Résumés
Mots-clés :
- destination,
- touriste,
- résident,
- représentation sociale,
- communication,
- test d’indépendance au contexte
Corps de l’article
Face à la concurrence, l’enjeu des destinations consiste à se différencier en développant une identité spécifique. La communication touristique joue alors un rôle capital dans la formation de l’image touristique de la destination. Toutefois, la multiplication des campagnes de communication des différentes strates territoriales ainsi que la couverture médiatique des divers événements peuvent brouiller l’image des destinations. Les recherches universitaires dans ce domaine étant peu nombreuses, il importe d’étudier l’efficacité de la communication des différentes strates territoriales envers une destination urbaine sous l’éclairage de la théorie des représentations sociales. À partir d’une comparaison de l’analyse des communications réalisées par la ville, la région et la France et de deux études effectuées dans une ville auprès de touristes français y séjournant ainsi que de résidents, la présente recherche montre les limites de l’efficacité de la communication. Les touristes, bien qu’interrogés à destination, restent sur une image organique et une représentation simple basées sur des stéréotypes, tandis que celles des résidents sont plus complexes.
Le développement des marques de destination devient essentiel pour la survie des villes face à la concurrence internationale. Pour se différencier, celles-ci doivent développer leur identité de marque et créer ainsi une bonne image (Chevrier, 2005). La croissance du tourisme urbain est ressentie à la fois par les économies développées et celles en émergence (IPK International, 2016). De ce fait, les villes ne sont plus uniquement perçues comme de simples points d’entrée, d’embarquement ou de transit au cours d’un voyage, mais également comme des attraits (ressources naturelles ou culturelles) et des attractions (mise en valeur appropriée pour le tourisme de ces ressources ; De Grandpré, 2007) des destinations à part entière (European Tourism Association, 2014). Auparavant, les villes faisaient leur promotion en pensant que la création d’attractions touristiques suffirait à attirer les touristes (EUROSTAT, 2008). Cependant, exposées au développement du tourisme, à la multiplication des campagnes de communication des différentes strates territoriales (national, régional et ville), ainsi qu’à la couverture médiatique des différents événements (attentats terroristes, grèves ou émeutes dans certains pays), les images et les représentations des destinations peuvent être brouillées. L’image a une place très importante dans le choix d’une destination, et les différentes sources d’information jouent dans l’esprit des touristes un rôle capital dans la formation de cette image (Gunn, 1979 ; Frochot et Legoherel, 2007 ; Vo Thanh et al. , 2014 ; Kim et Chen, 2016 ; Dubois et al. , 2017). Dès lors, la communication émise par les destinations et les organismes touristiques influe sur la détermination des attitudes et du comportement du voyageur ainsi que dans la formation de l’image touristique d’une destination (Cottet et al. , 2015). Toutefois, même si l’image semble être un bon facteur d’influence, la présente recherche ne se concentre pas sur celle-ci, mais sur les représentations sociales. Les recherches universitaires dans ce domaine étant peu nombreuses, il devient primordial d’étudier l’efficacité de la communication des différents acteurs touristiques par rapport au sens commun relatif à des destinations. En effet, les images, produites par des représentations sociales (Moliner, 1996 ; Tafani et al. , 2009 ), sont spécifiques à un objet donné, alors que ce type de représentation couvre des classes d’objets plus larges (Moliner, 1996). Ces dernières, produites socialement (Moscovici, 1961), sont plus stables dans le temps et moins contextuelles que les images. Elles semblent alors adaptées au tourisme urbain, car une destination urbaine est un objet de perception mais surtout de représentation (Vanolo, 2010).
Dans la lignée des travaux d’Annamaria Silvana De Rosa, Elena Bocc et Laura Dryjanska (2019) sur l’identité des destinations et les représentations sociales des capitales européennes, cet article considère la destination urbaine comme un objet de représentation à la lumière de la théorie des représentations sociales. En raison de leur stabilité, ces dernières permettront de vérifier plus efficacement les effets durables de la communication de la marque de destination. La question de recherche se centre ainsi sur l’analyse de l’efficacité de la communication des différentes strates territoriales des acteurs touristiques pour une destination urbaine sous l’angle du sens commun. Les objectifs de cette étude sont : a) d’identifier les représentations sociales de touristes et de résidents par rapport à une destination urbaine ; et b) de les comparer avec la communication effectuée à la même époque sur trois niveaux (ville, région, pays). La ville de Dijon est retenue pour cette recherche. Depuis une dizaine d’années, Dijon a redynamisé son image touristique grâce à sa politique de communication et de revalorisation, avec les travaux de rénovation de son secteur sauvegardé (Climats du vignoble de Bourgogne, inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO [Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture]). Capitale de la région Bourgogne, avec sa Cité internationale de la gastronomie et du vin, Dijon a aussi pour mission de valoriser le Repas gastronomique des Français (sur la Liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité depuis 2010).
