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Homes and Haunts fait référence à un genre littéraire qui a connu son apogée durant la seconde moitié du XIX e siècle et la première du XX e siècle. Le terme réfère à quantité d’ouvrages, anglo-saxons dans leur ensemble, qui décrivent des pèlerinages chez des auteurs, des lieux qu’ils ont fréquentés ou encore des endroits dépeints dans leurs œuvres. L’entreprise d’Alison Booth, professeure d’anglais à l’Université de Virginie, consiste à décrire les liens entre ce genre littéraire jusqu’ici très peu abordé dans les études critiques et le contexte social, politique et culturel dans lequel il s’inscrit. Depuis la seconde moitié du XX e siècle, l’étude de la réception accorde davantage de place à la culture populaire. Parallèlement, la muséologie s’est rapprochée de la démarche des cultural studies . Booth cherche, dans cette veine, à comprendre les liens entre la biographie des auteurs et le développement des maisons et des parcours d’écrivains en véritables pratiques touristiques. Elle s’inscrit en cela dans l’esprit de la recherche sur la construction des traditions évoquée par Benedict Anderson ou Raymond Williams.
Le premier chapitre explore la démocratisation à la fois des pratiques touristiques et de l’accès à la littérature au Royaume-Uni et aux États-Unis. L’auteure y fait ressortir les dimensions socioéconomiques du pèlerinage littéraire, notamment à travers l’histoire de la mise en place de marqueurs topo-biographiques comme des plaques commémoratives, d’abord ponctuelles puis organisées en parcours urbains ou ruraux. Le chapitre 2 porte sur les pèlerinages littéraires et les tropes narratives du genre Homes and Haunts proprement dit. En analysant les œuvres de plusieurs représentants majeurs de ce genre littéraire, comme Theodore F. Wolfe ou William Howitt, aujourd’hui oubliés, elle fait ressortir l’ampleur du succès qu’il a connu, ses effets sur l’aménagement de certains sites, sur l’affluence touristique et sur la mise en place de véritables itinéraires, autant de passages obligés de la bonne société.
Le chapitre suivant aborde plus spécifiquement la question des genres et de l’espace privé. C’est peut-être la contribution la plus novatrice de l’ouvrage. Booth y détaille l’importance du rôle des femmes dans les protocoles sociaux associés à l’expérience de la visite chez l’écrivain, particulièrement à travers les auteures Mary Russel Mitford, Elizabeth Gaskell et les sœurs Brontë. Sans être des tenantes du genre littéraire Homes and Haunts elles ont exercé, au cœur de la morale victorienne, une influence considérable sur les horizons d’attentes des visiteurs de l’époque comme d’aujourd’hui.
Booth s’intéresse aux épouses et époux des auteurs, à la façon dont les pratiques de la vie quotidienne, dont les rapports hommes-femmes et visiteurs-visités, ressortent des descriptions littéraire géosituées, des correspondances de l’époque ainsi que des artéfacts conservés, leur disposition et leur mise en musée. Elle évoque également les différences entre visiteurs étatsuniens et anglais. Au fil de l’ouvrage, ce sont donc non seulement l’œuvre et les lieux, mais aussi les ménages d’Henry James, de Nathaniel Hawthorne, de Thomas Carlyle et de Virginia Woolf que nous sommes amenés à explorer. Cette dernière, n’étant pas seulement l’objet de musée sur sa vie et son œuvre, mais ayant également été commentatrice de la pratique du pèlerinage littéraire, est le centre du cinquième chapitre.
L’écriture de Booth ne cherche pas l’objectivité, mais assume au contraire pleinement sa sensibilité, exprimant volontiers les impressions que laissent sur elle les personnes rencontrées, les émotions qu’ont soulevées la lecture des textes ou l’exploration des nombreux sites où elle amène le lecteur. C’est à cela que sont consacrés surtout les cinquième et sixième chapitres. Il en résulte parfois une impression de redite, voire de désordre, car cette structure oblige l’auteure à traiter à nouveau des cas abordés précédemment. Les illustrations assez nombreuses du livre viennent toutes à propos. Elles dépeignent avec éloquence les éléments paysagés, biographiques et architectoniques privilégiés par les guides de voyage de l’époque, de même que les ambiances que Booth débusque dans son travail de terrain.
Au sixième et dernier chapitre, Booth examine en profondeur le cas de Charles Dickens et la question du rôle des visiteurs dans la création et la circulation d’expériences, de discours, d’attentes. La mise en scène de l’héritage de Dickens, notamment les aménagements successifs du Charles Dickens Museum de Londres, censés répondre aux goûts du public en matière de nostalgie, ainsi que la mise en scène du parc d’attractions Dickens World, aussi à Londres, servent alors à Booth d’ouverture vers les développements contemporains du tourisme littéraire.
Un appel à accorder davantage d’attention à l’univers numérique, où la frontière entre visiteurs et écrivain tout en devenant plus floue permet de nouvelles explorations, sert de clôture à l’ouvrage. Les pratiques nouvelles de la réception peuvent nous aider à accorder un rôle nouveau aux lecteurs dans la collecte de données littéraires et historiques et permettraient également, prétend Alison Booth, de saisir de nouveaux liens entre œuvres, lieux et expériences de visite.