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Nous donnons à la suite le fac-similé de la traduction latine de la harangue de Henri III aux États Généraux de 1576 que Benoît de Flandrois fit paraître au début de l’année suivante, à Paris, chez l’imprimeur du roi Federic Morel.
C’est assurément lors de ces États Généraux de 1576 que Henri III acquit la réputation durable de roi éloquent. La harangue qu’il prononça, rédigée par Jean de Morvilliers [1], fit sensation auprès de l’auditoire, non pas tant en raison du texte lui-même que de la maestria dont fit preuve le roi en rendant le discours avec la voix et les gestes appropriés, c’est-à-dire avec une parfaite maîtrise de l’actio oratoire.
Alfonso Giananelli, témoin de l’apothéose oratoire du roi, estimait d’ailleurs que la version imprimée risquait de ne pas rendre justice à son éloquence, dans la mesure où les paroles prononcées avec grâce lui acquirent une réputation telle que la version écrite ne pourrait en donner la pleine mesure [2].
Parmi les nombreux témoignages sur ce moment fort de l’éloquence politique sous l’Ancien Régime, celui de Guillaume de Taix, député du clergé, offre assurément l’éloge le plus vibrant de la force de persuasion du roi et de son aptitude à susciter les passions chez ses auditeurs, parce que l’orateur royal donne l’impression de les éprouver lui-même :
Le roi fit la plus belle et docte harangue qui fût jamais ouïe, non pas d’un roi, mais je dis d’un des meilleurs orateurs du monde, et en telle grace, telle assurance, telle gravité et douceur à la prononcer, qu’il tira les larmes des yeux à plusieurs, du nombre desquels je ne me veux exemter, car je sentis à la voix de ce prince tant d’émotion en mon ame, qu’il falloit malgré moi que les larmes en rendissent témoignage [3].
Le roi prononça son discours le 6 décembre 1576. Dès la fin de l’année, le texte original français fut publié par divers imprimeurs dans tout le royaume. Benoît de Flandrois, médecin à Gap et député du Tiers État, fut le premier à traduire la harangue en latin, et cela, dès le 15 décembre, d’après la date de l’épître dédicatoire adressée à Guillaume d’Avançon de Saint-Marcel, archevêque d’Embrun et député du clergé. Dès le 1er janvier suivant, Antoine Favre, juge-mage à Bourg-en-Bresse, acheva une seconde traduction latine, dédiée à Charles d’Humières, seigneur de Bray, qui fut publiée au début 1577, à Paris, chez Denys Du Pré.
Ces traductions visaient sans doute un triple objectif : premièrement, investir le succès rhétorique du dernier Valois du prestige symbolique de la langue latine ; deuxièmement, restaurer l’image de Henri III auprès de ses sujets de Pologne, où, durant son court règne, il avait fait piètre impression, étant incapable de maîtriser le latin, la langue politique de cette république aristocratique ; troisièmement, diffuser l’exploit rhétorique du dernier Valois auprès de l’opinion publique étrangère, et en particulier auprès des cours d’Espagne et d’Angleterre, intéressées au premier chef par les guerres civiles françaises.
Par ailleurs, l’épître dédicatoire de Benoît de Flandrois fournit un éclairage intéressant sur les dons oratoires de Henri III, comparé aux plus grands orateurs de l’Antiquité et assimilé à l’Hercule gaulois [4]. Elle révèle également la visée de cette traduction latine : permettre à ceux qui connaissent mal le français de constater la sagesse et l’éloquence du roi. Nous proposons une traduction française de cette dédicace à la suite de cette notice. Enfin, le lecteur soucieux de comparer le latin avec l’original français pourra aisément consulter le le fac-similé, disponible dans la bibliothèque numérique Gallica, de l'édition parisienne publiée par Jean de Lastre : Harangue prononcée par le Roy en l’assemblée generale de ses Estatz, en la ville de Bloys, le Jeudy sixiesme jour de Decembre 1576.