Revue de la littérature
Identité, communication et image de destination
La forte croissance du marché du tourisme urbain a incité de nombreuses villes à se positionner sur ce marché (Dunne et al. , 2010) : non seulement les capitales (Paris, Londres, Vienne…) mais aussi des villes ayant développé une image scientifique (Cambridge) ou culturelle (York, Aix-en-Provence, Dijon...), des villes d’art (Venise) ou encore des villes émergentes ayant développé leur propre identité (Prague, Istanbul, Séville) (voir Minghetti et Montaguti, 2010 ; Reiter, 2012). Dans ce cadre, développement et management du tourisme urbain deviennent un défi majeur pour de nombreuses villes européennes qui doivent développer leur propre marque ainsi qu’une communication distinctive pour se différencier et se positionner face à la concurrence, tout en étant identifiables et singulières. Elles vont réaliser des campagnes de communication pouvant être renforcées par l es images patrimoniales (coutumes locales, festivals, architecture, nature, etc.) destinées à mettre en scène et à perpétuer les traditions et la culture locales (Gigot, 2012). Toutefois, ces communications peuvent être brouillées par celles faites par la région ou le pays : l es actions publiques sont souvent entremêlées dans un souci de « gouvernance multiniveau » (Hooghe et Marks, 2001 ; Escadafal, 2007), la gouvernance étant décrite comme un processus de coordination multiniveau et multipolaire (Gaudin, dans Rey-Valette et al. , 2010 : 3). Cela explique un alignement des actions de la région sur le national, puis de la ville sur la région, toutes entrant néanmoins en interaction et dépendant de l’ensemble des parties prenantes, y compris privées. L’imbrication de ces trois niveaux donne une communication plurielle, à laquelle est soumise toute personne en vacances sur le territoire français, régional ou urbain. Les réseaux sociaux, Internet et les applications sur téléphone intelligent ( smartphone ) prennent une place croissante dans la communication. Les différents niveaux de communication optent pour une granularité inhérente aux divers thèmes. La France est envisagée comme une combinaison d’identités régionales variées (labels ou marques) ayant une dynamique similaire dans la stratégie à adopter ainsi que dans la mise en œuvre de l’accueil client et de la formation des professionnels.
Généralement, les recherches liées aux destinations touristiques étudient l’image de la destination, élément essentiel dans le choix d’une destination touristique (Baloglu et McCleary, 1999), car elle renseigne sur les attributs spécifiques et uniques de la destination (Gartner, 1989) avant le séjour. Elle peut ainsi, dans sa communication auprès des touristes, générer une image forte et distinctive par rapport à ses concurrents. De nombreux travaux distinguent deux types d’images résultant de ce processus de formation : l’image induite provenant des informations des acteurs touristiques (publicité et promotion de la destination et des organismes touristiques) et l’image organique issue de l’exposition des consommateurs à des sources d’informations non touristiques, comme les médias hors du secteur du tourisme (Gunn, 1979 ; Frochot et Legoherel, 2007 ; Kim et Chen, 2016 ; Dubois et al. , 2017). L’image organique est souvent ancrée dans l’esprit des touristes car elle est constituée de représentations partagées qui véhiculent des stéréotypes (Zenker et Beckmann, 2012 ; Zenker et al. , 2017). La destination urbaine étant un objet de représentations (Vanolo, 2010), il est intéressant d’étudier les représentations sociales de la destination, définies comme un système de valeurs, d’idées et de pratiques (Moscovici, 1973).
