Reconnue unanimement comme un facteur d’invention, mais regardée avec méfiance dès que l’on veut en faire un moyen de preuve, l’analogie fait partie d’une série qui va de l’identité à la ressemblance et dont elle constitue l’échelon le moins élevé. Son unique valeur serait de permettre la formulation d’une hypothèse à vérifier par induction. Au plan argumentatif, elle est envisagée comme une similitude de structure (A est à B ce que C est à D). Si Platon, Plotin et Thomas d’Aquin ont justifié l’usage argumentatif de l’analogie dans une optique métaphysique, les penseurs empiristes, Hume en particulier, l’ont considérée comme une ressemblance de qualité mineure et incertaine. Tenu pour un maître de la pensée analogique, Paul Valéry écrit dans Analecta : « On ne peut pas achever de ressembler. A prend de lui-même ce qu’il peut prendre de la figure de B. Il y a donc quelque part, ou en quelque moment, un désaccord, une coupure dans celui qui imite . » Le poéticien a donc conscience que l’analogie est toujours menacée de se refondre sur la ligne de suture de la ressemblance et de la transgression : d’un côté, la ressemblance risque de retomber en isomorphie ou de perdre de sa vraisemblance une fois confrontée à l’exigence de précision de la science ; de l’autre, on voit la transgression récupérée dans les métaphores dont s’occupent une poétique et une herméneutique des symboles. Dans Les mathématiques et l’idéalisme philosophique, Paul Mouy estimait d’ailleurs que la valeur de l’analogie ne vient que de l’expérience réfléchie, donc de l’esprit, et que si la notion de rapport est une notion très générale et très intellectuelle, le rapport lui-même est l’intelligence en acte . Il y a bien, en effet, dans le rapport ou dans la proportion, une puissance propre que nous discernons dans l’analogie en tant que s’y crée entre des réalités dissemblables une ressemblance qui, en raison de l’a priori de la proportion, n’efface pas la dissemblance réelle. La transgression du Même — de l’identité logique ou dialectique — est donc nécessaire pour poser dans la différence réelle les termes d’une relation a priori qui introduit une similitude transcendantale dans la dissimilitude empirique. Mais il est vrai, par ailleurs, qu’à partir de la ressemblance, il faut toujours reconstruire la différence initiale, c’est-à-dire revivre le moment de la pure altérité qui m’arrache, en même temps qu’à l’identité du Moi, à celle de mon monde. Il s’agit-là d’un moment de déconstruction dans la théorie générale de l’analogie : le moment où elle se rouvre à la « toujours plus grande différence ». Dans ce jeu de la pensée toujours altérée et toujours « assimilante », la proportion est très exactement le moment de la raison qui justifie de parler d’ana-logia proprement à l’écart de la raison raisonnante. On voit ainsi comment, ramenée à l’essentiel, l’analogie se résume, sur le plan définitoire, au rapport proportionnel a priori entre des réalités dont la dissemblance réelle est posée par la puissance de transgression de l’esprit et dont la ressemblance formelle témoigne de l’emprise assimilatrice du même esprit. Le rapport déterminé a priori n’existe donc qu’à condition de se déformer sur le mouvement d’induction, mouvement en acte, propre à l’esprit assimilateur déposant son empreinte. Ce double mouvement de ressemblance formelle et de dissemblance réelle définissant l’analogie nous semble au coeur de la pensée valéryenne : entre les deux se meut l’esprit. Dans son âme même, l’analogie ne parlerait peut-être que d’une chose : du travail et du destin de l’esprit, mais elle en parle autrement que la dialectique — négative ou totalisante. Valéry, du reste, …
Liminaire[Notice]
…plus d’informations
Thomas Vercruysse
Université de Clermont-Ferrand II/CNRS-ITEM