Numéro 131, 2023 Gestes anthologiques : usages, appropriations, actualisations des poètes des xvie et xviie siècles Sous la direction de Maxime Cartron
Sommaire (7 articles)
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Liminaire
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Maurice Scève entre Mallarmé, les avant‑gardes et le baroque
Thomas Hunkeler
p. 11–26
RésuméFR :
Cet article passe en revue trois moments, dont certains anthologiques, qui lisent Scève tour à tour à la lumière de Mallarmé, des avant-gardes et du baroque. Trois moments qui éclairent, chacun à sa façon, ce que lire Scève dans la seconde moitié du xxe siècle a pu vouloir dire, qui mettent en évidence en quoi ce dernier a pu devenir une ressource essentielle dans l’aventure de la pensée littéraire de cette époque. Trois moments qui éclairent aussi, ce faisant, un pan de l’histoire littéraire et éditoriale, laquelle, pour le meilleur et pour le pire, n’est plus tout à fait la nôtre.
EN :
This article examines three moments, some anthological, which read Scève in the context of, alternatively, Mallarmé, the avant-gardes and the Baroque. Three moments that shed light, each in its way, on what reading Scève in the second half of the twentieth century may have meant, and which demonstrate how the latter managed to become an essential resource in the literary adventure of this period. By doing so, these three moments also highlight a chapter of literary and editorial history, one that, for better and worse, is no longer quite our own.
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André Mage par Pierre Menanteau, « Poètes d’aujourd’hui »
Audrey Duru
p. 27–47
RésuméFR :
L’article interroge l’anthologie de poésie baroque comme format éditorial plastique. En l’occurrence, précédée d’un essai qui évalue les classements des anthologies disponibles en combinaison avec une poétique de l’imaginaire parente de celle de Gaston Bachelard, l’anthologie étudiée ici prétend ne pas conférer une légitimité d’auteur au poète du xvie siècle André Mage de Fiefmelin. Opération éditoriale entourée d’humilité, possible malgré les lacunes de l’érudition, elle permet au poète Pierre Menanteau de formuler une poétique indirecte et de manifester sa maîtrise du champ poétique par une historiographie d’écrivain. Tandis que le genre du florilège collectif ressurgit dans l’essai critique, l’anthologie annoncée comme baroque obéit davantage à un principe de géopoétique et de poétique des éléments. La poésie baroque est ainsi tenue pour un fait contemporain susceptible d’éclairer le passé : réciproquement, le sens du tragique discerné chez André Mage vient enrichir l’intelligence de la poésie vivante comme discours où ce sens du tragique, rattaché en particulier à la Bible, est combattu. Les prix et la publicité à la parution du volume indiquent son efficace consacrante immédiate pour Pierre Menanteau et, à plus long terme, pour André Mage.
EN :
This article examines the Baroque poetry anthology as a plastic editorial format. Preceded by an essay that evaluates the classifications of available anthologies together with a poetics of the imaginary akin to that of Gaston Bachelard, the anthology studied here professes to refuse authorship to the sixteenth-century poet André Mage de Fiefmelin. An editorial operation imbued with humility, possible despite gaps in knowledge, it allows the poet Pierre Menanteau to formulate an indirect poetics and demonstrate his mastery of the poetic field via a writer’s historiography. Whereas the genre of collective poetic works resurfaces in the critical essay, the anthology advertised as Baroque further subscribes to a principle of geopoetics and a poetics of the elements. Baroque poetry is thus held to be a contemporary fact that can potentially shed light on the past: in turn, the tragic sense one discerns in André Mage enriches the intelligence of living poetry as a discourse in which this tragic sense, associated in particular with the Bible, is challenged. The prices and publicity on the volume’s publication point to its effective and immediate consecration for Pierre Menanteau and, in the longer term, for André Mage.
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« Soudaines clartés et ombres sanglantes » : Jean Rousset éditeur de La Ceppède
William Barreau
p. 49–65
RésuméFR :
Cet article se propose d’étudier l’édition par Jean Rousset en 1947, chez l’éditeur Guy Lévis Mano (GLM), d’une sélection de sonnets tirés des Théorèmes spirituels. Cette édition est importante pour deux raisons. La première, c’est qu’elle est la première réédition moderne de Jean de La Ceppède. La seconde, c’est qu’elle constitue dans la trajectoire de Jean Rousset un événement qui s’inscrit dans la constitution de sa définition d’un baroque poétique français. Le choix des sonnets, la matérialité du recueil ainsi que la préface signée par Rousset sont autant d’éléments qui témoignent des débuts de la constitution d’un corpus poétique baroquiste. Le geste anthologique traduit également la lecture spécifique qu’il a faite de La Ceppède (dont il édite les Théorèmes en 1966), auteur duquel il a tiré des éléments d’une poétique baroque, en sélectionnant certains sonnets dont les caractéristiques stylistiques ou thématiques l’ont attiré et qu’il a agencés d’une façon qui annonce déjà ses travaux ultérieurs.