La théorie des représentations sociales
La théorie des représentations sociales, développée par Serge Moscovici (1961), a reçu beaucoup d’attention de la part des chercheurs en psychologie sociale du monde entier (entre autres Deaux et Philogene, 2001 ; Moscovici, 2001), mais aussi ceux du domaine des marques (Michel, 1999 ; Bodet et al. , 2009 ; Tafani et al. , 2009) et du secteur du tourisme (Pearce et al. , 1996 ; Andriotis et Vaughan, 2003 ; Dickinson et Dickinson, 2006 ; Dickinson et Robbins, 2007 ; 2008 ; 2009 ; Dickinson et al. , 2009 ; Moscardo, 2009 ; 2011 ; Meliou et Maroudas, 2010 ; 2011 ; Lebrun, 2014 ; 2015 ; De Rosa et al ., 2019).
Située au carrefour des processus collectifs et personnels, l’approche relie le niveau du discours macro-social au comportement social individuel, à la cognition, à l’affect et à la compréhension symbolique (Moscovici, 1961 ; Jodelet, 1991). Les représentations sociales consistent en un système d’interprétation de la réalité régissant les relations entre les personnes et leur environnement physique et social, et pouvant déterminer comportements, pratiques et consommations (Abric, 1994 ; 2001). Elles renvoient à une forme de connaissance courante que n’importe quel individu appartenant à un groupe social donné peut avoir. L’identité, mise en saillance lors du recueil, influe sur la représentation (Salès-Wuillemin, 2007). Les représentations sont « sociales parce qu’elles sont partagées par les individus à partir d’un objet donné et constituent en tant que telles une réalité sociale qui peut influencer le comportement individuel » (Jaspers et Fraser, 1984 : 32).
Deux grands modèles théoriques des représentations coexistent : la théorie du noyau central ou structurelle (Abric, 1994) et la théorie des principes organisateurs (Doise, 1985). Selon l’approche structurelle, les représentations sociales sont composées d’un noyau central qui est « l’élément fondamental de la représentation, car c’est ce qui détermine à la fois le sens et l’organisation de la représentation » (Abric, 1994 : 21). Ce noyau comprend les éléments les plus universels et, en ce sens, il constitue l’élément le plus stable de la représentation, assurant sa pérennité dans des contextes mouvants et évolutifs (Abric, 2001). Les éléments périphériques, organisés autour du noyau central, y sont directement reliés : leur présence, leur valeur et leur fonction sont déterminées par le noyau. Ils constituent l’essentiel du contenu de la représentation, la partie la plus accessible, mais aussi la plus dynamique et la plus concrète. Ces éléments comprennent « l’information, les opinions sur l’objet et son environnement, les stéréotypes et les croyances » (Abric, 1994 : 25). Selon Jean-Claude Abric (2001), les éléments périphériques qui se rapportent davantage aux éléments contextuels sont les plus susceptibles de se transformer, car ce système a une fonction adaptative et il est l’interface entre le noyau et le contexte. Conformément à l’approche structurelle, deux représentations d’un même objet sont identiques si, et seulement si, le contenu de leur noyau central est similaire (Moliner, 1994). Ainsi, si un élément du noyau diffère, ce n’est pas la même représentation.
Les représentations sociales des touristes et des résidents
Les activités touristiques appartiennent à la sphère publique parce qu’elles sont influencées par la publicité, la communication et les pratiques de consommation. Les activités touristiques sont susceptibles d’être un objet de représentation socialement développé et partagé (Ladwein, 2003), dans le sens de Serge Moscovici (1961), surtout lorsque le « consommateur » est considéré comme un touriste ou comme un résident dans une destination urbaine donnée. Les études dans le secteur du tourisme ont utilisé les représentations sociales pour comparer les capitales européennes entre elles (De Rosa et al. , 2019), le développement touristique de groupes de travailleurs du tourisme (Meliou et Maroudas, 2010) pour comparer la représentation sociale du tourisme entre résidents et communautés touristiques (Pearce et al. , 1996) ou encore comparer différents groupes de touristes (Dickinson et al. , 2009 ; Lebrun, 2014 ; 2015 ). Les représentations sociales peuvent donc être utilisées pour comprendre comment chaque groupe perçoit une destination (Pearce et al. , 1996).
