Résumés
Résumé
« Alberts ou la vengeance » (1964) est la première nouvelle qu’a publiée Gérald Godin. Particulièrement chargée bien que de petite surface (4 p.), elle conjoint sur un sujet grave (la vraie paternité) et avec un sens aigu de la dérision un complexe ensemble de liens à lire, depuis celui du texte, sur trois plans, par déplacements : celui de l’intertexte, celui du biographique et celui du référent politique. Cet article tente de s’approcher au plus près de ce qui constitue le noeud de ce texte peu connu.
Abstract
Alberts ou la vengeance [Alberts, or Vengeance] (1964) is the first short story published by Gérald Godin. Particularly rich in texture, though short (4 pages), it unites, on a serious subject (real paternity) and with an acute sense of the ridiculous, a complex set of links to be read, from that of the text, by shifts and on three levels: those of the intertext, the biographic material and the political referent. This article attempts to focus as closely as possible on what constitutes the crux of this little-known text.
Corps de l’article
L’intermède le plus bouffon relie le crime au châtiment. Comme en Hamlet, les lamentations s’assaisonnent de calembours.
Jean Paris [2]
Le « mythe d’Hamlet », comme dit Lacan, ne serait donc que le mythe du fils en impasse, du fils oedipien pour qui la voie est barrée : comment pourrait-il tuer son père puisque son père est déjà mort ?
Bernard Sichère [3]
« Alberts ou la vengeance » est la première nouvelle qu’a publiée Gérald Godin, peut-être la première qu’il ait écrite [4]. Parue en février 1964 dans la revue Parti pris, elle a été rédigée fin 1963 ou tout début 1964 au plus tard [5], selon toute vraisemblance après la réinstallation de l’auteur à Montréal à la mi-novembre 1963, afin d’y travailler comme collaborateur (recherche, documentation) à Aujourd’hui, émission de la télévision de Radio-Canada, et comme journaliste (reportages, entrevues) au Magazine Maclean.
Dans le cadre d’un bilan tardif de Parti pris et de son passage à cette revue (1964-1966), il en dira ceci [6] :
Ma première contribution à Parti pris a été une nouvelle, « Alberts », parue au début de 1964. J’y ridiculisais la prétention des « partipristes » de se croire le Front de libération intellectuelle et j’attaquais ouvertement le vrai FLQ [7] à qui je reprochais de vouloir nous faire passer pour une vraie colonie, situation qui exigeait en retour un vrai terrorisme. Or nous n’étions pas l’Algérie française : nous disposions d’un demi-gouvernement [8], il n’y avait pas de fascisme ici, pas de torture dans les prisons, etc. Les prises de position de départ de la revue me paraissaient donc excessives.
Entre-temps je m’installe à Montréal ; et, en dépit de ma vision critique quasi blasphématoire à leur égard, les directeurs de la revue [9] me demandent d’autres textes.
Il suffit de mettre en parallèle cet extrait d’entrevue avec tel extrait d’un entretien plus tardif encore pour constater, étant donné le sujet de la nouvelle, que cette vision critique du contexte sociopolitique repose, si je puis dire, sur une autre vision, nettement autobiographique [10] :
Ma mère avait engagé une gardienne d’enfants qui est devenue ma deuxième mère, en fait, et moi son préféré. Elle m’emmenait chaque été chez son fiancé, Jean-Marie Marchand. Là, à Batiscan, j’ai été « adopté » par eux comme étant un autre enfant : ils en ont fait 4 après, mais j’étais le premier [11]. Je n’ai pas parlé de ça dans mes poèmes, mais ça serait peut-être une bonne idée : faire un poème sur la fausse paternité et la vraie paternité. Comment appellerions-nous en québécois le statut d’un enfant qui n’est pas le fils des gens qui sont ses parents ?
S’installent ainsi le rapport à la vérité (« vraie colonie » / « vraie paternité »), du pas du passage au pas de la négation (« nous faire passer pour » / « son préféré »), le rapport, étant donné le sujet de la nouvelle, entre le terrorisme (le FLQ, à Montréal) et le terroir (la ferme, à Batiscan), mais aussi le soupçon, désormais, que s’il n’en a pas parlé dans des poèmes [12] il en a parlé dans cette nouvelle, mais indirectement (et il faut faire intervenir cette région du paratexte qu’est l’épitexte [13]).
Le lien d’alliance et le lien de parenté
Cette brève nouvelle, en effet, met en scène un complexe ensemble de liens à lire sur trois plans : celui de l’intertexte, celui du texte et celui du biographique. C’est évidemment depuis le plan du texte que cet ensemble peut être mis en place.
D’abord le plan de l’intertexte, clairement identifiable : Hamlet, célèbre pièce de William Shakespeare. Je rappelle qu’Hamlet, le roi, et Gertrude, son épouse, ont eu un enfant, également nommé Hamlet, le prince, qui est le personnage principal (ceci est la vraie paternité) ; que Claudius, nouveau roi et frère du père — lien de parenté —, a tué ce dernier puis — lien d’alliance — épousé la mère (et on en est là lorsque la pièce commence). Joint à l’adultère, voire à l’inceste [14], ce meurtre est le moteur de l’action.
Sur le plan du texte, la situation doit être (brisure intertexte / texte) la même : Albert (l’un des non-dits de la nouvelle) et Gertrude, son épouse, ont eu un enfant, également nommé Albert — le titre de la nouvelle, faux lapsus calami mais vraie calamité, si je puis dire, le nomme Alberts —, ceci étant la vraie paternité ; Polonius, nom du chambellan du roi dans la pièce de Shakespeare, prend ici la place de Claudius et est le mari de Gertrude (et on en est là lorsque la nouvelle commence). Albert et Polonius sont, respectivement, les pères IIa et IIb.
Sur le plan du biographique, Paul Godin (père I) et Louisa Marceau, son épouse, ont eu (au moins) un enfant, Gérald Godin. Albert, l’un des frères de Paul, a eu (au moins) un enfant, Marcel [15].
Ceci posé, on a une meilleure idée des déplacements que l’auteur fait subir aux relations de parenté et qui sont tout l’enjeu de la nouvelle :
dans le texte : Alberts, qui, plutôt que de tuer Polonius, a tué William O’Neill (père III) parce qu’il pensait « qu’il était le père de l’abbé Louis O’Neill » (c’est la dernière réplique et la dernière phrase de la nouvelle), fait littéralement de ce report un reportage qu’il ne réussit pas à placer dans l’un ou l’autre des neuf journaux et magazines francophones et anglophones dont il donne les noms et commente à la fois naïvement et ironiquement le refus ; le nom de l’épouse de William O’Neill n’est pas donné ;
dans le biographique : Gérald, tout en rappelant le prénom de son père (brisure biographique / texte : Paul / Polonius [16]), se sera positionné d’une part comme orphelin, d’autre part comme fils adoptif de Jean-Marie Marchand — « À la ferme de Batiscan, pendant les vacances au bord de la rivière, j’ai appris le langage du terroir. C’est un beau transfert, de la main du bûcheron [ou du cultivateur] au poète. J’ai vécu ces mots-là [17]. » —, voire, en toute ambiguïté, comme fils « naturel » ; et le nom de l’épouse de Jean-Marie Marchand n’est pas donné [18] ;
à la brisure intertexte / texte : le fils, tuant à l’épée quelqu’un qui est caché derrière une tenture, pense tuer Claudius alors qu’en fait il tue Polonius, le père de son amante / le fils, posant une bombe qui tue tel homme sorti à l’arrière d’un édifice, dit l’avoir tué parce qu’il pensait qu’il était le père de tel autre homme ;
à la brisure texte / biographique : tueur / tuteur ; terrorisme / terroir, report (et reportage de l’écrivant) / transfert (vers l’écrivain, poète ou, comme ici, nouvelliste).
