Liminaire[Notice]

  • Hélène Marcotte et
  • Metka Zupančič

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  • Hélène Marcotte
    Université du Québec à Trois-Rivières

  • Metka Zupančič
    Université d’Alabama

« Nous ne faisons que nous entregloser » affirmait Montaigne, quelque quatre siècles avant que Jorge Luis Borges soutienne que tous les livres du monde sont l’oeuvre d’un seul et même écrivain. Cette idée, reprise à satiété dans les études portant sur l’intertextualité, souligne le fait que toute oeuvre littéraire porte, peu ou prou, la trace, la marque de textes qui lui sont antérieurs, textes qu’elle intègre, transforme, enrichit, bref qu’elle réécrit. Dans cette perspective, pourrions-nous dire, en pastichant une phrase de Claude Lefort, « réécrire, ce n’est pas écrire une seconde fois, mais nouer un rapport nouveau avec ce qui s’est fait reconnaître comme un texte ». Le texte littéraire, loin de se réduire à un « ensemble clos [qui] porte en lui le tout de sa signification », en appelle toujours à un au-delà de lui-même et exige que son lecteur s’affranchisse de la lecture linéaire pour renouer avec l’architecture secrète de l’oeuvre, que d’aucuns se plaisent à nommer « architexture ». Et cette architecture secrète se dévoile, notamment, par le dialogue qui s’instaure entre l’écrivain, « écho sonore » de son temps, l’oeuvre qu’il écrit, véritable texte « mosaïque » (Kristeva) ou texte « palimpseste » (Genette), et cette inépuisable bibliothèque qu’est la littérature. Comme l’explique Nathalie Piégay-Gros, « [l]’intertextualité est donc au coeur de la relation que le sujet entretient avec sa mémoire, le réel et la littérature ». La mémoire, sitôt interpellée, convoque l’histoire. L’oeuvre littéraire est ainsi à la fois un lieu de mémoire qui en appelle à une lecture de l’histoire, et une écriture de l’histoire. C’est dans cette optique qu’il faut penser la présence du mythe dans l’oeuvre littéraire de même que celle des figures mythiques qui le révèlent : S’il importe de mettre en relief la dimension relationnelle (invariants) entre l’intertexte (ou les intertextes) et la réécriture afin de permettre la reconnaissance de la figure mythique ou du scénario mythique convoqué, il s’avère aussi essentiel de circonscrire la composante transformationnelle (variantes) si l’on veut saisir les forces qui entrent en tension au moment où l’oeuvre prend naissance. Le recours au mythique trahit les interrogations d’une nation, les enjeux d’une époque, qui se donnent à voir à travers les circonvolutions de l’imaginaire. Allant de l’allusion à la reprise de la structure d’ensemble d’un récit, le mythique irradie et s’offre au lecteur comme une énigme à déchiffrer. Les analyses réunies dans ce dossier témoignent de la prégnance du mythe dans la mémoire, le réel et la littérature. Nous souhaitions non seulement souligner la présence des mythes dans la littérature actuelle, mais aussi étudier la nature de cette présence et la teneur des modèles réactivés. Afin de donner une plus grande unité à notre dossier et mieux mettre en relief ce qui se joue dans l’espace occidental francophone, nous avons limité notre champ d’investigation à la littérature francophone contemporaine et à la pensée mythique moderne. Les deux premiers articles sont consacrés à la réécriture de mythes, soit celui d’Ulysse et celui de Médée, deux figures qui évoquent le voyage, le déracinement, l’exil. Joëlle Cauville se penche sur la réécriture du mythe d’Ulysse dans Ulysse from Bagdag (2008) d’Éric-Emmanuel Schmitt. L’Ulysse de ce roman au ton souvent parodique est projeté dans l’univers des sans papiers et des laissés-pour-compte. Jeune Irakien qui fuit la dictature de Saddam Hussein, Saad Saad, loin d’incarner un anti-héros, possède plutôt, à l’instar du protagoniste de l’Odyssée, une identité complexe et sa quête présente un aspect inédit dans un contexte où il tente de survivre en Grande-Bretagne. Transformé et adapté à un mouvement qui s’avère centrifuge, le schème du …

Parties annexes