Compte rendu

Guy Spielmann, Le jeu de l’ordre et du chaos. Comédie et pouvoirs à la fin de règne, 1673-1715, Paris, Honoré Champion, 2002, 605 p.[Notice]

  • Isabelle Billaud

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  • Isabelle Billaud
    Université du Québec à Montréal

Que l’on songe au succès des pièces à machine et des spectacles forains ou encore à celui de l’opéra, la comédie fin de règne et la passion du spectacle et du spectaculaire qui la caractérise dérangent. Si cette dynamique dramaturgique fascine le public et représente par conséquent une véritable menace pour les autorités en charge de le discipliner, elle établit aussi, dans la mesure où elle se développe en marge de la démarche classique, un véritable « travail de sape » (Christian Biet, préface, p. 14) d’un Ordre « homologue à celui que l’absolutisme cherchait à instaurer à l’ensemble de la société » (p. 48). Au souci manifeste de restituer à la comédie fin de règne l’éclat et le mérite qui lui revient de droit répond un ouvrage récent de Guy Spielmann, qui brave une tradition que préfèrent reconduire la majorité des critiques au risque d’entraver « cette vision du classicisme comme ombilic temporel et culturel » (p. 30). Dans le treizième volume de leur Histoire du théâtre françois qui couvre les dernières décennies du règne de Louis XIV, les frères Parfaict dénoncent à demi-mot ceux qui, après Molière, sont incapables de suivre les traces de cet unique « modèle de la bonne Comédie » et introduisent un nouveau genre comique exempt de bon sens et étranger au bon goût dicté par l’observation des règles. « Mais enfin, ajoutent les frères Parfaict, depuis quelques années, le public avoit goûté ce nouveau genre, & le préféroit à des imitations froides si fort au-dessous des originaux » (François et Claude Parfaict, 1745-1749, p. 187). Un demi-siècle plus tard, Jean-François La Harpe juge peu ou prou de la même façon ces « comiques d’un ordre inférieur » (Lycée ou Cours de littérature ancienne et moderne, 1799, t. 6, p. 1) et cristallise par le fait même une tradition appelée à perdurer jusqu’à nos jours. C’est précisément cette « tradition encore très vivace » et suivant laquelle la comédie « atteint son apogée avec Molière et entre en déclin immédiatement après sa mort » (p. 34) que ce projet entend prendre à revers. Cet ouvrage audacieux, qui refuse de sacrifier aux poncifs, guide le lecteur de façon originale dans « cette zone incertaine [et] malaisée » dont parlait Paul Hazard (La crise de la conscience européenne, 1680-1715, 1935) et qu’il évoque d’emblée dans une « toile de fond » qui retrace la situation politique et économique prévalant au cours de la période fin de règne. Ce premier tableau permet alors de discerner les principaux ressorts « d’un théâtre de critique, sinon de combat à une époque de sensible durcissement du pouvoir politico-religieux » (p. 109) et de mesurer le danger que représente le succès d’un nouveau genre de comédie qui « joue sur le mode burlesque la réorganisation sociale qui s’est amorcée » (p. 93). C’est à travers le prisme de cette « crise de conscience » communément associée par l’histoire littéraire à une phase de décadence que la comédie fin de règne, pâle charnière entre deux époques signifiantes, est appréciée. Afin de renverser « la perspective habituelle pour affirmer qu’il a bien existé une comédie fin de règne qui ne s’est pas contentée d’être post-molièresque » (p. 197), le deuxième chapitre dresse le portrait d’un théâtre qui n’existe « qu’en relation avec les autres domaines dramatiques » et dont la spécificité, renforcée par l’ambivalence des interventions du mécénat royal, se fonde avant tout « sur la modification profonde des conditions de la représentation » (p. 133). Ces bouleversements n’intensifient pas seulement la concurrence entre les troupes, ils éclipsent aussi …

Parties annexes