À ces déplacements d’un plan à l’autre ou à l’intérieur d’un même plan, s’ajoute celui-ci, inévitable conséquence : dans l’intertexte, le fils prétend être orphelin de son père mais cette prétention, suggère Bernard Sichère, « est une impasse : voilà la vérité d’Hamlet [19] » ; dans le texte, le fils reporte sur le FLQ la prétention de faire croire, dit l’épitexte tardif, d’une part que le Québec est une vraie colonie et les membres du FLQ de vrais terroristes, d’autre part que les rédacteurs de Parti pris sont — toujours le déplacement — les membres d’un FLQ intellectuel. Mais quelle est la vérité d’Alberts ? Sans doute celle de faire croire à ses parents qu’il a rédigé un reportage alors qu’il s’agit, on le découvre au milieu de la nouvelle (et cela est confirmé à la toute fin), d’un écrit autobiographique (et d’un aveu) : « Le reportage s’intitulait : “Pourquoi j’ai tué William O’Neill” ». Et de raconter dérisoirement les circonstances en détail.
La filière shakespearienne
Ce n’est pas la première fois que l’oeuvre du dramaturge anglais est convoquée par Gérald Godin. Sans doute est-ce par le biais d’un livre de Jean Paris, Shakespeare par lui-même, qu’il s’est initié — est-ce le mot ? — à l’oeuvre et à ses entours, tout en faisant d’ailleurs connaissance avec l’auteur lors de la cinquième Rencontre des écrivains canadiens qui a lieu à Saint-Sauveur-des-Monts (29 septembre-1er octobre 1961) et qu’il couvre pour Le Nouveau Journal [20] ?
Deux autres exemples, donc [21]. Dès 1962, dans le « Cantouque du quotidien [22] », on peut lire ce condensé d’Hamlet :
what’s the Hamlet plot ?
‘Tis Ophelia aux cheveux comme un nuage blond
on Ze river
hail hail hail get of Ze grass
because of Ze boss
back to bed back to bed Ophelia
‘Tis late enoff
and that Gimlet aint Ze guy f’you [23]
la mort fut le claudius de mon elseneur
intérieur
et la vie la guertrude
de cette écurie
qui me sert de coeur
Cette première approche, toute partielle elle aussi, est centrée sur la relation Hamlet-Ophélie : Ophélie, fille de Polonius, constatant qu’Hamlet, son amant, a été envoyé en mission au loin, se noie (elle se meurt / elseneur), folle de douleur. Et il y a l’humour de cet anglais pour le moins bigarré, voire fautif, dans lequel une apostrophe s’installe avant telle consonne (‘Tis) et après telle autre (f’you) ou s’absente (aint) [24]. Et l’équivalence posée dans la seconde strophe reconduit la répartition entre le côté du père et le côté de la mère : cette « écurie qui me sert de coeur » n’est-elle pas d’une part, par stable, à la jointure de « ton coeur retontira sur la table » du « Cantouque d’amour », lui aussi de 1962 [25], et du « comme du sang sur une table » du début de la nouvelle, d’autre part à la jointure du cheval — ou du joual — qui rue à Batiscan, sur la ferme des Marchand, et de la rue Hart (ou heart), à Trois-Rivières, où habite alors la famille Godin ?
Dans le « Cantouque de vieillir I [26] », Paul Godin, mort le 27 mai 1960, est ainsi cavalièrement mis en scène :
il enterra Ti-Paul en 59 ou autrement
en terre chrétienne au printemps
le taureau [27] venait sans mot dire
de le céder aux gémeaux
puis, sans transition aucune sinon celle de changer de vers sans changer de strophe, cela continue ainsi :
Claudius Claudius hôtel au
bord de la Mer du Nord
liant non seulement un vrai père (Paul) à un faux père (Claudius), mais encore deux pièces, Hamlet (1601) et Othello (1604), et deux meurtriers, deux jumeaux en quelque sorte, le second se poignardant (to stab oneself « se poignarder ») après avoir étranglé sa compagne. Et la strophe continue, passant du il au je :
qui verra la fin du jour le premier
qui viendra étendre le soir sur la plage
déserte inutile et peut-être noyée
à cette heure-ci je ne sais plus
tellement je suis vieux non pas d’ans
mais d’ignorances de ressentiments.
Qui verra, qui viendra : Claudius, voire Othello ? Quelque « dieu [qui] s’est incarné comme un ongle [28] » ? Ou, « ghost » ou « dreaded sight » — ainsi nomme-t-on le père d’Hamlet dans la pièce —, quelque Godin ? Mais c’est déjà « sans mot dire », et le fils n’aura dit, en effet, que très peu de choses, finalement, sur son père [29].
Les échos langagiers
Que Gérald Godin ne retienne pas l’ensemble des événements de la pièce, qu’il se limite, comme le suggère le sous-titre, à la vengeance d’Alberts [30], cela ne fait aucun doute. Il n’hésite pas, cependant, à relier ce qu’il choisit de mettre en scène par un remarquable réseau d’échos langagiers.
Gérald donne « naissance », paragrammatiquement, à Gertrude et, sans l’apostrophe de la distinction, le « petit phallus » en personne, à Albert (père)/Albert (son, fils) [31]. D’un prénom hors-texte à des (pré)noms textualisés, mère et fils ici imbriqués [32]. Le contact, dans le texte, avec la réalité extérieure, celle des médias ou celle du pouvoir politique, est un contact avec des personnages qui ont des noms complets (prénom et nom). Côté médias écrits, directement : Bill Bantey (« c’est rien que des Anglais […] excepté Bill Bantey ») ; côté politique fédérale, indirectement : William O’Neill.
