Résumés
Résumé
Cet article examine les transformations qui ont modifié en profondeur la création théâtrale depuis une trentaine d’années. En prenant appui sur la notion de dialogisme élaborée par Mikhaïl Bakhtine, l’étude cherche à montrer que le théâtre est passé d’un modèle dialogique dominé par la figure de l’auteur, puis du metteur en scène, à un dialogisme hétéromorphe qui fait place à une pluralité de voix et de langages. Dans cette perspective, beaucoup de créateurs contemporains préfèrent se centrer davantage sur les interactions qui se nouent entre les diverses composantes de l’événement théâtral et sur la relation spécifique à instaurer avec le public plutôt que sur les échanges des personnages. Le caractère interhumain propre à l’événement théâtral apparaît donc transformé, puisque le processus collectif de la fabrication du spectacle est mis en évidence dans la représentation elle-même.
Abstract
This article examines the transformations that have profoundly modified dramatic creation for about thirty years now. Based on the notion of dialogism developed by Mikhail Baktin, our study aims to show that theatre has moved from a dialogical model dominated by the figure of the author, then the director, to a heteromorphous dialogism that makes way for a plurality of voices and languages. In this perspective, many contemporary creators prefer to focus more sharply on the interactions forged between the various components of the dramatic event and the specific relationship to establish with the public rather than on the exchanges between the characters. The interhuman character specific to the dramatic event therefore appears transformed, since the collective process of staging the show is highlighted in the representation itself.
Corps de l’article
Faire entendre plus d’une voix dans une oeuvre et empêcher le discours d’autrui d’être ramené à celui d’un seul énonciateur est une propriété du théâtre à laquelle on s’est beaucoup attardé. « La parole théâtrale, écrit Anne Ubersfeld, est dialogique par définition : il n’y a pas à l’énoncé théâtral, un sujet un, une parole au théâtre qui n’ait qu’un énonciateur est impossible [1]. » J’aimerais cependant revenir sur le dialogisme théâtral pour l’examiner à la lumière de l’évolution de la pratique théâtrale récente, tout particulièrement en Europe et en Amérique. En effet, bien des transformations effectuées par les créateurs contemporains ont touché le principe dialogique qui est au centre de la relation théâtrale. L’événement théâtral n’en est pas moins demeuré polyphonique. Mais les formes qu’y prennent désormais les échanges s’éloignent aujourd’hui du rôle traditionnellement attribué aux dialogues dans le modèle aristotélicien. Ce nouveau dialogisme — du moins est-ce là l’hypothèse que je propose d’examiner ici — est en train de modifier en profondeur la façon dont le spectateur perçoit l’événement théâtral. Or, un tel changement de paradigme a-t-il pour conséquence de modifier notre façon de concevoir l’esthétique théâtrale ?
Dans un premier temps, j’indiquerai brièvement quelques jalons historiques qui ont marqué l’avènement d’un nouveau dialogisme sur la scène. Il s’agira d’en identifier certains traits essentiels — de montrer, en quelque sorte, comment celui-ci se distingue du dialogue traditionnel en me référant à des spectacles où se déploient quelques aspects de ce nouveau dialogisme.
Le principe dialogique
C’est Mikhaïl Bakhtine qui a fixé les contours du principe dialogique (à partir des romans de Dostoïevski, rappelons-le). Il a forgé ce concept pour désigner les relations entre le discours d’autrui et celui du moi par analogie aux relations qui s’établissent entre les répliques d’un dialogue, à condition que s’y noue une intersubjectivité fondée sur les interactions qui font que les personnages ne sont pas des « esclaves sans voix », mais « des personnes, capables de se tenir libres à côté de leur créateur, capables de ne pas être d’accord avec lui et même de se rebeller contre lui [2] ». Ainsi, une oeuvre dialogique fait-elle entendre la voix de l’auteur, celle de locuteurs divers, celle de leurs auditeurs et celle d’autres auteurs dont les voix résonnent dans les mots qui ont été utilisés [3]. C’est le caractère polyphonique d’un discours, d’un ouvrage, d’un spectacle que cherche à cerner ce concept. Est dialogique toute forme qui permet de faire entendre plusieurs voix, les invite à s’exprimer dans leur propre langue et à se répondre les unes aux autres. En somme, le dialogisme bakhtinien suppose au sein d’une même oeuvre une coprésence de plusieurs voix relativement autonomes.
Marvin Carlson rappelle que Bakhtine considère, paradoxalement, le texte de théâtre comme peu susceptible de mener à une représentation dialogique du monde. Pour le penseur russe, pour être authentiquement dramatiques, les répliques qui composent le drame doivent recréer une vision du monde unifiée. Carlson résume ainsi la position de Bakhtine : « Dans le drame, le monde doit être fait d’une seule pièce. Tout affaiblissement de cette qualité monolithique mène à un affaiblissement de l’effet dramatique » (DT, p. 109). Carlson note cependant que celui-ci tire presque tous ses exemples de la tragédie grecque ou de la tragédie néoclassique. À ce propos, Bakhtine insiste « sur la mise en évidence du protagoniste comme centre d’intérêt, entouré d’autres personnages reflétant simplement ses soucis » (DT, p. 110). Le spécialiste de Dostoïesvski admet cependant qu’à la fin du xixe siècle, quand le théâtre « se romanise », on trouve des drames dans lesquels la voix et la conscience de l’auteur, ses manipulations dramaturgiques, s’effacent devant les relations interpersonnelles des différents personnages (DT, p. 110).
