Résumés
Résumé
La sclérose en plaques (SEP) est une maladie chronique évolutive présentant de nombreuses particularités qui peuvent avoir comme impact que les personnes atteintes vivent des obstacles à leur participation sociale. Quatre-vingt-neuf participants ont répondu à des questionnaires afin de faire un portrait de la participation sociale et d’identifier les facteurs l’influençant. L’analyse des données a permis de relever certaines caractéristiques de la maladie, dont le diagnostic, la symptomatologie et le portrait socioéconomique des personnes atteintes, pouvant avoir un impact sur la participation sociale, puis les facteurs influençant spécifiquement certains rôles sociaux (loisirs et relations interpersonnelles). L’article se termine en soulevant l’importance du rôle d’accompagnateur du travailleur social auprès de personnes vivant avec la SEP.
Mots-clés :
- participation sociale,
- sclérose en plaques,
- rôles sociaux,
- conséquences
Abstract
Multiple sclerosis (MS) is a progressive and episodic disease. These characteristics of the disease progression make it different from other incapacitating conditions. To collect data on their social participation and to determine what personal factors influence it, 89 people answered questionnaires. Results expose some features of the disease that could influence social participation, such as diagnosis’ duration, symptomatology and socioeconomic profile of those affected. ANOVA analysis show what factors influence social participation quality in two specific social roles: recreation and interpersonal relationships. Conclusion focus on the importance of social worker to accompany people with MS in facing all the changes in social role realization coming from the disease.
Keywords:
- social participation,
- multiple sclerosis,
- social roles,
- consequence
Corps de l’article
Introduction
Depuis plus d’une quarantaine d’années, le thème de la participation sociale est capital dans le champ québécois du handicap (Fougeyrollas, 2010). Il s’agit du principal objectif d’intervention ciblé pour les personnes vivant avec des incapacités (Office des personnes handicapées du Québec, 2009). Toutefois, des chercheurs ont souligné que les personnes vivant avec une incapacité due à une maladie chronique (Majeau, Gaucher et al., 2003) font face à des défis particuliers. La sclérose en plaques (SEP), en plus d’être chronique, est épisodique, cyclique, imprévisible et parfois invisible (Roessler, Fitzgerald et al., 2001). Il importe donc de bien documenter la réalité spécifique des personnes atteintes de SEP pour mieux adapter l’organisation des services qui leur sont offerts. Le présent article rend compte des résultats d’une recherche visant à répondre aux deux questions suivantes : Quel est le profil de participation sociale pour les personnes atteintes de SEP de la région de Québec ? Quelles sont les corrélations qui existent entre différentes caractéristiques de la maladie et la qualité de la réalisation des rôles sociaux des personnes atteintes?
Problématique
La sclérose en plaques
La SEP est une maladie chronique auto-immune du système nerveux central (Namaka, Turcotte et al., 2008). La cause de cette maladie est présentement inconnue : l’hypothèse qui fait consensus impute une réaction immunitaire anormale due à un agent infectieux ou environnemental, dans un contexte génétique particulier. Il n’existe pour le moment aucun test permettant de conclure directement à un diagnostic de sclérose en plaques (McNulty, 2007). Celui-ci se fait plutôt à partir du jugement clinique du spécialiste, qui se base sur l’histoire médicale du patient, les symptômes présents et passés ainsi que les résultats d’une imagerie par résonnance magnétique, dans le but de déceler les plaques dans le cerveau et la moelle épinière (McNulty, 2007). La maladie se déclare dans le début de la vie active : la majorité des diagnostics se font entre 20 et 40 ans (Namaka, Turcotte et al., 2008; Weiner et Stankiewicz, 2012).
Il existe différents types de SEP, selon que la maladie se présente sous forme de poussées suivies de rémissions (65 à 70 %) ou sous forme progressive (15 et 20 %). La maladie peut aussi présenter une forme bénigne, se caractérisant par peu de poussées, toujours suivies de rémissions presque complètes (Namaka, Turcotte et al., 2008). En raison de son cheminement imprévisible, elle impose donc un processus continuel de réajustement à la situation (Roessler, Fitzgerald et al., 2001).
