FR :
Diderot se pose en rival de Greuze dans le commentaire du tableau Jeune fille envoyant un baiser […] (Salon de 1765). En effet, Diderot repeint le tableau sur la toile de ses affects et de cette création fantasmatique surgit son désir pour la jeune fille à laquelle il s’identifie. Il voudrait l’ « absorber », mais se laisse lui-même « absorber » par la scène et s’insinue ainsi de l’autre côté du cadre. Fidèle au principe de la ligne ondoyante qui est, selon lui, signe de vie, Diderot, tel « le serpent qui vit », se coule par l’entremise de la caresse de son regard sur le corps féminin. La jeune fille, quant à elle, manipule de façon suggestive une lettre qu’elle vient de recevoir, lettre dont Diderot néglige toute la portée. En effet, cette lettre est le substitut du rival réel et invisible de Diderot : celui qui, au-delà de la position du spectateur dans l’espace, se trouve suspendu au bout du regard de la jeune femme, qui est le seul être qu’elle daigne regarder. Cette lettre palpée de manière significative en dit long sur son désir à elle (elle-même objet de désir) qui est « hors d’oeuvre » : la lettre devient à la fois métonymie du corps absent de l’aimé et métaphore de son corps à elle, présent dans toute la force de son désir.
EN :
Diderot presents himself as Greuze’s rival in his commentary on the painting Jeune fille envoyant un baiser… (Salon de 1765). Indeed, Diderot “repaints” the canvas with his own emotions, and from this fanciful creation springs his desire for the young woman, with whom he identifies. He wishes to “absorb” her but he is himself “absorbed” by the representation and therefore insinuates himself into the other side of the painting. Faithful to the principle of the wavy line — which he views as a sign of life — Diderot, like “the serpent that lives,” slides onto the female body through his caressing gaze. The young woman, for her part, suggestively holds a letter she has just received, a letter whose significance is lost on Diderot. Indeed, this letter is the substitute for Diderot’s real and invisible rival: he who, beyond the spectator’s position in space, is the object of the young woman’s gaze, who is the only being she deigns to look upon. This meaningfully handled letter says much about the woman’s own desire (herself the object of desire), which lies outside the picture: the letter becomes at once the metonymy of the absent body of her lover and the metaphor of her own body, present in the full force of its desire.