On pourrait s’interroger à bon droit sur la capacité des drames du passé de faire entendre d’autres voix et, par conséquent, d’autres paroles que celle de l’auteur, par personnages interposés. Mais il est clair qu’en se penchant sur le texte dramatique, Bakhtine s’est peu préoccupé des possibilités dialogiques de la représentation [4]. Or, de quel ordre sont ces possibilités dans la représentation et peuvent-elles être mises sur le même plan que des énoncés verbaux plus aisément attribuables à une voix spécifique ? Ce problème n’est pas négligeable. En effet, pour qu’il y ait manifestation dialogique, faut-il absolument des mots et des énoncés verbaux de part et d’autre ? Et cette question en amène une seconde. Est-il possible de concevoir un type de dialogue où interagissent verbal et non verbal ? Selon la réponse que l’on proposera, la représentation sera dotée de potentialités dialogiques plus ou moins grandes. À ces questions est aussi liée la nature du « dialogue » qui s’instaure avec le public lors de la représentation. Marie-Madeleine Mervant-Roux a réfléchi au rôle du spectateur dans la représentation. Selon elle, on peut parler d’échanges, de « dialogue précoce [5] », considérer le public comme un « résonateur », mais en définitive, il serait abusif de lui octroyer un rôle d’interlocuteur, puisqu’il ne parle pas et que son rôle consiste à éprouver ce qui lui est transmis. Bakhtine est apparemment d’un avis contraire, puisque, dans son modèle dialogique, il ménage au lecteur de roman un rôle actif. Tous les lecteurs, écrit-il, « recréent et, ce faisant, remplacent le texte ». Ainsi, pour lui, leur réponse au livre est « imaginaire » et ne passerait pas nécessairement par les mots même s’ils le pouvaient [6]. Bakhtine ne désavouerait donc pas la formule célèbre de Meyerhold qui voit dans le public le « quatrième créateur [7] » du spectacle. Suivant la logique bakhtinienne, tout discours à l’intérieur de la représentation, qui ne cherche pas à prolonger, sur un autre mode, celui de l’auteur, s’il participe d’un imaginaire spécifique et qu’il est décodable comme tel par le spectateur, acquiert une portée dialogique. Ce point éclairci, tournons-nous brièvement vers les potentialités dialogiques de la représentation afin de voir comment celles-ci ont évolué avec le temps [8].
Perspective historique
Le dialogue est constitutif du texte de théâtre depuis qu’Eschyle a introduit le second acteur, mais préexistait avant cette innovation dans les échanges entre le personnage et le choeur, sans oublier l’interaction entre l’acteur et le public [9]. Aristote, dans la Poétique, considère d’ailleurs le dialogue comme l’un des six éléments de la tragédie. L’importance des dialogues au sein du texte dramatique s’accroît même dans le temps, lorsque d’autres genres théâtraux s’ajoutent, comme l’affirme Peter Szondi qui parle même de « primauté exclusive du dialogue dans le drame [10] ». Il souligne, de même, que le dialogue domine la forme théâtrale parce que celle-ci s’intéresse avant tout à « la reproduction des rapports interhumains [11] ». Jusqu’au xixe siècle, l’essentiel de ce qui fonde la polyphonie théâtrale provient de dialogues écrits par un auteur, souvent appelé à en superviser lui-même la réalisation scénique [12]. L’avènement du metteur en scène vient bouleverser la donne. Sa voix se surimpose à celle de l’auteur dans le discours théâtral, texte et spectacle [13], entraînant du coup des lectures parfois divergentes. Le metteur en scène ne tarde pas cependant à vouloir établir la représentation comme l’instance où se concrétise une « polyphonie signifiante tournée vers le spectateur [14] ». Retournement phénoménal, si on pense que le spectacle est longtemps demeuré second par rapport au texte dramatique et qu’il a fallu attendre Diderot pour voir l’émergence d’une réflexion sur la relation entre texte et scène, notamment par la prise en compte du jeu de l’acteur.