Parmi les catégories de groupes, les touristes et les résidents ont reçu beaucoup d’attention ces dernières années dans la littérature touristique (voir entre autres : Sharpley, 2014 ; Stylidis et al. , 2017 ; Zenker et al. , 2017 ; Joo et al. , 2018). Les résidents jouent un rôle important dans l’industrie du tourisme étant donné qu’ils constituent une part importante du lieu et, par extension, de l’expérience du visiteur (Freire, 2009). Ils profitent directement des développements positifs, mais perçoivent aussi les effets sociaux et environnementaux négatifs du tourisme (Sharpley, 2014). De plus, lorsqu’ils sont satisfaits, ils peuvent jouer le rôle d’ambassadeurs (Palmer et al. , 2013), voire de Greeters . La recherche touristique a accordé beaucoup plus d’attention aux attitudes des résidents envers les touristes (en tant qu’individus) et à la planification du tourisme (Sharpley, 2014 ; Wang et Xu, 2015) qu’à leur perception d’un lieu et à la façon dont ces attitudes peuvent affecter les objectifs touristiques. Ainsi, peu d’attention a été accordée à la façon dont l’image de marque ou la représentation sociale d’une destination affecte à la fois touristes et résidents (à l’exception de Palmer et al. , 2013 ; et Stylidis et al. , 2017), surtout en comparant simultanément les deux groupes (Zenker et Beckmann, 2012 ; Hanna et Rowley, 2015). Pourtant, les représentations sociales de ces groupes peuvent diverger. Les résidents ont tendance à avoir une perception plus exacte de leur lieu ou à développer des niveaux d’attachement plus forts en raison de leurs expériences de vie dans la destination (Stylidis et al. , 2017), alors que les touristes se réfèrent davantage à des stéréotypes (Zenker et Beckmann, 2012 ; Zenker et al. , 2017) . En conséquence, la problématique pour les villes est de trouver un équilibre entre le désir des collectivités territoriales ou des entreprises de développer le tourisme en accueillant les touristes sur leur territoire et la préservation de leur identité locale pour éviter le rejet du tourisme par les populations résidentes, comme c’est notamment le cas actuellement à Venise ou à Barcelone.
La théorie des représentations sociales permet d’apporter un nouvel éclairage dans la recherche touristique en analysant la vision des touristes et des résidents vis-à-vis d’une destination urbaine. Son cadre aidera à identifier et à comparer le contenu de la représentation sociale de la destination touristique urbaine pour ces deux groupes, puis à les confronter aux campagnes de communication multiniveau.
Cadre méthodologique
La méthodologie utilisée pour cette étude comporte deux étapes. Tout d’abord, une analyse des communications réalisées par la ville, la région et la France entre 2010 et 2013 (par le biais des sites Internet et des brochures de l’Office de tourisme, du Comité régional du tourisme – CRT – de Bourgogne, et d’Atout France) a permis de caractériser les stratégies de communication et de repérer les termes utilisés dans celles-ci à propos de la ville ou de la région. Ensuite, deux études ont été réalisées auprès de touristes français séjournant à Dijon et de résidents de la ville dans le but d’analyser les représentations sociales de ces deux groupes et ainsi d’identifier les termes associés à la destination touristique pour ensuite les comparer avec ceux utilisés dans les différentes communications territoriales susmentionnées effectuées antérieurement.
Phase 1 : L’analyse de la communication touristique
La présente étude, au regard de la problématique de recherche posée, a mis en évidence de manière inductive une récurrence d’axes thématiques de communication. Pour ce faire, une analyse des documents de communication disponibles sur le Web, mais aussi plus « matériels » (brochures, affiches, vidéos, etc.), a été réalisée. Seules les actions de communication publique et effectuées à l’intention de la population française ont été retenues dans les tableaux de synthèse.
Les données ont été compilées par thèmes de communication majeurs, classifiés par ordre d’importance croissant, sur la période de 2010 à 2013. Les résultats sont présentés en deux tableaux : avant et pendant la phase d’étude ( tableaux 2 et 3 ). Les deux années précédant l’étude ont été prises en compte, 2010 étant une sorte « d’état des lieux » de la représentation et 2011 étant l’année de conception de la campagne de communication 2012. De plus, des événements locaux ou nationaux, ou bien encore le canal utilisé l’année précédente peuvent expliquer une modulation de l’importance des axes de communication pour l’année suivante. Cela permet de constater la fluctuation de la communication sur une période autre que celle de l’étude, mais pourrait également expliquer certaines représentations mises en avant par les répondants de la deuxième étude.