Au Canada, la prévalence de la maladie est évaluée en moyenne à 111 pour 100 000 personnes, pour un total d’environ 100 000 personnes atteintes (Société canadienne de la sclérose en plaques, 2014). Les symptômes possibles incluent, entre autres, la fatigue, la douleur, les troubles d’élocution, les problèmes d’équilibre, les difficultés de locomotion, les troubles de la coordination, les tremblements, les spasmes, l’intolérance à la chaleur, les troubles cognitifs, les troubles de l’humeur, les troubles anxieux et les troubles vésicaux (McNulty, 2007). Certains symptômes ont été plus étudiés et leurs effets sont mieux connus, comme la fatigue chronique (Hadjimichael, Vollmer et al., 2008), la dépression (Feinstein, 2011), l’anxiété (Beiske, Svensson et al., 2008) et les symptômes cognitifs (Lovera et Kovner, 2012).
Les personnes atteintes de sclérose en plaques sont considérées comme malades plutôt que handicapées (Majeau, Gaucher et al., 2003). Cette particularité peut rendre plus difficile l’accès aux services sociaux et de santé, plus habitués à intervenir dans des contextes de traumatologie. Le manque de compréhension par ces services de la réalité particulière des personnes atteintes de SEP a aussi pour effet de mettre des obstacles supplémentaires sur leur route en leur demandant de s’adapter aux services plutôt que le contraire (Majeau, Gaucher et al., 2003). En plus de faire face aux mêmes obstacles que les personnes vivant avec une incapacité, certains obstacles seront amplifiés par les caractéristiques mêmes de la maladie, telle l’incertitude quant à l’avenir ou l’évolution rapide de leur condition en lien avec les critères d’accès aux programmes (listes d’attente) (Majeau, Gaucher et Fougeyrollas, 2005).
Sclérose en plaques et participation sociale
Si on a peu exploré le domaine de la participation sociale dans un contexte de développement humain, des recherches se sont intéressées aux effets de la SEP dans l’accomplissement de divers rôles sociaux.
La maladie influe sur la vie familiale, puisqu’elle entraîne une redéfinition des rôles au sein de celle-ci, que ce soit dans la relation de couple (Starks, Morris et al., 2010) et dans le rôle de parent (Pakenham et Cox, 2012). En ce qui a trait aux effets sur les enfants, les résultats démontrent qu’à long terme, ils vont se développer de la même façon que les enfants de parents en santé (Bogosian, Moss-Morris et al., 2010). Par contre, durant leur enfance et surtout durant l’adolescence, ils sont plus à risque de vivre des tensions familiales, de passer moins de temps avec des amis et d’être plus inquiets face au futur que les autres (Bogosian, Moss-Morris et al., 2011).
Sur le plan social, les études documentent une baisse de la quantité, de la qualité et de la variété des contacts sociaux à la fois de la personne atteinte et de son entourage immédiat à la suite du diagnostic (Mohr, Dick et al., 1999). Cet aspect est important, considérant que la présence d’un réseau social influe positivement sur le bien-être et la qualité de vie de la personne (McCabe et McKern, 2002).
Enfin, dans le domaine professionnel, la SEP influe sur la capacité à occuper un emploi rémunéré. En effet, si 90 % de la population atteinte a déjà occupé un emploi (Johnson, Yorkston et al., 2004), de 51 à 80 % de celle-ci n’est plus sur le marché du travail cinq ans après le diagnostic. Parmi les personnes sans emploi, de 15 à 50 % voudraient retourner sur le marché du travail (Phillips et Stuifbergen, 2006).
