Numéro 124, 2020 La littérature de l’entre-deux-guerres à la conquête des images : entre exploration et appropriation Sous la direction de Karine Abadie
Sommaire (8 articles)
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Liminaire
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La poésie comme une « image ». Emplois et valeurs du mot dans le discours critique des poètes français
Isabelle Chol et Anne Reverseau
p. 11–28
RésuméFR :
Si les réflexions sur l’image ne sont pas nouvelles, qu’elles s’inscrivent dans le champ de la rhétorique, de l’esthétique, mais aussi de la physiologie et de la psychologie qui se sont développées au xixe siècle, le mot est particulièrement fréquent dans le premier tiers du xxe siècle, marqué par le symbolisme finissant, l’esprit nouveau et les premières avant-gardes. Il prend place au sein de discours qui tentent de réévaluer les « moyens » de la création poétique et, plus largement, d’en définir les contours, notamment au regard des arts visuels. Cet article se propose d’étudier les valeurs et les enjeux du mot « image » dans le discours critique des poètes français, afin d’observer pourquoi et comment différents types d’images sont convoquées comme modèles dans la poésie française de l’entre-deux-guerres. Il s’agira alors d’analyser les glissements entre les valeurs du mot « image », cette dernière étant apte à désigner, dans sa polysémie, les arts visuels et la poésie, et s’avérant, dans ce dernier champ, un moyen spécifique autant qu’une dynamique globale du poème et de la création poétique, alors entendue au-delà de ses frontières linguistiques.
EN :
If reflections on the image are nothing new, whether they relate to the field of rhetoric or aesthetics or to the physiology and psychology developed in the 19th century, the word occurs with particular frequency during the first third of the 20th century, marked by the twilight of symbolism, esprit nouveau and the first avant-gardes. It belongs within discourses that attempt to re-evaluate the “means” of poetic creation and, more broadly, to define its contours, notably in relation to the visual arts. This article proposes to study the values and issues surrounding the word “image” in the critical discourse of French poets and, in so doing, examine why and how different types of images were invoked as models in the French poetry of the interwar period. Thus, the issue is to analyze the shifts between the values of the word “image”, which, owing to its multiple meanings, can encompass the visual arts and poetry. Regarding the latter, it refers to a specific means of poetic creation and to poetry in general, which was then understood beyond its linguistic boundaries.
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Réfléchir au cinéma : plongée dans le numéro double des Cahiers du mois de 1925
Karine Abadie
p. 29–47
RésuméFR :
Dans les années 1920, alors qu’en France le cinéma devient un divertissement et un mode de représentation de plus en plus populaire, des textes prenant différentes formes sont soumis à des magazines de cinéma, des revues littéraires, ou encore des journaux généralistes. Les écrivains participent au développement de ce discours en proposant des textes de réflexion, à cheval sur l’essai et sur la critique, fortement infléchis par les pratiques et les exigences journalistiques. Notre article s’interrogera sur la nature de ces textes, en examinant le numéro double de la revue Les Cahiers du mois, parus en 1925. Notre lecture nous permettra de repérer des points de croisement tant dans les réflexions que dans les formes et d’examiner les options privilégiées pour soutenir une diversité d’idées au sujet du cinéma.
EN :
In the 1920s, when cinema in France was becoming an increasingly popular form of entertainment and representation, texts in different forms were submitted to cinema magazines, literary journals and general publications. Writers participated in the development of this discourse by proposing reflective texts, somewhere between essays and criticism, which were strongly influenced by journalistic practices and requirements. Our article explores the nature of these texts by focusing on the dual issue of the review Les Cahiers du mois published in 1925. Thus, we can identify points of convergence between the reflections and forms and examine the options chosen to support diverse ideas on the subject of cinema.
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Le cinéma sous l’oeil et la plume du poète surréaliste Robert Desnos
Carole Aurouet
p. 49–71
RésuméFR :
Robert Desnos s’est d’emblée enthousiasmé pour le cinématographe, qui voit le jour cinq ans avant lui, en 1895. Et son engouement est tel que le poète participe à ce jeune moyen d’expression de deux façons. D’une part, il écrit des comptes rendus de films, des analyses d’oeuvres de cinéastes et des articles portant sur des problèmes extrinsèques aux films eux-mêmes ; entre 1923 et 1930, il livre ainsi plus de quatre-vingts articles. D’autre part, il est l’auteur d’une vingtaine de textes scénaristiques, dont quatre seulement ont été publiés de son vivant, entre 1925 et 1933. En s’appuyant sur l’analyse de ce corpus cinématographique, cette étude propose de s’interroger sur la manière dont Desnos envisage le cinéma – Que fait ce nouveau moyen d’expression au poète ? Que représente-il pour lui ? Quels sont ses goûts et ses dégoûts cinématographiques ? Quelles réflexions fait-il sur le cinéma ? –, avant d’analyser les textes scénaristiques eux-mêmes – Que fait le poète au cinéma ? Comment essaie-t-il de créer un nouveau langage grâce à lui ? Que deviennent ses promesses cinématographiques à l’épreuve de la réalité ? Ainsi sera-t-il possible d’appréhender corrélativement la circulation des thèmes et des motifs entre deux contextes de production : critique et artistique.