Claude La Charité
Épître de dédicatoire
[Traduction de Claude La Charité et Jean-François Cottier]
Au très respectable archevêque d’Embrun, monseigneur Guillaume d’Avançon de Saint-Marcel,
Benoît de Flandrois, médecin à Gap, salutations.
Je me suis efforcé de rendre en latin la harangue bien digne d’être connue de tous, que le Roi de France et de Pologne prononça sous l’inspiration divine aux États Généraux de Blois, devant les trois ordres du peuple de France tout entier. Cependant, il s’agit moins d’une traduction latine servile et tatillonne, que d’une transposition libre et enrichie pour le fond comme pour la forme. Ainsi grâce à ce truchement, émissaire très fidèle à l’esprit et à la pensée de la harangue, tous les hommes, même ceux des nations étrangères qui connaissent mal le français, non seulement reconnaîtront que notre Roi est tout à fait digne de louanges (ainsi qu’on reconnaît, dit-on, le lion à ses griffes), mais ils verront, admireront et aimeront les moeurs fort douces de notre Roi, son esprit supérieur, l’excellence de toutes ses vertus, sa sagesse et son éloquence uniques.
Grâce à ces qualités, il mérita fort heureusement toutes les louanges que l’on adresse à l’ensemble des orateurs, ne le cédant ni à Isocrate pour la grâce, ni à Lysias pour la justesse, ni à Hypéride pour la pénétration, ni à Démosthène pour la force, ni à Eschine pour l’éclat et la beauté de la voix. Par elles encore, suivant l’assentiment d’un jugement unanime, il fut estimé l’égal de Salomon, d’Orphée, d’Amphion et de l’Hercule gaulois. Plût au Ciel que les gens d’ici comme ceux d’ailleurs aient pu se laisser persuader par son éloquence unique et sa majesté vraiment royale : il aurait alors transformé ses ennemis les plus acharnés en amis les plus fidèles et en alliés les plus indéfectibles, et de ses détracteurs jaloux et injustes, il aurait fait des appréciateurs très justes et des hérauts très influents de ses louanges.
Cette harangue, j’ai voulu vous la dédier, monseigneur, gloire des prêtres et secours des lettrés, en pensant que le prix de ma peine me serait reconnu, si j’adressais la très éloquente harangue du roi très éloquent à vous, le plus éloquent des évêques de notre pays, très soucieux de la majesté royale et très cher aux meilleurs des nations étrangères, et si dans le même temps, tout ce que je fais pour vous était un témoignage perpétuel de respect.
Portez-vous bien. De Blois, ce 15 décembre 1576.
Parties annexes
Notes
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[1]
Selon Jacques-Auguste de Thou, Histoire universelle, livre LXIII (d’après Xavier Le Person, « Practiques » et « practiqueurs ». La vie politique à la fin du règne de Henri III (1586-1589), Genève, Droz, 2002, p. 248, note 68). Jean de Morvilliers (1506-1577), ancien garde des sceaux, était membre du conseil du roi.
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[2]
La lettre elle-même à Alfonse II d’Este, datée du 7 décembre 1576, est perdue. Seul est conservé le résumé qu’en donne Alfonso Giananelli dans une dépêche datée du 10 décembre 1576 qui se trouve dans les archives de la chancellerie ducale à Modène. Dans le texte italien, on lit : « le istesse parole che furono recitate da S. M.ta, che pronunciate con la gratia che fece in effetto acquistorno maggiore riputazione di quello che pare a molti che conservino in scrittura ». Cité d’après l’introduction des Precetti di rettorica scritti per Enrico III re di Francia, édition de Giulio Camus, Modène, Antica Tipografia Soliani, 1887, p. 8.
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[3]
Guillaume de Taix, « Journal », dans Recueil de pièces originales et authentiques concernant la tenue des États-Généraux, Paris, Barrois, 1789, t. II, p. 256.
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[4]
Pour une analyse détaillée de cette dédicace, voir Claude La Charité, « Henri III, nouvel Hercule gaulois », dans Laurent Pernot (dir.), New Chapters in the History of Rhetoric, Leyde, E. J. Brill, 2009, p. 269-286.