Les études documentent bien les effets de la SEP sur la qualité de vie, la condition physique et psychologique des personnes qui en sont atteintes. Toutefois, en ce qui a trait à la participation sociale, seules quelques études (Ben Ari, Johansson et al., 2014; Coenen, Basedow-Rajwich et al., 2011; Yorkston, Bamer et al., 2012; Yorkston, Kuehn et al., 2008) ont été produites, qui abordent la question dans un contexte de réadaptation et non de développement humain. L’accent est surtout mis sur la réalisation des activités de la vie quotidienne. En raison de son cheminement particulier, il importe de mieux documenter les impacts que la maladie peut avoir sur la participation sociale. La présente étude vise à faire un portrait de la qualité de participation sociale de personnes atteintes de sclérose en plaques, puis d’identifier des facteurs l’influençant.
Méthodologie
Le devis de recherche utilisé est une approche exploratoire quantitative de type non expérimentale (Creswell, 2014). Les critères d’inclusion sont : avoir reçu un diagnostic de SEP, être âgé de 18 ans et plus et vivre dans la région de Québec. La méthode d’échantillonnage sélectionnée est non probabiliste utilisant les personnes disponibles recrutées via une annonce (Rubin et Babbie, 2014). Les répondants ont été contactés par deux points d’accès, soit un organisme communautaire et un établissement de réadaptation, tous les deux partenaires de l’étude. Le projet a été accepté par le comité d’éthique à la recherche de l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec (IRDPQ).
Deux outils ont été utilisés, soit la Mesure des habitudes de vie (MHAVIE) version 4.0, mesurant la qualité de la participation sociale ainsi qu’un questionnaire maison. Afin d’augmenter le taux de réponse et de favoriser la participation des personnes vivant des incapacités au niveau moteur ou de la communication, la complétion des questionnaires ne s’est pas faite de manière auto-administrée, mais plutôt avec l’étudiante-chercheure par téléphone ou en personne. Cette méthode a aussi comme avantage que les participants sont accompagnés s’ils vivent des difficultés, parce que l’intervieweuse connaît la problématique et peut les référer aux ressources pertinentes pour les aider (Walliman, 2011).
La MHAVIE évalue douze catégories d’habitudes de vie (activités de la vie courante – nutrition, condition corporelle, soins personnels, communication, habitation, déplacement – et rôles sociaux – responsabilités, relations interpersonnelles, vie communautaire, éducation, travail et loisirs). Elle présente une bonne validation de construit et une bonne cohérence interne (coefficients alpha de Cronbach) (Boucher, Fiset et al., 2013). La qualité de participation sociale augmente avec le score, une habitude de vie évaluée à 10 impliquant l’absence de limitations à la participation et un score à 0 indiquant une habitude non réalisée à cause d’une interaction entre les incapacités de la personne et les facteurs environnementaux (Boucher, Fiset et al., 2013).
En complément, un questionnaire maison a permis de recueillir les données sociodémographiques et relatives à la sclérose en plaques (nombre d’années depuis le diagnostic, nombre d’années depuis l’apparition des symptômes, type de sclérose, importance et type de symptômes, niveau d’éducation, source de revenus) afin d’établir le profil des participants. Au total, 90 participants ont participé à l’étude et 89 ont complété l’ensemble de la démarche. L’entrée des données recueillies pendant la collecte s’est fait directement dans une base de données ACCESS et dans la base de données électronique associée à la MHAVIE. L’ensemble de ces résultats a été compilé dans une base de données pour être traité par le progiciel Statistical Package for the Social Sciences (SPSS).
En premier lieu, un portrait détaillé des participants à l’étude a été produit en analysant les données sociodémographiques ainsi que celles concernant la sclérose en plaques. Ce portrait descriptif présentant la distribution des caractéristiques de l’échantillon sert à mieux identifier les problématiques vécues, à cibler celles considérées les plus importantes ou prédominantes dans l’échantillon et ainsi à orienter les analyses subséquentes en lien avec la participation sociale.