William O’Neill, mixte de William Shakespeare, dramaturge anglais (xvie-xviie siècles), auteur d’Hamlet, et d’Eugene O’Neill, dramaturge américain (xxe siècle), auteur de A long day’s journey into night (1941, publiée en 1956) est, sur un autre plan, la réfection — d’après Louis O’Neill, analyste des moeurs politiques — de Wilfrid O’Neil, quidam de l’actualité politique. Louis, fils de Wilfrid (un l comme dans O’Neil) et de William (deux l comme dans O’Neill). Qu’il s’agisse de l’abbé et professeur de morale au Petit Séminaire de Québec qui, en collaboration avec Gérard Dion, autre abbé et professeur à la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval, a publié Le chrétien et les élections [33], ou qu’il s’agisse d’un veilleur de nuit désigné à l’attention du public comme la première victime du FLQ [34], le texte de Godin cherche constamment à conjoindre en son intertexte, son biographique et son référent, dérisoirement, ce qui désigne le noeud de la question : en avoir (texte : O’Neill ; intertexte : ‘Round midnight, A long day’s journey into night ; référent : O’Neil) ou ne pas en avoir (texte : Polonius, Thelonius le Moine, la Dominion Rubber, Nazionale [35], le Dominion [36], question ; intertexte : Dion, élections, Union nationale ; biographique : Godin), c’est être ou ne pas être marqué d’un trait, celui de l’écriture, c’est être ou ne pas être apostrophé par le signifiant. William O’Neill est ici le seul à avoir un nom vraiment complet et vraiment de langue anglaise, le seul dont le prénom ne soit ni abrégé (Bill, d’après William) ni retourné (Louis, inverse de Wil- ou de Will-).
C’est à la suite de l’« opération aux tripes » du père que l’écart dans son (pré)nom — l’écart dans le mot mis pour l’écart dans le corps : Polonius ouvert en Pol onius, puis abrégé (par apocope) en Pol [37] — permet d’entrevoir la possibilité d’advenir au signifiant : du « nom unique du héros en tragédie [38] » au nom du père, clivé. Et, par déplacement, au nom du père — William O’Neill —, fortement marqué.
Une brève note de l’auteur concernant le titre va comme suit : « Lire : Albeurtse ». À voix haute, en effet, cette phonie à la française inscrite dans la graphie, non sans qu’on y entende en échos d’une part (côté meurtre) « deux heures du matin, comme toutes les nuits depuis quinze ou trente-deux ans [39] » (TE, p. 73) et « la braguette à demi ouverte » (TE, p. 73), d’autre part (côté rédaction du meurtre) « à Canadian Weekly, ça paie trop, ça me fait peur » (TE, p. 72), entre en rapport avec l’apostrophe par la mère, première phrase du texte (TE, p. 71), qui donne aussi le la et qui s’oppose brutalement à la non-apostrophe du fils, personnage principal et premier mot du titre : entre a et e, littéralement, le rts d’Albeurtse s’inverse en le str d’apostrophe.
Or cette apostrophe, typique du génitif saxon qui sert à nommer l’appartenance (Albert’s son [40]), ne sera pas advenue. Et ce déplacement à l’extérieur de la famille, fondement de la société canadienne-française, a toutes les allures non seulement d’un report, comme il a été dit, mais d’un « détournement d’énergie[s] — comme on dit détournement de fonds », ce qui est exactement la métaphore utilisée par l’auteur, au début des années 1960, pour épingler le nationalisme [41]. Analogie, ici, des fonds bancaires et du fonds intertextuel, de la cellule familiale et de la cellule felquiste. Ou encore, comme il a été également dit, d’un transfert, tant au sens général de déplacement de droits ou de valeurs qu’au sens spécifique qu’il a en psychanalyse, et particulièrement lors de la cure [42].
Peu importe le biais par lequel je lis le texte de cette nouvelle, l’intertexte shakespearien insiste. Ainsi, Polonius, là (vrai) père de Laërte et chambellan du roi, ici (faux) père d’Alberts, convoque Paul Chamberland, essayiste et poète, important partipriste [43]. Le passage, double, se fait sur un air de jazz et s’ouvre, comme il a été dit, sur une apostrophe (TE, p. 71 et 72) :
— Ôte tes claques, ou ton père va t’en donner une brassée, cria la mère.
Le soir tombait comme seul il sait le faire. Les taxis jouaient le Sainte-Catherine Street Blues pour klaxon et crissement de pneus Goodyear. La lumière se répandait inlassablement dans l’enseigne de la Dominion Rubber comme du sang sur une table.
[…]
Alberts enfila chastement un disque sur le petit phallus du pick-up et Thelonius le Moine commença à distiller sa petite liqueur blouse Alarcon au beau milieu des patates rôties qui achevaient de grésiller dans la poêle en se tordant comme des oreilles de Christ.
De claques, à la fois chaussures et gifles, à klaxon (claque-son ou claque-son), de cria à crissement et à oreilles de Christ, d’enseigne à sang mais aussi de phallus à moine et de semen « sperme » (voir crissement) à prick « pénis » (voir pick-up), de Goodyear à Goodman (Benny Goodman) et à Thelonius le Moine (Thelonius Monk [44]), de morceaux de caoutchouc à morceaux de musique et à morceaux de lard, de Sainte-Catherine Street Blues à l’extérieur de la maison à blouse Alarcon [45] (ou ’R / air de blues à la con) à l’intérieur de la maison, etc. Tout ceci, plein de bruits et de religion — à écouter, littéralement, d’une oreille de Christ lorsque jouent le français, le joual et l’anglais, au moins —, sent le brûlé et la misère sexuelle. Et telle synesthésie, mixte de « petite liqueur [couleur] blouse Alarcon » et de « patates rôties », est tout simplement grotesque, aggravée par l’infratextuel concert (ou trip) « pour klaxon et crissement de pneus » (ou tripes) — jazz et Varèse, disons —, surgi de l’« opération aux tripes » et du « cancer » du père ! Et transfert n’emprunte-t-il pas non seulement à « cancer des tripes », côté cure (au sens médical), mais aussi à « apostrophe » ou à « Albeurtse », côté cure (au sens religieux) ?
Les trois mots marqués et du p et du b, dans l’ordre, sont
(côté du père III) « il [William O’Neill] tire une petite pisse entre deux poubelles » (TE, p. 73) ;
(côté du fils) « Mon pauvre Alberts, comment veux-tu [demande Gertrude] qu’ils publient une histoire comme celle-là ? » (TE, p. 73) ;
(côté du père IIb) « […] mon Pablum [demande Polonius] est-il prêt ? Il est [répond Gertrude] juste à la bonne dimension » (TE, p. 74).
Puisque le père IIa est Albert, il faut en déduire que cela se joue du père III, « gardien de nuit dans un édifice du fédéral » (TE, p. 72-73), au fils : d’un édifice, donc, à un né dit fils — celui dont il faut entendre le (pré)nom, « Albeurtse [46] », comme s’il s’agissait d’un « meurtse » — et d’« une petite pisse » à une grande pièce (celle où il y a un Hamlet, fils d’Hamlet).