Phase 2 : L’analyse des représentations sociales
La collecte des données a été réalisée en face-à-face auprès de deux échantillons de convenance. La première étude, s’intéressant uniquement aux touristes français âgés de 20 ans ou plus visitant la ville de Dijon de manière indépendante, a été réalisée dans les rues principales de la ville en octobre, novembre et décembre 2012 ainsi qu’en avril, mai et juin 2013. Le choix de cette période est lié à la période touristique locale. Pendant la même période, une deuxième étude a été réalisée auprès des résidents de la ville. Ces deux études ont permis d’obtenir 294 réponses exploitables pour les touristes et 280 pour les résidents. Les caractéristiques des échantillons sont présentées dans le tableau 1 .
Les représentations sociales de la ville de Dijon sont mesurées en utilisant le test d’indépendance au contexte (TIC) (Lo Monaco et al. , 2008), basé sur le degré d’association de caractéristiques à un objet de représentation. Les caractéristiques devant être jugées lors du TIC sont issues d’une étude d’association verbale effectuée au préalable sur 253 touristes interrogés en face-à-face dans les rue de Dijon. Ces derniers devaient évoquer spontanément dix mots relatifs à l’inducteur « Dijon destination touristique ». Le champ des représentations sociales est constitué des douze mots cités par plus de 10 % de l’effectif ( tableau 4 ).
Le TIC permet, comparativement à d’autres méthodes, au-delà d’une ergonomie cognitive démontrée (Lo Monaco et al. , 2008), de mettre en évidence les éléments inhérents au noyau central et d’en affirmer une présence non négociable, indépendante du contexte de réponse (Abric, 1994). La méthode du TIC consiste en l’attribution binaire de caractéristiques concernant un objet de représentation (appartient vs n’appartient pas). De manière plus concrète, l’énoncé (« Pour vous la ville de DIJON, en tant que destination touristique [objet], est toujours dans tous les cas associée à Y [caractéristique] ») repose sur l’association systématique d’une caractéristique à un objet de représentation, ce qui en fait une caractéristique immuable définissant l’objet. Dans notre cas, la phrase du TIC mettait en évidence l’identité propre à chaque groupe (« En tant que touriste/résident donnez-nous votre degré d’accord avec les affirmations suivantes [sur une échelle de Likert en 7 points] »). Après avoir donné leur réponse pour les douze items, les participants devaient répondre aux questions sociodémographiques classiques. Ainsi, la validation de l’item comme étant inhérent au noyau central s’effectue par le degré d’association de cette caractéristique à l’objet, déterminée par un seuil statistique (voir section « Cadre méthodologique »). Au-dessus de ce seuil, l’élément est central et, en deçà, il est périphérique. Les éléments du noyau central sont des éléments stables de la représentation, non négociables et définissant l’objet, contrairement à ceux de la périphérie, qui reflètent une contingence. La mise en évidence de ces deux zones de la représentation est essentielle pour comprendre les croyances associées à notre objet de représentation afin d’en inférer l’influence d’une communication antérieure, et les communications ultérieures adéquates, le but étant que les éléments voulus de la communication soient centraux.
Cette méthode est pertinente au vu de notre objet de recherche pour montrer que la communication a eu un effet et que les éléments restent en mémoire hors contexte, car ils définissent l’objet. La pratique relative à l’objet structurant la représentation (Rouquette, 1994), les résidents et les touristes devraient avoir des représentations différentes. Plus précisément, les résidents, en raison d’une fréquentation plus grande de l’objet de représentation et de la communication, auraient un noyau central plus complexe, contenant davantage de termes cités, ainsi qu’une fréquence d’occurrence relative supérieure, tandis que les touristes resteraient sur des stéréotypes.
