Liminaire[Notice]

  • Nicolas Xanthos

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  • Nicolas Xanthos
    Université du Québec à Chicoutimi

Quand bien même on s’accorde aujourd’hui sur la quasi-consubstantialité de l’être humain et du langage, la réflexion critique et théorique sur la présence de la conversation dans le discours fictionnel demeure très discrète et très récente. On pourra retenir comme jalons de cette histoire les travaux de Gillian Lane-Mercier , Vivienne Mylne , Sylvie Durrer , Marie-Hélène Boblet  ou encore Philippe Dufour . C’est précisément dans cette lignée que se situe le présent dossier, qui veut poursuivre cette investigation sur la manière dont la fiction intègre et fait signifier la parole partagée. Il est vrai que, dans le domaine littéraire, la poétique, à l’origine aristotélicienne, a d’abord et avant tout concerné la représentation de l’action, et plus largement l’intrigue. Importe ce que les personnages font, par opposition notamment à ce qu’ils disent. C’est cette anthropologie narrative — l’homme est homme d’actions — qui a constitué le socle de la réflexion poétique, où dès lors la parole s’est retrouvée dans un rapport ancillaire à l’action. À cela s’ajoute le fait qu’on a longtemps considéré la représentation de la parole comme purement mimétique, et donc ne pouvant être le lieu d’un travail d’écriture à penser, décrire, catégoriser. Pour ce qui est de l’anthropologie narrative, un net changement s’amorce au milieu du xxe siècle, dont les répercussions littéraires comme philosophiques laissent supposer l’apparition d’un autre paradigme. D’un côté, dans plusieurs oeuvres romanesques en partie liées au Nouveau Roman, la représentation de la parole partagée prend une place neuve et fondamentale : elle n’est plus un moyen du développement narratif, elle devient le coeur du dispositif et de l’attention romanesques. De l’autre, s’impose dans le champ des sciences humaines (en psychanalyse, en anthropologie, en histoire) l’idée d’un lien constitutif entre le langage et l’être humain, à telle enseigne que celui-ci devient, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Claude Hagège, un « homme de paroles ». Cette anthropologie, qui ne remplace pas la précédente mais lui fait concurrence, est, tout ensemble, la cause et l’effet des transformations de la représentation romanesque en particulier, qui non seulement devient terrain d’exploration active des enjeux de la parole, mais en plus ajuste ses modes d’organisation aux impératifs sinueux de la parole partagée. Elle ouvre également la voie à un renouvellement de la poétique, que les transformations de la représentation romanesque rendent d’autant plus nécessaire. Sur le plan théorique, les travaux de Gillian Lane-Mercier ont puissamment ouvert la voie à cette réévaluation, en quittant définitivement une perspective mimétique dont les insuffisances sont devenues manifestes : la représentation de la parole est un signe textuel, l’objet d’un travail poétique particulier, et il faut trouver les moyens de rendre compte de ce travail, de ses modalités, de ses paramètres. Dans le domaine cinématographique, l’histoire de la parole prend une forme différente et se leste d’enjeux en partie distincts de ceux qu’on vient de voir : on sait en effet le statut parasitaire longtemps attribué à l’univers sonore, parole partagée y compris, par rapport à ce qui constituait, disait-on, le propre de l’art cinématographique, à savoir l’image et le montage. Il faudrait se demander si l’anthropologie dont on dessinait les contours à l’instant a pu jouer un rôle dans l’évolution de la pratique cinématographique. En termes de corpus, de perspectives théoriques et d’orientations méthodologiques, les conditions sont donc maintenant tout à fait favorables au type d’investigation qu’on se propose de mener au sein de ce dossier, et qui concerne le commerce de la fiction et de la conversation. Bien entendu, cette investigation ne pourra être insensible aux valeurs diachroniques de la conversation comme pratique sociale. On n’en fera …

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