Et qu’il s’agisse de deux p contigus à deux b non contigus — zipper / bombe : « Il a la main sur son zipper et, avant même d’avoir fini de le remonter, boum ! une bombe met fin à ces jours » (TE, p. 73) — ou l’inverse, de deux p non contigus à deux b contigus — papier / abbé : « ton maudit papier sur O’Neill » (TE, p. 74) / « […] je pensais qu’il était le père de l’abbé Louis O’Neill » (TE, p. 75) —, toute la nouvelle se passe lors d’un souper, en l’absence puis en la présence d’un sous-père, désormais infantilisé :
Le coup de génie de Shakespeare, dans Hamlet, c’était d’avoir fait surgir sur la scène le point de singularité subjective à partir duquel le monde se dévoilait dans son ressort sexuel et symbolique. Prenant en charge l’histoire de son temps et l’apparent chaos de cette histoire comme la mythologie ancestrale dans laquelle elle cherche à se penser, il réalise le même coup de sonde prodigieux : interroger les figures de la Loi en ce point très vif, très physique, où elles viennent s’inscrire dans les corps, se nouer au coeur d’un sujet en même temps qu’à ce point de cassure qui, dans le sujet, témoigne de la fin d’une époque et de la lente invention d’une autre. L’impasse d’Hamlet se retrouve donc ici, mais restituée dans son épaisseur historique et politique, dans le vertige subjectif de la tyrannie, dans la démesure à la fois collective et individuelle du désir. Échec final de celui qui aura voulu faire de la négativité de son désir la loi de tous : Richard de Gloucester, le penseur sceptique des temps modernes, la conscience athée, celui qui, comme Hamlet, se voudrait non dupe, et qui en meurt [47].
Le lien et l’écho
Les neuf journaux et magazines où Alberts n’a pu placer son reportage ne désignent-ils pas indirectement les neuf mois de telle conception ? De la « maudite maison » (TE, p. 71) au « maudit papier » (TE, p. 74), en passant par le « mauvais caractère » (TE, p. 73), voilà des « mau- » qui balisent le fait qu’Alberts est interdit de séjour, voire de naissance — « Ris pas de ta mère, espèce de clou pas de tête [48] », réplique cinglante de la mère à la première réplique du fils (TE, p. 71) —, et interdit d’impression ? Le reportage, report liant Alberts à Gertrude, ne lie-t-il pas naissance (Alberts) [49] et vérité (Gertrude) de celle-ci ? Et O’Neill n’est-il pas, littéralement, l’occasion de dire ce lien, d’inscrire littéralement, mais inversé, ce lien dans l’occasion même (TE, p. 74-75) ?
[…] il y a une question que je me pose à son sujet [au sujet du maudit papier] : pourquoi as-tu tué William O’Neill ?
—Je vais te dire, Pol. Je l’ai tué parce que je pensais qu’il était le père de l’abbé Louis O’Neill.
Les deux ill (William, O’Neill), les deux kill (tué, qu’il), les deux father (père, abbé), tous reliés par ce parce que (because / bécosses : de l’usurpation du trône du roi à l’usure du trône des toilettes [50]) et précédés par les deux tu (as-tu, tué — entre a et e, ici aussi) qui désignent constamment le montré et le caché, le dit et le non-dit de cette nouvelle [51]. D’où cette écoute avec une oreille de Christ, lorsque grésille la chaîne des signifiants de ce « je pensais » clausulaire. D’où également ce constat : les partipristes jouent les révolutionnaires comme Alberts pense à côté.
Mais ne faut-il pas rappeler une autre clausule, celle d’un bref article intitulé « Être ou ne pas être », justement, et écrit deux ans plus tôt exactement [52] :
Le mot est lâché, je m’en aperçois maintenant : être vrai, voilà mon obsession, ma hantise [53]. Savoir qu’il faut être vrai est simple. C’est découvrir comment l’être qui est compliqué.
Pour moi, j’ai vingt-trois ans et je cherche toujours, même alors que j’ai peut-être trouvé. Mais je me méfie tellement de ces idées qui ont cours et je me méfie tellement de ce qu’elles ne soient que des oreillers pour mieux dormir parmi « ceux qui pensent ».
La question de la vérité — le rapport tant collectif qu’individuel, tant public que privé à la vérité (« vraie dimension du pays » [54] / « vraie paternité ») —, qui trouve ici une réponse plutôt chargée, eh bien, elle restera, liée à l’écriture, une question jusqu’à la fin reformulée, refocalisée. Deux exemples [55] :
« Soi-même, dans la vie, on peut toujours se camoufler, se cacher, se masquer. Mais en poésie, les masques tombent. On se dépouille du personnage qu’on est dans la société, et le vrai soi — le vrai Godin, le vrai Godbout, le vrai Pilon, le vrai Miron — est là » ;
« Pour peut-être découvrir le vrai Gérald Godin, la vraie personne que je suis. Et peut-être que je devrais écrire sur ça, d’ailleurs : qu’est-ce que c’est qu’être vrai — dans la vie ? Je ne sais pas encore ».
*
Mais est-il possible de mettre le doigt sur les intentions d’un écrivain, disons de Gérald Godin en 1963-1964, au moment où, joignant dérisoirement autant de fils (textuels, intertextuels, biographiques, politiques, etc.) dans un si petit espace, il aurait fait, sans le dire, le point ? Impossible, bien sûr.
N’y a-t-il pas lieu, plutôt, de relire ce qu’il a déjà rédigé et écrit depuis ses débuts et de confronter cette relecture et celle des différentes lectures ou bilans faits par lui, plus tard, dans des écrits ou des parlés, de ces activités littéraires et non littéraires ?
Les premiers articles du journaliste remontant à mai 1958, ce n’est vraiment en 1960 que la « tonalité Godin » commence nettement à s’entendre non seulement dans quelques phrases mais dans des articles entiers [56]. L’écriture des poèmes du premier recueil, d’ailleurs publié la même année, remontant aussi, probablement, à 1958, on peut dire que les années 1958-1960 sont des années d’apprentissage, gammes et amorces trifluviennes, que les années 1961-1963 (première lecture d’Ezra Pound, premières rencontres de Pauline Julien, Robert Goulet, Gaston Miron, Denise Boucher et Robert Cliche, premier voyage à l’étranger et premier contact avec d’autres langues que l’anglais, premiers « cantouques », installation provisoire puis définitive à Montréal, etc.) sont nettement celles où se met en place l’univers imaginaire, et que les années 1964-1965 sont celles de la radicalisation (démission de Cité libre, première rencontre de René Lévesque, rédaction des premiers articles sur l’articulation des questions relatives à la langue et au / à la politique, direction des Éditions Parti pris, etc.). « En 1963, j’étais en transition », dit-il dans le cadre du bilan tardif des circonstances précédant son passage à Parti pris.
« Alberts ou la vengeance », écrite fin 1963 ou tout début 1964 et publiée en 1964, pourrait bien être à la fois la brisure et le gond de ces années-là. Sur ce point, le « Premier entretien avec Jean Royer », fait un mois avant les élections durant lesquelles Gérald Godin est élu pour la première fois et qui mènent le Parti québécois au pouvoir, est remarquablement explicite. Le lien y est clairement établi entre la paternité, la / le politique et l’écriture (TA, p. 45-46) :
Je suis venu à la conscience de ce qui se passait ici par des gens qu’aujourd’hui je récuse : ceux de Cité libre. À l’époque duplessiste, au Québec, c’était le vide à peu près absolu de la pensée. La première critique sociale que j’ai lue, c’était une tentative de compréhension du pays dans Cité libre. La vraie dimension du pays, c’est en lisant Cité libre que je m’en étais fait d’abord une idée, mais elle était polluée par une vision fausse de ce qu’est le peuple québécois.
