des destinations touristiques qui serait alimenté par l’adoption croissante des technologies numériques et qui justifierait une nouvelle manière de l’aborder scientifiquement.

Concernant la coordination et la collaboration entre acteurs, au centre des préoccupations de cet article, nous retenons que l’idée promue au sein de la littérature scientifique, essentiellement conceptuelle, est qu’une destination intelligente reposerait sur la volonté des acteurs touristiques d’utiliser des infrastructures technologiques existantes afin de créer un environnement digital favorisant la coopération, le partage des connaissances et l’innovation (Del Chiappa et Baggio, 2015). Une importance particulière est accordée aux interactions et à l’interconnexion entre les acteurs, notamment grâce à des partenariats publics-privés, afin de stimuler l’échange de ressources et d’informations pour servir le développement de la destination (Neuhofer et al., 2012 ; Della Corte et al., 2017). Dès lors, d’après les auteurs cités, les technologies sont perçues comme une opportunité qu’il faut saisir pour renforcer la coopération et la cocréation de valeur entre les acteurs et ainsi permettre de créer et de fournir des expériences touristiques innovantes (Gretzel et al., 2015 ; Boes et al., 2016). Cela implique que les technologies numériques soient exploitées à des fins de collecte, d’analyse et de diffusion d’informations et de données au sein du système d’acteurs touristiques (Boes et al., 2016).

Dans son application plus concrète, trois conditions apparaissent comme étant fondamentales dans le déploiement d’une ville intelligente :

  • la transversalité, qui renvoie à la fusion entre technologies et infrastructures traditionnelles – dans le but d’appuyer le développement et la compétitivité de la destination (Del Chiappa et Baggio, 2015 ; Gomes et al., 2017 ; Gretzel, 2022) ;

  • la mutualisation des ressources, autrement dit leur diffusion (Baggio et al., 2010), sachant que les ressources peuvent être de plusieurs natures (financières, humaines, informations et connaissances) ;

  • les synergies entre acteurs des secteurs public et privé, qui ne constituent pas un élément propre à la ville intelligente, mais qui sont perçues ici comme un enjeu essentiel pour remplir la condition de mutualisation des ressources. Les technologies sont considérées comme un moyen de soutenir une dynamique de réseau, en facilitant la circulation des ressources, en particulier des informations, des données et des analyses du secteur (Nordin et Svensson, 2007 ; Pechlaner et al., 2012).

Destinations intelligentes et modèles de gouvernance

Nous observons que la digitalisation croissante du secteur fait émerger de nouveaux besoins et de nouvelles dynamiques dans la gestion d’une destination touristique. Selon Josep A. Ivars-Baidal, Marco A. Celdrán-Barnabeu, Jose-Norberto Mazón et Ángel F. Perles-Ivars (2019), le déploiement de la destination intelligente devrait reposer sur trois éléments : (1) l’accessibilité de l’information en temps réel ; (2) l’approfondissement des connaissances sur la demande par l’utilisation des données numériques ; (3) l’amélioration de l’expérience touristique grâce aux technologies. Notons que pour Ulrike Gretzel (2022), l’intérêt porté à l’expérience touristique ne saurait être que la face émergée de l’iceberg. Selon cette même auteure, c’est le principe de mutualisation des ressources, et plus particulièrement celles des connaissances et des compétences s’appuyant sur le numérique, qui devrait constituer le cœur de la stratégie gouvernant le développement d’une destination dite « intelligente ».

C’est ainsi que plusieurs auteurs entrevoient la nécessité d’élargir les modèles de gestion des destinations pour y inclure un rôle de « gestion des connaissances » (knowledge management) (Nam et Pardo, 2011), autrement dit le développement et la diffusion des connaissances, un rôle qui reviendrait à l’OGD (Boes et al., 2016 ; Gretzel, 2022). Concrètement, cela impliquerait que l’OGD soit en capacité de créer, de diffuser et d’exploiter les connaissances (données et autres formes d’informations) au sein de la destination, ainsi que d’en faciliter le partage entre les différents acteurs du réseau (Sheehan et al., 2016). À cela, d’autres auteurs ajoutent la nécessaire capacité à adopter de nouvelles technologies et à favoriser l’innovation (Della Corte et al., 2017 ; Jovicic, 2019). Pour ce faire, des auteurs comme Boes, Buhalis et Inversini (2016) ou Gretzel (2022) soulignent que l’OGD devrait disposer d’un certain leadership, propre à renforcer sa position dans le réseau d’acteurs. En cela, ils rejoignent d’autres chercheurs qui soutiennent l’idée d’un OGD « chef d’orchestre », qui organise les acteurs du secteur et les guide vers une stratégie commune, gouvernée et collective (D’Angella et Go, 2009 ; Sheehan et al., 2016). Autrement dit, les travaux conceptuels sur la destination intelligente tendent à considérer l’OGD comme un organisme central de la gestion de ces destinations, avec la mission principale d’établir et de maintenir les conditions qui permettent à l’écosystème digital de se développer (Gretzel, 2022).

La ville intelligente, objet de débats au sein de la communauté scientifique

Si la notion de ville intelligente a pénétré le champ des études en tourisme, elle n’est pas sans susciter débats au sein de la communauté scientifique. Une première critique porte sur l’utilisation même du terme (Hollands, 2008). Alors que certains chercheurs recourent à celui-ci pour faire directement référence aux innovations technologiques et aux nouvelles technologies, d’autres le mobilisent dans un contexte d’e-governance, voire l’associent aux objectifs de développement durable. Robert G. Hollands (2008) observe également une certaine confusion dans les usages des termes smart, cyber, digital ou connecté, qui ont tous quatre des définitions sensiblement différentes. L’auteur invite d’ailleurs à envisager la ville intelligente comme un « label » plutôt qu’un concept. Il souligne ainsi la nécessité de prendre du recul, en sachant différencier l’utilisation « à la mode » du terme à des fins de marketing et son utilisation pour faire référence à des changements structurels et institutionnels relatifs à l’adoption des technologies.