Deuxièmement, à partir des données recueillies par la MHAVIE, une analyse univariée de la variable « qualité de participation sociale » a été faite dans l’échantillon en utilisant des statistiques descriptives telles que la moyenne, l’écart-type et la distribution. De plus une analyse par habitude de vie a été effectuée, afin de mieux cibler les aspects de la vie de la personne qui sont les plus influencés. Les distributions de chacune des catégories d’habitudes de vie (n = 12) ont été examinées afin d’identifier celles qui sont les plus perturbées. Pour ces habitudes, les résultats par item ont été examinés afin de pousser plus loin la compréhension de la façon dont la qualité de la participation sociale est affectée par la sclérose en plaques.
Par la suite, les facteurs sociodémographiques, liés à la sclérose en plaques, ciblés comme importants par nos analyses précédentes ont été croisés avec la variable « qualité de participation sociale » pour les rôles sociaux les plus affectés. Des liens ont alors été observés. Cette partie de la démarche vise à identifier comment ces facteurs influent sur la réalisation des habitudes de vie. Afin d’y arriver, une analyse factorielle (ANOVA) a été faite, incluant les rôles sociaux retenus ainsi que les variables ordinales ou continues afin d’identifier les facteurs influençant le plus la participation sociale.
Résultats
Portrait sociodémographique
Le portrait sociodémographique des participants à l’étude permet de déterminer s’il correspond aux données connues sur cette population et de souligner les éléments surprenants ou inattendus qui la caractérisent. Le Tableau 1 présente les résultats du questionnaire maison recueillant les différentes variables sociodémographiques
En ce qui concerne l’âge des participants, 50 % de l’échantillon se retrouve entre 43 et 59 ans. En ce qui a trait à la répartition selon le sexe, la proportion correspond aux données provenant des écrits scientifiques, qui indiquent que deux à trois femmes pour un homme sont touchées par la maladie (Namaka, Turcotte et al., 2008).
Pour faire le portrait de la réalité familiale des répondants (Tableau 1), nous avons documenté leur état civil ainsi que le nombre d’enfants. Selon les données recueillies, 56,2 % des personnes ont un partenaire de vie stable. Près des deux tiers des personnes interrogées (65,6 %) ont un ou plusieurs enfants (moyenne 1,34). Il est important de souligner, vu l’âge moyen de notre échantillon, que la majorité des enfants ne résident plus avec leurs parents (60,3 %).
Il est intéressant de constater qu’une majorité des participants a fait des études postsecondaires (Tableau 1). Enfin, au chapitre du revenu, il est possible de constater que la majorité des participants ont un revenu familial se situant loin du seuil de pauvreté[2], bien que la majorité soit en arrêt de travail. Par contre, près du quart des ménages de l’échantillon vivent avec moins de 30 000 $ par année.
Portrait de la sclérose en plaques
À propos de la sclérose en plaques, en documentant le nombre d’années depuis les premiers symptômes et celui depuis le diagnostic, cela permet d’évaluer le temps nécessaire au diagnostic selon les participants (Tableau 2). Il existe une différence de plus de cinq ans entre les deux moyennes. De plus, 74,16 % (66) ont vécu les premiers symptômes de la maladie et reçu leur diagnostic avant l’âge de 40 ans. Enfin, il existe une grande variation parmi les participants relativement au nombre d’années depuis lesquelles ils vivent avec la maladie (de 0 à 51 ans).
Les symptômes ayant un impact moyen ou important pour plus de 50 % des participants sont présentés dans le Tableau 3. Cette catégorisation a été faite à l’aide du questionnaire maison, qui demandait aux répondants si ces symptômes se présentaient au moment de l’entrevue et de les placer sur une échelle de l’impact dans leur vie quotidienne allant de 1 – Aucun à 4 – Important.
À partir du portrait sociodémographique et du type de sclérose en plaques, les facteurs suivants ont été retenus pour l’analyse factorielle : le type de SEP, le nombre d’années depuis les premiers symptômes et depuis le diagnostic, l’âge au moment du diagnostic, les symptômes présentés au Tableau 3, l’âge, les revenus familiaux, le niveau d’éducation, la situation d’emploi, le sexe et la situation conjugale.
