« L’Indien a toujours occupé une grande place dans la symbolique de la collectivité francophone », écrit Fernand Dumont dans sa Genèse de la société québécoise. Et il est vrai que cette figure, sous des formes les plus diverses et parfois même les plus inattendues, a occupé et occupe encore aujourd’hui une part significative des discours culturels et littéraires tant québécois que canadiens et européens. Au-delà de leurs usages commerciaux, littéraires, artistiques ou philosophiques, ces diverses représentations de la figure de l’Amérindien ont en commun de questionner, non pas la référence d’origine (l’autochtone « en chair et en os »), mais plutôt le rapport que nous entretenons avec ces représentations mêmes et l’ensemble des intertextes qui soutiennent et alimentent cette image depuis la découverte des Amériques. Elles soulèvent aussi la question de la « préfiguration inventive », pour reprendre l’expression de Fernando Ainsa, c’est-à-dire de l’adéquation forcée entre ce qui est réalité et ce qu’on voudrait qu’elle soit. « Si la réalité est différente, affirme-t-il, les données recueillies sont réinterprétées et adaptées à l’espace souhaité au préalable […] L’Amérique devait être ce qu’on en attendait . » La figure de l’Amérindien nous renvoie également à la problématique du Soi et de l’Autre, d’un « soi-idem » ou bien « ipse », pour reprendre la terminologie de Ricoeur, d’un nous inclusif ou exclusif, d’une identité souvent en quête d’origine amérindienne, susceptible néanmoins de dérober ou d’absorber l’indianité à l’instar de la mante religieuse qui dévore ses proies. Les diverses manifestations et usages de la figure de l’Amérindien, ainsi que les débats qui les entourent, revêtent donc une importance particulière dans le cadre de l’affirmation des nations autochtones dans les Amériques et de leurs revendications territoriales, politiques et culturelles. Ainsi mise en perspective, la perception des nations autochtones a subi, au cours des vingt dernières années, dans la littérature comme dans les médias, un double déplacement que les contributions publiées dans le présent dossier tentent de prendre en considération. Elle s’est, d’une part, indéniablement politisée, dans le sillage, entre autres, du vaste mouvement de contestation contre les projets de barrages hydro-électriques de la Baie James dans les années 1970 et 1980, du déroulement de la crise d’Oka en 1990, ainsi que des nombreuses revendications politiques et territoriales, que ce soit auprès des gouvernements ou devant les tribunaux, depuis les trente dernières années. La perception des nations autochtones s’est trouvée modifiée, d’autre part, par l’émergence d’une prise de parole proprement amérindienne dans des lieux, des médias et des formes de discours les plus variés ; que l’on songe, par exemple, aux interventions sur la scène internationale, devant les Nations Unies et à l’Unesco, ou à la publication de journaux et de revues autochtones, au développement de sites Internet, ainsi qu’à la création d’un réseau de télévision proprement autochtone au Canada (APTN). Il convient de mentionner également les communiqués politiques des divers leaders et intervenants autochtones dans la presse et les médias canadiens et québécois, de même que la publication d’oeuvres littéraires et historiographiques amérindiennes et le développement de manifestions culturelles s’adressant tant à un public amérindien que non amérindien, plus particulièrement dans les domaines du théâtre, de la chanson et du cinéma. De récents témoignages filmiques, tel le film Ullimi (qui signifie « Aujourd’hui » en inuktitut), présenté à Télé-Québec en mars 2007 , confirment le développement de ces nouveaux espaces discursif, littéraire et médiatique amérindiens où chaque manifestation, chaque oeuvre, chaque témoignage contribue à mettre en valeur l’autoreprésentation des réalités amérindiennes longtemps oblitérées par le discours et les représentations de l’Autre. La persistance de diverses représentations amérindiennes, détachées en partie …
Liminaire. Images de l’Amérindien au Canada francophone : littérature et image[Notice]
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Hélène Destrempes
Université de MonctonHans-Jürgen Lüsebrink
Université de Saarbrücken (Allemagne)