Une seconde critique, sans doute plus fondamentale, concerne le caractère normatif et idéologique des discours sur la ville intelligente. Hollands (2008 : 304) pose d’ailleurs la question suivante : « Quelle ville ne voudrait-elle pas devenir smart et intelligente ? » Dans cette logique, ne pas être une ville dite « intelligente » reviendrait à rester une ville « bête » (Wiig, 2016). Par sa nature même, le « concept » semble aller de soi et argumenter en défaveur de celui-ci serait presque contre-intuitif (Hollands, 2008). D’autres auteurs s’en prennent à l’ancrage marketing et néolibéral (Grossi et Pianezzi, 2017), voire utopique du concept, qui servirait majoritairement les intérêts des grandes multinationales et des fournisseurs de technologies (Praharaj et Han, 2019).

La faisabilité du modèle est également interrogée. Ivars-Baidal et ses collaborateurs (2019) mettent en avant certains freins institutionnels et structurels, argumentant que les possibilités de développements technologiques dépassent considérablement les capacités de management actuelles des OGD. Il y aurait donc un fossé entre les possibilités offertes par les technologies et leur application. Dans ce contexte, ces auteurs soulignent l’importance d’une réflexion sur les besoins de la destination. Pour eux, ce sont les besoins qui devraient guider la sélection des technologies, et non une forme de « mimétisme » ou l’influence des discours des fournisseurs de technologies (ibid.). De plus, nous avons vu que les technologies à elles seules ne suffisent pas au développement des villes intelligentes : mettre en place des technologies ne transforme pas une ville traditionnelle en ville dite « intelligente » (Praharaj et Han, 2019). Même si la dimension technologique est centrale, il ne faut pas négliger le besoin d’actions politiques et institutionnelles pour assurer le développement de la ville intelligente. Giuseppe Grossi et Daniela Pianezzi (2017) craignent d’ailleurs que mettre l’accent sur des innovations technologiques attrayantes peut risquer de détourner l’attention d’autres enjeux urbains ou écologiques. En effet, alors que la durabilité est un aspect essentiel du concept, nous pouvons malgré tout nous interroger sur le caractère durable d’une ville intelligente. Non seulement la production et l’utilisation des outils numériques nécessitent une consommation intensive d’énergies non renouvelables, de combustibles fossiles et de produits chimiques (Hollands, 2008), mais la collecte et l’exploitation des données soulèvent également des questions éthiques, notamment en matière de droit à la vie privée, de droit à l’oubli, etc.

Par ailleurs, certains auteurs mettent en doute les discours soutenant l’idée d’une « transition » vers le modèle de ville intelligente. Hollands (2008 : 306) condamne cette pratique, qui sous-entend qu’il y aurait une forme de consensus sur le fait qu’une telle transformation est « inévitable et intrinsèquement positive ». À ce propos, il y a un intérêt croissant dans la littérature à propos de la manière dont la « transition digitale » vers la ville intelligente s’opère concrètement dans des lieux spécifiques et comment se confrontent la théorie et la pratique (Anthopoulos, 2017 ; Praharaj et Han, 2019). C’est notamment le cas de Nick Taylor Buck et Aidan While (2017) qui interrogent la réalisation des initiatives « intelligentes » dans des contextes géographiques et d’urbanisation distincts.

Ces études tendent à montrer qu’une ville intelligente ne se développe pas partout de la même manière, d’autant plus que ce développement est largement dépendant des ressources disponibles, ainsi que des enjeux sociaux, environnementaux ou urbains des différentes villes (Valdez et al., 2018). La théorie et la pratique discordent parfois, les acteurs, les idéologies et les infrastructures n’étant pas aussi « malléables » que dans la théorie (ibid.). L’étude de cinq destinations espagnoles réalisée par Asunción Huertas, Antonio Moreno et Tran Ha My (2019) révèle le coût élevé de la mise en place de projets smart, ce qui rendrait le développement de telles initiatives plus aisé dans des destinations qui disposent de ressources multiples. Les caractéristiques des destinations – notamment la taille et les ressources disponibles – tendraient donc à sensiblement influer sur le développement d’infrastructures technologiques. Les destinations ne semblent donc pas égales par rapport à leur développement en tant que ville intelligente. L’ensemble de ces conclusions appuient la vision défendue par Ivars-Baidal et ses collègues (2019) selon laquelle toute application du modèle de destination intelligente devrait être adaptée aux besoins de la destination et aux ressources qui y sont disponibles, en tenant compte de son contexte territorial et touristique.

Dès lors que l’on observe parfois un décalage entre les acceptions théoriques du concept et les réalités de terrain (Taylor Buck et While, 2017), la prudence est de mise quant à l’utilisation de la notion de ville intelligente. C’est pourquoi la présente étude ne s’inscrit pas dans cette approche, mais aborde la question de la gestion de destinations touristiques dans un environnement des affaires où l’adoption et l’utilisation des outils numériques sont largement promues. L’objectif de cet article sera donc de répondre à la question de recherche suivante : « Comment l’adoption croissante des technologies intelligentes imprègne-t-elle la gestion de destination en Région de Bruxelles-Capitale ? » Nous aborderons cette question en prenant en compte les réalités et les spécificités du territoire, pour ensuite engager une réflexion quant à l’adéquation entre théorie et réalité. Pour ce faire, nous structurerons notre analyse à la lumière des trois critères du déploiement d’une ville intelligente : la transversalité, la mutualisation des ressources et les synergies entre les acteurs, en nous concentrant tout particulièrement sur le rôle de l’OGD.

