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Ce numéro rassemble les travaux de chercheurs, de professeurs et d’étudiants, qui ont exploré, lors d’une rencontre, les questions de réécritures, de reprises et de dérivations textuelles. Cette rencontre a pris la forme d’un colloque, organisé par Anne Pasquier et Réal Ouellet, dans le cadre du CELAT (Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions), qui s’est tenu à l’Université Laval, les 22 et 23 mai 2002. Les articles ici réunis se situent au point de jonction de deux domaines, l’édition critique et l’intertextualité.

L’intertextualité est une notion complexe. Disons brièvement qu’il n’existe pas de texte qui s’écrive ex nihilo. La littérature, à travers les âges, vit de textes anciens dont quelques-uns sont sans cesse repris, réinterprétés, voire « bricolés ». Au sens d’une stratégie d’écriture, l’intertextualité est ce processus par lequel un auteur convoque et réinscrit dans son texte d’autres textes qui l’ont précédé. L’intertextualité devient ainsi la source de l’invention. Bref, il n’y a pas de créativité sans mémoire.

Cette réflexion sur l’intertextualité a soulevé plusieurs questions, comme celles de la copie, de la transmission et de la traduction des textes. Certaines notions ont été repensées, en particulier celles d’auteur, d’originalité et de plagiat. Ont été interrogées les catégories élaborées par la textologie et la critique contemporaine lorsqu’on les applique à des ensembles divers et éloignés les uns des autres dans le temps et l’espace : textes apocryphes anciens, traductions interprétatives des Métamorphoses d’Ovide au Moyen Âge, Relations de voyage, Mémoires d’Ancien Régime ou encore corpus littéraires nationaux modernes.

Mais comment éditer et rééditer ces ouvrages qui utilisent diverses formes d’intertextualité : citation, allusion, collage, paraphrase, variation, prolongement, détournement, traduction, commentaire ? Certains articles proposent une réflexion sur l’articulation possible entre intertextualité et édition critique, et particulièrement sur la manière dont l’édition, en présence de formes aussi variées, doit prendre en compte non pas uniquement les sources, car elle se réduirait ainsi à une critique d’ordre génétique, mais la réinvention et la transformation. Ainsi que le demande Bernard Beugnot, l’édition critique est-elle en mesure de rendre compte du processus de l’invention, processus par lequel l’auteur « découvre », sélectionne et réorganise ce que sa mémoire avait soigneusement inventorié ?

Le rapport des oeuvres entre elles met en lumière le fait que la littérature n’est pas constituée de textes isolés et purement autonomes. Ceux-ci apparaissent plutôt comme les « strates interconnectées d’un processus génétique du littéraire » (Manon Brunet). De ce fait, les histoires littéraires ne devraient peut-être plus se présenter comme des catalogues d’auteurs et d’oeuvres sans lien les uns avec les autres. D’une certaine manière, tout texte considère les oeuvres antérieures comme si elles posaient des questions auxquelles il doit répondre, en les interprétant ou en les corrigeant. L’emprunt créateur met donc en jeu les rapports divers, louangeurs ou subversifs, avec la tradition.

En amont, dans la mesure où elle est mémoire, la littérature devient ainsi une médiation entre la tradition et les nouveaux lecteurs. En aval, la reconnaissance des images et symboles qu’elle élabore devient une fonction de la mémoire collective : par la création et la recréation d’imaginaires qui deviennent des phénomènes sociaux, elle peut aussi être le ciment d’une société et un lieu de rencontre.

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Les oeuvres choisies pour analyser les phénomènes intertextuels et leur mise en scène dans l’édition critique s’échelonnent de l’Antiquité tardive au xxe siècle.

Avec la Bibliothèque copte de Nag Hammadi, Anne Pasquier aborde le processus de dérivation entre ces différents textes d’origine égyptienne, en mettant en lumière diverses modalités de réécriture. Elle examine les catégories élaborées par la textologie et la critique contemporaine, appliquées à des textes apocryphes anciens.

Examinant l’évolution textologique d’écrits qui ont construit, au début de la période des Lumières, les figures mythiques du Flibustier (Exquemelin) et du Philosophe sauvage (Lahontan), Réal Ouellet montre comment deux oeuvres, par le jeu des éditions, traductions et adaptations, échappent à leur auteur : la première, dès sa publication ; la seconde, avec les rééditions et les nombreuses gloses qu’elle suscite.

Marie-France Viel analyse les procédés par lesquels la Bible des Poëtes, parue en 1484 et attribuée à l’imprimeur et compilateur Colard Mansion, s’insère dans une tradition de traductions interprétatives des Métamorphoses d’Ovide, grâce aux procédés de la rhétorique. La « traduction » permet de vulgariser le corpus original tout en se le réappropriant, donnant ainsi lieu à une véritable reformulation.

Frédéric Charbonneau interroge les Mémoires d’Ancien Régime, récits d’histoire écrits dans une perspective apologétique et polémique, et souligne les facteurs qui compliquent le travail d’édition, l’éditeur étant placé devant l’impossibilité d’identifier un auteur unique. Il propose, plutôt que la seule identification des sources ou la recherche de l’auteur véritable, l’analyse des procédés de réécriture et d’inclusion qui prennent acte des variations du statut de l’auteur et du texte dans le procès de sa genèse.

Manon Brunet présente une méthodologie de l’édition critique dans une perspective anthropo-sociologique. L’édition critique de la correspondance de Henri-Raymond Casgrain, considérée comme un réseau polyphonique grâce au jeu des lettres croisées, est susceptible de faire saisir les processus inhérents à la création d’imaginaires sociaux et à l’instauration d’une littérature nationale.

Bernard Beugnot examine comment l’édition critique peut faire saisir la métamorphose et la réinvention à l’oeuvre grâce à l’apport de la mémoire dans un texte. Il approfondit cette question à partir d’exemples tirés des oeuvres de Dominique Bouhours et de Francis Ponge. Intertextualité et réécriture : ce couple pose la question de la mise en scène de l’invention dans l’édition critique et, de ce fait, appelle des considérations à la fois techniques, littéraires et philosophiques.