Participation sociale et les facteurs l’influençant
L’analyse des résultats de la MHAVIE (Tableau 4) a permis de voir que les habitudes de vie appartenant à la catégorie des rôles sociaux semblent beaucoup plus perturbées que celles appartenant à la catégorie des activités de la vie courante. Dans le cadre de cette recherche, le choix a été fait, après discussion avec un des auteurs de l’étude, de catégoriser les scores sous sept (sur dix) comme étant « perturbé ». En effet, un score sous sept implique soit une certaine difficulté, ou la présence de deux types d’aide. Les habitudes de vie « Vie associative » et « Éducation » ont été retirées, puisqu’un nombre insuffisant de répondants ont déclaré les pratiquer.
Les rôles sociaux les plus perturbés sont les loisirs, le travail et les relations interpersonnelles. Une analyse factorielle (KMO = 0,767) des facteurs présentés précédemment et des rôles sociaux identifiés comme perturbés a été faite. Cette analyse a permis d’identifier que : (a) les loisirs sont surtout influencés par les problèmes de mobilité (faiblesse et incoordination aux membres inférieurs) et de coordination aux membres supérieurs (b) le travail est surtout influencé par les problèmes de mobilité (faiblesse et incoordination aux membres inférieurs) et les troubles liés à la cognition (mémoire, concentration, symptômes anxieux et dépressifs) et (c) les relations interpersonnelles sont surtout influencées par les troubles de la sexualité, les symptômes dépressifs et le manque de coordination. Le présent article se concentre sur les caractéristiques spécifiques affectant la participation en général, puis l’impact sur les relations interpersonnelles et les loisirs.
Discussion
La manière dont se présente la SEP en soi, tels son diagnostic, son évolution et sa symptomatologie, la rend unique et cela peut causer certaines difficultés dans les réponses aux besoins des personnes touchées. Dans le cadre de la présente recherche, des facteurs influant sur les trois rôles sociaux ont été étudiés. Les résultats de ces analyses seront ici présentés, puis certains facteurs, non significatifs dans l’analyse factorielle, mais s’étant démarqués dans le portrait de l’échantillon, seront explorés, afin de faire un portrait des difficultés limitant la réalisation de ces rôles sociaux.
Les relations interpersonnelles : l’importance du soutien social
Les relations interpersonnelles sont considérées comme perturbées pour moins de 15 % des participants. Ces résultats sont surprenants : dans la recension des écrits, les relations sociales sont une habitude de vie identifiée comme perturbée, surtout dans la relation de couple.
Les écrits scientifiques s’intéressent depuis longtemps aux impacts de cette maladie entre deux partenaires. Cette pathologie amène beaucoup d’incertitudes : les plans pour le futur peuvent changer (Boland, Levack et al., 2012), le stress augmente et les ajustements nécessaires peuvent être source de conflits (Starks, Morris et al., 2010). De plus, il est possible que le conjoint non atteint doive assumer un rôle de proche aidant, si la maladie progresse (Buhse, 2008).
Trois facteurs caractéristiques de la SEP influent sur les relations interpersonnelles, soit les troubles de la sexualité, le manque de coordination et les symptômes dépressifs.
Les troubles liés à la sexualité sont souvent sous-diagnostiqués et peu abordés avec les patients. Pourtant, même si de nombreux facteurs liés à la maladie peuvent influer sur la libido et les activités sexuelles, comme la fatigue, la dépression, les douleurs, des problèmes moteurs ou des effets secondaires de certaines médications, il existe des traitements (Crabtree-Hartman, 2013). De plus, le manque de coordination peut rendre les relations sexuelles plus difficiles, en raison des ajustements nécessaires pour pallier les incapacités sur le plan de la motricité fine et du déplacement qu’ils causent (Crabtree-Hartman, 2013). Il importe donc que les professionnels intervenant auprès de ces personnes, comme les médecins, infirmières et travailleurs sociaux, soient informés des options de traitement (pharmacologique, physiothérapie, ergothérapie), soient à l’aise d’aborder cette problématique et connaissent les ressources capables de les offrir.