Méthodologie 

Pour répondre à notre question de recherche, nous avons réalisé des entretiens semi-directifs. L’objectif de ceux-ci visait à étudier la façon dont s’organise la gestion de la destination autour des enjeux de la digitalisation du secteur, en nous penchant en profondeur sur les perceptions des acteurs du tourisme réceptif bruxellois. La littérature sur la gestion de destination tendant à envisager celle-ci comme un réseau d’acteurs en coopération (D’Angella et al., 2010 ; Beritelli et al., 2014), nous nous sommes intéressées à tout organisme remplissant une fonction de gestion du tourisme à l’échelle de la destination. L’échantillon a été constitué par choix raisonné, en sélectionnant des organismes faisant partie du « comité stratégique » de l’OGD de la Région de Bruxelles-Capitale. Ce comité se veut « le lieu de définition des orientations stratégiques en matière de tourisme » (visit.brussels, 2018) et cela nous a permis de solliciter les acteurs qui pilotent, dans une certaine mesure, les stratégies touristiques de la destination.

Nous avons ainsi interrogé des responsables de onze organismes, quatre publics (OPu) et sept privés (OPr) issus de différents sous-secteurs : hébergement touristique, attractions et musées, et événementiel professionnel. Dans notre échantillon, il est important de distinguer ces sous-secteurs, en ce qu’ils ne sont pas sous la même autorité compétente, et ne bénéficient pas non plus des mêmes subsides et sources de financement – fédéral, régional ou communautaire. Les organismes privés ayant participé à l’étude relèvent de fédérations sectorielles ou d’associations professionnelles. L’échantillon obtenu a permis d’assurer une certaine diversité des sous-secteurs, représentés pour la plupart par des fédérations. En ce qui concerne le profil des participants, nous avons cherché à solliciter les directeurs et directrices des organismes. Lorsque cela était impossible, nous avons consulté des adjoints à la direction ou des « collaborateurs ».

Tableau 1

Présentation des participants

Source : Auteures.

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Nous avons mené les entretiens, d’une durée moyenne d’une heure, entre le 8 mars et le 21 avril 2022, majoritairement en visioconférence. Les entretiens ont été enregistrés avec l’autorisation des participants et la garantie de leur anonymat (un seul n’a pas pu être enregistré, pour des questions de confidentialité). Au contenu de ces entretiens ont été ajoutés des éléments plus récents issus de conversations moins formelles qui ont eu lieu dans le cadre du projet de recherche Cap-SMART dans lequel s’insère cette étude.

Au cours des entretiens semi-directifs, nous avons interrogé les acteurs sur trois volets principaux :

  • le rôle de l’organisme dans la gestion de la destination et en matière de digitalisation : c’est-à-dire ses missions, la mesure dans laquelle celui-ci se sent impliqué dans la gestion de la destination, et ses éventuelles missions en lien avec la digitalisation ;

  • les perceptions de l’organisme par rapport à la digitalisation du secteur et aux enjeux qui y sont liés ;

  • les perceptions des enjeux posés par la digitalisation à long terme, ses effets, les problématiques que le phénomène pourrait entraîner, ainsi que les besoins des acteurs du secteur.

Les entretiens ont ensuite été analysés suivant une démarche inductive, où les retranscriptions des entretiens ont constitué le point de départ de l’analyse (Van Campehoudt et Quivy, 2011). Nous avons par ailleurs utilisé une méthode d’analyse thématique des informations tirées des entretiens afin de dégager des catégories d’analyse dont l’objectif était d’identifier les différents enjeux que pose la digitalisation et la manière dont ceux-ci imprègnent la gestion de la destination Bruxelles-Capitale.

Contextualisation du cas d’étude : la Région de Bruxelles-Capitale

À Bruxelles, les missions que la littérature confie à l’OGD sont réparties entre deux organismes publics : visit.brussels et hospitality.brussels. Visit.brussels – traditionnellement vu comme l’OGD – est un organisme d’intérêt public largement dépendant du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale. Afin de formaliser les relations entre l’OGD et le gouvernement régional, un contrat de gestion a été signé entre les deux instances, dans le but d’établir les obligations respectives des deux parties et de fixer les objectifs stratégiques et opérationnels de l’OGD. Dès lors, visit.brussels a pour mission :

d’assurer en Région de Bruxelles-Capitale le développement et la promotion du marketing régional, du tourisme de loisirs, institutionnel et d’affaires, la gestion d’infrastructures touristiques et la promotion du tourisme de loisirs, institutionnel et d’affaire [sic] en Région de Bruxelles-Capitale ainsi que la promotion de l’image de Bruxelles comme capitale de l’Union européenne par tous moyens adéquats. (visit.brussels, 2018 : 3)

Alors que les différentes missions de l’OGD relèvent tant du marketing externe que du développement interne de la destination, il est intéressant de constater que les objectifs stratégiques de l’organisation, quant à eux, sont essentiellement axés sur le marketing externe : augmenter le nombre de visiteurs (article 4), renforcer l’image de Bruxelles (article 5), promouvoir l’offre touristique et culturelle des dix-neuf communes de la Région (article 6) (visit.brussels, 2018 : 5-6). Sur la base de ces trois objectifs stratégiques, nous constatons qu’en Région de Bruxelles-Capitale, le développement de la destination s’inscrit dans une perspective de croissance, d’attractivité et d’augmentation du nombre de visiteurs.

En parallèle, un autre organisme, hospitality.brussels, s’est vu confier des missions en matière de gestion de la destination, notamment en ce qui concerne le développement interne de celle-ci. Hospitality.brussels est une cellule de deux personnes au sein de l’agence bruxelloise pour l’accompagnement de l’entreprise (hub.brussels). Sa mission est orientée vers le soutien et l’accompagnement des entrepreneurs issus des secteurs du tourisme, de l’événementiel et de la culture. La cellule Hospitality endosse également un rôle de facilitateur et d’intermédiaire dans la création de lieux d’échange, de partenariats et de synergies entre les acteurs. Cette cellule cherche à rassembler les différents acteurs dans le but d’« accélérer le développement et la croissance ». Nous constatons que cette intention est particulièrement rapprochée des trois objectifs stratégiques de l’OGD cités précédemment, créant ainsi une certaine cohérence dans les objectifs de la destination et la manière dont le développement de celle-ci est envisagé.