Résultats
Analyse de la communication
Cette analyse (tableaux 2 et 3) sert à objectiver les thèmes sur lesquels la communication a été effectuée, et ce, à trois niveaux : national, régional et ville. Bien que l’imbrication de ces trois niveaux aboutisse à une communication plurielle, de manière générale, la volonté des actions publiques est de changer l’image de la Bourgogne conformément aux directives de l’État sur la modernisation des offres touristiques à travers la loi 2009-888 du 22 juillet 2009 (Côte d’Or Tourisme, 2011). Le niveau intermédiaire régional change sa stratégie concernant la communication sur la Bourgogne : le vin ne se résume plus à un élément à part entière, mais s’inscrit dans la potentialité touristique du lieu, en le combinant avec d’autres buts comme la randonnée ou les séjours gastronomiques, appuyant ainsi la distinction voulue entre « la Bourgogne » et « le bourgogne » ; le bourgogne devient alors un sous-produit de la destination Bourgogne. La stratégie de communication régionale concernant la région comme la ville met en avant la gastronomie et le vin, mais aussi les produits typiques, la modernité et le patrimoine. La gastronomie est donc première et le vin second sur la communication régionale relative à Dijon. La ville est intégrée au « circuit de la Route des vins », faisant de Dijon une étape et non pas une destination à part entière se concentrant sur le vin. La communication de la ville est similaire et est axée sur des points patrimoniaux précis comme l’héritage des Ducs, la tour Philippe le Bon ou encore le parcours de la Chouette. La communication de la région Bourgogne pour Dijon est davantage orientée sur le tourisme et met en avant le patrimoine, l’histoire, le vin, les produits du terroir, la gastronomie. La communication de la ville reprend ces axes et y ajoute l’aspect « shopping » propre à la ville, ainsi que « cassis » à travers les voitures de tramway.
Analyse des représentations sociales
Dans la méthode du TIC, le sujet inclut l’élément dans sa représentation s’il répond plutôt positivement (Lo Monaco et al. , 2008) . Pour chaque item, une moyenne des scores sous forme binaire est effectuée. Les scores obtenus sur l’échelle de Likert sont ramenés à un score binaire d’appartenance à la représentation sous la forme n’appartient pas (scores 1 à 4 ramenés à 0) ou appartient (scores 5 à 7 ramenés à 1). Un seuil de centralité est fixé soit par le test de Kolmogorov-Smirnov (Abric, 2003), soit arbitrairement entre 75 % et 85 % (Salesses, 2005). Le seuil retenu dans cette étude est de 80 % (Salesses, 2005) : au- dessus, l’élément sera considéré comme central et, en dessous, comme périphérique. Les résultats obtenus (tableau 4) montrent que les représentations sociales diffèrent puisque les deux noyaux sont distincts. Le noyau central des deux échantillons partage trois termes : « moutarde », « vin » et « Bourgogne », mais celui des résidents comprend aussi « ducs » et « chouette ».
L’analyse de variance multivariée (MANOVA) (tableau 5) montre une différence significative pour les termes « chouette » (F=14,38, p<0,001), « cassis » (F=19,96, p<0,05) et « Bourgogne » (F=3,67, p<0,001).
La comparaison des deux représentations sociales montre des termes communs dans les noyaux centraux qui sont associés aux caractéristiques de la destination et à son ancrage territorial dans la région (« moutarde », « vin » et « Bourgogne »). Les termes « chouette » et « ducs », qui sont centraux pour les résidents mais périphériques pour les touristes, ainsi que les éléments périphériques « beau » et « architecture », sont des éléments primaires de la ville liés aux spécificités culturelles et patrimoniales. Les termes « gastronomie » et « cassis » sont quant à eux liés aux spécificités culinaires de la ville et font aussi partie des éléments primaires de la destination. Les éléments périphériques liés à la déambulation (« beau », « agréable », « froid », « shopping ») sont surtout secondaires.
Comparaison entre les différents niveaux de communication et les représentations sociales
L’analyse de la communication montre que la communication des trois strates territoriales est cohérente sur les axes patrimoine, gastronomie et œnotourisme aussi bien pour la région que pour la ville, même si l’aspect « shopping » est spécifique à la ville. Ces représentations sociales identifient trois axes correspondant aux thèmes de communication de la ville pour les deux populations, avec des poids différents (voir illustration 1 ) :
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un axe gourmand (« moutarde », « Bourgogne », « vin », « gastronomie » et « cassis ») ;
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un axe patrimonial (« ducs », « chouette », « architecture » et « beau ») ;
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un axe shopping (« shopping », « agréable » et « froid »), lié à la déambulation dans la ville pour les touristes ; « froid » fait certainement référence au climat, et « agréable » pourrait qualifier quasiment n’importe quelle ville en France.