Le lien bidirectionnel entre les relations interpersonnelles et la dépression est connu. En effet, les relations sont affectées par la dépression (Paparrigopoulos, Ferentinos et al., 2010), mais, d’un autre côté, le soutien social et des relations positives peuvent la prévenir (Krokavcova, van Dijk et al., 2008). Il s’agit donc d’un autre symptôme qui doit être abordé lors de rencontres avec des professionnels, puisqu’il existe pour ces manifestations des options thérapeutiques, telles que la psychothérapie ou les traitements médicaux, qui peuvent limiter ses effets sur les relations sociales (Khawam, 2013). Des services de soutien aux proches d’une personne ayant des troubles de santé mentale peuvent aussi faciliter la vie à la maison et aider à démystifier les comportements de la personne atteinte.
Une intervention préventive et une meilleure communication entre les personnes atteintes et leurs intervenants pourront donc limiter les impacts à long terme de ces symptômes. Il importe de souligner l’importance de la présence des proches. L’entourage immédiat se sent peu outillé et peu de services existent pour eux (Corry et While, 2009). Le travailleur social, de par son rôle pivot, peut questionner la personne afin de l’orienter vers les services adéquats.
Les loisirs : apprendre à faire autrement
Selon les répondants, la pratique d’activités de loisir en général est un défi pour les personnes atteintes de SEP; presque 50 % des répondants vivent des obstacles à la réalisation de ce rôle. En effet, la maladie entraîne des changements dans la manière de faire les activités et, dans certains cas, cela limitera les activités qu’il sera possible d’effectuer (McCabe, Roberts et al., 2008).
Les problèmes de mobilité et de coordination ont été identifiés comme contribuant aux difficultés de réaliser les activités de loisirs dans l’analyse factorielle.
Les facteurs de mobilité affectent les activités de loisirs. Considérant que ce rôle social comporte de nombreuses activités qui impliquent de se déplacer, il est possible de penser que ces deux habitudes de vie ont un lien dans l’outil MHAVIE.
De la même façon, on peut aussi faire un lien entre les catégories de la MHAVIE pour les loisirs et les difficultés liées à la coordination : toute activité demandant des aptitudes liées à la motricité, comme la pratique d’activités artisanales ou sportives, seront affectées par un manque de coordination aux jambes ou aux mains.
Très peu de recherches se sont intéressées à la pratique d’activités de loisir en tant qu’habitude de vie. Les écrits s’intéressent plutôt au potentiel de réadaptation que des activités comme l’exercice physique ou les activités artistiques ont sur la vie quotidienne des personnes (Beckerman, de Groot et al., 2010; Padgett et Kasser, 2013). Les écrits qui s’intéressent aux loisirs en tant que rôle social important reconnaissent son impact sur le bien-être (Carbonneau, St-Onge et al., 2015), permettant entre autres de maintenir ou d’améliorer la santé mentale et physique. Pour le travailleur social, il est important d’accompagner les personnes dans cet ajustement à une nouvelle manière d’accomplir ce rôle, premièrement en reconnaissant son importance et en le valorisant, ainsi qu’en explorant avec les personnes des alternatives pour continuer à pratiquer des activités convenant à leurs axes de motivation et leur permettant de mobiliser leur potentiel (Carbonneau, St-Onge et al., 2015)
Le diagnostic
Le diagnostic de SEP est un processus très long pour lequel il n’existe aucun examen unique. Pour les répondants, ce délai moyen a été de cinq ans. Pour les neurologues, il s’agit d’une maladie difficile à diagnostiquer, puisque ses symptômes sont semblables à ceux de nombreux autres problèmes de santé (Hutchinson, 2013). Cette période d’attente est reconnue comme préoccupante dans les écrits scientifiques (Rae-Grant, 2013). Une personne peut donc présenter des symptômes qui ont un impact important dans sa vie quotidienne pendant un long moment sans avoir accès à des services appropriés à sa condition, puisque cet accès est tributaire d’un diagnostic médical (Gouvernement du Québec, 2014). Sans ce diagnostic, il est plus difficile d’avoir accès à des services spécialisés en neurologie (IRDPQ, 2014), mais aussi à l’adaptation de domicile, à l’accès à des congés maladies ou à des accommodements en milieu de travail, etc. Cette réalité, en plus de causer beaucoup de stress, retarde la mise en place de mesures visant à maintenir ou à favoriser la participation sociale.