En matière de digitalisation, nous constatons une volonté de la Région à tendre vers le modèle de la ville intelligente. Le concept est mis en avant à partir de 2014 par le Centre d’informatique pour la Région bruxelloise (CIRB), et se définit comme suit : « Une smart city est une ville qui utilise des solutions intelligentes, basées sur les données et certaines technologies, pouvant conduire à une meilleure qualité de vie au sein d’une région, en l’occurrence la Région bruxelloise » (CIRB, 2019 : 5). Selon le CIRB, cette définition repose sur trois éléments principaux : (1) les solutions digitales qui font référence aux technologies numériques qui sont exploitées, (2) les données qui sont considérées comme étant la « matière première de toute smart city », (3) et la qualité de vie – des citoyens et des entreprises – avec comme objectif de relever les différents défis urbains, économiques, sociaux et environnementaux au sein de la ville. Ces éléments soulignent donc que les technologies ne seraient « pas une fin en soi, mais un outil dans la conception de la ville intelligente de la Région de Bruxelles-Capitale » (smartcity.brussels, 2022). Cette définition suggère que la Région promeut une adoption des technologies qui soit au service d’un développement touristique répondant aux besoins collectifs, tant économiques et sociaux, qu’environnementaux. En ce sens, la conceptualisation de la ville intelligente à Bruxelles semble se rapprocher de celle d’Ivars-Baidal et ses collègues (2019).

Analyse des résultats

Les technologies mentionnées par les participants sont souvent les mêmes ; ce qui diffère est l’utilisation qu’ils en font et leur positionnement par rapport à celles-ci. Ce constat témoigne de l’intérêt de dépasser la seule distinction entre « utilisation » et « non-utilisation » des technologies dans notre analyse (Selwyn, 2006 ; Boutet et Trémembert, 2009). Ces outils peuvent être divisés en trois catégories principales :

  • les technologies de gestion, tels les systèmes PMS (property management system) et CRM (customer relationship management), ou encore les billetteries et ventes en ligne ;

  • les technologies de communication, à savoir les sites web, réseaux sociaux, applications, ou encore chatbots (assistants conversationnels) ;

  • les technologies immersives, telles que les expériences visuelles et digitales, les visites en trois dimensions, la digitalisation des collections, les visites virtuelles, ou encore le mapping (cartographie).

Les entretiens ont unanimement mis en évidence l’inscription des acteurs de la gestion de la destination Bruxelles dans une logique de digitalisation. En effet, et bien que la terminologie relative à la ville intelligente n’ait jamais été explicite dans le discours des participants, ceux-ci avaient tendance, consciemment ou non, à mettre en avant et à promouvoir certaines caractéristiques des villes intelligentes, telles que la transversalité, la mutualisation des ressources ou encore les synergies entre acteurs publics et privés. Certaines actions ont d’ailleurs déjà été entreprises en ce sens, et l’OGD a entamé en 2019 une transformation interne qu’il nomme « transformation digitale ». Ces thèmes sont abordés plus en profondeur ci-après, et nous verrons que cette inscription dans une trajectoire de digitalisation n’est pas sans générer des interrogations de fond chez les acteurs interrogés.

Transversalité : les ressources au centre des préoccupations

Alors que les participants s’accordent sur le principe que la digitalisation et l’adoption de différents types de technologies est la voie à suivre pour le développement de la destination, ils n’en manifestent pas moins des préoccupations quant à leur mise en œuvre. Parmi celles-ci, on retrouve l’accès aux ressources indispensables pour répondre à la condition d’une fusion entre technologies numériques et infrastructures traditionnelles. Deux types de ressources sont épinglées : financières et humaines. Si certaines initiatives tendent à se mettre en place en Région bruxelloise pour faciliter l’accès à ces ressources, il semble qu’elles ne parviennent pas à combler les manques, posant ainsi un risque de voir une partie des prestataires de services laissés sur le bas-côté.

Concernant l’accès aux ressources financières, ce sont les questions d’inégalités entre petites et grandes entreprises qui apparaissent le plus dans les entretiens.

Je pense que c’est plus souvent une question de ressources. Les secteurs comme l’hôtellerie, des grosses structures internationales qui ont des énormes équipes dans leur siège, qui peuvent leur permettre d’être vraiment au top à ce niveau-là. Des plus petites structures vont peut-être avoir plus de mal. (OPu1 – 28/03/2022)

Les gros lieux ont peut-être la capacité de réagir, mais des plus petits, c’est vrai que ce n’est pas toujours évident. Je ne parle pas même en termes d’organisation, aussi en termes de lieux, de place, de matériel, parce que c’est du matériel qui coûte cher. (OPr4 – 21/04/2022)

Et si ces subsides sont octroyés par la Région à des fins de digitalisation – ni l’OGD ni les fédérations sectorielles sont en mesure d’en proposer –, le parcours pour y accéder est parfois critiqué. Celui-ci prend le plus souvent la forme d’appels à projets, auxquels les prestataires doivent répondre ; un appui est parfois proposé par l’OGD, comme ce fut le cas pendant la crise de la COVID‑19. Plusieurs prestataires touristiques ont ainsi pu profiter de cette impulsion pour l’installation de technologies. Cependant, certains participants soulignent la difficulté d’obtenir des subsides, certains appels à projets étant particulièrement concurrentiels. De plus, dans le cadre de ces appels, le soutien est quasi exclusivement financier. Une fois qu’une entreprise touristique a pu obtenir un subside, le développement et la mise en place du projet digital relèvent uniquement de l’organisation elle-même et de ses éventuels partenaires externes. Dès lors, pour des questions relatives au manque de compétences digitales, certaines structures rencontrent des difficultés non négligeables s’ils souhaitent se digitaliser.

C’est ainsi que les compétences et la formation sont parmi les enjeux les plus discutés pour atteindre une forme de transversalité. Au-delà de la formation initiale, se pose aussi la question de la formation continue, tant des dirigeants que des équipes. Les répondants soulignent la difficulté que pose la formation au numérique, notamment à cause de son évolution extrêmement rapide. La plupart des acteurs interrogés suivent de courtes formations ponctuelles pour se tenir à jour le mieux possible. Cependant, comme l’illustrent les extraits suivants, cela ne semble pas toujours suffisant.