EN :
Robert Desnos developed an immediate passion for the cinematograph, which was invented in 1895, five years before his birth. Thanks to this fierce enthusiasm, he embraced the new medium in two ways. On one hand, he wrote film reviews, analyses of filmmakers’ works, and articles dealing with issues outside the films themselves: thus, between 1923 and 1930, he wrote more than eighty articles. On the other hand, he authored some twenty scenarios of which only four were published in his lifetime (1925 to 1933). Based on an analysis of this body of work, this study proposes: first, to examine how Desnos viewed cinema (How does this new medium impact the poet? What does it represent for him? What are his likes and dislikes in terms of cinema? What thinking does he develop regarding cinema?); and second, to analyze the scenarios themselves (What is the poet doing with cinema? How does he attempt to use cinema to develop a new language? How do his cinematographic promises fare in the face of reality?). These considerations enable a certain understanding of the themes and motifs that move correlatively between the critical and artistic contexts of production.
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« Nous voilà tous… », un acte de naissance de Raymond Queneau au cinéma
Marie-Claude Cherqui
p. 73–94
RésuméFR :
Ayant assidûment fréquenté les cinémas avec son père, au Havre, durant la Première Guerre mondiale, Raymond Queneau (1903-1976) devient, dès son arrivée à Paris, un spectateur assidu des salles « osscures ». « Nous voilà tous… », court texte surréaliste, publié en 1989 dans la Bibliothèque de la Pléiade parmi nombre de poèmes et de textes inédits, est un éloge poétique du cinéma d’avant l’arrivée du parlant. N’ayant pas encore fait l’objet d’analyses jusqu’à ce jour, celui-ci se présente comme un texte fondateur pour qui s’intéresse à la manifestation du cinéma dans l’oeuvre de Raymond Queneau. Ce dernier y revendique le cinématographe comme une découverte majeure, tout en faisant l’inventaire des figures qui constituent son panthéon cinématographique et qui vont nourrir, sous diverses formes et avec de nombreuses variantes, son oeuvre romanesque et poétique. Cet article se propose d’explorer comment ces motifs se développent peu à peu, se répètent et évoluent pour constituer un ensemble des plus originaux sur l’expression du cinéma dans la littérature de son temps.
EN :
Having accompanied his father regularly to the cinema in Le Havre during the First World War, Raymond Queneau (1903-1976) became, upon arriving in Paris, a regular patron of salles oscurres (dimly-lit halls). “Nous voilà tous…” (Here we all are…), a short surrealist text published in 1989 in the Bibliothèque de la Pléiade together with a number of yet unpublished poems and texts, is a poetic tribute to silent film. Not analyzed to date, it presents as a foundational text for anyone interested in the treatment of cinema in Queneau’s work. The author held the cinematograph to be a major discovery and identified the figures in his cinematographic pantheon who, via their diverse forms and numerous variations, would fuel his literary and poetic work. This article aims to examine how these motifs gradually developed, recurred and evolved to constitute a highly original set of ideas on cinematic expression in the literature of the time.
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Écrire en images. Le regard de Pierre Bost sur le cinéma de l’entre-deux-guerres
François Ouellet
p. 95–111
RésuméFR :
Écrivain de premier plan et journaliste fécond de l’entre-deux-guerres, Pierre Bost a notamment tenu les chroniques cinématographiques des Annales politiques et littéraires à partir de 1930 (jusqu’à la guerre) et de l’hebdomadaire Vendredi depuis le premier jusqu’à son dernier numéro (novembre 1935 à décembre 1938). Bost a immédiatement été un spectateur et un critique sensible à l’émancipation du médium filmique et à ses qualités intrinsèques. Il s’agit ici de montrer quelle est l’approche de Bost du cinéma, sa conception des films, et sa volonté à en rappeler les caractéristiques qui en font un art parfaitement autonome. Au coeur de cette approche, le traitement des images joue un rôle déterminant.
EN :
A prominent writer and prolific journalist in the interwar period, Pierre Bost was responsible, notably, for the cinematographic chronicles of the Annales politiques et littéraires from 1930 until the war and for those of the weekly publication Vendredi from the first to last issues (November 1935 to December 1938). Bost was an early film viewer and a critic sensitive to the emancipation of film and to the medium’s intrinsic qualities. Our objective is to demonstrate Bost’s approach to cinema, his conception of film and his wish to underscore the characteristics that make it a perfectly independent art form. The treatment of images plays a determining role at the heart of this approach.