[…]
J’ai été accouché politiquement par de mauvais médecins : [Pierre Elliott] Trudeau et [Gérard] Pelletier.
Cela a été d’autant plus dramatique que ça répétait un mécanisme que j’avais eu à subir dans mon contexte familial. Mon père était un duplessiste acharné [57]. L’image du père dans la maison chez nous n’était pas celle que j’aurais voulue. Je me suis trouvé d’autres pères, en Trudeau et Pelletier, et encore là je me suis floué…
Alors, je me suis toujours senti — comme je le dis dans beaucoup de Cantouques — dépourvu de racines autres que celles que je me donnais moi-même. Il n’y avait pas eu de transmission de connaissances, de mes prédécesseurs jusqu’à moi. J’ai dû quasiment repartir à zéro. C’est pourquoi je n’ai pas d’enfant, je n’ai pas voulu faire des petits. N’ayant pas eu de père, je n’ai pas d’enfant. […]
J’ai donc trouvé, par mon effort personnel, mes racines, mon histoire, mon lieu, mon appartenance. Dans ce cheminement, Gaston Miron a joué un rôle important. À l’époque, vu de Trois-Rivières, le nationalisme était pour moi un détournement d’énergie — comme on dit détournement de fonds. Consacrer son temps au nationalisme, c’était pour moi perdre son temps et fourrer le peuple. Miron me disait que je ne comprenais rien. On s’engueulait pendant des heures. Jusqu’au jour où je me suis rendu compte qu’il avait raison fondamentalement à l’égard de la réalité.
D’autres maillons de la chaîne des pères y sont mis en place : médecins, bons (Paul Godin) ou mauvais (Pierre Elliott Trudeau, Gérard Pelletier), et non-médecins, associés à l’écrivain de Trois-Rivières (Jean-Marie Marchand et Gaston Chartier, quelquefois cités dans les souvenirs d’enfance et d’adolescence, auxquels il faut ajouter Clément Marchand, le premier éditeur) puis à l’installation de l’écrivain de Trois-Rivières à Montréal (Gaston Miron, auquel il faut ajouter Robert Cliche : « Quand on nous voyait ensemble, on me prenait souvent pour son fils [58] »). Or, il appert que les déclics — car il n’y en a jamais qu’un seul —, suite aux confrontations avec Miron [59], avec Lévesque [60] et avec Cliche [61], ont bien lieu en 1964-1965.
À ce qui est écrit en 1961 — « j’ai vingt-trois ans et je cherche toujours, même alors que j’ai peut-être trouvé » —, le « Premier entretien avec Jean Royer » répond donc précisément : je n’avais pas trouvé.
Parties annexes
Notice biobibliographique
André Gervais
Professeur de littérature à l’Université du Québec à Rimouski, André Gervais est codirecteur de Tangence. Ses dernières publications portent, d’une part, sur l’oeuvre d’un artiste français et américain : C’est. Marcel Duchamp dans « la fantaisie heureuse de l’histoire », Nîmes, Éd. Jacqueline Chambon, coll. « Rayon Art », 2000 ; d’autre part, sur l’oeuvre d’un poète québécois : Petit glossaire des « cantouques » de Gérald Godin, Québec, Éd. Nota Bene, coll. « NB poche », 2000 ; Gérald Godin, Ils ne demandaient qu’à brûler, poèmes 1960-1993, édition revue et augmentée par André Gervais, préface de Réjean Ducharme, Montréal, Éd. de l’Hexagone, coll. « Rétrospectives », 2001.
Notes
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[1]
La première version de cet article a été rédigée en novembre-décembre 1997, dans le cadre de travaux d’édition et d’analyse de l’oeuvre de Gérald Godin. Édition : Tendres et emportés, récit et nouvelles, Outremont, Lanctôt éditeur, [mars] 1997. Analyse : « Du poème à l’article [sic : De l’article au poème], quand ça resurgit », communication prononcée au colloque « Gérald Godin, poète, journaliste et homme politique » (dans le cadre de l’Acfas, UQTR, 14 mai 1997) et publiée dans Lucille Beaudry, Robert Comeau et Guy Lachapelle (sous la dir. de), Gérald Godin, un poète en politique, Montréal, Éd. de l’Hexagone, 2000, p. 35-42.
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[2]
Jean Paris, Shakespeare par lui-même, Paris, Seuil, coll. « Écrivains de toujours », 1954 (livre réimprimé en 1958 et en 1961), p. 85. Gilles Hénault, poète et journaliste, présentait ainsi l’auteur en 1959 (« Écrivain de passage à Montréal. Jean Paris attend beaucoup de l’influence culturelle des peuples sous-développés », Le Devoir, Montréal, 14 octobre 1959, p. 7) : « Jean Paris est un jeune écrivain français qui en est à son premier voyage au Canada, bien qu’il ait été découvert par Le Devoir il y a quelques années. Il aime, en effet, à dire que Le Devoir fut le premier journal français à signaler un de ses écrits. Il s’agissait d’une étude sur Hamlet publiée dans la revue Esprit en 1952. »
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[3]
Bernard Sichère, Le nom de Shakespeare, Paris, Gallimard, coll. « l’Infini », 1987, p. 62.
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[4]
Reprise dans Gérald Godin, Tendres et emportés, Montréal, Lanctôt éditeur, 1997, p. 71-75. Désormais, toute référence à cet ouvrage sera indiquée entre parenthèses par le sigle TE suivi de la page.
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[5]
Les « pneus Goodyear », présents dès le deuxième paragraphe, sont une allusion probable au jour de l’an 1964 (Goodyear / Bonne année !).
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[6]
« Entrevue de Jean Blouin » (La Presse (Perspectives), 7 octobre 1978), reprise dans Gérald Godin, Traces pour une autobiographie. Écrits et parlés II, Montréal, Éd. de l’Hexagone, coll. « Itinéraires », 1994, p. 77. Désormais, toute référence à cet ouvrage sera indiquée entre parenthèses par le sigle TA suivi de la page. En octobre 1978, c’est le quinzième anniversaire de la publication du no 1 de la revue qui mettra fin à ses activités à l’été 1968.
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[7]
FLQ : Front de libération du Québec, dont les premières manifestations remontent à mars 1963.
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[8]
Algérie rime avec Alberts, nom du héros de la nouvelle, et demi-gouvernement avec le « sujet […] mi-controversé, mi-tabou » (TE, p. 72) du reportage fait par ce héros, ainsi qu’avec la « braguette à demi ouverte » (TE, p. 73) de celui sur qui porte le reportage : avec algèbre aussi, façon d’ironiser, voire d’exorciser, côté biographique, tel échec scolaire (en 1957) « à cause de la trigonométrie », cette autre branche des mathématiques. Voir la « Chronologie de Gérald Godin 1938-1994 » (TE, p. 97-131).