On ne peut pas juste se satisfaire de se dire « Ok, on a fait un petit webinaire de 2 heures et puis vous allez vous lancer là-dedans et ça va aller. » C’est beaucoup plus compliqué que ça. (OPr1 – 11/03/2022)

On se rend compte que vu le temps dont on dispose, vu les moyens dont on dispose, les compétences dont on dispose aussi, nous on peut assumer l’information jusqu’à un certain point. Pour l’instant effectivement on peut difficilement aller plus loin. (OPr3 – 06/04/2022)

Ensuite, il semble parfois y avoir un manque de compréhension des enjeux des différents outils digitaux dans les équipes ainsi qu’une fracture numérique entre les plus grandes et les plus petites organisations. Les acteurs interrogés soulignent que le numérique induit de réels changements par rapport aux compétences requises chez les travailleurs. Il ne s’agit pas uniquement d’assurer la mise en place de nouveaux outils digitaux, il faut aussi réfléchir à ce que cela implique en termes de métiers. La plupart des répondants témoignent d’un réel besoin de nouvelles compétences au sein de leurs équipes.

Si la fracture avec le public est grande, la fracture au sein des entreprises est très grande aussi, à tous les étages : dans le management, dans les intermédiaires, dans le personnel d’accueil… L’utilisation de certains outils numériques c’est vraiment compliqué. (OPr1 – 11/03/2022)

Un des gros problèmes, c’est que pour beaucoup d’organismes, principalement les petits… la digitalisation, c’est un peu de la science-fiction encore. (OPr3 – 06/04/2022)

Pour répondre à cette problématique, plusieurs acteurs de la gestion de la destination se sont lancés dans l’information et la formation au digital. D’autres actions ont également été menées pour favoriser l’adoption de certaines technologies ; il s’agit essentiellement de subventions attribuées par la Région pour répondre aux défis posés par la crise sanitaire de la COVID‑19.

Mutualisation des ressources circonscrite à celle de l’information

Concernant la mutualisation des ressources, les discussions lors des entretiens ont surtout porté sur l’accès à l’information. Depuis nombre d’années déjà, les acteurs du réseau de gestion de la destination diffusent des informations, voire produisent des connaissances. Ces acteurs regroupent les deux organismes publics, mais aussi les fédérations et les associations professionnelles. Lors des entretiens, ce sont surtout le manque de visibilité et le type d’informations produites qui ont été pointés par les organismes privés, ainsi qu’en témoignent les citations ci-après. Nous pouvons cependant nous demander si le problème résulte d’un manque réel en termes d’exploitation, d’analyse et de partage des données, ou s’il s’agit plutôt d’un manque d’information des acteurs quant aux plateformes leur permettant d’accéder à ces données. L’enjeu n’est donc pas uniquement de rendre les informations accessibles au secteur, mais également d’informer quant à l’existence même de tels dispositifs.

Par exemple je prends la destination et l’OGD, on a quand même accès à un minimum de données. (OPu4 – 18/02/2022)

Non il n’y a jamais rien de partagé, ni de mutualisé. C’est dommage d’ailleurs, c’est vraiment diffus. (OPr7 – 01/04/2022)

Les attentes en matière de centralisation et de production de connaissances approfondies semblent donc se tourner vers l’OGD, ce qui correspond à ce que préconise la littérature. De son côté, l’OGD reconnaît ce rôle, mais s’interroge sur sa délimitation et sur la manière de faire circuler plus efficacement l’information pour qu’elle parvienne aux prestataires touristiques (conservation informelle – 04/10/2022) ; la diffusion est actuellement assurée par son site Internet, par des newsletters et lors de rencontres sectorielles et intersectorielles. La question de la délimitation du rôle de l’OGD dans la coordination de la mutualisation des connaissances est en cours de réflexion. Elle porte essentiellement sur le type d’informations à produire. Les organismes privés sont en demande d’informations ciblées sur leurs besoins sectoriels, à même de faciliter leurs prises de décision quant à l’adoption de technologies nouvelles.

Les besoins et les attentes des musées ne sont pas celles des hôtels, on ne travaille pas du tout de la même façon. Donc ça il n’y a pas d’ensemblier, il n’y a pas de cohérence là-dessus. (OPr1 – 11/03/2022)

Outre le ciblage de l’information, l’on retrouve aussi du côté des organismes privés une demande pour des analyses plus approfondies et à visée prospective. Jusqu’ici les informations fournies par l’OGD relèvent surtout de la performance passée de la destination, par exemple avec un baromètre mensuel de la fréquentation touristique, des prix moyens par chambre pratiqués dans l’hôtellerie et un rapport annuel reprenant les indicateurs habituels. À cela se sont greffés, ces dernières années, une série de rapports d’études sur des thématiques diverses, dont l’essentiel porte sur les clientèles cibles et les comportements de consommation. Plus récemment, des tentatives ont été faites en vue de produire des données dans une optique de marketing prédictif. Toutefois, ces données communiquées à l’état brut semblent peu répondre aux attentes des partenaires privés, comme l’indique le témoignage suivant :

Et pour la veille ce n’est pas excellent, ça. On dit toujours « oui, tout est en open source, on a accès à tout, etc. » Vous avez accès à beaucoup de données, vous, à part le taux de fréquentation des hôtels et le nombre de visiteurs dans les musées ? C’est tout. Plus que ça, on n’a aucune analyse des datas. (OPu4 – 18/02/2022)

Cependant, l’OGD fait face à la limite de ses ressources humaines et financières. Vu que la digitalisation peut toucher l’ensemble des fonctions d’une entreprise, le chantier paraît titanesque et pas nécessairement en phase avec l’expertise de l’OGD, dont l’essentiel des activités ont jusqu’ici relevé du marketing externe. Jusqu’à présent, l’OGD propose des formations plus générales à destination des travailleurs du secteur, notamment en matière de marketing digital.

