Numéro 117, 2018 Nouvelles solidarités en littérature franco-canadienne Sous la direction de Ariane Brun del Re, Pénélope Cormier et Nicole Nolette
Sommaire (7 articles)
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Liminaire
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Fonctionnements du festival littéraire dans les espaces culturels franco-canadiens minoritaires
François Paré
p. 13–33
RésuméFR :
Dans cette étude, nous nous penchons sur le phénomène des festivals littéraires (à distinguer des salons du livre) depuis le milieu des années 1990 et leur mode de fonctionnement dans le cas des communautés francophones minoritaires au Canada. Après un bref aperçu de l’histoire du festival littéraire en Amérique du Nord, l’analyse se déplace vers deux événements festivaliers qui s’imposent au Canada francophone par leur impact, leur valeur symbolique et leur longévité relative : le Festival acadien de poésie (Caraquet, Nouveau-Brunswick) et Thin Air/Livres en fête (Winnipeg, Manitoba). Nous verrons que ces deux festivals oscillent entre un souci d’autonomie institutionnelle et linguistique et, faute de public suffisant, la nécessité de négocier une place, même marginale, dans la programmation des festivals littéraires canadiens-anglais. En dernier lieu, nous proposons une réflexion théorique sur la fonction identitaire du festival littéraire dans les cultures périphériques, à savoir celle d’affirmer par la mise en scène de la voix performative de l’écrivain la vitalité de la communauté minoritaire et d’assurer la transmission intergénérationnelle du patrimoine littéraire.
EN :
Our study focuses on the phenomenon of literary festivals (as distinguished from book fairs) since the mid-1990s and their function in minority French-speaking communities in Canada. After a brief look at the history of the literary festival in North America, the analysis turns to a discussion of two festival events in French Canada, which are significant for their impact, their symbolic value and their relative longevity: the Festival acadien de poésie (Caraquet, New Brunswick) and Thin Air/Livres en fête (Winnipeg, Manitoba). These two festivals are seen to fluctuate between a concern for institutional and linguistic autonomy and, in the absence of a large enough public, the necessity for negotiating a place, even marginal, within the programming of English-Canadian literary festivals. Finally, we propose a theoretical reflection on the identitary function of the literary festival in peripheral cultures, that is, one that affirms the vitality of the minority community via the writer’s performative voice and ensures the intergenerational transmission of literary heritage.
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Draw on me : bilinguisme minoritaire et relais littéraires franco-canadiens
Catherine Leclerc
p. 35–57
RésuméFR :
Après s’être atomisé à la suite de la nationalisation de la littérature québécoise, l’espace littéraire franco-canadien semble être en voie de se reconstituer, sur de nouvelles bases. Le présent article fait l’étude de ce phénomène à partir de deux traits que les littératures des minorités francophones du Canada ont en partage : le bilinguisme et la minorisation. Ces deux traits sont précisément ceux dont le Québec s’est délesté au moment où il se constituait en culture nationale. Aujourd’hui, pourtant, ils se voient octroyer une nouvelle valeur. Or, les transformations en cours dans l’espace littéraire franco-canadien et dans les idéologies linguistiques sur le contact du français avec l’anglais coïncident. Alors que le Québec s’était servi du bilinguisme minoritaire comme repoussoir, ce bilinguisme gagne à présent en statut, jusqu’à servir de modèle. S’ensuit un réaménagement des rapports hiérarchiques existant entre les divers espaces littéraires franco-canadiens, voire à l’intérieur de chacun d’eux, de même que des relais inédits des uns aux autres. Le présent article retrace ce réaménagement en se penchant sur certains textes franco-canadiens hétérolingues clés des dernières décennies, ainsi que sur leur réception.
EN :
After being fragmented following the nationalization of Quebec literature, the French-Canadian literary space seems to be rebuilding itself on new foundations. The present article examines this phenomenon via two characteristics shared by Canada’s French-speaking minorities – bilingualism and minoritization –, the very ones discarded in Quebec during the creation of its national culture. Today, however, they are being given new value. This is because transformations in the French-Canadian literary space now coincide with those in linguistic ideologies regarding the contact between French and English. Whereas Quebec had used minority bilingualism as a foil, bilingualism is currently gaining status to the point of serving as a model. The result is a rearrangement of 1) the hierarchical relations between—and even within—each of the various French-Canadian literary spaces and 2) new intertextual relays. The present article retraces this rearrangement through a discussion of certain key heterolingual French-Canadian texts of recent decades and their reception.
