Numéro 108, 2015 Engagement du spectateur et théâtre contemporain Sous la direction de Catherine Bouko et Hervé Guay
Sommaire (6 articles)
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Liminaire
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L’art comme expérience et la pragmatique du spectateur, entre performance et philosophie
Aline Wiame
p. 13–27
RésuméFR :
En prenant pour point de départ les thèses développées par Jacques Rancière dans Le spectateur émancipé, cet article se demande à quelles conditions la philosophie pourrait jouer un rôle constructif dans l’étude de l’engagement du spectateur. L’article propose de se tourner vers la philosophie pragmatique de John Dewey telle qu’elle est exposée dans L’art comme expérience : pensée comme transformation des énergies corporelles, l’expérience esthétique définie par Dewey est somatique, rythmique et relationnelle, permettant le dépassement des oppositions acteur/spectateur, activité/passivité. La théorie esthétique tout entière de Dewey fait une large part à l’expérience du spectateur en tant qu’elle est créative. En explorant les influences qu’a eues L’art comme expérience sur le développement des arts américains et dans l’esthétique pragmatique selon Richard Shusterman, l’article met en évidence la part performative constitutive de l’expérience esthétique. En concevant le spectateur comme partie prenante d’une performance, le pragmatisme pousse à revisiter du même mouvement le rôle et la fonction de la philosophie : aux prises avec la question de l’engagement du spectateur, la philosophie peut alors être envisagée dans ses propres dimensions performatives, selon une approche telle que celle du réseau de chercheurs récemment créé « Performance Philosophy ».
EN :
By taking as its point of departure the theses developed by Jacques Rancière in The Emancipated Spectator, this article examines the conditions needed for philosophy to play a constructive role in the spectator’s engagement. The author proposes turning to the pragmatic philosophy of John Dewey as presented in Art as Experience: conceived as the transformation of bodily energies, the aesthetic experience defined by Dewey is somatic, rhythmic and relational, allowing us to get past the oppositions of actor/spectator, activity/passivity. Dewey’s aesthetic theory as a whole emphasizes on the spectator’s experience insofar as it is creative. By exploring the influences of Art as Experience on the development of American art and in pragmatic aesthetics according to Richard Shusterman, the article highlights the performative component essential to the aesthetic experience. By conceiving of the spectator as a part of the performance, pragmatism encourages us to simultaneously revisit philosophy’s role and function: faced with the issue of the spectator’s engagement, philosophy can then be envisaged in its own performative dimensions, based on an approach resembling that of the recently created researcher network “Performance Philosophy.”
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Le théâtre immersif est-il interactif ? L’engagement du spectateur entre immersion et interactivité
Catherine Bouko
p. 29–50
RésuméFR :
Le concept d’immersion théâtrale rencontre aujourd’hui un succès grandissant, tant auprès des artistes que des chercheurs. Combiner les notions d’immersion et d’interactivité semble aller de soi lorsque l’on évoque le théâtre immersif, pour certains artistes, théoriciens ou journalistes, pour qui le spectateur est invité à habiter l’espace du spectacle. Est-il pourtant si naturel de combiner ces deux notions ? Comment combiner le développement d’une histoire, fut-elle non linéaire, et une organisation interactive ? Dans cet article, Catherine Bouko propose de traiter les rapports entre théâtre immersif et interactivité en trois points. Dans un premier temps, elle définit la notion d’interactivité, afin d’insister sur ce qu’elle est… et sur ce qu’elle n’est pas. Ensuite, elle présente rapidement une définition du théâtre immersif. Dans un troisième temps, elle aborde trois techniques dramaturgiques visant essentiellement une personnalisation des spectacles immersifs, sans pour autant toujours atteindre l’interactivité et une véritable intégration dans une image habitable.
EN :
The concept of theatrical immersion is meeting today with growing success among both artists and researchers. Combining the notions of immersion and interactivity when evoking immersive theatre seems obvious for some artists, theoreticians or journalists, for whom the spectator is invited to inhabit the performance space. But is it natural to combine these two notions? How does one combine the development of a story, even non-linear, and an interactive organization? The author proposes to describe the relationship between immersive theatre and interactivity by focusing on three points. First, she defines the notion of interactivity to clarify what it is…and what it is not. Next, she briefly defines immersive theatre. Finally, she discusses three dramaturgical techniques which basically aim for a personalization of immersive performances, but which fail nevertheless to achieve interactivity and authentic integration in an inhabitable image.
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Danse en tandem : étude du mouvement des spectateurs et des performeurs dans Sleep No More de Punchdrunk
Julia M. Ritter
p. 51–76
RésuméFR :
La compagnie britannique Punchdrunk a créé plusieurs productions théâtrales immersives depuis sa fondation en 2000. Sleep No More se distingue de celles-ci puisqu’on y présente le drame de Macbeth de Shakespeare par le truchement de la danse, mais aussi en raison du succès critique et commercial du spectacle. À l’aide des explications de Maxine Doyle, chorégraphe et directrice artistique associée de Sleep No More et des réflexions des performeurs et des spectateurs de la version new-yorkaise, la chercheuse en danse Julia M. Ritter émet l’hypothèse que la popularité de ce théâtre immersif est due en grande partie à la manière dont la danse est conçue et s’avère centrale comme méthode destinée à faciliter l’expérience du spectateur. Selon elle, Sleep No More fonctionne sur le modèle d’une danse en tandem entre les membres de la distribution et les spectateurs. La danse serait le médium structurant du contenu interprété par les danseurs professionnels et elle se déploierait par le biais d’improvisations susceptibles d’inciter les spectateurs à s’y mouvoir. L’auteure montre comment la danse exécutée dans Sleep No More permet au public de transformer en danse son expérience de spectateur tout en lui offrant des moments de découvertes personnelles et en l’amenant à développer une agentivité créative qui le conduit à osciller entre les rôles de participant, créateur, spectateur, curateur et performeur.