En parallèle, d’autres initiatives ont été portées par des acteurs publics et privés en vue de répondre à des besoins sectoriels plus ciblés. Ainsi, hospitality.brussels a publié en 2022 un rapport portant sur « La transformation digitale dans le secteur du tourisme » (hub.brussels, 2022). En plus d’aborder les enjeux de la transformation digitale pour le secteur, le rapport propose des pistes concrètes, et notamment des outils numériques classés par secteur, ou encore une liste des partenaires technologiques potentiels pour différents types de projets. De plus, cette même organisation s’est récemment engagée dans un projet portant sur le suivi de la maturité numérique des entreprises touristiques bruxelloises. Ces initiatives récentes s’ajoutent aux actions menées depuis quelques années en vue de créer des ponts entre acteurs technologiques et touristiques bruxellois. Une autre initiative est celle d’une association culturelle qui réunit depuis peu, au sein d’un Lab, des acteurs des technologies, de l’audiovisuel, de la culture et du tourisme. Ces rencontres visent à réfléchir à la manière dont le digital peut être mis au service du patrimoine et de la culture, à travers la fusion entre monde physique et contenus digitaux. L’on notera, par ailleurs, que l’essentiel des initiatives mentionnées ci-dessus tendent le plus souvent à relayer un discours des développeurs de technologies. À l’heure actuelle, les synergies entre ces acteurs restent limitées et ponctuelles.

La transformation digitale et le rôle de l’OGD

De manière à répondre aux enjeux que pose la digitalisation dans le secteur touristique bruxellois, l’OGD a entamé ce qu’il appelle une transformation digitale. Celle-ci touche à son organisation interne ainsi qu’à sa mission de marketing externe. Les changements dans sa structure organisationnelle et l’adoption de nouveaux outils de gestion interne visent une meilleure circulation de l’information au sein des équipes. Pour ce qui relève du marketing externe, l’accent est mis sur l’expérience client, l’inspiration et la séduction, notamment en recherchant une plus grande perméabilité des contenus digitaux.

On refond tout en un site web end user unique, dans l’objectif de pouvoir permettre une plus grande perméabilité entre les contenus, et d’avoir quelqu’un qui vient chercher de l’information sur des restaurants sur notre site, il va être confronté à du contenu sur une visite guidée à faire, et va être emmené à vouloir faire plus de choses à Bruxelles. (OPu1 – 28/03/2022).

Si ces changements correspondent aux caractéristiques d’une transformation digitale préconisées dans la littérature managériale ad hoc, il ressort des entretiens un certain inconfort de la part des organismes privés interrogés, en particulier pour ce qui relève de la stratégie digitale portée par l’OGD. En effet, certains ont manifesté une connaissance partielle de cette stratégie, ou parfois déploré le manque d’une réelle vision axée sur les technologies. Selon ces derniers, Bruxelles ne serait pas une destination portée sur l’innovation et les nouvelles technologies, ce qu’ils tendent à percevoir comme un obstacle majeur à la mise en place d’une ligne directrice claire et coordonnée concernant la stratégie digitale de la destination.

Donc la stratégie… Je vois en gros vers où il faut aller parce qu’on nous l’a expliqué chez l’OGD. Mais plus en détail que ça, non… (OPr6 – 08/03/2022)

Il n’y a pas un ensemblier qui coordonne les choses, en tous les cas pas maintenant, parce que c’est de toute façon très difficile de répondre aux besoins et aux attentes. (OPr1 – 11/03/2022)

Ces citations renvoient à la mission de coordination de l’OGD et de la définition d’objectifs collectifs pour la destination touristique. Il semble que, pour le moment, la trajectoire poursuivie ne soit pas claire. En parallèle, plusieurs obstacles à la coordination des acteurs autour d’une stratégie digitale pour Bruxelles ont été relevés dans les entretiens. Un premier problème soulevé par les participants est le manque de souplesse dans la mise en place par l’OGD des orientations données par la Région. Ce besoin de souplesse semble émaner du fait de la complexité de la digitalisation qui se greffe sur celle du secteur. En effet, à la diversité des acteurs qui composent le système touristique bruxellois, s’ajoute celle des enjeux propres à chaque sous-secteur. Rassembler les acteurs autour d’objectifs collectifs dans ce contexte n’est pas chose aisée sur le terrain. Ainsi que l’illustre la citation suivante, même si les enjeux sont partiellement partagés par les sous-secteurs, les façons de faire et les objectifs concrets diffèrent.

Il faudrait une ligne directrice générale mais qui doit être déclinée par sous-secteur. Comme ça été le cas pour les protocoles sanitaires pendant [la] COVID. (OPr5 – 13/04/2022)

Cet extrait témoigne de la nécessité de définir une ligne directrice générale, considérée comme indispensable, mais qui, pour être réalisable, doit impérativement être adaptée dans sa mise en œuvre en prenant en compte les objectifs spécifiques, les enjeux et les visions de chaque sous-secteur.

Un autre problème, qui peut participer au manque de clarté quant à la trajectoire à suivre, est l’existence chez une partie des interviewés d’une certaine méfiance vis-à-vis d’une forme de digitalisation effrénée. Cette méfiance est associée à des considérations sociales et environnementales. Sont posées la question de la relation de service, et plus particulièrement de l’accueil et de la convivialité, ainsi que la question des impacts environnementaux des technologies numériques. Certains participants ont dès lors insisté sur la nécessité que la digitalisation fasse partie d’une réflexion sur la durabilité du tourisme.

