Numéro 123, 2020 Huronie représentée : mythologies et appropriations Sous la direction de Maxime Prévost et Luc Vaillancourt
Sommaire (6 articles)
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Liminaire
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« Quand je sçauray parler Huron » : l’ambition linguistique des Jésuites
Luc Vaillancourt
p. 13–23
RésuméFR :
Lorsqu’ils débarquent en Nouvelle-France, avec pour ambition de convertir les « sauvages », les missionnaires se heurtent d’emblée à l’altérité radicale des langues en usage à travers le territoire, mais ils ont tôt fait de remarquer la prédilection des Amérindiens pour la parole figurée, et ils en déduisent que, pour les rallier à leur foi, il faudra d’abord maîtriser leur langage. On pressent alors que l’entreprise de conversion ne dépend pas uniquement de l’apprentissage des langues, mais aussi, et peut-être surtout, de la capacité des Jésuites à assimiler les codes et les usages de l’éloquence autochtone. Or, ont-ils vraiment appris le huron ou l’ont-ils fantasmé ? Cet article s’emploie à identifier les facteurs de résistance qui ont réduit l’ambition linguistique des Jésuites à l’utopie.
EN :
After disembarking in New France with the aim of converting the “savages”, the missionaries were immediately faced with the radical otherness of the languages in use across the territory. They soon noticed the Amerindians’ predilection for figured speech, however, and deduced that, before rallying the natives to the faith, it would first be necessary to master their language. We suspect, then, that the conversion enterprise depended not only on learning languages, but also, and perhaps especially, on the Jesuits’ ability to assimilate the codes and usages of Amerindian eloquence. Now, did they really learn the Huron language or did they fantasize about it? This article proposes to identify the resistance factors that reduced the Jesuits’ linguistic ambition to utopia.
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Des débats sur la religion en Huronie. Quand les évangélisateurs Gabriel Sagard et Jean de Brébeuf entrent en scène
Marie-Christine Pioffet
p. 25–36
RésuméFR :
Le présent article étudie les affrontements théologiques dans l’Histoire du Canada de Gabriel Sagard publiée en 1636 et les deux Relations du pays des Hurons de 1635 et 1636 de Jean de Brébeuf. Il montre que, dans ces conversations, les deux missionnaires tentent de neutraliser ceux qui résistent à leur enseignement en ridiculisant les croyances et les réparties de leurs interlocuteurs hurons. Ces entretiens, d’évidence orientés afin de donner l’avantage aux Européens, constituent un moyen pour ces religieux d’obtenir à peu de frais une consécration missionnaire.
EN :
The present article examines the theological skirmishes in Gabriel Sagard’s Histoire du Canada, published in 1636, and in the two Relations du pays des Hurons by Jean de Brébeuf in 1635 and 1636. It demonstrates that, in these conversations, the two missionaries attempt to neutralize those who resist their teaching by ridiculing the beliefs and repartee of their Huron interlocutors. The discussions, obviously biased in favour of the Europeans, constitute an easy way for these religious to achieve missionary consecration.
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Discours d’en haut et discours d’en bas. Représentations de l’altérité autochtone et lieux communs revisités
Dominique Deslandres
p. 37–48
RésuméFR :
Afin d’étudier les représentations françaises de la Huronie et des Hurons dans les textes anciens, je souligne d’abord l’envers de la construction discursive jésuite, grâce à l’analyse de « la vision de l’intérieur » offerte par l’abondante correspondance de Marie de l’Incarnation, la fondatrice des Ursulines de Québec. Puis, afin d’éviter les pièges de l’hétérohistoire, je change de perspective et, en confrontant la parole d’en bas à celle d’en haut, je tente de reconsidérer les lieux communs du complexe discursif et imaginaire qui perpétuent les divisions.
EN :
To study French representations of Huronia and the Hurons in the old texts, I begin by emphasizing the reverse of Jesuit discursive construction via an analysis of “la vision de l’intérieur” (religious vision) that one finds in the prolific correspondence of Marie de l’Incarnation, founder of the Ursulines of Quebec. Next, to avoid the pitfalls of heterohistory, I change perspective by comparing the writings from above with those from below in an attempt to reconsider the commonplaces of the discursive and imaginary complex that perpetuate the divisions.
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Le sociogramme de l’« Indien » chez James Fenimore Cooper et Jules Verne
Maxime Prévost
p. 49–69
RésuméFR :
Cette étude repose sur l’hypothèse voulant que l’oeuvre romanesque de James Fenimore Cooper constitue la matrice fondamentale de l’imaginaire transatlantique des Premières Nations. Le roman Le dernier des Mohicans (1826), en particulier, aurait joué un rôle déterminant dans la synthèse et la diffusion de mythes informant la conception euroaméricaine des populations autochtones. L’oeuvre de Cooper présente ainsi ce que la sociocritique appellerait un « sociogramme de l’“Indien” » : différentes réalités ethnologiques y sont représentées de manière contrastée, c’est-à-dire tantôt de manière négative, tantôt de manière positive, de sorte que les Leatherstocking Tales, pas plus que le roman Famille-sans-nom (dans lequel Jules Verne adapte et infléchit certains éléments des romans de Cooper pour créer une image fantasmatique de la Huronie), ne permettent une lecture univoque. La matrice essentielle de ce que Georges E. Sioui appelle « la vision linéaire eurogène » s’y trouve néanmoins.
EN :
This study hypothesizes that the novels of James Fenimore Cooper constitute the foundation of the transatlantic imagination regarding the First Nations. The novel The Last of the Mohicans (1826), in particular, supposedly played a decisive role in the synthesis and dissemination of myths that inform the Euro-American conception of Indigenous populations. Cooper’s works thus present what social critics would term a “sociogram of the ‘Indian’” insofar as different ethnological realities are represented in contrasting ways, that is, at times negatively, at times positively. The result is that neither Leatherstocking Tales nor the novel Family without a Name (in which Jules Verne adapts and adjusts certain elements of Cooper’s novels to create a phantasmal image of Huronia) is a straightforward read. The essential matrix of what Georges E. Sioui calls “the Eurogen linear vision” is found in them nevertheless.
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Louis Simonin, ingénieur mineur et expert de la « race rouge »
Aldo Trucchio
p. 71–85
RésuméFR :
Louis Laurent Simonin (1830-1886) est un ingénieur mineur marseillais connu aussi bien des scientifiques de son époque que du grand public grâce à ses récits de voyage et ses reportages sur les mines du monde entier. Il est également membre de la Société d’anthropologie de Paris et l’un de ses récits de voyage est cité par Louis Figuier, le vulgarisateur le plus lu de l’époque, dans le contexte d’une comparaison entre la « race rouge » et les hommes préhistoriques. L’analyse de ce passage sera l’occasion de repenser les sciences de l’homme au moment de leur constitution et, plus précisément, d’identifier le réseau de savoirs et de pouvoirs dans lequel le racisme et le colonialisme se montrent comme constitutifs du discours scientifique moderne sur l’homme.
EN :
Louis Laurent Simonin (1830-1886), a mining engineer and native of Marseille, was known to both the scientists of his time and the public at large for his travel writings and reporting on mines across the world. He was also a member of the Société d’anthropologie de Paris. One of his travel accounts is cited by Louis Figuier, the most widely-read science communicator of the period, as part of a comparison between the “red race” and prehistoric men. An analysis of this passage offers the opportunity to rethink the human sciences at the moment of their constitution and, more specifically, to identify the network of knowledge and power in which racism and colonialism are shown to constitute modern scientific discourse on man.