EN :
The UK-based Punchdrunk company has created several immersive theatre productions since its founding in 2000, which begs the question of why Sleep No More (SNM)—Punchdrunk’s immersive production presenting the drama of Shakespeare's Macbeth through dance—has been a long-running, critical and commercial success. Drawing upon statements from Maxine Doyle, choreographer/associate artistic director of SNM as well reflections from SNM performers and spectators of New York City performances between 2012 and the present, dance scholar Julia M. Ritter suggests that SNM’s success and popularity as a work of immersive theatre is due in large part to the ways in which dance has been conceptualized and centralized as a methodology intended to facilitate spectator experience. In proposing that SNM functions as a tandem dance between cast members and the spectators, Ritter outlines the ways in which dance is used as primary medium for structuring the content delivered by the paid-professional dancers and deployed as an improvisational method to encourage movement experiences for spectators. Ritter describes how dance, as applied within SNM, offers audiences opportunities to transform their experiences of dance spectatorship while simultaneously enabling them to experience moments of personal discovery and creative agency as they shift between roles of audience participant, creator, spectator, curator, and performer.
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L’expérience immersive et les intermittences de l’attention
Catherine Cyr
p. 77–93
RésuméFR :
Depuis quelques années, au Québec comme en Europe, plusieurs artistes s’attachent à mettre en scène des parcours théâtraux où le spectateur se déplace dans l’espace, de façon plus ou moins structurée. Alors que quelques-uns privilégient une certaine restriction de la mobilité physique et proposent une avancée strictement balisée, d’autres préfèrent laisser le spectateur déambuler sans contrainte dans un lieu aux frontières mouvantes, indéterminées. Cet engagement physique du spectateur dans un espace qu’il sillonne de ses pas et partage avec des acteurs (présents ou virtuels), induit des modalités particulières de réception. À travers des exemples tirés des pièces Résonances, de Carole Nadeau, et Himmelweg, de Geneviève L. Blais, et par le biais d’une réflexion portant sur le rapport à l’espace, à l’environnement sonore et aux acteurs (projetés et présents), le présent article s’attache à questionner la relation ambiguë à la représentation développée par le spectateur plongé dans un dispositif scénique où il perçoit sa propre activité, et où persiste, aiguë, sa conscience de soi. Catherine Cyr s’intéresse en particulier aux moments « blancs » ou interstitiels qui émaillent son parcours ambulatoire. Des moments de pure présence à soi qui, lorsque par intermittence disparaissent les images ou s’éteignent les voix, abolissent le rapport à l’Autre et viennent suspendre l’attention à la représentation.
EN :
For some years now, in Quebec as in Europe, many artists have been staging theatrical trajectories where the spectator circulates in a more or less structured fashion. Whereas some of these artists privilege some restriction of physical mobility and propose a carefully mapped out course, others prefer to let the spectator rove at will in a place of shifting, undefined boundaries. This physical engagement by the spectator, in a space that he or she moves through and shares with actors (present or virtual,) leads to particular modalities of reception. The present article discusses the relationship to space, sound environment and actors (projected and present) based on examples from the productions Résonances by Carole Nadeau and Himmelweg by Genevière L. Blais to examine the ambiguous relationship to performance developed by spectators who are cast into a stage setting where they perceive their own activity, becoming ever more acutely self-conscious. The author focuses in particular on the “white” or interstitial moments that punctuate the spectator’s movement. Moments of pure self-presence, occurring whenever images disappear or voices fade, abolish the relationship to the Other and suspend attention to the performance.
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L’engagement du spectateur de théâtre de rue. Revivre l’espace urbain
Catherine Aventin
p. 95–105
RésuméFR :
En tant qu’architecte, c’est par une approche pluridisciplinaire que Catherine Aventin étudie les arts de la rue, d’un point de vue spatial et sensible par le biais des ambiances architecturales et urbaines. Elle travaille entre autres sur la réception de ce type d’action artistique, où la scène peut être une rue, une place, voire une ville entière. Son article aborde la réception par les différentes composantes de l’espace public à l’oeuvre (physique, sociale et sensible) et montre quels liens peuvent se créer entre le lieu de représentation, l’événement artistique et les pratiques et représentations sociales. Elle présente aussi des stratégies développées par les spectateurs lors de représentations, ainsi que les changements de perception et de représentation des espaces après ces spectacles. Pour cela, elle s’appuie sur ses enquêtes et analyses menées en France (particulièrement à Grenoble et à Calais), principalement sur la base d’observations participantes, de spectacles de différentes échelles (intimes comme s’adressant à une ville entière) et de tous types (fixes, déambulatoires, courts ou durant plusieurs jours).
EN :
As an architect, the author uses a pluridisciplinary approach to study the street arts from a spatial viewpoint sensitive to architectural and urban ambiances. She works, among other things, on the reception of this type of artistic action, where the stage can be a street, a place, even an entire city. Her article focuses on the reception of the different components of the public space at work (physical, social and sensory) and demonstrates the links that can be created between the place of representation, the artistic event, and social practices and representations. The author also presents strategies developed by the spectators during representations, as well as changes in the perception and representation of the spaces following these performances. To this end, she relies on surveys and analyses she conducted in France (particularly in Grenoble and Calais), which are largely based on participating observations and performances of varying sizes (from small-scale to city-wide) and types (fixed, moving, brief or of several days’ duration).