Mais je pense qu’il faut garder ce côté… que le digital puisse amener, simplifier les choses, mais qu’on ne perde pas ce côté chaleureux, contact, convivial. (OPr6 – 08/03/2022)

Ça je crois que c’est important de le souligner, tous les risques qui peuvent être associés à cette digitalisation aussi. C’est-à-dire un éloignement, des musées désertés parce que tout est disponible plus ou moins en ligne ou accessible de manière digitale. (OPr3 – 31/03/2022)

Un des véritables enjeux, c’est aussi la durabilité par rapport au digital et l’impact environnemental par rapport au digital. Parce que oui on dit : « solutions digitales, tout pour le digital », mais ça a un gros impact environnemental. Donc ça, ce sera vraisemblablement un défi majeur de trouver le bon équilibre par rapport à cette utilisation du digital. (OPr7 – 01/04/2022)

Nous notons ainsi chez l’ensemble des participants une réelle volonté de se « digitaliser », mais pas n’importe comment. La direction devrait être réfléchie et mesurée, en tenant compte de l’ensemble des enjeux sociétaux. Nous observons que les principales nuances dans le positionnement des organisations relèvent essentiellement de leurs caractéristiques : la taille des organismes et leur domaine d’activité. En effet, du fait de leur taille, les structures interrogées ne disposent pas des mêmes ressources financières et humaines, ce qui a souvent été pointé comme un obstacle à l’adoption et l’utilisation des nouvelles technologies. Par ailleurs, nous relevons aussi des différences selon les sous-secteurs, que ce soit au niveau des enjeux ou de leur « poids » au sein de la destination. Bien que nous ne soyons pas en mesure de vérifier ce paramètre en nous basant sur nos résultats, nous notons cependant que certaines nuances peuvent également relever des caractéristiques personnelles des participants interviewés.

Discussion conclusive

À la lumière de ce qui précède, il nous paraît intéressant de relever quelques éléments de réflexion qui émergent des observations faites à Bruxelles quant à la manière dont l’adoption croissante des technologies numériques dans le secteur touristique imprègne la gestion d’une destination. Les éléments qui suivent éveillent notre attention sur des caractéristiques du processus de digitalisation des destinations et ses implications en matière de gestion : le poids d’inconnues sur les comportements des acteurs, l’insertion de la digitalisation dans une structure socio-politique préexistante et l’absence de cap à atteindre à l’échelle de la destination. Ces caractéristiques nous paraissent sensiblement trancher avec les discours conceptuels sur la ville intelligente et le parcours transitoire, souvent techno-déterminé, qu’elle supposerait.

Premièrement, la littérature existante pose peu la question des incertitudes auxquelles certains acteurs se voient confrontés. À Bruxelles, la plupart des incertitudes portent sur les manières de faire : quelles technologies adopter, à quel moment, etc. Ces questions cachent souvent chez les prestataires touristiques des difficultés à identifier leurs besoins technologiques concrets, débouchant parfois sur une adoption des technologies par une forme d’automatisme ou de mimétisme (Ivars-Baidal et al., 2019). Pour réduire l’incertitude, les acteurs de la gestion de la destination prennent action, notamment en vue d’informer et de sensibiliser les prestataires touristiques par divers moyens. Ces actions semblent renvoyer au rôle de « gestion des connaissances » que la littérature place au cœur des activités d’un OGD (Nam et Pardo, 2011 ; Boes et al., 2016 ; Gretzel, 2022). À Bruxelles, cette fonction est remplie par les deux organes publics de gestion de la destination, mais aussi par les fédérations sectorielles. Toutefois, force est de constater que les initiatives mentionnées sont plutôt fragmentées et les acteurs se débrouillent souvent avec les ressources et les compétences dont ils disposent. Sauf exceptions, les connaissances restent embryonnaires sur les potentialités réelles des technologies offertes sur le marché et l’on recourt fréquemment à des présentations de développeurs, ce qui remet en question l’objectivité du discours.

Une autre forme d’incertitude observée relève de tensions plus ou moins fortes chez certains participants entre la nécessité perçue de se digitaliser et certaines valeurs sociales. Celles-ci portent à la fois sur le sens de l’hospitalité – qu’ils associent à la convivialité de l’accueil et aux contacts humains – et sur la responsabilité environnementale, avec un questionnement sur la consommation énergétique des technologies et sur l’économie de la donnée. À notre connaissance, ces tensions restent peu abordées par les acteurs de la gestion de la destination, qui se trouvent dans une situation délicate au vu de leurs missions qui reposent encore principalement sur un objectif de croissance économique. Cette situation invite à questionner la vision selon laquelle l’OGD serait le plus à même d’assumer le rôle de « gestion des connaissances ».

Deuxièmement, nos observations corroborent le point d’attention d’Alan-Miguel Valdez, Matthew Cook et Stephen Potter (2018) et de Josep A. Ivars-Baidal, Marco A. Celdrán-Barnabeu, Jose-Norberto Mazón et Ángel F. Perles-Ivars (2019) selon lequel l’étude de la digitalisation devrait nécessairement s’inscrire dans le contexte territorial et touristique de chaque destination. À Bruxelles, les spécificités de forme qu’a pris le réseau de gestion de la destination sont inscrites dans l’histoire territoriale, notamment en ce qui a trait aux compétences politiques. Il en résulte que les missions que la littérature confie traditionnellement à l’OGD y sont réparties entre deux organismes : visit.brussels, dont les missions relèvent essentiellement du marketing externe (Volgger et Pechlaner, 2014), et hospitality.brussels, chargé du développement interne par l’accompagnement des prestataires touristiques bruxellois et la création de synergies intersectorielles. Ces deux organismes ne dépendent pas du même ministre. La digitalisation semble actuellement peu affecter cette structure bicéphale qui la préexiste, voire semble la modeler. En effet, rien n’indique pour l’instant que le déploiement de la digitalisation en Région bruxelloise suive le modèle disruptif représenté par la ville intelligente.

Aux spécificités territoriales s’ajoutent celles de chaque sous-secteur du tourisme, voire des prestataires eux-mêmes (par exemple appartenance ou non à une entité plus grande qui donne l’orientation en matière de digitalisation). Ainsi, selon nos observations, chaque sous-secteur semble former un sous-système ayant sa propre logique de digitalisation. Bien que le phénomène paraisse s’imposer par la force des choses, la complexité d’une destination et la diversité des acteurs qui la composent rendent assez difficile l’application d’un modèle standardisé d’adoption des technologies numériques à une réalité de terrain spécifique (Anthopoulos, 2017 ; Taylor Buck et While, 2017 ; Praharaj et Han, 2019).