Les effets des symptômes invisibles
Il est intéressant de considérer que la majorité des symptômes les plus dérangeants pour les répondants sont invisibles, lors d’une interaction habituelle avec la personne (White, White et al., 2008). Cette section s’intéresse à trois d’entre eux, non significatifs dans l’analyse factorielle, mais se démarquant en prévalence et en importance chez les participants : la fatigue et les problèmes cognitifs (concentration et mémoire).
Dans l’ensemble des symptômes recensés parmi les participants, la fatigue est l’incomparable numéro un, tant au chapitre de la prévalence que de l’impact perçu. Cette fatigue, décrite comme « accablante » (Putzki, Katsarava et al., 2008), limite de manière importante les activités des personnes qui la ressentent. En plus de son impact sur les personnes atteintes, cette prévalence cause aussi des maux de tête aux professionnels lorsqu’ils doivent l’évaluer et la traiter (Johnson, 2008), en raison de son caractère très subjectif. La fatigue a donc de nombreux impacts et l’implication d’une équipe interdisciplinaire est nécessaire pour identifier et traiter les problèmes connexes qui peuvent l’augmenter, évaluer les situations fatigantes, enseigner des méthodes de conservation de l’énergie, choisir et doser un traitement pharmaceutique (Johnson, 2008).
Il est également difficile de déceler les problèmes cognitifs, dont l’impact peut être difficile à évaluer, mais qui peuvent créer des obstacles dans de nombreuses habitudes de vie. Si ces symptômes ont longtemps été ignorés, étant associés aux stades très avancés de la maladie, ils sont maintenant reconnus comme ayant un grand impact dans la vie des gens, et ce, dès les débuts de la maladie (Messinis, Kosmidis et al., 2010). Le défi lié à l’évaluation et au traitement des problèmes cognitifs tient au fait que les tests diagnostiques prennent beaucoup de temps à administrer, sont coûteux et demandent une expertise en neuropsychologie qui n’est pas toujours facilement accessible (Messinis, Kosmidis et al., 2010). Ils sont toutefois nécessaires pour obtenir, par exemple, des accommodements en milieu de travail ou l’autorisation de continuer à conduire son automobile (Rao, 2013).
Un portrait socioéconomique différent de celui, plus large, de la population des personnes ayant des incapacités
Le portrait sociodémographique des participants révèle que plus de 78 % des participants de moins de 65 ans ont une scolarité ou un niveau de scolarité postsecondaire. Ce niveau correspond plus au niveau atteint dans la population en général de la région 03 (73,8 %) (Institut de la statistique du Québec, 2013, 2014) qu’aux comparables de la population vivant avec une incapacité (44,6 %) (Camirand, Dugas et al., 2010). Il s’agit d’un résultat observé dans d’autres recherches s’intéressant aux personnes atteintes de SEP, celles-ci développant généralement la maladie alors que leurs études sont bien entamées ou terminées (Johnson, Amtmann et al., 2004; McNulty, 2007). Cela peut être un facilitateur, car des études démontrent que les personnes avec un niveau d’incapacité léger ou modéré et ayant des études universitaires ont un rapport avec le milieu du travail semblable aux personnes sans incapacités (Turcotte, 2014). Toutefois, cette différence peut aussi être un obstacle. En effet, la spécialisation qui vient avec un niveau d’étude élevé peut rendre des changements nécessaires moins motivants pour la personne qui l’occupe.
