Pour esquisser un portrait du développement des études LGBTQ+ en milieu universitaire francophone au Québec depuis les années 1970, j’emprunte au concept jungien de « persona » qui désigne la part du soi qui se moule plus ou moins au rôle public d’une personne, l’interface entre le soi et la société (Agnel, 2011, p. 92-94). Rétrospectivement, je peux distinguer cinq temps qui correspondent à autant de rôles sociaux qui m’ont habitée et que j’ai choisi d’incarner au cours des dernières décennies, pendant lesquelles les savoirs sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres se sont profondément transformés : la militante, la studieuse, l’idéaliste, la pragmatique et la directrice. Le choix d’une narration axée sur mes « personas » successives est motivé à la fois par l’insuffisance de données factuelles indicatrices des principales transformations de ce domaine d’études au Québec et par le souci de rendre transparente l’évolution de mon propre point de vue situé (Harding, 2004). Ainsi mon récit veut relier les uns aux autres des moments de mon parcours personnel et des étapes constitutives de ce qui forme maintenant un champ d’études reconnu. La dénomination de ce champ, qui, depuis son émergence jusqu’à maintenant, s’est déployé principalement dans le monde anglo-saxon, illustre son élargissement pour inclure non seulement l’homosexualité (gay studies), mais les corps, les pratiques et les identifications non hétéronormatives (queer studies). En relatant ma trajectoire personnelle, je m’en tiendrai principalement aux études lesbiennes ou gaies et lesbiennes. Jeune femme blanche issue d’un milieu ouvrier francophone, j’ai pu accéder aux études universitaires en 1969 grâce à la démocratisation scolaire de la Révolution tranquille (Rocher, 1990). J’ai quitté l’université sans terminer ma maîtrise en sociologie, ne pouvant plus supporter l’élitisme ambiant, l’hermétisme du langage universitaire ainsi que le regard toujours posé en surplomb et avec cette distance pseudo-objective sur le « peuple aliéné » ou sur la classe ouvrière « exploitée ». Des femmes, il n’était pas encore question. Cette décision allait orienter profondément mes engagements futurs. La conjoncture ayant facilité mon insertion comme enseignante au collégial, j’y ai oeuvré pendant plus d’une trentaine d’années, tout en y acquérant des habiletés comme vulgarisatrice. Le souci de rendre les connaissances accessibles hors du monde académique a constitué un fil conducteur de ma trajectoire militante et professionnelle, que ce soit comme membre d’un comptoir alimentaire dans un quartier populaire dans les années 1970, chroniqueuse bénévole sur l’histoire des lesbiennes pour la revue Treize deux décennies plus tard ou à travers mon choix de valoriser les activités de diffusion des savoirs lorsque je dirigerai la Chaire de recherche sur l’homophobie (UQAM) à partir de 2011. Mais revenons aux tumultueuses années 1970. Mon départ de l’université fut suivi d’une période de radicalisation de mon militantisme comme lesbienne-féministe-de gauche : implications avec des ménagères dans les groupes des quartiers défavorisés ; proximité avec la mouvance féministe autonome qui refuse la mixité organisationnelle ; fréquentation des premiers espaces militants pour lesbiennes (anglophones puis francophones) (Demczuk et Remiggi, 1998). Je m’abreuve aux savoirs militants produits au Québec (Québécoises deboutte, Têtes de pioche) et aux analyses féministes d’inspiration marxienne (principalement le féminisme socialiste, le féminisme matérialiste français, et le courant dit Wages against Housework ou « salaire contre le travail ménager »). Des pèlerinages annuels à la librairie Womencrafts à Provincetown, je ramène des livres qui nourrissent mon identification comme lesbienne-féministe. Je m’investis pour un temps dans un Centre de documentation féministe. Je ne m’associe guère au mouvement gai, dans lequel plusieurs lesbiennes se sentent marginalisées, sinon à travers des solidarités ponctuelles (par exemple la première manifestation contre la …
Parties annexes
Références
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