Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique
Volume 10, numéro 2, octobre 2009 Réflexions sur la recherche-création
Sommaire (8 articles)
-
Introduction
-
La recherche-création dans le milieu universitaire : le cas des interprètes et de l’interprétation
Jean-Pierre Pinson
p. 9–14
RésuméFR :
Dans le domaine de la musique, aux yeux des créateurs et des interprètes, l’expression « recherche-création » peut apparaître comme l’union quelque peu embarrassante de deux concepts étrangers, voire contradictoires, enchaînés pour le meilleur et pour le pire dans un oxymore troublant. D’un côté la spontanéité, l’affectivité et l’intuition du musicien; de l’autre avance avec lenteur et prudence l’activité raisonnée et distanciée du chercheur musicologue. Ici la chaleur de l’exaltation, là le froid regard de l’observateur rigoureux. Or, de nos jours, le musicien ne peut désormais plus échapper à un devoir de critique et de réflexion. Le présent article, avec l’aide du Paradoxe sur le comédien de Diderot (1773), cherche donc à résoudre cette équation en proposant une analyse des deux faces de l’oxymore et en suggérant quelques pistes de solution dans le domaine universitaire.
EN :
For creators and performers in the field of music, research-creation may appear as a somewhat awkward union of two different, even contradictory concepts, joined together for better or for worse and forming a rather disturbing oxymoron. On one hand, we have the musician’s effervescent spontaneity, feeling, and intuition; on the other, the careful progress and abstract reasoning of the musicological researcher. Here, we imagine warmth of exaltation, and there, the cold gaze of the rigorous observer. The problem, however, is that performing musicians today can no longer escape the duty of critical reflection. With Diderot’s Paradoxe sur le comédien (1773) as support, I will approach the problem by analysing both sides of the “oxymoron” and proposing a few solutions in the academic context.
-
Fondement esthétique et techniques d’écriture dans Mynes (2007)
Patrick Otto
p. 15–26
RésuméFR :
Si la recherche exige un protocole reconnaissable par la communauté scientifique, en revanche la création prend en compte la subjectivité de l’appréciation – du sonore en l’occurrence – comme source de connaissance valide. Partant de ce double constat, le processus de composition de Mynes pour trio à cordes et orchestre, exemple « d’oeuvre-présent », conçu et créé en 2007, sera pris comme objet d’étude. La première partie de l’exposé thématise le repérage des moments ayant chacun obtenu une authentification : premières improvisations pianistiques, captation d’un titre, improvisation collective confiée au trio à cordes et confrontée à un orchestre. La seconde partie de l’exposé présente les techniques d’écriture employées : passage d’un accord à un autre, en particulier au moyen de l’improvisation, la forme en ellipse, le « donné à entendre ».
EN :
While research in the scientific community requires a recognized protocol, creation, on the other hand, considers that subjectivity is a valid source of knowledge. In the case of sound appreciation, and with this duality in mind, I will examine the compositional process of Mynes, an example of a “work-in-the-present” for string trio and orchestra composed and first performed in 2007. In the first part of the article, moments tagged as authentic in the process of composition are given themes, such as early piano improvisations, choice of a title, or collective improvisation by the string trio confronted to the orchestra. In the second half, compositional techniques such as passages linking one chord to another (particularly through improvisation), elliptical formal features, and sections that are “designed to be heard” are examined.
-
Jouer Schubert : l’art du temps faible. Quelques remarques sur un point d’orgue dans la Sonate D960 pour piano
Fériel Kaddour
p. 27–35
RésuméFR :
Qu’est-ce qu’un point d’orgue ? Le présent article part de cette question apparemment anodine. Il analyse à cette occasion la structure ontologique de l’oeuvre musicale, constituée à la fois d’idéalité (son signe écrit : la partition) et de présence (le moment de sa réalisation instrumentale). Il s’appuie ensuite sur un exemple précis, le premier point d’orgue de la Sonate D960 de Schubert, et sur l’écoute comparée de trois interprétations enregistrées de cette sonate. Il met en perspective l’analyse du point d’orgue en regard de la forme sonate ici déployée par Schubert. Cet exercice lui permet d’étayer la thèse suivante : l’avènement de l’oeuvre repose sur la temporalisation de son inscription, la projection du signe écrit en son temporalisé; le signe (ce point d’orgue par excellence) est donc nécessairement un signe-pour-un-geste, et en appelle à la subjectivité d’un interprète pour achever la réalité qu’il n’a pu circonscrire entièrement dans son injonction.