Dès lors que la digitalisation s’opère de façon différente selon les destinations et les sous-secteurs, cela pose des défis, notamment en termes de coordination du système touristique. Il s’agirait donc de comprendre en profondeur les besoins de la destination et de ses différents sous-secteurs afin d’y répondre adéquatement (Ivars-Baidal et al., 2019). Nos résultats mettent en lumière les difficultés d’un OGD qui fait face à une nécessaire délimitation de ses rôles devant la multiplicité des attentes des prestataires touristiques à son égard et sa double mission, interne et externe, que la digitalisation tend à intensifier. Il serait intéressant à cet égard d’observer comment se déroulent les arbitrages sur les rôles de l’OGD. L’inscription toute récente de visit.brussels dans un programme européen visant à stimuler le développement des destinations intelligentes pourrait indiquer le recours à une expertise externe.

Troisièmement, si les participants ont une perception commune de la digitalisation comme un processus inévitable et, dans certains cas, désirable (Hollands, 2008) pour le secteur, aucun n’a clairement évoqué de vision ou d’objectifs à atteindre. Si un sentiment de « retard » est parfois exprimé en comparaison avec d’autres destinations touristiques, il ne s’accompagne pas d’une vision sur une trajectoire claire. Cette absence de vision peut se comprendre comme la résultante d’un phénomène qui touche l’ensemble des acteurs touristiques en même temps, y compris l’OGD qui est lui-même en train d’opérer sa « transformation digitale » (c.-à-d. numérique et organisationnelle). Cette caractéristique du phénomène rend la coordination du système touristique plus complexe qu’elle ne l’était avant l’accélération de la digitalisation. Alors que la théorie positionne l’OGD comme le coordinateur, le médiateur ou encore le gestionnaire de la destination (Volgger et Pechlaner, 2014), nos observations pointent une contrainte considérable affectant ces rôles, à tout le moins à court et moyen terme.

En conclusion, le processus à l’œuvre sur le terrain semble s’écarter (Anthopoulos, 2017) de l’approche techno-déterminée de la littérature conceptuelle sur la ville intelligente, qui tend à concevoir la digitalisation comme une transition disruptive orchestrée par l’OGD vers un idéal collectif. Les indices glanés dans cette étude laissent plutôt penser à une co-évolution (Ma et Hassink, 2013), où digitalisation et structure préexistant dans la destination s’influencent l’une l’autre. Si les caractéristiques structurelles de la destination affectent la trajectoire et le rythme que prend la digitalisation, celle-ci y introduit des tensions entre acteurs de la gestion de la destination. S’ensuivraient alors des ajustements progressifs et non linéaires des systèmes et des sous-systèmes touristiques.

Limites méthodologiques

Au cours de cette étude, nous avons dû faire face à certaines limites méthodologiques. Tout d’abord, soulignons que les entretiens ont été réalisés à la sortie de la crise sanitaire de la COVID‑19. Dès lors, les discours ont pu être influencés par cet événement, notamment en raison du ralentissement du secteur qui a été induit par la pandémie. Par ailleurs, la généralisation du télétravail a entraîné la réalisation de plusieurs entretiens à distance. L’entretien semi-directif, en tant qu’interaction sociale, peut être largement influencé par le contexte de sa réalisation (Beaud, 1996 : 238). La relation qui se tisse entre les deux parties peut ainsi être modifiée par le « contexte virtuel » des entretiens.

Notons que tous les acteurs impliqués dans la gestion de la destination n’ont pas pu être contactés. En effet, n’ayant pas réussi à accéder à la liste complète des représentants siégeant au sein du comité stratégique de l’OGD, notre connaissance des acteurs impliqués dans la gestion de la destination était partielle. Nous avons également été confrontées à des refus et des non-réponses, sur une population de départ déjà limitée et peu représentative de l’ensemble du secteur du tourisme bruxellois.

Les entrevues auprès de personnes occupant généralement les postes de direction ou d’adjoint à la direction au sein des organismes nous ont permis de recueillir des discours approfondis sur la destination et l’impact de la digitalisation sur cette dernière. Cependant, si elles étaient souvent expertes dans le domaine du tourisme, elles ne l’étaient pas nécessairement en ce qui concerne les technologies. Ce constat est ressorti dès les premiers échanges avec les participants, où certains ont insisté sur leur « manque de connaissances » en matière de nouvelles technologies. Ce faisant, ils doutaient parfois de leur légitimité à fournir un discours construit sur cette thématique. Cela peut illustrer le caractère asymétrique de la relation entre enquêteur – considéré comme un expert en la matière – et enquêté – qui se dit « novice » (Lizé, 2009 : 111). Par ailleurs, en raison du caractère perçu comme « intrinsèquement positif » des technologies (Hollands, 2008 : 306), nous ne pouvons pas négliger l’éventuelle tendance de certains répondants à vouloir se conformer aux attentes perçues des enquêtrices et de délivrer un « bon discours » sur les technologies (Beaud, 1996 : 242).

Enfin, pour pousser notre réflexion plus loin, et dans la lignée des préoccupations émises par certains participants, nous pourrions nous interroger sur la manière dont la gestion des destinations touristiques intègre les dimensions sociales (inclusion sociale, soutenabilité du travail…) et écologiques de la digitalisation. Des tels apports de connaissances permettraient de nourrir la discussion à la fois sur le modèle de ville intelligente et des solutions alternatives encore peu présentes dans la littérature sur la digitalisation des espaces touristiques récepteurs. La recherche pourrait également s’intéresser à la conjonction des phénomènes disruptifs que sont la digitalisation et la lutte contre le réchauffement climatique. Ces différents questionnements soulignent l’intérêt croissant de l’étude du phénomène de la digitalisation dans son lien avec des dimensions territoriales, sociales et environnementales dont elle est loin d’être déconnectée.