L’ouvrage, qui comprend une partie des communications du colloque organisé par Gilbert Beaubatie et Jacques Wagner en septembre 1999, à Clermont-Ferrand, pour commémorer le bicentenaire de la mort de Jean-François Marmontel, entend dresser le portrait d’un intellectuel du siècle des Lumières . Dans son discours d’ouverture, intitulé « D’une fin de siècle à l’autre : Marmontel et nous », René Pomeau, à qui ces actes sont dédiés, a rappelé la carrière de Marmontel, ses idées sur la Révolution et a ainsi lancé le débat sur la modernité de l’écrivain et préludé aux quatre communications consacrées à « l’homme privé ». Dans la première, intitulée « La famille », Jean-Claude Sangoï aborde des problèmes de démographie historique, les Mémoires de Marmontel et la correspondance de l’écrivain donnant à voir une société campagnarde plus complexe qu’il n’y paraît à première vue . Ainsi, le mariage de Marmontel et de Marie-Adélaïde Leyrin de Montigny, qui peut passer pour une « assurance-vieillesse » (Marmontel a cinquante-quatre ans ; sa femme à peine dix-huit), permet-il à Jean-Claude Sangoï d’évoquer la « liberté innocente » des fréquentations de la jeunesse bortoise, d’analyser la pratique du contrôle des naissances, mieux répandue en pays où l’emprise de la religion se distend, et de faire une étude du jeu des alliances à travers le « marrainage » et le parrainage. Son étude, qui comprend une réflexion sur la question de l’allaitement des enfants et sur les décès en bas âge, met en lumière une certaine forme de laïcisation de la mort, en plus de témoigner de l’existence de rapports affables entre époux et de liens de solidarité familiale. Aussi nuance-t-il nombre de conclusions de l’historien américain Edward Shorter (Naissance de la famille moderne, Paris, Seuil, 1977). Dans sa communication intitulée « La formation », Alain Niderst observe que les paysans limousins « demeurent tranquilles » malgré des inégalités sociales manifestes, sans doute parce qu’ils « ne vivent pas trop mal et [qu’ils ne sont] pas éclaboussés par l’opulence des moines ou des nobles » (p. 48). Cette observation sert de prélude à une analyse qui montre que l’absence de vie intellectuelle à Bort est en partie gommée dans les Mémoires de Marmontel. Sans doute est-ce par vanité de provincial que Marmontel crée une « utopie de Bort » et qu’il transforme la campagne bortoise en locus amoenus. Mais cette propension à inventer des lieux idylliques se retrouve dans d’autres textes de Marmontel, notamment dans ses oeuvres dramatiques. Sans doute peut-on aussi penser que Marmontel, dans ses Mémoires, invente un espace qui joue le rôle de contrepoint à celui de la ville où se déroule une révolution pour laquelle il n’éprouve guère de sympathie. Dans son étude, Katharine Swarbrick se fonde sur les thèses de Jacques Lacan pour analyser le concept de « paternité » chez Marmontel. Selon Jacques Lacan, la figure du père a deux fonctions distinctes, l’une positive qui correspond à l’idéal du moi, l’autre négative, qui correspond au surmoi. Dans cette perspective, il faut distinguer la dimension imaginaire de la dimension symbolique, cette dernière ayant pour structure de base le langage et pour support le nom du père qui, depuis toujours, lie sa personne à la figure de la loi. Dans la famille bourgeoise, le père doit incarner cet idéal du moi, mais celui-ci « s’avère toujours en défaut par rapport à sa fonction symbolique, car il est en même temps un être imaginaire en qui le sujet se voit en miroir ». Aussi, l’image s’associe-t-elle « au narcissisme, à la méconnaissance, à la rivalité agressive qui caractérisent la dimension imaginaire » (p. …
Jacques Wagner (sous la direction de), Jean-François Marmontel. Un intellectuel exemplaire au siècle des Lumières, Tulle, Mille Sources, 2003. ISBN 2 909744 21 3[Notice]
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Pierre Berthiaume
Université d’Ottawa