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« On ne m’atteint pas » : Nadja ou l’insaisissable photographie
Frédéric Canovas
p. 113–129
RésuméFR :
Une des raisons pour laquelle Nadja d’André Breton constitue un texte emblématique de la littérature moderne vient du fait que le récit est accompagné de 48 photographies en noir et blanc ponctuant la rencontre entre le narrateur et une jeune femme. De nombreux critiques ont tenté de décrypter le sens de ces photographies et de les faire entrer dans différentes grilles de lecture avec pour objectif de dévoiler certains non-dits du texte. En se basant sur trois articles consacrés à la photographie dans Nadja ces trente dernières années, notre étude propose de démontrer comment toute tentative d’interprétation des photographies est vouée, sinon à l’échec, au moins à la confusion et à l’ambiguïté, et débouche en fait sur plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. En voulant donner à son récit un caractère plus troublant, Breton a aussi brouillé les pistes et créé un système de signification qui lui échappe en grande partie ainsi qu’aux lecteurs. Interpréter les photographies insérées dans Nadja, tenter de les faire entrer dans un réseau plus global, revient pour chaque lecteur et chaque lectrice à projeter ses propres dispositions sur l’écran textuel et visuel du livre au risque d’aboutir à une lecture qui se caractérise davantage par ses aspects subjectifs que par la rigueur scientifique.
EN :
André Breton’s Nadja is a text emblematic of modern literature in that, among other reasons, the narrative is accompanied by 48 black and white photographs punctuating the meeting between the narrator and a young woman. Many critics have tried to decipher the meaning of these photographs and fit them into different reading schemes so as to reveal certain elements that are left unsaid in the text. Our study uses three studies published in the last thirty years regarding the photography in Nadja to show how any attempt to interpret the photographs is bound to fail—or simply generate confusion and ambiguity—and raises more question than it answers. In aiming for a more disturbing narrative, Breton clouded the issue and created a system of meaning difficult to grasp for both himself and his readers. Those attempting to fit the photographs in Nadja into a more comprehensive system run the risk of projecting their own personal tendencies on the textual and visual elements in the book, resulting in a reading characterized more by its subjective aspects than its scientific rigour.
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Dans le viseur d’un metteur en scène‑dramaturge : Jacques Copeau et l’image scénique (Vieux‑Colombier, 1919-1924)
Clara Debard
p. 131–150
RésuméFR :
Directeur du Vieux-Colombier à Paris, Jacques Copeau y a mis en scène dix-sept nouvelles pièces françaises entre 1919 et 1924. Selon quels choix visuels ? Archives et manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale de France permettent de cerner les créations scéniques du Paquebot Tenacity et de Michel Auclair par Charles Vildrac, de L’oeuvre des athlètes par Georges Duhamel, des Plaisirs du hasard par René Benjamin, de Bastos le hardi par Léon Régis et de L’imbécile par Pierre Bost. Si les références au cinéma – jugé inférieur au théâtre par Copeau – sont totalement absentes de ses décors, accessoires et costumes, il construit un savant réseau d’images fixes, peintures et photographies, à l’intérieur de ses spectacles. Avec La maison natale, pour la première fois, Copeau dramaturge associe texte et mise en scène en se donnant le rôle d’un vieillard à moitié fou, métaphorique du créateur, qui, retranché dans une mansarde, au sein d’une famille qui se déchire, manipule un petit théâtre miniature. Par cette création particulière, il illustre sa conviction que les jeux avec les images et les objets offrent un point commun entre les enfants, les acteurs, les dramaturges et les metteurs en scène, créant, dès lors, des liens de complicité essentiels avec le public.
EN :
Director of the Vieux-Colombier in Paris, Jacques Copeau staged 17 new French plays within its walls between 1919 and 1924. What visual choices were used? Archives and manuscripts in the Bibliothèque nationale de France identify the stage creations for Paquebot Tenacity and Michel Auclair by Charles Vildrac, L’oeuvre des athlètes by Georges Duhamel, Plaisirs du hasard by René Benjamin, Bastos le hardi by Léon Régis and L’imbécile by Pierre Bost. Although there are no references to cinema—which Copeau viewed as inferior to theatre—in his sets, props and costumes, he constructs an ingenious network of still images, paintings and photographs within his mise-en-scènes. With La maison natale, Copeau the playwright associates text and performance for the first time by assuming the role of a half-mad old man, a metaphor for the creator, who, ensconced in the attic of a squabbling family, operates a miniature stage. By means of this particular play, he illustrates his conviction that games with images and objects are a point in common among children, actors, playwrights and directors, and therefore establish essential connections with the audience.