Ces quelques considérations préliminaires permettent d’isoler deux virages majeurs qui ont instauré un nouveau dialogisme théâtral. Le premier surgit quand le spectacle devient, en tant qu’événement, une dimension essentielle du théâtre [15]. Le second vient de la nouvelle répartition des responsabilités au sein de la production théâtrale et peut être vu comme un prolongement du premier. Ces deux moments ont toutefois en commun de déplacer le centre de gravité du dialogisme théâtral du texte à la représentation. Le théâtre passe ainsi d’un modèle dialogique textuel sous l’autorité de l’auteur à un modèle dialogique spectaculaire, un temps sous la gouverne du metteur en scène [16], mais qui intègre peu à peu un nombre croissant de discours relativement autonomes par suite de l’émergence de nouvelles manières de concevoir un spectacle et de l’introduction de nouveaux médias. Cette reconfiguration des responsabilités théâtrales a entraîné de nouveaux rapports au public. Nous sommes ainsi en présence d’un « nouveau partage des voix [17] », c’est-à-dire d’un nouveau dialogisme dont les caractéristiques demandent à être précisées davantage.
Coprésence de sujets, hétéroglossie et interaction avec le public
Ce nouveau dialogisme est manifeste dans plusieurs créations contemporaines et se caractérise d’abord par un usage moins extensif du dialogue traditionnel, conçu comme forme écrite et stable, lequel se voit remplacé en tout ou en partie par de nouvelles formes dialogiques propres à la scène [18]. Ainsi, l’événement théâtral tend moins à graviter autour des répliques des personnages comme véhicule de divers points de vue sur le monde qu’à présenter le spectacle en tant qu’activité collective et microcosme du monde, ce qui suppose la collaboration de plusieurs co-émetteurs, l’emploi de nombreux langages artistiques, empruntant eux-mêmes à une multiplicité de discours qui appartiennent tant à des univers fictifs qu’à la réalité première. La coprésence de sujets, l’hétéroglossie ainsi que l’intertextualité [19], telles qu’elles ont été conceptualisées par Bakhtine, trouvent dans les créations contemporaines un champ d’application particulièrement fécond par le biais de procédés très variés sur lesquels je vais à présent m’attarder davantage.
Le premier dispositif de ce nouveau dialogisme concerne la présence explicite d’une pluralité de voix dans l’énonciation théâtrale. Exprimées dans un langage distinct, ces voix s’additionnent à celles de l’auteur et du metteur en scène et complexifient l’interaction avec le public. Loin d’être toujours convergentes, ces voix se juxtaposent les unes aux autres, entrent en concurrence, créent des contrastes marqués, nuancent, à d’autres moments, un aspect du spectacle ou encore entraînent des digressions imprévisibles ou des effets de choralité. En un mot, ces discours enrichissent la totalité spectaculaire en démultipliant les points de vue, les angles d’attaque, les langages artistiques, les matériaux et les tons. Dès lors, ces voix multiples rythment et marquent de leur empreinte la composition d’ensemble [20].
L’ère du metteur en scène n’a donc pas éclipsé la présence de discours concurrents dans l’événement théâtral. L’empressement avec lequel certains ont cherché à voir en lui le seul véritable auteur du spectacle ne parvient, au fond, qu’à masquer la difficulté qu’il y a de nos jours à imposer un discours monolithique au théâtre, unité discursive que la venue du metteur en scène a, on l’a vu, contribué à fissurer. À quoi il faut ajouter le choc qu’a constitué pour l’institution théâtrale la généralisation des créations collectives au cours des années 1970, dont les effets se font encore sentir, principalement dans la remise en question des rapports de force qui gouvernent la fabrication du spectacle. En outre, Josette Féral a montré que les pratiques de la performance ont influencé la création théâtrale contemporaine, notamment en ce qui a trait à l’acteur que l’on considère moins comme véhicule du thème de la représentation qu’en tant que sujet dans la représentation [21]. De son côté, Marie-Christine Lesage a signalé que la pluralité des moyens d’expression, si elle caractérise le théâtre depuis ses origines, s’est redéfinie à travers la multidisciplinarité qui a eu sur l’art dramatique une incidence cruciale à partir des années 1980. Selon elle, la volonté des tenants du théâtre multidisciplinaire d’agir sur la « perception sensorielle » du public a fait en sorte de déplacer les paramètres de la réception spectaculaire [22].
Une telle présence d’énonciateurs relativement autonomes modifie l’événement théâtral grâce au rôle accru des collaborateurs auxquels le metteur en scène fait appel et dont la contribution tend à être mise sur un pied d’égalité avec la sienne et celle de l’auteur ou des auteurs [23]. Se sont multipliées en outre les créations où l’on recourt à un cinéaste, un plasticien, un DJ, un chorégraphe, voire un être particulier sans expérience du théâtre [24], essentiellement pour « faire apparaître » ce que sa présence ou celle de son langage artistique apportera à l’ensemble du spectacle. Avec la conséquence que la pratique théâtrale s’en remet volontiers à une « hétéromorphie » qui lui permet de rester ouverte à des influences multiples, dont celles des nouvelles technologies [25].