EN :
This article proposes to study Jean Rousset’s 1947 edition, by the publisher Guy Lévis Mano (GLM), of a selection of sonnets drawn from Théorèmes spirituels. The edition is noteworthy for two reasons: first, it is the first modern re-edition of Jean de La Ceppède and second, it marks an event in Jean Rousset’s trajectory that falls within his definition of a French Baroque poetics. The choice of sonnets, the materiality of the collection and the preface signed by Rousset are all elements pointing to the start of the constitution of a Baroque poetic corpus. The anthological gesture also reflects his specific reading of La Ceppède (whose Théorèmes he edited in 1966), an author from whom he drew elements of a Baroque poetics by selecting certain sonnets whose stylistic or thematic characteristics appealed to him and which he arranged in a way that foreshadowed his subsequent work.
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Les Oeuvres choisies de Théophile de Viau par Jean-Pierre Chauveau ou le parti pris de l’actualisation
Michèle Rosellini
p. 67–81
RésuméFR :
Quand Jean-Pierre Chauveau édite les Oeuvres diverses de Théophile de Viau, il adopte un style de présentation de l’anthologie en rupture avec les choix de ses prédécesseurs. Renonçant au classement générique et à la reprise des pièces de circonstance destinées à retracer la carrière courtisane du poète, il organise le parcours chronologique de l’oeuvre en fonction des étapes de la « destinée dramatique » de celui-ci (succès, disgrâce, prison, mort), tout en sélectionnant les poésies les plus accessibles à l’émotion immédiate des lecteurs, d’emblée éveillée par le titre pathétique tiré des derniers vers du poète mort à 36 ans : Après m’avoir tant fait mourir. Par ces divers modes d’actualisation, le recueil trouve une place légitime dans la collection « Poésie/Gallimard », vouée principalement à la diffusion des oeuvres poétiques contemporaines, françaises et étrangères, et entre en résonance, au début du xxie siècle, avec l’histoire du siècle précédent marqué par la persécution des artistes et des intellectuels.
EN :
When editing Théophile de Viau’s Oeuvres diverses, Jean-Pierre Chauveau chose a style of presentation that broke away from that of his predecessors. Rejecting generic classification and the reprise of fugitive works intended to retrace the poet’s courtesan career, he organized the work’s chronological trajectory based on the stages of Viau’s “dramatic destiny” (success, disgrace, prison, death) while selecting those poems most immediately and emotionally accessible to readers taken aback by the mournful title of the final verses of the poet, dead at 36: Après m’avoir tant fait mourir. Thanks to these different updating modes, the anthology finds a legitimate place in the “Poésie/Gallimard” collection, devoted for the most part to the distribution of contemporary French and foreign poetry. As well, it resonates, in the early twenty-first century, with the history of the preceding century marked by the persecution of artists and intellectuals.
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Saint-Amant et le « prestige de l’Académie française » : « poésies baroques » de 1968
Maxime Cartron
p. 83–96
RésuméFR :
L’anthologie intitulée Poésies baroques de Marc-Antoine Girard Sieur de Saint-Amant, parue le 31 décembre 1968 chez Vialetay dans la collection « Prestige de l’Académie française », témoigne d’un effort matériel pour marquer l’accord entre l’objet-livre et la gloire de son origine institutionnelle. L’éditeur et les compilateurs construisent l’oeuvre de Saint-Amant en objet de jouissance visuelle, tout en en développant une lecture biographique visant à anéantir ce qu’ils perçoivent comme un danger moral : celui du baroque entendu comme désordre de l’institution.
EN :
The anthology titled Poésies baroques de Marc-Antoine Girard Sieur de Saint-Amant, published December 31, 1968 by Vialetay in the collection “Prestige de l’Académie française”, reflects a material effort to mark the agreement between the book-object and the glory of its institutional origin. The publisher and compilers constructed Saint-Amant’s work as an object of visual enjoyment while developing a biographical reading of it that aimed to destroy what they perceived as a moral danger: that of the Baroque understood as a disorder of the institution.
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Spiritualité pour le temps présent. La poésie de Jeanne Marie Guyon selon « Le chant de l’âme» de Marie-Louise Gondal (1995)
Clément Duyck
p. 97–118
RésuméFR :
Cet article veut mettre en lumière la façon dont l’anthologie du « Chant de l’âme » de Marie-Louise Gondal (1995) s’efforce de rendre lisible le corpus poétique de Jeanne Marie Guyon. Après avoir situé le projet de Marie-Louise Gondal dans l’histoire éditoriale de la poésie de Jeanne Guyon, l’article montre comment l’anthologie invente un corpus poétique qui ne concerne pas tant l’histoire du recueil de Jeanne Guyon que les lecteurs contemporains de l’anthologie, auxquels Marie-Louise Gondal souhaite offrir une réponse spirituelle à la « crise » du présent.
EN :
This article proposes to show how Marie-Louise Gondal’s anthology “Le chant de l’âme” (1995) endeavors to clarify the poetry of Jeanne Marie Guyon. After situating Marie-Louise Gondal’s project within the editorial history of Jeanne Guyon’s poetry, the article demonstrates how the anthology invents a poetry corpus that is less concerned with the history of Jeanne Guyon’s collection than with the anthology’s contemporary readers, to whom Marie-Louise Gondal wishes to offer a spiritual response to the “crisis” of the present.