Résumés
Résumé
L’article propose la relecture et la confrontation d’une dizaine d’oeuvres, certaines mineures, d’autres canoniques, écrites entre 1629 et 1887 et consacrées en tout ou en partie au fromage envisagé sous l’angle de la puanteur comme source paradoxale de jouissance ou au contraire comme répulsif. Du Cantal de Saint-Amant au Ventre de Paris de Zola, l’expérience de cette puanteur témoigne en ses évocations non seulement d’une profonde transformation, mais d’une remarquable réversibilité, qu’éclairent tour à tour l’histoire de la sensibilité olfactive (Alain Corbin) et la pensée esthétique moderne. En effet, le xviiie siècle voit succéder peu à peu à l’habitude immémoriale des exhalaisons fétides et des senteurs animales la recherche de fragrances légères et végétales. Cet abaissement des seuils de tolérance entraîne l’atténuation des odeurs incriminées, soit par dosage soit par mélange : on peut risquer un parallèle avec ces pharmaka dont l’emploi et la dilution déterminaient seuls la nocivité ou la bénignité. Dans le paysage olfactif moderne, pareille ambivalence constitutive acquiert une dimension qu’on nommera faute de mieux esthétique et qui établit la réversibilité du goût et du dégoût, de l’attrait et de la répugnance en fonction de la concentration de l’objet, comme le suggère Baudelaire dans son essai Du vin et du haschich.
Abstract
This article proposes the re-reading and comparison of some dozen works, some minor, others canonical, written between 1629 and 1887 and devoted in whole or in part to cheese viewed from the perspective of its bad smell as a paradoxical source of pleasure or, conversely, as disgusting. From Saint-Amant’s Cantal to Zola’s Belly of Paris, evocations of the experience of stink attest to not only a profound transformation, but also a remarkable reversibility, explained, in turn, by the history of olfactory sensitivity (Alain Corbin) and by modern thought on aesthetics. Indeed, the eighteenth century saw the immemorial habit of fetid odours and animal smells gradually replaced by the search for mild, plant-based fragrances. This lowering of thresholds of tolerance led to a weakening of offending odours, through dosing or mixing: one could risk a parallel with these pharmaka whose use and dilution alone determined their toxicity or safety. In the modern olfactory landscape, a similar constitutive ambivalence acquires a dimension we will term aesthetic for lack of a better word and which establishes the reversibility of taste and distaste or attraction and revulsion based on the object’s concentration, as Baudelaire suggests in his essay On Wine and Hashish.