Or, ce nouveau dialogisme qui s’inscrit dans le processus artistique lui-même a de nettes répercussions sur ce dont traite l’événement théâtral en réinventant, par le fait même, l’interaction avec le public. Bernard Dort, en avant-propos de La représentation émancipée, s’est montré sensible à l’apparition de ce phénomène :
Ma préoccupation demeure de cerner […] le « jeu théâtral » […], soit une série d’échanges entre un texte et un spectacle, entre des comédiens et un metteur en scène, entre une scène et une salle, entre un théâtre et une société. Néanmoins, ma démarche a changé : après avoir tenu le texte puis la représentation prise comme un tout pour l’objet central de mes analyses, je m’attache davantage aux composantes de cette représentation, à ses données dramaturgiques (au premier rang desquelles le temps, l’espace et les comédiens […]) Car ce qui m’est devenu plus sensible, ces derniers temps, c’est le caractère multiple du théâtre : sa qualité de discours pluriel où la place du destinataire importe au moins autant que celles des destinateurs, des émetteurs. « Représentation émancipée » ne désigne rien d’autre : une pratique artistique qui re-présente au lieu d’interpréter et qui le fait par le dialogue (ou l’affrontement), à parts égales, de ses différentes composantes. Les contradictions […] sur lesquelles repose le faire théâtral y deviennent fécondes : elles ne se résolvent pas par la soumission des facteurs de représentation à l’un d’entre eux : elles entraînent leur activation mutuelle — jusqu’à celle du spectateur [26].
En somme, dans ce nouveau dialogisme, le discours de ceux qui travaillent à l’élaboration du spectacle devient visible ou audible pour lui-même au lieu de se fondre dans un grand tout monologique. Dès lors, ce sont autant de perches tendues aux spectateurs avec lesquels les divers énonciateurs scéniques entrent en interaction. Du reste, la prise en compte du destinataire, l’interaction avec le spectateur, bref, l’instauration de ce que Dort appelle un « jeu théâtral [27] » devient un des éléments fondateurs de ce nouveau dialogisme, qu’il intervienne à un niveau abstrait ou d’une manière plus concrète [28].
D’où un grand nombre d’objets théâtraux à géométrie variable et de spectacles qui se proposent une mise en condition élaborée et parfois déstabilisante des spectateurs. Le théâtre in situ est l’une des formes qui s’imposent. À Montréal, le collectif Momentum en fait une spécialité qui privilégie, dans son travail, les lieux non théâtraux. Un des plus réussis fut certes La fête des morts (2002-2004) de Céline Bonnier et Nathalie Claude où, à la nuit tombée, on entraînait les spectateurs dans le cimetière Mont-Royal dont on réveillait en quelque sorte les morts. Une autre forme qui s’est beaucoup répandue consiste, pour un acteur, à s’adresser au spectateur comme à un proche, dans un cadre intime, en privilégiant ce que Lehmann appelle des « monologies ». L’apparition d’interactions inédites au sein même de l’objet théâtral diversifie en outre le choix des matériaux liés à sa fabrication. Aussi le spectacle de théâtre ne repose-t-il plus forcément sur un texte dialogué. À plusieurs égards, l’accent se déplace de ce qui est représenté, ou si l’on préfère de la fiction ou à ce qui en tient lieu, à ceux et celles qui participent à la représentation. Ces participants sont incités à développer un langage personnel, à renvoyer à des discours fictifs et réels qui les interpellent afin, ultimement, de renouveler les types d’interaction que l’événement théâtral crée avec le public.
Le spectacle Je voudrais me déposer la tête de Claude Poissant, « adaptation théâtrale » d’un récit éponyme de Jonathan Harnois [29], illustre d’autres possibilités de ce nouveau dialogisme. Le texte est ici un matériau porté à la scène par le metteur en scène, qui ne le transforme guère en scènes et en dialogues. Le narrateur (Ludo), qui raconte comment il a été affecté par le suicide de son meilleur ami, est incarné ici par trois comédiens qui s’emparent de fragments de texte. Concrètement, les trois interprètes, auxquels s’ajoute un seul personnage féminin (leur/sa « blonde »), deviennent une bande d’adolescents. Leurs danses, leur façon d’être ensemble et leurs gestes de tous les jours rythment et lézardent le récit d’un deuil difficile. Il y a là un espace laissé aux acteurs pour exprimer dans un vocabulaire personnel — et c’est ce que le spectateur ressent — la colère, le désespoir, l’énergie, l’insouciance et la vulnérabilité de la fin de l’adolescence (de laquelle les acteurs sont encore très proches). En outre, un lied de Schubert surgit de nulle part et exprime une fêlure d’un autre âge, qui n’est pas directement liée au récit, mais qui porte une souffrance d’une même intensité et devient par là l’élément clé d’une bande sonore omniprésente. Le décor géométrique et la grisaille émanant des éclairages plongent le spectateur dans un univers abstrait et méditatif. Toutes ces voix, porteuses d’un imaginaire distinct, se conjuguent — mais ne convergent pas — afin de brosser un portrait nuancé d’un groupe d’adolescents de banlieue. Ce portrait est le fruit de l’interaction entre ces discours — chacun d’entre eux bénéficiant de moments singuliers pour se faire valoir — conférant une résonance collective à un récit proche de l’autobiographie. La relation créée entre les divers éléments, faite à la fois de distance et de proximité, de sensations brutes et de juxtapositions savantes, suscite des conditions de réception jouant sur plusieurs plans. Or, c’est justement ce jeu d’éloignement et de rapprochement de l’objet théâtral qui maintient l’attention du spectateur à l’égard de toutes les voix qui s’y font entendre, alors même que celles-ci produisent un objet complexe.