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Un théâtre en trois D dans l’Ouest canadien
Nicole Nolette
p. 59–82
RésuméFR :
Dans cet article, Nicole Nolette explore le potentiel du concept de « différenciation solidaire » pour l’analyse intertextuelle entre les littératures francophones de l’Ontario et de l’Ouest canadien. Les grandes figures des « trois D » de l’Ontario français (Patrice Desbiens, Robert Dickson et Jean Marc Dalpé), rejetées par la génération de Louis Patrick Leroux, réapparaissent dans la dramaturgie de Marc Prescott au Manitoba et de Gilles Poulin-Denis, originaire de la Saskatchewan. Nicole Nolette identifie les traces des trois D dans la langue, la route, la ville minière et les animaux représentés par Prescott et Poulin-Denis pour montrer comment la solidarisation littéraire de l’Ouest et de l’Ontario francophones peut également signifier une différenciation régionale.
EN :
In this article, Nicole Nolette explores the potential of the concept of “supportive differentiation” for the intertextual analysis of the French-language literatures of Ontario and Western Canada. The “three D’s” of French-speaking Ontario (Patrice Desbiens, Robert Dickson and Jean Marc Dalpé), rejected by the generation of Louis Patrick Leroux, reappear in the dramatic work of Marc Prescott in Manitoba and Gilles Poulin-Denis, a native of Saskatchewan. Nicole Nolette identifies the traces of the three D’s in the language, highway, mining town and animals represented by Prescott and Poulin-Denis to demonstrate how the literary solidarity of French-speaking communities in western Canada and Ontario can also indicate regional differentiation.
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Habiter en ville : la maison urbaine dans le roman franco-canadien
Ariane Brun del Re
p. 83–99
RésuméFR :
En 2011, Jean Morency relevait la récurrence d’une figure spatiale particulière dans les littératures de l’Acadie, de l’Ontario français et de l’Ouest francophone : la maison incendiée, qu’il rattachait au temps, à la mémoire et à l’histoire. Depuis, les écrivains franco-canadiens ont délaissé cette figure au profit d’un autre type de logis, la maison urbaine. C’est notamment le cas de Daniel Poliquin, Simone Chaput et France Daigle. Les maisons atypiques de La Côte de Sable (1990, sous le titre Visions de Jude), La belle ordure (2010) ainsi que Petites difficultés d’existence (2002) et sa suite Pour sûr (2011) ont en commun d’être des espaces peu propices à l’intimité car ils brouillent les frontières entre l’intérieur et l’extérieur. Point de rencontre pour les personnages, ces maisons occupent une telle place qu’elles éclipsent les villes mises en scène. La maison urbaine semble ainsi être le moyen par lequel les écrivains franco-canadiens sont parvenus à s’approprier la ville pour l’habiter. La récurrence de cette nouvelle figure spatiale de même que le passage de la maison incendiée à la maison urbaine laissent entendre que les écrivains franco-canadiens puisent à un imaginaire commun. La littérature franco-canadienne pourrait ainsi compter non seulement sur des fondations institutionnelles, mais imaginaires.
EN :
In 2011, Jean Morency highlighted the recurrence of a particular spatial figure in the literatures of Acadia, French Ontario and French-speaking Western Canada: the burned house, which he associated with time, memory and history. Since then, French-Canadian writers have abandoned this figure in favour of another type of lodging: the urban house. Such is the case for Daniel Poliquin, Simone Chaput and France Daigle among others. What the atypical houses of La Côte de Sable (1990, under the title Visions de Jude), La belle ordure (2010) and Petites difficultés d’existence (2002) and its sequel Pour sûr (2011) have in common are spaces that are not very conducive to privacy because they blur the boundaries between indoors and out. Meeting points for the characters, these houses have far greater importance than the cities where the story takes place. French-Canadian writers thus appear to have used the urban house as a means of appropriating the city and thereby inhabiting it. The recurrence of this new spatial figure and the shift from the burned house to the urban house suggest that French-Canadian writers draw from a common wellspring of ideas. French-Canadian literature could thus rely on a shared imagination as well as shared institutions.