Le niveau de revenu des répondants est aussi différent de la moyenne des personnes vivant des situations de handicap. La médiane du revenu du ménage des participants est comparable à celle de la population en général (Institut de la statistique du Québec, 2013). Le quart d’entre eux, par contre, vivent avec moins de 30 000 $ par année. Il importe de noter la grande variation.
Il est important que les intervenants prennent le temps de documenter correctement la situation de vie de la personne. En effet, puisque le portrait varie grandement au sein même de la population atteinte, mais aussi de ce qui est attendu d’une « personne handicapée », une première évaluation exhaustive permettra de répondre correctement aux besoins de la personne et d’offrir l’ensemble des services nécessaires.
Conclusions : La participation et le rôle du travailleur social
La SEP cause des obstacles à la réalisation de plusieurs habitudes de vie. Malgré que les participants présentent un profil général peu perturbé de participation sociale, plusieurs rôles sociaux sont plus difficiles à réaliser. Pour faire face à ces obstacles, les personnes ont besoin d’être accompagnées, à partir du moment de l’annonce du diagnostic et dans les différentes étapes de leur vie avec la maladie (Golla, Galushko et al., 2012). Toutefois, des études démontrent que, dans plusieurs cas, les répondants ne se sentent pas suffisamment soutenus et disent avoir plusieurs besoins non comblés (Malcomson, Lowe-Strong et al., 2008). Parmi ceux-ci, le manque d’information et de soutien au moment du diagnostic est souligné (Ytterberg, Johansson et al., 2008). De plus, bien que les besoins face à la réadaptation et aux services psychosociaux soient considérés comme également importants, ces derniers semblent plus difficiles d’accès et sont offerts de manière moins systématique aux répondants (Forbes, While et al., 2007).
En introduction, il a été souligné que l’organisation actuelle des services sociaux et de santé au Canada ne permet pas de prendre en compte la nature chronique, évolutive, cyclique et imprévisible et parfois invisible de la SEP (Majeau, Gaucher et al., 2003). Parmi les obstacles soulevés, la nécessité pour les personnes atteintes de s’adapter aux structures en place pour recevoir le soutien nécessaire, dont l’obligation de démontrer la sévérité de leurs incapacités et, ainsi, d’afficher leurs faiblesses pour répondre aux normes d’accès aux services (Majeau, Gaucher et al., 2003). Il faut aussi noter que les personnes atteintes de SEP ont besoin de soutien ponctuel, récurrent, plutôt que continu (Ytterberg, Johansson et al., 2008), ce qui peut compliquer l’offre de services, organisée présentement sous la forme d’épisode de services (IRDPQ, 2014). L’ensemble de ces facteurs et obstacles a pour conséquence de donner aux personnes l’impression de toujours avoir à se battre pour avoir droit à l’aide dont ils ont besoin (Edmonds, Vivat et al., 2007).
Puisque l’organisation des services semble présenter des contraintes importantes et que les personnes doivent se débattre pour avoir accès aux services, l’implication du travail social semble tout indiquée (Weber, Noreau et al., 2004). Le développement et la mise en oeuvre d’interventions préventives pour diminuer les risques d’isolement, de retrait ou d’arrêt des activités difficiles à réaliser auprès de cette population, en accompagnant la personne dans toutes les étapes de sa maladie, constituent une dimension importante de ce suivi. Le travailleur social a donc un rôle important à jouer auprès d’une population vivant avec la SEP, pour s’assurer que la personne se réalise en tant que personne, au-delà de sa maladie.
Parties annexes
Notes
-
[1]
Les résultats présentés dans cet article font partie d’une étude menée dans le cadre d’un mémoire de maîtrise en service social (Lacroix, 2015).
-
[2]
Établi par Statistique Canada à 29 004 $ pour une famille de deux personnes vivant dans une communauté de plus de 500 000 habitants (Statistique Canada, 2013)
Références
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