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[9]
Depuis le no 1 et jusqu’au no 5, numéro dans lequel paraît la nouvelle, le comité de rédaction de Parti pris est formé d’André Brochu, Paul Chamberland, Pierre Maheu, André Major et Jean-Marc Piotte.
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[10]
« L’époque des “cantouques” : entretien d’André Gervais avec Gérald Godin » (juillet 1990), dans Gérald Godin, Cantouques & Cie, Montréal, Éd. de l’Hexagone, coll. « Typo », 1991, p. 162. Désormais, toute référence à cet ouvrage sera indiquée entre parenthèses par le sigle CC suivi de la page.
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[11]
Gérald Godin, né en novembre 1938, a onze mois lorsque Louisa Marceau, sa mère, engage Aurore Marchand, née en 1918, pour s’occuper de ses trois enfants (nés en 1937, 1938 et 1939) ; celle-ci se mariera en août 1944 avec Jean-Marie Marchand, né en 1917. Précisions obtenues dans le cadre d’un entretien (juillet 1995) d’André Gervais avec Louisa Marceau ainsi que d’une conversation téléphonique (février 1996) avec Luc Marchand, l’un des fils d’Aurore et de Jean-Marie. « La ferme, c’était l’adolescence. Mon tuteur s’appelait Jean-Marie Marchand, il était trappeur et cultivait le tabac », dit-il plus haut (CC, p. 162). À la question d’André Gervais : « Jean-Marie était son “tuteur”. Ça veut dire quoi, exactement ? », Louisa Marceau, en 1995, répond : « Il le supportait dans tout. Comme un tuteur tient, par exemple, un plant de tomates. Je prends ça comme ça parce que le langage de Gérald, moi, peut-être que j’ai quelque chose qui me rapproche de lui. Un tuteur, je verrais ça comme un protecteur ». Un mentor, pourrait-on ajouter.
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[12]
Encore que plusieurs passages… Dont celui-ci, extrait de « Cantouque du soir » (Les cantouques, 1966, repris dans CC, p. 38) : « […] à vingt [ans] d’un pays je fus nanti / à la fois son fils et son père / […] / rien d’autre n’avons-nous sinon perclus au fond des tripes / entêté jappant sans cesse le cri bêlant d’un pays à naître ». Pourvoir (ou nantir) / pouvoir. Les premières versions des premiers « cantouques » remontent à la fin de l’été et à l’automne 1962, un an, donc, avant « Alberts ».
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[13]
Voir Gérard Genette, Seuils, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1987. L’épitexte est soit public (entrevue, entretien, etc.), soit privé (correspondance, journal intime, etc.).
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[14]
Voir Alain Rey (sous la dir. de), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1992 : « Inceste, nom masculin, désigne des relations sexuelles entre proches parents (du premier degré) et, en droit, entre un homme et une femme parents ou alliés [je souligne] à un degré qui entraîne la prohibition du mariage. »
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[15]
Le premier livre de Marcel Godin, né à Trois-Rivières en 1932, La cruauté des faibles, recueil de nouvelles, est le premier livre de la coll. « Les romanciers du Jour », Montréal, Éd. du Jour, 1961.
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[16]
Dans la phrase qui ouvre la notice biographique de la première édition d’Ils ne demandaient qu’à brûler, poèmes 1960-1986, Montréal, Éd. de l’Hexagone, coll. « Rétrospectives », 1987, p. 331, on peut lire : « Gérald Godin est né à Trois-Rivières, en 1936 [sic : 1938], un 13 novembre, sous le signe du Scorpion, l’année du Tigre, d’un père médecin et de Louisa Marceau. » Paul Godin, dont la disparition élocutoire se continue au moins jusqu’ici, est mort à 53 ans des suites d’un cancer de l’intestin. On est très près de tout cela, déjà, à la toute fin de la nouvelle (TE, p. 74) : « ton vieux père, […] un homme de 45 ans qui souffre d’un cancer des tripes, qui mourra dans six mois au plus et qui en est réduit à manger du Pablum à tous les repas que le bon Dieu amène ».
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[17]
« Entrevue de Donald Smith » (mars 1976), reprise dans TA, p. 75. Ces vacances, qui sont celles des années d’enfance et d’une bonne part des années d’adolescence, ont laissé plusieurs traces dans les textes, les écrits et les parlés.
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[18]
C’est en m’entretenant avec Louisa Marceau que ce nom et d’autres détails ont pu surgir ; voir note 11.
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[19]
Bernard Sichère, Le nom de Shakespeare, ouvr. cité, p. 82. Cette impasse d’Hamlet, le fils, est déjà celle d’Hamlet, le père, devenu spectre (et sur qui, comme on sait, s’ouvre la pièce) : « En un sens, on pourrait dire qu’à partir de la rencontre manquée avec Claudius [célèbre mise en abyme que cette pièce — The Trap — dans la pièce] puis avec Gertrude, qu’après la mort de Polonius [acte III, scène 4], la machine n’a plus qu’à suivre sa pente jusqu’à l’expiation finale, déroulement visible d’un drame déjà conclu pour l’essentiel. Mais ce n’est pas le cas : que la Paternité n’ait pas encore révélé sa vraie puissance, sa réelle prééminence, qu’elle ne l’ait fait jusqu’alors que sous l’angle de l’impuissance et de l’échec, c’est ce que dit la dynamique du texte dans son accélération brutale, jusqu’à cette conclusion qui ne dépend plus du seul Hamlet et qui ne se limite pas à la vengeance [acte V, scène 2 : Gertrude, Claudius, Laërte et Hamlet meurent], révélant donc à quel point la parole du spectre était une parole d’impasse » (p. 80).
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[20]
Gérald Godin, « Nos écrivains réclament la libération du Québec », « Qu’est-ce que l’engagement pour un intellectuel ? Six réponses » et « La petite guerre et l’engagement », Le Nouveau Journal, Montréal, 2 octobre 1961, p. 17. Les six réponses sont celles de Jean-Charles Falardeau, Fernand Jolicoeur, Gérard Bessette, André Belleau, Maurice Beaulieu et Jean Paris.
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[21]
Il faut attendre, sauf erreur, « Les dix ans de Stratford-on-Avon et de Shakespeare-in-Ontario » (Le Nouveau Journal, 9 juin 1962) pour que Shakespeare et son oeuvre soient l’objet, explicitement, d’un article de Gérald Godin.
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[22]
« Cantouque du quotidien », Nouveaux poèmes, 1963, repris dans CC, p. 36.
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[23]
Sur cette strophe, l’auteur fera, en 1990-1991, le commentaire suivant : « montrer ici l’inculture totale des parents d’Ophélie » ; voir André Gervais, Petit glossaire des « cantouques » de Gérald Godin, Québec, Éd. Nota Bene, coll. « NB poche », 2000, p. 104.
