Liminaire[Notice]

  • Jacques Paquin

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  • Jacques Paquin
    Université du Québec à Trois-Rivières

On ne peut jeter qu’un coup d’oeil rétrospectif à la dénomination d’histoire naturelle, aussi bien en regard de la taxinomie scientifique actuelle que de la philosophie et de la littérature. L’espace discursif de l’histoire naturelle est traditionnellement traversé par la philosophie depuis les Petits traités d’histoire naturelle ou Parva naturalia d’Aristote, puis par la poésie, avec le De natura rerum de Lucrèce où la création d’un univers fictif et lyrique se réalise conjointement, et de manière didactique, avec une conception atomiste de l’univers. À la suite des développements des sciences naturelles qui s’orientent, après Aristote, de plus en plus vers l’observation empirique, chez Pline l’Ancien par exemple et, plus tard, chez Linné et Buffon, vers une méthode de classification, on rejoint le darwinisme et les recherches du xxe siècle en biologie moléculaire, en microbiologie et en génétique. L’histoire naturelle, renommée biologie et science du vivant, a donc pris une place considérable dans notre perception du monde. Rien d’étonnant si l’on considère que l’humanité a forcément cherché à se définir dans les rapports qu’elle entretenait avec la nature. L’Histoire des sciences occidentales coïncide avec l’histoire de l’affranchissement de l’homme vis-à-vis de la nature, qui se traduit par le passage d’une nature conçue en dehors des hommes, une nature en soi, à une nature pensée par des sujets. Mais à partir du moment où l’idée de nature ne reposait que sur le sujet observant, les hommes se sont ainsi retrouvés face au sentiment qu’éprouvait Pascal devant les « espaces infinis ». Comme le note le physicien Heisenberg, « […] pour la première fois au cours de l’histoire, l’homme se trouve seul avec lui-même sur cette terre, sans partenaire, ni adversaire ». La réflexion de ce numéro prend sa source dans l’interrogation suivante : comment les textes littéraires ou philosophiques représentent-ils l’un ou l’autre aspect de cette science somme toute protéiforme et constituée d’épisodiques ruptures épistémologiques ? Ces textes deviennent-ils ou proposent-ils, à leur tour, des histoires naturelles ? Les mondes représentés projettent-ils une image significative des savoirs environnants ? À tout le moins, on peut avancer qu’en décalquant les présupposés scientifiques ou philosophiques des investigations de l’histoire naturelle, ces textes révèlent, à l’instar de l’épistémologie, l’historicité de l’idée de nature, comme ils mettent en valeur, par un renversement qui n’a rien de surprenant, l’usage de l’artifice et du mythe pour y arriver. Comme l’écrit Michel Pierssens, « [l]es savoirs que la littérature mobilise appartiennent en effet toujours à un champ épistémique très hétérogène, de telle sorte que les objets qui en relèvent possèdent une organisation qui les rapproche moins de la science au sens strict que du mythe ». Ce numéro s’intéresse donc aussi aux histoires — entendues cette fois comme fictions — naturelles, dont l’objet est susceptible d’apporter un éclairage nouveau sur les rapports entre les sciences du vivant et leur transformation en savoirs philosophiques ou fictifs. Les textes qu’on lira ont comme borne de départ le xviii e siècle et comme point d’arrivée la fin du dernier siècle. L’article de Thierry Belleguic, qui ouvre le numéro, dépeint les rapports très étroits entre l’avènement d’une science du vivant et son histoire, à partir notamment d’une réflexion qui prend pour objet la météorologie. Cette dernière a été au coeur des préoccupations du xviiie siècle, comme le montrent tout particulièrement les textes que Diderot a consacrés à ce problème qui pose la question cruciale de l’impondérable et du « compliqué » par delà les limites de la mécanique classique. L’histoire de la science météorologique coïncide avec le calcul des probabilités et des aléas que les savants ont eu l’habitude d’appliquer …

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