Le 6e salon international du théâtre contemporain, sous la direction d’Alexis Martin et de Daniel Brière [30], propose plutôt un espace partagé entre le public et les acteurs (proche du théâtre médiéval), dans lequel l’interaction est directe et laissée à la discrétion des acteurs et des « spectateurs ». Ceux-ci sont appelés à visiter une fausse exposition de type salon du livre. Des acteurs/exposants ont inventé des stands dans lesquels ils dialoguent littéralement avec les spectateurs, un à un ou par petits groupes, sous prétexte de leur vendre un produit théâtral particulier. Ce n’est pas un dialogue fixé d’avance. Toutes les « représentations » sont uniques tant pour les acteurs que pour les spectateurs, libres d’y circuler le temps qu’ils veulent. Dans ce cas-ci, la proposition spatiale et conceptuelle de Martin et Brière inclut des imaginaires d’acteurs allant dans des directions opposées, tant dans leur façon d’aborder le public qu’en ce qui concerne l’aspect du théâtre et de la société sur lequel ils font porter leur satire. Il en résulte une expérience théâtrale amusante et une critique à plusieurs mains d’un milieu qui se prétend à l’abri du marché. C’est un spectacle riche de multiples pointes satiriques et chaque voix peut travailler une tonalité qui lui est propre, tout en jouissant d’une véritable autonomie au sein du projet artistique.
Terminons par Mnemopark, un projet théâtral de Stefan Kaegi [31]. À partir de son fauteuil, le spectateur est invité à participer à une visite guidée de la Suisse effectué par une meneuse de jeu et par des retraités qui s’adonnent dans leurs loisirs à la construction de modèles réduits. Dans un atelier qui représente une Suisse miniaturisée, flanquée d’un écran à l’arrière et d’un panorama idyllique des montagnes suisses, côté cour, circule un petit train électrique. Se côtoient, entre autres, les discours des retraités, de la comédienne/meneuse de jeu, ceux, virtuels, d’habitants de divers coins de la Suisse, ainsi que des extraits sonores de comédies musicales de Bollywood. L’interaction avec le public est assurée par une mise en situation ludique, à laquelle viennent se rattacher des témoignages et des informations plus ou moins fantaisistes qui dressent un bilan environnemental de la Suisse, proche du théâtre documentaire, mais un théâtre documentaire qui n’hésite pas à mêler le vrai et le faux. Le projet collectif n’éclipse pas ici les imaginaires personnels qui disposent d’instants spécifiques pour s’exprimer. Cette polyphonie ludique, riche en informations de toutes sortes, laisse le spectateur tirer lui-même les leçons qui s’imposent de ce voyage immobile.
En définitive, le nouveau dialogisme entraîne un discours pluriel, traversé de logiques plus ou moins contradictoires, et qui génère avant tout un objet hétéromorphe. En fait, le discours théâtral devient essentiellement relationnel sur au moins deux plans : entre ses composantes et dans le cadre d’une interaction plus spécifique avec le public. Ce tissu de relations a pour conséquence d’être difficilement réductible à une seule interprétation. Toutefois, une telle complexité relationnelle n’échappe pas pour autant à la nécessité de la signification et de la cohérence. Le terme « cohésion » serait peut-être plus approprié en l’occurrence, car le dialogisme qui nous intéresse véhicule plus que jamais le caractère interhumain traditionnellement associé au discours théâtral, mais en favorisant l’inscription dans la représentation du caractère collectif de sa fabrication. Ce phénomène dit en quelque sorte que l’ouverture à l’altérité d’un objet théâtral commence avec sa propre énonciation. Ce renouvellement du dialogue mène de plus à un approfondissement de l’expérience de l’altérité, en tant qu’expérience plurielle.
Le tressage de voix individualisées que produit ce nouveau dialogisme tend ainsi à créer des totalités complexes. Celles-ci ne sont pas sans rapport avec le théâtre de la complexité théorisé par Chantal Hébert et Irène Perelli-Contos [32], mais la complexité en cause m’apparaît d’une nature autre que cognitive, car elle est avant tout constituée d’interactions et d’expressions humaines, qui se présentent moins comme un objet de connaissance qu’en tant qu’expérience partagée, voire comme une (parfois tâtonnante) tentative de compréhension pluraliste d’un monde changeant. Semblable au journal que l’on peut lire au déjeuner, cette totalité complexe se veut en quelque sorte le précipité éphémère d’un monde éclaté, chaotique, discontinu, dont rendent compte sous des formes spécifiques des « acteurs » (au sens sociologique et théâtral du terme) venus d’horizon variés. Cette pluralité des voix alimente le dialogue avec la société, continue d’en interroger le cours et d’en examiner des aspects particuliers.
