[3] MONSIEUR, Puis que le temps et la condition de ma fortune me retranchent les moyens de vous voir en presence, et que mon destin m’a relegué en ces terres estrangeres, je tascheray à tout le moins de vous visiter à ceste fois par lettres, et de dresser mes voeux en France, pour y visiter mon ancienne patrie, mes parens, et ceux avec qui les premiers ans de ma jeunesse m’avoient faict contracter les noeuds d’une estroicte amitié, où vous tenez des premiers rangs, comme celuy dont j’ay tousjours singulièrement chery les vertus. C’est le seul fleau qui tourmente mon repos, et qui m’empesche d’ancrer mon affection en la douceur de nos conquestes, et de nos triomphes, que d’estre privé de la conversation de mes amis, et me voir maintenant comme deschiré en autant de parcelles que mon amitié avoit d’objects, et que ces objects m’estoient agreables. Je supportterois [4] avec plus de patience cest exil volontaire, et la souvenance des douceurs de l’Europe ne troubleroit pas si souvent mes intentions, les voyant maintenant changees au sejour peu agreable de ces terres farouches et incivilisees : mais je recognoy maintenant, aux despens de mon repos, que c’est que d’estre separé de ce qu’on aime, et de vivre sous la rigueur d’une absence si longue, et comme sans espoir d’en pouvoir jamais changer le destin. Mais quoy ? c’est un coup de ma legereté, et un effect de ma jeunesse et puis que c’est moy qui en ay jetté la pierre, il faut que je sois tout seul à en boire l’amertume. Tant y a que je vous supplie de croire que j’ay basty un autel en mon coeur, sur lequel je sacrifie tous les jours des voeux et des benedictions à la memoire de vos merites, et fais encor vivre en mon souvenir la douceur de nos anciennes caresses : et croy que si je n’eusse trouvé ce remede pour flatter mes ressentimens, il estoit impossible que j’eusse peu vivre davantage parmi les espines que ces remords semoient sur toutes mes actions : mais en fin j’ay apprins à en adoucir les pointes par ces moyens, et ces moyens me sont si agreables que j’y recueillis des roses et des fleurs ombragees de tant de contentement que j’en fais le paradis de mes delices, et les delices de ma vie. L’absence me seroit encore supportable si j’avois moyen de pouvoir au moins au bout de quelque temps sçavoir de vos nouvelles : mais depuis mon despart de France la fortune m’a este si contraire que je n’en ay jamais sçeu recevoir, et ne puis aucunement sçavoir de vostre portement ni de vostre estat, sinon [5] par imagination, et je sçay bien que ces imaginations me trompent : cela seroit un nouveau charme pour rafreichir l’ardeur de mes desirs : mais puis que mon infortune je me desnie, si mettray-je encore ceste-cy aux champs sous la conduite du hazard, tant pour vous advertir de l’estat de la nouvelle France, que pour vous prier de nous en faire venir de l’ancienne, et si quelque bon vent la peut porter en vos mains, je vous prie d’y remarquer les traicts de mon affection, et de prendre en gré ce peu que je vous envoye de ce qui se passe ça bas, attendant que les histoires en seront tracees au long pour vous en certifier avec plus d’asseurance. Vous devez donc sçavoir que depuis nostre depart de la Rochelle, qui fut le 13. d’Avril 1604, sous la conduite du Sieur de Bricant, autant experimenté Capitaine tant sur mer que sur terre (comme les effects …
AnnexeÉdition de la Coppie d’une lettre envoyee de la Nouvelle France[Notice]
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Isabelle Lachance
Université du Québec à Trois-Rivières