Les résultats des analyses des représentations sociales montrent une interaction des strates communicationnelles dans les noyaux centraux des populations. Les éléments partagés (« moutarde », « vin », « Bourgogne ») font référence aux produits et à la destination. Les touristes ont moins de mots dans leur noyau central que les Dijonnais, ce qui montre une structuration de la représentation basée sur des stéréotypes, tandis que la représentation des résidents inclut stéréotypes et nouveaux éléments, en raison d’une pratique à l’objet supérieure. Étant donné que la région et la ville communiquent sur ces éléments, la différence de l’impact du niveau communicationnel viendrait de la présence d’éléments centraux non partagés : les résidents sont plus sensibles aux communications régionales et locales puisque « ducs » et « chouette » apparaissent dans le noyau central des résidents et dans la zone périphérique des touristes. Notons également que « cassis » est proche du seuil d’appartenance au noyau central pour les Dijonnais et non pour les touristes. L’item « vin » relate un héritage des communications antérieures à 2012, la volonté actuelle étant de différencier destination et produit.
Discussion et conclusion
Cette étude avait l’objectif d’analyser l’effet de la communication institutionnelle multiniveau sur les représentations sociales des touristes et des résidents. Elle a abordé les représentations sociales d’une destination afin de mieux comprendre les éléments qui restent en mémoire et influencent les comportements ultérieurs des touristes. Le contenu et l’organisation de la représentation sociale étant déterminés par la position commune des individus dans la société vis-à-vis de l’objet de la représentation (Doise, 1985), tels les touristes et les résidents, il semble alors logique que la représentation sociale modère le choix comportemental futur du touriste, ce qui a été mis en avant par la littérature (Dickinson et Robbins, 2007).
Au vu des résultats de notre analyse, Dijon est envisagée comme une destination urbaine. Touristes et résidents la considèrent comme une ville patrimoniale avec des sites historiques, des manifestations et équipements culturels et des activités commerciales. L’identité culturelle et patrimoniale de la marque Dijon semble être bien perçue. Pour être considérées comme destinations urbaines, les villes doivent proposer des attractions urbaines, fortement soutenues par une appréciation renouvelée du cadre patrimonial, des activités commerciales, des manifestations et des équipements culturels (Jansen-Verbeke et Lievois, 1999). Toutes les villes ne possèdent pas les ressources culturelles permettant de développer une industrie touristique viable (Russo et Van der Borg, 2002). Il s’agit donc de promouvoir les ressources existantes en conjonction avec d’autres formes d’attractions touristiques, allant de l’événementiel à la gastronomie, tout en apportant une image diversifiée, originale et attrayante. Comme l’ont souligné Gérard Dunne, Sheila Flanagan et Joan Buckley (2010), le tourisme en ville permet d’échapper rapidement à la routine de la vie quotidienne. Ainsi, les villes doivent transformer leurs ressources patrimoniales, culturelles et urbaines en produits touristiques (Jansen-Verbeke et Lievois, 1999).
Dans notre analyse, la dimension gourmande développée par la communication de la région et de la ville est bien évoquée par les résidents et les touristes, reflétant une identité gourmande de la ville et du territoire bourguignon ancrée dans l’identité locale. Cette identité gourmande, qui, outre la « moutarde » et la « Bourgogne », comprend le « vin » mais aussi la « gastronomie » et le « cassis », est importante, surtout au moment où le « Repas gastronomique des Français » a officiellement fait son entrée au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Il est intéressant de noter que le cassis, élément relativement important du patrimoine gastronomique pour les résidents, l’est moins pour les touristes. La ville de Dijon est fortement associée à la moutarde, même lorsque l’on parle de destination touristique, cet élément semblant ancré depuis longtemps dans l’esprit des personnes interrogées. Il semble donc difficile de vouloir ignorer cet aspect se rapportant à l’image organique de Dijon, car le stéréotype perdure. Les destinations sont parfois tentées de minimiser cette identité alors qu’elle est indissociable de la destination et que la dimension gourmande fait partie de l’identité d’une ville. Il est probable que l’on retrouve les identités gourmandes liées aux spécificités dans d’autres villes.
