Liminaire[Notice]

  • Jean-François Chassay

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  • Jean-François Chassay
    Université du Québec à Montréal

À l’intérieur du discours social, depuis une décennie ou deux, sont soulevées de nombreuses questions qui touchent directement les sciences et le rôle des scientifiques. Ce n’est pas la première fois que la science est au coeur de débats sociaux, mais proposons l’hypothèse que cette situation prend aujourd’hui une tangence particulière. De nombreux ouvrages en traitent, d’une manière ou d’une autre, et les journaux servent largement de caisses de résonance à ces débats (sur la génétique, la médecine, l’informatique, etc.) à travers les craintes qui s’y expriment. Les nombreuses « catastrophes » (nucléaires, environnementales) dont on rend la science et les scientifiques responsables, à tort ou à raison, signalent des problèmes d’éthique nombreux qui se sont multipliés depuis une vingtaine d’années. Ce qui invite à interroger la place et le statut des disciplines scientifiques et du scientifique aujourd’hui, dans les sociétés occidentales. Que les craintes soient justifiées ou exagérées, le débat n’est pas innocent : il rend compte, aujourd’hui, du pouvoir de la science. Si ces débats opposent souvent philosophes, historiens, sociologues, scientifiques, voire théoriciens de la littérature, et provoquent tellement de publications (pensons à l’affaire Alan Sokal/Social Text), elles mettent beaucoup plus rarement en scène les écrivains, et encore moins leurs textes. Pourtant, depuis toujours, la littérature puise dans l’activité scientifique des modèles, des formes, des métaphores, et les écrivains s’inspirent parfois de figures canoniques du monde scientifique pour écrire des textes de fiction : Edison chez Villiers de l’Isle-Adam, Galilée chez Brecht, Newton chez Dagerman, Copernic et Kepler chez Banville, Einstein chez Lightman et Boulle, etc. Et depuis vingt ans, surtout dans le monde anglo-saxon, de nombreuses recherches ont porté sur les rapprochements entre les transformations de notre perception du monde, provoquées par les discours scientifiques, et celles des formes littéraires. Ce dossier voudrait participer à la réflexion sur ces débats, en proposant des articles où chaque collaborateur, analysant un texte de fiction, a cherché à voir comment la science est mise en scène . Trois d’entre eux sont postérieurs aux années 1950, donc contemporains du séisme provoqué par la Deuxième Guerre mondiale, des bouleversements de la cybernétique et de l’ère post-industrielle qui est la nôtre, éventuellement du développement de la génétique et des métamorphoses de l’environnement, qui ont radicalement transformé le rôle et la place des sciences dures en Occident. Le quatrième s’arrête plutôt à la deuxième moitié du xixe siècle. Le commun des mortels ne connaît de la science que les résultats. Or, la fiction qui met en scène le savant et son langage s’intéresse généralement au processus par lequel la pensée s’invente. La pensée fonctionne grâce à l’intuition, à l’imagination, à l’expérience, à la connaissance et au désir, ceci étant indissociable du contexte social dans lequel baigne l’individu. En en faisant dans les meilleurs cas un processus de réflexion, une pensée qui s’invente et qui participe de manière dynamique aux modifications de notre connaissance du monde et de notre questionnement sur celui-ci, le roman montre à quel point le discours scientifique marque l’ensemble de la population et non plus seulement les spécialistes, et en quoi il s’inscrit de plain-pied dans la culture qui se fait. Comme l’écrit le physicien Jean-Marc Lévy-Leblond, « en un temps où notre condition, notre vie, sont soumises de plein fouet à l’impact de la technoscience, je crois […] que la littérature peut nous en donner une connaissance “plus complexe et plus juste” que beaucoup d’analyses théoriques  ». Le roman permet de déconstruire la vision romantique du savant (figure d’autorité, démiurge, personnage dans l’ombre qui « possède la vérité », etc.) et des lieux de son travail. Au …

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