Par comparaison avec les dialogues dans la tragédie traditionnelle où les tours de parole était clairement établis et les identités plus stables, ou par rapport au théâtre d’identification de la fin du xixe siècle où les discussions sérieuses étaient souvent campées dans de confortables intérieurs bourgeois, le dialogisme hétéromorphe peut parfois apparaître déconcertant, voire déconnecté des préoccupations actuelles. Pourtant, comme le note Catherine Naugrette au sujet du texte de théâtre — mais cela vaut aussi pour la représentation —, « il se pourrait bien que les mutations du dialogue dans le théâtre contemporain soient le fait, non pas d’une supposée obsolescence, ni même d’une soudaine impossibilité, mais d’un changement moderne (postmoderne) de régime artistique, qui, loin de consacrer la mort du dialogue dramatique, signifie plutôt la nécessité de le reconfigurer [33] ». Dès lors, pour peu qu’il se laisse prendre au jeu, accepte de tendre l’oreille aux voix et aux consciences multiples qui s’adressent à lui, chacune dans son langage, le spectateur, quand il assiste à une création contemporaine, découvrira dans ce « jeu de théâtre » une prise de parole démultipliée sur le monde et ses métamorphoses, qui n’a peut-être pas d’équivalent artistique ailleurs [34].
Parties annexes
Notice biobibliographique
Hervé Guay
Longtemps critique de théâtre au quotidien Le Devoir, Hervé Guay est chargé de cours à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université de Montréal. Il a supervisé la publication de Franchir le mur des langues (actes du 20e Congrès de l’Association internationale des critiques de théâtre, Montréal, 2001). Sa thèse de doctorat, qui traite des discours sur le théâtre dans la presse hebdomadaire au tournant du xxe siècle, sera publiée sous peu aux Éditions Fides. Ses recherches portent sur la dramaturgie québécoise actuelle et l’histoire du théâtre au Québec. Il effectue à présent des recherches postdoctorales au Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ).
Notes
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[1]
Anne Ubersfeld, Lire le théâtre. Le dialogue de théâtre, Paris, Belin, 1996, p. 9. C’est l’auteure qui souligne.
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[2]
Mikhaïl Bakhtine, cité par Marvin Carlson, « Le dialogisme dans le théâtre moderne et postmoderne », Études théâtrales, Louvain-la-Neuve, nos 31-32, 2004-2005, p. 110. Désormais, les références à cet article seront indiquées par le sigle DT, suivi de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte.
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[3]
Voir Tzvetan Todorov, Mikhaïl Bakhtine, le principe dialogique suivi des Écrits du Cercle de Bakhtine, Paris, Seuil, 1981.
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[4]
Marvin Carlson a retrouvé dans les écrits de Bakhtine sur le « chronotope » une note de bas de page où il évoque « les interprètes d’un texte (s’ils existent) » en tant que dimension possible du dialogisme activé par une oeuvre (DT, p. 111).
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[5]
C’est ainsi que les spécialistes de la petite enfance appellent les échanges qui s’instaurent entre une mère et un nourrisson. Donald Kaplan compare le spectateur à ce dernier, dont « la position apparemment passive [est] en vérité très dynamique ». Dans cette perspective, le spectateur est sollicité par trois grands paramètres : le rythme, la tonalité et l’intensité. Notons que, de toute façon, on reste toujours en deçà d’un discours formulable. Donald M. Kaplan, « Theatre Architecture : A Derivation of the Primal Cavity », The Drama Review, New York, vol. 12, no 3, p. 105-116, cité par Marie-Madeleine Mervant-Roux, « Il n’y a pas de rapport salle-scène », Études théâtrales, Louvain-la-Neuve, nos 31-32, 2004-2005, p. 217.
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[6]
Le discours critique en est une expression possible qui peut presque toujours être vu comme une « réponse » à l’oeuvre.
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[7]
Enfin, la technique conventionnelle suppose au théâtre, après l’auteur, le metteur en scène et l’acteur, un quatrième créateur : le spectateur. Le théâtre de la convention élabore des mises en scène où l’imagination du spectateur doit compléter de façon créatrice le dessin des allusions données en scène
Vselovod Meyerhold, Écrits sur le théâtre, trad. Béatrice Picon-Vallin, Lausanne, L’Âge d’Homme-La Cité, 1973, p. 123 -
[8]
Si je ne m’attarde guère aux modifications apportées au dialogisme à l’intérieur du texte dramatique, il est clair qu’au fil du temps, le dialogue s’est beaucoup transformé. Je souscris tout à fait aux observations que fait Jean-Pierre Sarrazac en préambule à l’entretien qu’il réalise avec Philippe Adrien (« J’ai toujours été intéressé par la polyphonie… », Études théâtrales, Louvain-la-Neuve, nos 31-32, 2004-2005, p. 145) : « Même si on prend le dialogue au sens le plus traditionnel, celui qui se limiterait à la sphère interpersonnages, on s’aperçoit qu’il a subi des atteintes très importantes à partir des années 1880. »
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[9]
Je n’insiste pas ici sur l’apport des acteurs.