EN :
This article begins with the seemingly inconsequential question: “What is a fermata?” It then discusses the ontological structure of a musical work, which combines “ideal” (a work’s signifying text: the score) and “presence” (the moment in which a work is realized by an act of performance). The first fermata in Schubert’s Piano Sonata D960 is examined in this context by comparative listening to three recorded performances, allowing for an analysis of the fermata and of its place within the particular sonata structure deployed by the composer in this work. This exercise leads to the following assertion: the realisation of a work is dependent on temporality in the rendering of its text. A sign (in this case, one particularly pertinent fermata) necessarily assumes the value of an act requiring the performer’s subjectivity to render what can only partially be consigned to the work’s text.
-
Ope 1000, genre opéra-chantier. Contribution à la réflexion sur la recherche-création musicale
Soizic Lebrat et Raphaël Godeau
p. 37–45
RésuméFR :
En amont de la mise en relation concrète du droit avec la musique improvisée se pose la question de la représentation de l’une et de l’autre, et de l’une par rapport à l’autre à l’intérieur d’un lieu et d’une temporalité circonscrite aux conditions d’une recherche et d’une création publique. L’intérêt d’un tel rapprochement réside dans la tension intellectuelle que cette collaboration fait naître, et qui inscrit l’improvisation dans une temporalité plus spéculative.
EN :
In the wave of recent thinking about the concrete relationship between law and improvised music, the question of different representations of one or the other, and the way one relates to the other within a time frame and a place dependent on the parameters of research and public performance, is of primary interest. Confronting the two disciplines in such circumstances generates intellectual tension and allows us to observe that temporality, in improvisation, is highly speculative.
-
L’opéra comme lieu de recherche et de création : Médée (2003) de Michèle Reverdy
Cécile Auzolle
p. 47–55
RésuméFR :
Évoquer l’opéra sous l’angle de la recherche-création semble aller de soi. En effet, où mieux que dans le spectacle lyrique peut se développer une dynamique de recherche, celle d’un sujet, d’un livret, l’élaboration d’une dramaturgie, la mise en voix et en orchestre des affects du compositeur au contact d’un livret, puis la mise sur les planches en collaboration avec le metteur en scène, l’équipe technique et les interprètes ? Le résultat, la création, n’est-il pas nécessairement le fruit d’une recherche tantôt individuelle, tantôt collective ? La compositrice française Michèle Reverdy, auteure de cinq opéras, confesse, pour en finir avec la question des héritages, que « le compositeur n’est pas un collectionneur : c’est un aventurier, un explorateur. » Sa démarche de recherche-création est approfondie dans son dernier opéra, Médée, créé à l’Opéra national de Lyon en 2003 dans une mise en scène du cinéaste Raoul Ruiz.
EN :
To consider opera within the scope of creation-research seems self-evident: the fertile ground of opera research encompasses issues such as subject, libretto, dramaturgy, expression of the composer’s affect through the media of voice and orchestra, and the collaborative production involving stage director, technical crew, and performers. The end result, the creation of an opera, is necessarily the accomplishment of both personal and collective research. In response to the notion of a composer’s cultural inheritance, Michèle Reverdy, French composer and creator of five operas, declared : “The composer is not a collector; he is an adventurer and an explorer.” In this analysis of Reverdy’s most recent opera, Médée, which premiered at the Opéra national de Lyon in 2003 under the stage direction of filmmaker Raoul Ruiz, we will discuss how research, developed and deepened by the composer, plays a decisive role in the creation of a work.
-
Béla Bartók, chercheur-créateur : l’impact des recherches algériennes sur l’oeuvre créatrice
Mehdi Trabelsi
p. 57–65
RésuméFR :
Cet article se propose de montrer l’influence des musiques populaires sur la création musicale savante en étudiant le cas Béla Bartók. L’article se divise en deux parties. La première traitera de l’activité scientifique du grand chercheur folkloriste Béla Bartók en présentant ses travaux sur les musiques populaires, et en mettant l’accent sur ses travaux algériens de la région de Biskra. La deuxième partie traitera de l’activité créatrice de Bartók en montrant l’impact de ses travaux algériens sur son langage musical et en donnant comme illustration principale le troisième mouvement de sa Suite pour piano op. 14.
EN :
This article discusses the impact of popular music on the creation of art music through an examination of Béla Bartók’s research and creation activities. In the first part, I will discuss the scientific work of Bartók as an influential researcher of folk cultures and a great communicator of his own work on popular music traditions, with special emphasis on his findings in the region of Biskra, Algeria. In the second part, I will examine the composer’s creative work by discussing the impact of these findings on his musical discourse, particularly in the third movement of his Suite Op. 14 for piano.