La dimension patrimoniale et culturelle associée aux éléments primaires de la ville de destination (« ducs », « chouette », « architecture » et « beau ») est aussi évoquée par les résidents et les touristes, et est développée par les trois strates territoriales, aussi bien pour la région Bourgogne que pour la ville. La communication de la « chouette » se retrouve dans les deux strates territoriales (région et ville) à travers le parcours de la Chouette qui permet de visiter le centre historique. De plus, la chouette, omniprésente sur le site Internet de l’Office de tourisme, a été choisie comme emblème touristique de Dijon. L’ancrage patrimonial et culturel de la ville est toutefois plus prononcé pour les résidents que pour les touristes. En effet, la communication sur les « ducs » et la « chouette » ne semble pas avoir porté ses fruits puisque ces deux termes n’apparaissent pas dans le noyau central de la représentation sociale des touristes. Cette dimension patrimoniale est cependant très importante du fait qu’elle représente les éléments primaires de la ville qui identifient les caractéristiques fondamentales de cette destination et sont généralement à l’origine de sa visite.
La dimension liée aux éléments secondaires de la ville de destination, évoquée par les résidents et les touristes, regroupe des éléments périphériques liés au contexte : « shopping », « froid » et « agréable ». La dimension shopping est essentiellement développée par la communication de la ville et non par la région. Le shopping, une des principales activités du tourisme urbain, fait partie des éléments secondaires et joue un rôle d’appui important en tant qu’activité additionnelle aux éléments primaires d’une ville (EUROSTAT, 2008). Pour les touristes, les éléments périphériques associés à la déambulation lors du shopping, tels que « ducs » et « chouette », semblent nécessaires car ils permettent la découverte de la ville et des expériences qu’elle offre. Pour les touristes, la représentation semble émergente, construite lors de l’exploration de la ville. Le touriste semble de ce fait condamné à faire l’expérience de la ville pour élaborer une représentation (Gunn, 1979 ; Ladwein, 2003). Ainsi, les résidents distinguent bien les spécificités de la ville tandis que les touristes ont une représentation plus simple de la destination : la représentation sociale des résidents semble plus complexe que celle des touristes. Cela est conforme aux résultats des travaux de Sebastian Zenker et Suzanne C. Beckmann (2012) et ceux de Sebastian Zenker avec Erik Braun et Sibylle Petersen (2017), qui concluent que la perception d’une destination par les touristes se fonde essentiellement sur des stéréotypes simples, réduisant, par exemple, Paris à une ville d’art et d’amour.
L’efficacité de la communication touristique pour la destination Dijon montre ses limites dans certains domaines, par exemple la dimension patrimoniale, à l’origine d’une visite, qui est plus forte chez les résidents que chez les touristes. Les deux éléments pour lesquels la région et la ville communiquent beaucoup (« ducs » et « chouette ») n’apparaissent pas dans le noyau central de leur représentation sociale. De plus, la dimension gourmande se base surtout sur l’aspect vinicole de la région Bourgogne et sur la moutarde, déjà dans le noyau central. La communication touristique des destinations doit faire rêver et consolider leur identité grâce à une bonne image (Chevrier, 2005), pour se différencier et attirer les touristes. Il importe alors d’effectuer une communication ciblée et de trouver une adéquation entre communication voulue et zone de représentation. La modification du noyau central ne pouvant se faire que par le biais des éléments périphériques (Flament, 1994), il faut alors communiquer prioritairement sur les éléments périphériques structurants (gastronomie pour Dijon) qui permettent de renforcer le noyau central en présentant des éléments cohérents avec l’identité de la ville, car l’attitude envers l’objet est influencée par la pratique de l’objet mais aussi par la communication (Michel, 1999). Dans ce cadre, la ville de Dijon communique sur les éléments du noyau central « vin » et « Bourgogne », associés à la gastronomie (élément périphérique), en s’appuyant sur la Cité de la gastronomie et du vin et l’inscription des Climats de Bourgogne sur la Liste du patrimoine mondial de l’humanité (éléments périphériques « architecture » et « ducs » pour le secteur sauvegardé de la ville). Mais comment faire rêver et attirer les touristes avec un positionnement œnogastronomique, historique, en France et en Bourgogne, mais qui au cours des quinze dernières années est devenu l’un des segments les plus dynamiques et les plus créatifs du marché touristique mondial (Organisation mondiale du tourisme, 2012, dans Corneau-Gauvin et Csergo, 2016), utilisé par de nombreuses destinations.
Parties annexes
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