Un savoir engagé(ou Comment j’en suis venu à travailler en études sur la diversité sexuelle et de genre, et les défis que cela pose)[Notice]

  • Michel Dorais

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  • Michel Dorais
    Université Laval

Se remémorer le chemin parcouru, c’est parfois trouver de la rationalité là où elle n’était pas évidente au départ, c’est tisser des liens entre des événements qui semblaient à l’époque anodins ou fortuits, c’est relier deux points sur la carte d’un territoire qui, à l’origine, n’existait même pas. Bien que très lentement et inégalement implantées, les études et recherches sur la diversité sexuelle et de genre existent depuis près de cinquante ans au Québec. Elles ont donc une histoire. Il en va de même pour ceux et celles qui les ont amorcées. Puisque l’objectif du présent numéro de Service social est précisément de retracer ces origines à partir des témoignages des personnes qui en furent pionnières, je livrerai ici quelques pistes de réflexion à partir de mon propre parcours. Il s’agit donc d’un portrait impressionniste. Forcément. Il est néanmoins possible qu’il aidera à comprendre les contextes dans lesquels l’intérêt intellectuel, l’enseignement et la recherche se sont développés en ce domaine qui, lorsque je commençai mes propres études universitaires dans les années 1970, non seulement n’existait pas mais était inimaginable. Une précision : on notera que les quatre vagues successives que j’identifie dans les pages qui suivent pour faire état de l’avancement de ces études et recherches s’additionnent davantage qu’elles ne se substituent les unes aux autres ; autrement dit, une étape ne remplace pas nécessairement la précédente, elle s’y superpose plutôt. Je suis né en 1954 dans ce qui est aujourd’hui le quartier gay de Montréal, rue Panet. C’était à l’époque un quartier ouvrier, abritant de surcroît ce que l’on appelait le Red Light, c’est-à-dire le quartier de la prostitution (les ampoules roses à l’entrée d’un logement signalant que c’était un bordel, pour dire les choses comme elles étaient). Ayant pu acheter une petite maison grâce au prêt d’un oncle et d’une tante plus fortunés, mes parents déménagèrent peu après dans le quartier voisin d’Hochelaga-Maisonneuve, alors en friche. Mais nous retournions souvent dans Centre-Sud, ne serait-ce que parce que ma mère y connaissait davantage les magasins, et que mon père y travaillait encore, dans une petite épicerie. Élevé dans un milieu sans ressources financières, surtout après la séparation puis le divorce de mes parents, et enfant très solitaire (j’étais vraiment nul en sport, une calamité pour un garçon grandissant dans un quartier populaire), mon principal passe-temps était la lecture. Je lisais quasi compulsivement, fréquentant avec assiduité la bibliothèque municipale et deux petites librairies de quartier, il y en avait alors beaucoup, situées près de chez moi. Les livres de poche coûtaient à l’époque quelques sous. Ma boulimie de lecture – je me donnais pour objectif de lire un livre par jour lorsqu’en congé de l’école – allait me faire découvrir le monde par-delà les frontières étroites du milieu dans lequel je vivais. À 12 ou 13 ans, je lisais Freud et Marcuse. Platon et Suétone étaient mes amis. Comme on le pressent, le domaine de la sexualité m’intéressait déjà beaucoup. Il faut dire que Le Banquet ou les Vies des douze Césars nous en apprenaient alors davantage sur la diversité sexuelle que la plupart des auteurs contemporains… Je ne réalisais pas encore à quel point ma soif de connaissances et mon goût pour la lecture allaient plus tard m’être utiles. Je sais aujourd’hui que les bons livres donnent envie de faire aussi bien et les mauvais, Dieu sait qu’il y en a hélas, suggèrent qu’il sera aisé de faire mieux… Adolescent, déjà j’écris. Du moins, je m’y essaie. Un journal intime, bien sûr : à qui d’autre aurais-je pu me confier ? Mais aussi des poèmes et des chansons …

Parties annexes