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Le mal de mère : solidarités féminines dans l’oeuvre de Marguerite Andersen et Hélène Harbec
Benoit Doyon-Gosselin et Maria Cristina Greco
p. 101–120
RésuméFR :
Les oeuvres de la Franco-Ontarienne Marguerite Andersen et de l’Acadienne Hélène Harbec, malgré leur importance quantitative et qualitative, ont été très peu étudiées par les chercheurs. Il faut dire que leurs textes de création s’inscrivent dans un contexte de forte décontextualisation et que leur point d’origine (l’Allemagne pour Andersen et le Québec pour Harbec) font d’elles des « étrangères » au sein de leur corpus national respectif, ceci expliquant peut-être cela. Pourtant, les oeuvres d’Andersen et d’Harbec témoignent de thématiques semblables et de rapprochement formels évidents. À la suite des travaux de Lori Saint-Martin et de Béatrice Didier, cet article vise à étudier le rapport à la mère et à son propre rôle de mère des personnages-écrivaines et à examiner la manière dont ces rapports servent de moteur à la création. Les oeuvres des deux auteures proposent une nouvelle solidarité entre femmes qui devient un modèle de vie. Nous voulons mettre en évidence la place problématique du rapport mère-enfant ainsi que les particularités d’une écriture de femmes qui se situent explicitement dans le sillage de la figure tutélaire de Virginia Woolf. Le corpus retenu est composé des oeuvres suivantes : De mémoire de femme ([1982] 2002), Le cahier des absences et de la décision ([1991] 2009), L’orgueilleuse (1998) et La mauvaise mère (2013).
EN :
Despite their quantitative and qualitative importance, the works of Franco-Ontarian Marguerite Andersen and New Brunswick native Hélène Harbec have attracted very little attention from researchers. This may be because their creative texts fall within a highly decontextualized context and their point of departure (Germany for Andersen and Quebec for Harbec) make them “strangers” relative to their respective national corpus. However, the works of Andersen and Harbec clearly reflect similar formal themes of rapprochement. Subsequent to the work of Lori Saint-Martin and Béatrice Didier, this article aims to study the protagonist-writers’ relationship to the mother and to their own role as mother and examine how these relationships serve as an engine of creation. The work of both authors proposes a new women’s solidarity that becomes a lifestyle model. We seek to highlight the issue of the mother-child relationship as well as the particular characteristics of writing by women who are explicitly guided by the tutelary figure of Virginia Woolf. The body of work retained includes the following: De mémoire de femme ([1982] 2002), Le cahier des absences et de la décision ([1991] 2009), L’orgueilleuse (1998) and La mauvaise mère (2013).
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L’Autre asiatique chez Gabrielle Roy, Marguerite-A. Primeau, J. R. Léveillé et Annie-Claude Thériault
Pamela V. Sing
p. 121–149
RésuméFR :
Les communautés franco-canadiennes reconnaissent, du moins sur le plan discursif, le besoin de former de nouvelles solidarités interculturelles et d’intégrer de nouveaux savoirs, de nouvelles perspectives et attitudes et de nouveaux goûts, mais on pourrait bien se poser la question de savoir quels Autres peuplent l’imaginaire de leurs artistes littéraires. Étant donné l’importance pour la littérature d’expression française au Canada de l’oeuvre d’écrivains d’origine asiatique, dont, par exemple, Ying Chen, Kim Thúy, Ook Chung et Aki Shimazaki, cet article s’intéresse à l’Asiatique imaginaire chez des auteurs issus des francophonies à l’ouest du Québec. Dans le but de déterminer dans quelle mesure il serait possible d’inclure l’immigrant ou l’émigrant asiatique au chapitre des nouvelles solidarités imaginées au sein du Canada francophone, cet article interrogera quatre textes : « Où iras-tu Sam Lee Wong ? » de Gabrielle Roy, « Une veille de Noël » de Marguerite-A. Primeau, Le soleil du lac qui se couche de J.R. Léveillé et Quelque chose comme une odeur de printemps d’Annie-Claude Thériault.
EN :
French-Canadian communities acknowledge, at least in discussion, the need to form new intercultural solidarities and integrate new knowledge, new perspectives and attitudes and new tastes; we may well wonder, however, what “Others” populate the imagination of their literary artists. Given the importance, for French-language literature in Canada, of the work of Asian-born writers including, for example, Ying Chen, Kim Thúy, Ook Chung and Aki Shimazaki, this article examines perceptions of the Asian in authors from French-speaking communities west of Quebec. To determine to what extent the Asian immigrant or emigrant can be included within the chapter of the new solidarities imagined within French-speaking Canada, this article focuses on four texts: Où iras-tu Sam Lee Wong? by Gabrielle Roy, Une veille de Noël by Marguerite-A. Primeau, Le soleil du lac qui se couche by J.R. Léveillé and Quelque chose comme une odeur de printemps by Annie-Claude Thériault.