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[10]
Peter Szondi, Théorie du drame moderne, trad. Sibylle Muller, Belval, Circé, 2006, p. 14.
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[11]
Peter Szondi, Théorie du drame moderne, ouvr. cité, p. 14.
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[12]
Cette coutume est répandue chez les Grecs, à l’époque élisabéthaine, et Molière agit de même avec ses comédies. L’auteur qui met en scène son propre texte est un phénomène qui se porte encore très bien aujourd’hui.
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[13]
Ce partage des responsabilités a existé avant l’avènement du metteur en scène, on ne saurait en disconvenir, mais la question neuve que soulève ce nouveau partage des tâches est celui du véritable auteur du spectacle. Auteur dont l’étymologie vient précisément, rappelons-le, du mot « autorité » : l’auteur, c’est donc celui qui détient l’autorité pour faire prévaloir son point de vue.
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[14]
Bernard Dort, Le spectateur en dialogue, Paris, Éditions P.O.L., 1995, p. 270. Il développe cette question dans son chapitre « Le texte et la scène : pour une nouvelle alliance ».
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[15]
Hans-Thies Lehmann (Le théâtre postdramatique, Paris, Éditions de L’Arche, 2002, p. 92) est du même avis : « Le déplacement essentiel de l’oeuvre à l’événement fut déterminant dans l’histoire moderne de l’esthétique théâtrale ».
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[16]
On pourrait arguer que, dans la seconde moitié du xxe siècle, un modèle dialogique spectaculaire unifié par la figure de l’acteur a aussi dominé une partie du théâtre occidental. On peut penser à des monstres sacrés, comme Sarah Bernhardt, qui faisaient graviter à la fois le texte et la représentation autour de leur personnalité et de leurs possibilités théâtrales ou encore au règne de l’actor-manager dans le monde anglo-saxon, dont Henry Irving est un exemple célèbre. Voir Carol Ockman et Kenneth E. Silver, Sarah Bernhardt. The Art of High Art, New York, The Jewish Museum et Yale University Press, 2005 ; et William Archer, Henry Irving, Actor and Manager : A Critical Study, Londres, Field and Tuer, 1883.
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[17]
Jean-Pierre Sarrazac et Catherine Naugrette emploient tous deux l’expression dans « Dialoguer. Un nouveau partage des voix », dossier qu’ils ont codirigé : Études théâtrales, Louvain-la-Neuve, nos 31-32, 2004-2005. Catherine Naugrette a emprunté cette notion au philosophe Jean-Luc Nancy.
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[18]
Hans-Thies Lehmann (Le théâtre postdramatique, ouvr. cité, p. 113) y voit une caractéristique centrale de la création contemporaine : « On pourrait presque dire que le dialogue verbal du drame est remplacé par le dialogue entre les humains et les objets. »
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[19]
Dans le contexte spectaculaire, l’intertextualité gagne à être prise au sens large et il vaudrait sans doute mieux désigner par le terme interdiscursivité les emprunts aux discours verbaux et non verbaux qui y ont cours.
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[20]
Pour ne pas alourdir ma démonstration, je mentionnerai brièvement en note certains spectacles propres à illustrer ce que j’avance. Le spectacle-fleuve Rwanda 94 qui traite du génocide ayant frappé ce pays est un bon exemple de cette propension à multiplier les points de vue et les niveaux de réalité par le biais de formes variées (témoignage, conférence, narration poétique, chants, etc.). Il en résulte un concert de voix complexes pour le spectateur à qui il revient ensuite d’accorder à chacune l’importance voulue et d’en faire une synthèse alimentant ses propres réflexions. Pour certaines productions, Alain Platel (Lets op Bach), Romeo Castellucci (Orestea) et Brigitte Haentjens (Tout comme elle) se sont adjoint des collaborateurs dont ils attendent avant tout qu’ils témoignent de ce qu’ils sont. Ils tentent moins de contenir ou de « diriger » ceux et celles qui participent à l’événement théâtral, que de les amener à afficher leur singularité, pour ainsi dire, dans une certaine choralité.
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[21]
Josette Féral, « Performance and Theatricality. The subject demystified », dans Philip Auslander (sous la dir. de), Performance. Critical Concepts in Literary and Cultural Studies, Londres, Routledge, 2003, p. 206-217. C’est moi qui souligne.
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[22]
Marie-Christine Lesage, « Le théâtre et les autres arts : matériaux composites », dans Dominique Lafon (sous la dir. de), Le théâtre québécois 1975-2005, Montréal, Fides, 2001, p. 360. La manière dont Lesage définit la multidisciplinarité au théâtre va dans le sens du nouveau dialogisme en train de s’imposer dans la création contemporaine : « Le théâtre multidisciplinaire ne suppose pas une synthèse ou une fusion de tous les arts (Wagner), il met en place une structure communicationnelle dynamique au sein de laquelle les arts convoqués gardent leurs propriétés, tout en étant soumis à un système de représentation différent de celui qui régit les composantes de cet art de façon indépendante. Le théâtre multidisciplinaire accentue l’ouverture aux autres arts en les alliant de façon à multiplier les stimuli sensoriels et les niveaux de signification » (p. 337).