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[24]
Un anglais à la fois britannique : les deux ‘Tis (= ‘T is agglutiné), les trois hail assez près d’un eille à la québécoise ; et américain : enoff, aint ; mais aussi à la française : les quatre Ze mis pour the ; et à la québécoise : f’you (= for you) ou fiou ! Ces Ze ne sont pas sans trouver leur écho chez William Zeckendorf, de la Webb & Knapp Ltd, promoteur, via Webb & Knapp Canada, de la Place Ville-Marie (1959-1962), dont parle, tout en minuscules ici aussi, le « Cantouque du retour », également de 1962 (Nouveaux poèmes, repris dans CC, p. 33) : « tiens le ciel s’est acheté des tentures bleues / probablement vendredi soir chez webb and knapp » ; pour les b et les p, voir infra. Les tentures bleues, mixte des morceaux du mur rideau en aluminium – c’est le nom technique – qui revêt extérieurement l’édifice en question, et de celles qu’on voit précisément dans telle toile de Magritte (Le monde éveillé, 1958), ce qui n’est pas sans naturellement me ramener à la Mer du Nord !
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[25]
« Cantouque d’amour », Nouveaux poèmes, puis Les cantouques, repris dans CC, p. 47. Pour une lecture de ce poème, voir André Gervais, Sas, Montréal, Triptyque, 1994, p. 155-164.
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[26]
« Cantouque de vieillir I », Les cantouques, repris dans CC, p. 40.
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[27]
Signe du zodiaque, du 20 avril au 20 mai ; Paul Godin est né le 20 mai 1907. Dans le livre de Jean Paris, on apprend que Shakespeare est né et est mort un 23 avril.
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[28]
« Cantouque de vieillir II », Les cantouques, repris dans CC, p. 42.
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[29]
Le plus long écrit est la préface qu’il a faite pour un choix de ses poèmes des années 1950 (Paul Godin, Poèmes, Trois-Rivières, Éd. du Bien public, 1982), reprise dans TA, p. 57-58.
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[30]
Plusieurs autres titres, empruntés à la littérature française ou américaine, sont faits exactement sur le même moule : nom du héros (titre) + ou + indication du thème (sous-titre) : Zadig ou la destinée (Voltaire, 1747), Pierre ou les ambiguïtés (Melville, 1852), Geneviève ou la confidence inachevée (Gide, 1936), pour ne donner que trois exemples. Voir Gérard Genette, Seuils, ouvr. cité, p. 81.
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[31]
Voir cet extrait de « Cantouque français dit du temps nouveau » (Les cantouques, repris dans CC, p. 67-68) : « je m’orpheline de plein gré // fils adoptif de personne ». Naître et (n’)être, père-son et personne.
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[32]
Une lecture inverse ferait de Gertrude en quelque sorte une mauvaise mère, condensation de Gérard Pelletier et de Pierre Elliott Trudeau, ces deux « mauvais médecins » (comme le dira l’auteur à Jean Royer en 1976 : voir note 41) impliqués dans la naissance de Gérald Godin.
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[33]
Ce livre sur l’« immoralité politique dans la province de Québec » (Montréal, Éd. de l’Homme, 1960), a son point de départ dans un article publié dans la revue Ad usum sacerdotum, Québec, juin-juillet 1956 (et repris dans Le Devoir, Montréal, 7 août 1956) à propos des élections du 20 juin, gagnées par l’Union nationale (UN) de Maurice Duplessis, alors premier ministre du Québec depuis 1944. Il sera suivi par Le chrétien en démocratie (Montréal, Éd. de l’Homme, 1961).
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[34]
C’est dans la nuit du 20 au 21 avril 1963, derrière le centre de recrutement de l’Armée canadienne, rue Sherbrooke Ouest, près de l’Université McGill, que Wilfrid O’Neil, 65 ans, est tué sur le coup par une bombe. Ici, « il sort par la porte arrière pour prendre l’air et lâcher un peu d’eau » (TE, p. 73), devenant rien de moins, à la jointure de ces deux substances, qu’un dérisoire héros de l’actualité politique la plus explosive ! Étrangement, dans Louis Fournier (F.L.Q. Histoire d’un mouvement clandestin, Montréal, Québec / Amérique, 1982), son prénom, correctement épelé, devient (p. 51) Wilfred, et dans Bernard Smith (Les résistants du FLQ, Montréal, Éd. Actualité, 1963, p. 10) William !
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[35]
Le nom de ces cigarettes, mixte de politique (nazi, nationalisme) et de sexualité (nana, zizi, anale), est à mettre en rapport avec la circonstance durant laquelle elles sont fumées par le pape : le Concile oecuménique, mixte de religion et, autres harmoniques du concert, de sexualité (con et cul).
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[36]
Dominion Rubber, cie fictive (dont le nom est fait, manifestement, sur Dominion Textile Inc., au Canada depuis 1922) ; Dominion [of Canada], nom officiel donné en 1867 à la fédération des colonies britanniques d’Amérique du Nord, et autre nom, via le colonialisme et la langue anglaise, du gouvernement fédéral.
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[37]
Paul VI, élu le 21 juin 1963, est pape depuis « six mois » quand la nouvelle, selon toute vraisemblance, est écrite, ce qui n’est pas sans mettre en rapport « Il Papa » (TE, p. 71) et « papa » (TE, p. 71), « qui mourra dans six mois au plus » (TE, p. 74).
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[38]
Gérard Genette, Seuils, ouvr. cité, p. 86.
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[39]
Cette étrange notation (« depuis quinze ou trente-deux ans ») est sans doute une façon d’inscrire « secrètement » l’âge du père réel lors de son décès : 15 ou 32, cela fait bien, si l’on prend les deux chiffres internes, 53 ans.
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[40]
Voir « C’était un temps », Les cantouques, repris dans CC, p. 72 : « comme si des 400 sons du chinois / tels que Williamson les dénombre / la moitié nous avait échappé / comme si nous n’étions que semblables à l’âne / muet cinquante pour cent de son cri ». Ce Williamson est H.R. Williamson, l’auteur d’un manuel relatif à l’apprentissage de la langue chinoise, coll. « Teach Yourself », English University Press, 1962. Cette date, le 50 % ainsi que l’allusion à telle autre pièce de Shakespeare, Songe d’une nuit d’été (où Bottom, le cordonnier, est métamorphosé en âne) ne sont pas sans désigner, une fois de plus, le même enjeu.
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[41]
« Premier entretien avec Jean Royer », repris dans TA, p. 46. Les mêmes points, déjà, dans « Mon ami Gaston Miron » (1971), repris dans Écrits et parlés I, 1. Culture, Montréal, Éd. de l’Hexagone, coll. « Itinéraires », 1993, p. 122-123.
