Liminaire[Notice]

  • Maxime Prévost et
  • Luc Vaillancourt

…plus d’informations

  • Maxime Prévost
    Université d’Ottawa

  • Luc Vaillancourt
    Université du Québec à Chicoutimi

Alors que les polémiques autour de l’appropriation culturelle se multiplient depuis quelques années et que se développe en Occident une sensibilité accrue face aux traumatismes occasionnés par l’héritage colonial et le racisme systémique qui en découle, il devient de plus en plus difficile, voire intenable, pour les chercheurs qui s’intéressent à ces enjeux de ne pas les aborder de front. Après l’affaire SLAV et le dossier Kanata, impossible de faire l’impasse (au Québec, à tout le moins), sur les questions d’éthique et de respect des sensibilités culturelle. Avant d’entreprendre un dossier portant justement sur des représentations fantasmées de la culture autochtone, en l’occurrence une Huronie utopique envisagée à travers ses mythologies et ses appropriations (non pas le Nionwentsïo, territoire historique de la nation Wendat, mais bien un territoire appartenant à l’histoire de l’imaginaire), il nous apparaît primordial de méditer sur le sens profond d’une citation, mise en exergue ici en guise de caution éthique et méthodologique. Elle est issue de la plume de Peter Cole, membre de la Première Nation Douglas : À travers une charge particulièrement émotive, qui participe à la fois du ressentiment pour les exactions du passé et de l’affirmation de soi face au néo-colonisateur que représente le chercheur universitaire, Peter Cole invite à cesser de réifier la culture autochtone, voire, carrément, à arrêter d’en parler, car on ne saurait le faire sans se l’approprier et la dénaturer. On rappellera aussi les mises en garde de Shawn Wilson aux universitaires cherchant à faire progresser leur carrière via la cause autochtone. Pour peu que l’on ait fréquenté l’histoire de la Nouvelle-France et réfléchi aux conséquences désastreuses de la colonisation, il est difficile de ne pas leur donner raison et la tentation est forte de céder à la conscience coupable et de se taire dès à présent. Cependant, continuons : si l’on s’interroge sur les circonstances de cette supplique, on découvre que Peter Cole est lui-même un professeur/chercheur à l’Université de la Colombie-Britannique, ce qui ne remet aucunement en cause la pertinence de son intervention, bien au contraire. Sa prise de parole en tant que chercheur, publié aux presses universitaires de McGill-Queen, donne toutefois à penser que le dialogue est encore possible dans la perspective d’un décloisonnement des institutions, d’une démarche plus inclusive, voire d’une décolonisation de la recherche, à laquelle pourraient participer, au moins partiellement, les universitaires euro-américains, ne serait-ce qu’en cherchant à historiciser et objectiver leur propre regard sur l’altérité et l’histoire de l’ainsi nommé Nouveau Monde. C’est dans cet esprit que nous avons tenu un colloque à Wendake, en juin 2019, pour échanger avec des chercheurs autochtones (Guy Sioui Durand, Louis-Karl Picard Sioui, Marie-Andrée Gill) sur nos conceptions respectives de l’autohistoire/hétérohistoire et des moyens d’en rendre compte respectueusement. Au terme de ces échanges, nous avions encore espoir qu’il soit possible de surmonter ensemble l’écueil de l’incommunicabilité et de poser les pierres d’assise d’une décolonisation de la recherche en histoire littéraire (car elle est déjà bien amorcée ailleurs, et notamment en anthropologie et en sciences sociales), en s’efforçant d’abord de déterminer ce qui, dans nos traditions respectives, relève du factuel, de l’hypothétique ou de l’invention. En tant que chercheurs allochtones, nous ne prétendons pas instruire les Premières Nations sur les pratiques de leurs ancêtres ; nous cherchons tout juste à comprendre comment nos écrits les ont mis en scène et pourquoi. Une telle entreprise procède de l’histoire de l’imaginaire, c’est-à-dire de l’histoire des idées et des représentations. Il ne s’agit pas de « mettre en boîte » la parole autochtone pour fins d’archivage ou pour l’exposer dans un musée, mais de montrer plutôt dans quel type …

Parties annexes