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[23]
Tel est le cas de scénographes dont le traitement de l’espace imprime une marque si profonde au spectacle que ce discours en devient un à part entière. L’exemple de Yannis Kokkos — je pense en particulier à sa collaboration avec Vitez sur Électre ou sur Ubu roi — me vient tout de suite à l’esprit. Mais le même phénomène est à l’oeuvre quand une vedette du cinéma comme Isabelle Huppert est invitée à travailler avec Jacques Lassalle (Médée) ou Claude Régy (4.48 Psychose) et qu’elle y poursuit, comme actrice, une exploration de la folie et des situations limites entreprise ailleurs. Au Québec, le travail du Nouveau Théâtre Expérimental, en particulier celui de Jean-Pierre Ronfard, présente souvent une mise en abyme des répétitions du spectacle et inclut régulièrement des éléments autobiographiques sur lesquels les comédiens peuvent prendre appui dans leur interprétation. Dans ses premiers spectacles, Robert Lepage a lui aussi intégré avec bonheur l’androgynie caractéristique de l’actrice Marie Brassard, qui s’en est servi à son tour pour créer des spectacles encore plus personnels. La méthode de travail de Robert Lepage fait aussi une place de choix à l’imaginaire des acteurs dans l’élaboration du spectacle. Irène Roy (Le théâtre Repère. Du ludique au poétique dans le théâtre de recherche, Québec, Nuit blanche, 1993) l’a bien montré dans ses analyses des cycles Repère. On peut également penser à la collaboration de Romeo Castellucci avec le compositeur américain Scott Gibbons dans Hey Girl ! dont la musique alimente l’angoisse des spectateurs indépendamment des images scéniques proposées. Robert Wilson doit aussi être cité pour son choix des collaborateurs (Raymond Andrews, Lucinda Childs, Philip Glass, Christopher Knowles) qui renvoient à des discours et des pratiques d’une irréductible singularité.
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[24]
Outre les spectacles de Robert Wilson, ceux de Pippo Delbono, auxquels participent des exclus et des marginaux, empruntent cette voie, engageant l’art dramatique dans une interaction tout à fait surprenante avec la société.
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[25]
Essor que Franck Bauchard estime lié au caractère matériel et concret de la représentation théâtrale : « […] comme si la scène virtuelle appelait dans son développement et son prolongement sa contrepartie réelle, son indispensable miroir critique, sa nécessaire déconstruction, sa dissection scénique » (« Esthétique des mutations scéniques », Études théâtrales, Louvain-la-Neuve, n° 30, 2003, p. 131).
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[26]
Bernard Dort, La représentation émancipée, Arles, Actes Sud, 1988, p. 14.
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[27]
Denis Guénoun (Le théâtre est-il nécessaire ?, Belval, Circé, 2006, p. 144) voit lui aussi dans le « jeu » l’essence du théâtre, mais il pense avant tout à celui des acteurs entre eux : « si le personnage, ou au moins son efficacité, sa puissance imaginaires […] ont déserté l’espace de la représentation théâtrale, cela signifie que sur scène, désormais, ne reste plus que le jeu ». C’est l’auteur qui souligne.
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[28]
En fait, la plupart des spectacles jouent sur les deux tableaux. Mais on peut tout de même noter que cette interaction nécessite, dans certains spectacles, des références culturelles et historiques de premier ordre, tandis que d’autres propositions misent davantage sur les sens, un espace physique dans lequel le spectateur est invité à s’investir. Privilégier une approche ou l’autre n’empêche aucunement, bien entendu, de développer des univers théâtraux complexes.
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[29]
Cette production du PàP2 a été présentée à l’Espace Go, à Montréal, du 27 mars au 21 avril 2007.
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[30]
Cette production du Nouveau Théâtre Expérimental a été présentée à l’Espace libre, du 16 au 23 avril 2005, à Montréal.
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[31]
Cette coproduction du Théâtre Basel (Bâle) et de Rimini Protokoll (Berlin) a été présentée du 25 au 28 mai 2007 au Festival Trans-Amériques de Montréal.
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[32]
Voir Chantal Hébert et Irène Perelli-Contos, La face cachée du théâtre de l’image, Québec, Presses de l’Université Laval, 2001.
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[33]
Catherine Naugrette, « Humanité du dialogue », Études théâtrales, Louvain-la-Neuve, nos 31-32, 2004-2005, p. 127.
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[34]
Je rejoins ici la conclusion de Marvin Carlson (DT, p. 113) qui écrit : « En effet, le théâtre a pris aujourd’hui la place que Bakhtine accordait au roman, il est devenu la plus hétéroglossique des expressions artistiques. »