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[42]
Jean Laplanche et Jean-Baptiste Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse [1967], 5e édition revue, Paris, Presses universitaires de France, 1976, p. 495 et 497 : « […] le transfert apparaît comme une forme de résistance, en même temps qu’il signale la proximité du conflit inconscient. Ainsi Freud rencontre dès l’origine ce qui fait la contradiction même du transfert […]. […] lorsque Freud parle de la répétition dans le transfert des expériences du passé, des attitudes envers les parents, etc., cette répétition ne doit pas être prise en un sens réaliste qui limiterait l’actualisation à des relations effectivement vécues ; d’une part, ce qui est essentiellement transféré, c’est la réalité psychique à savoir, au plus profond, le désir inconscient et les fantasmes connexes ; d’autre part, les manifestations transférentielles ne sont pas des répétitions à la lettre, mais des équivalents symboliques, de ce qui est transféré ».
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[43]
Voir, de Chamberland, « Aliénation culturelle et révolution nationale », no 2, novembre 1963, et « Poèmes », no 3, décembre 1963, entre autres. Voir aussi : « Je participe peu à peu aux réunions [à partir de février 1964, semble-t-il]. Des discussions intellectuelles s’y tiennent dont je ne comprends pas un traître mot. Mais j’abandonne ma superficialité de provincial complexé et je me mets à lire Frantz Fanon, Jacques Berque, Albert Memmi, les écrits de Maheu et de Chamberland, toute la bibliothèque du parfait décolonisé, par conséquent » (« Entrevue de Jean Blouin », dans TA, p. 77-78).
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[44]
Thelonius Monk, jazzman américain, dont le nom résonne avec le titre du livre (Le chrétien) et le titre des analystes québécois (abbé), et dont le titre de l’un des morceaux (‘Round Midnight, 1960) répond à celui de la pièce du dramaturge américain ! Allusion probable, par ailleurs, via Wilfrid O’Neil, à Wilfrid Lemoine, poète et nouvelliste, homme de radio et de télévision, l’un des animateurs de l’émission Aujourd’hui.
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[45]
Alarcon, tissu synthétique, marque fictive.
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[46]
Albeurtse, c’est aussi, paragrammatiquement, en écho à Télesse – surnom du personnage principal du récit, pour une part autobiographique, écrit en 1962 —, Elseneur, lieu de l’action d’Hamlet. Publié dans les Écrits du Canada français (Montréal, février 1964), « Télesse » est repris dans TE, p. 27-67.
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[47]
Bernard Sichère, Le nom de Shakespeare, ouvr. cité, p. 113-114.
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[48]
Mixte de deux locutions : maigre comme un clou « très maigre » et pas de tête sur les épaules « qui ne réfléchit pas avant d’agir ».
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[49]
Voir « Cantouque de vieillir II » (Les cantouques, repris dans CC, p. 43) : « au fond des hôpitaux meurent mes enfants / que ne buis-je leur être un ber ». Mes bébés (ou buis / ber), que ne puis-je, tout en (n’)étant (pas) de bois, leur être un père ?
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[50]
Les bécosses (water closet) où souffre Pol, dans la nouvelle, rappellent, dans la pièce, le cabinet (closet) de Gertrude et la tenture (arras) derrière laquelle est Polonius, assassiné par Hamlet, l’épée de ce dernier devenant, par déplacement du p au b ici aussi, les bécosses (côté père) et l’abbé (côté fils).
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[51]
Emblème du mariage et du signifiant, -mar- est commun à Danemark (intertexte : la pièce), Marceau (biographique : la vraie mère), Marchand (biographique : la fausse mère et le faux père ; voir note 11) et Marcel (intertexte : les nouvelles ; voir note 15) ! Entre Louisa Marceau (biographique) avec son s prononcé z et Louis O’Neill (référent) avec son s muet, il y a Polonius et Alberts (textuel) mis en équivalence avec leur s prononcé s.
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[52]
Cité libre, Montréal, janvier 1962, repris dans TA, p. 30-21. L’auteur a eu vingt-trois ans en novembre 1961.
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[53]
C’est ici, sans doute, qu’il faut inscrire le « c’est rien que des Anglais […] excepté Bill Bantey, mais il était absent » (allusion aux journalistes travaillant au Star et à la Gazette, deux quotidiens anglophones de Montréal) : Bantey, littéralement hanté, est absent, en quelque sorte « ghost » comme Hamlet, père d’Hamlet. Une voix renchérit : absent « comme du sang sur une table ».
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[54]
Dans le « Premier entretien avec Jean Royer », repris dans TA, p. 46, Godin précise que, sur ce point, Miron « avait raison fondamentalement ».
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[55]
« Entretien avec Janine Paquet » (diffusé à CBF-FM le 30 décembre 1972) puis « Entretien avec Jeanette Biondi » (diffusé à Radio-Québec [aujourd’hui : Télé-Québec] le 14 avril 1988), repris dans TA, p. 260 et p. 235 respectivement.
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[56]
D’où la décision d’André Gervais, qui en a préparé l’édition, de faire commencer cette année-là le recueil en deux tomes des Écrits et parlés.
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[57]
Dans une lettre que de Trois-Rivières, peu de temps avant sa réinstallation à Montréal, il envoie à Cité libre et qui y est publiée (novembre 1963, p. 26), je lis : « Je me souviens des soupes qui ont refroidi dans l’assiette de mon père et la mienne, au souper, quand nous nous butions l’un à l’autre, dans une argumentation passionnée sur la forfaiture du gaz naturel ». Le scandale de la Corporation du gaz naturel, qui replace dans une mauvaise posture le gouvernement de Maurice Duplessis, est dévoilé par Le Devoir, en première page, le 13 juin 1958 (voir note 33). L’auteur, 19 ans, écrit alors dans Le Nouvelliste, Trois-Rivières, ses premiers articles en tant que journaliste (premier article non signé : 5 mai 1958 ; premier article signé : 27 mai).
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[58]
« L’irremplaçable ami » (1980), repris dans TA, p. 170.
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[59]
La publication dans Liberté de « La vie agonique » (no de mai-juin 1963), cycle de poèmes, puis de « Les années de déréliction » (no de mai-juin 1964), poème dans lequel il « répond » à un article de Trudeau paru dans Cité libre (no de mai 1964) et qui sera inclus après coup – à partir de la deuxième édition de L’homme rapaillé (Paris, Maspero, 1981) – à « La vie agonique », y est certainement pour quelque chose. Leur première rencontre : au printemps 1961.
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[60]
Voir « Le René Lévesque de Jean Provencher. Le frémissement des années soixante » (1973), repris dans Écrits et parlés I, 2. Politique, Montréal, Éd. de l’Hexagone, coll. « Itinéraires », 1993, p. 118-121. Leur première rencontre, à l’automne 1964, est racontée ici (p. 118).
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[61]
Le « duel verbal » en anglais qui eut lieu « de la gare de Sainte-Foy jusqu’au Vieux-Québec » et après lequel « ce ne fut […] qu’amitié grandissante » doit être daté de 1965 (lettre de Madeleine Ferron à André Gervais, 10 mai 1998) et non de 1968, comme pourrait le laisser entendre l’allusion à Gérard Pelletier (« L’irremplaçable ami », repris dans TA, p. 169-170). Leur première rencontre : au printemps 1963.