Résumés
Résumé
Le présent texte décrit la situation des peuples indigènes du Brésil dans le contexte de la pandémie de la Covid-19, selon deux perspectives différentes. La première examine les actions du mouvement indigène brésilien depuis le début de la pandémie, en particulier celles menées face au refus de l’État de prendre en compte la vulnérabilité particulière des peuples indigènes et de présenter en conséquence des plans d’actions spécifiques pour contrôler le risque infectieux. L’autre perspective se concentre sur l’incapacité de l’État brésilien à faire face à la réalité indigène. Au-delà d’une étude de cas, ce travail s’attache à une vue d’ensemble de la situation et des évolutions en cours pour présenter les défis affrontés de longue date par les peuples indigènes : on ne peut pas aborder leur situation sanitaire sans faire retour sur les politiques d’Etat envers eux et sur leurs revendications historiques, et en premier lieu celle de faire avancer sans délai la démarcation de leurs territoires et le respect du regard holistique des peuples indigènes sur leurs territoires. Ce message politique, le mouvement indigène et ses dirigeants le diffusent depuis nombre d’années. Il n’a pas encore été internationalement pris en compte comme il le faudrait. Les territoires traditionnels si vitaux pour les peuples indigènes jouent un rôle dans l’équilibre de la vie humaine, et le capital qui opprime ces peuples oblige désormais chacun à réfléchir au bien-vivre et aux conséquences climatiques de la destruction de la biodiversité mondiale.
Mots-clés :
- Peuples indigènes,
- Covid-19,
- Territoires
Abstract
This paper describes the situation of indigenous peoples in Brazil in the context of the Covid-19 pandemic from two different perspectives. The first examines the actions of the Brazilian indigenous movement since the beginning of the pandemic, particularly the reactions of indigenous communities and organizations to the State's refusal to take into account the particular vulnerability of indigenous peoples and to present specific action plans to control the infectious risk. The other perspective focuses on the Brazilian State's inability to deal with the indigenous reality. Beyond a case study, this work focuses on an overview of the situation and the current developments in order to present the challenges faced by indigenous peoples for a long time: one cannot address their health situation without looking back at the State policies towards them and their historical claims, first of all the claim to advance without delay the demarcation of their territories and the respect of the holistic view of indigenous peoples on their territories. The indigenous movement and its leaders have been spreading this political message for many years. It has not yet been given the international attention it deserves. The traditional territories that are so vital to indigenous peoples play a role in the balance of human life, and the capital that oppresses these peoples is now forcing everyone to think about the well-being and climate consequences of the destruction of the global biodiversity
Keywords:
- Indigenous peoples,
- Covid-19,
- Human rights,
- Territories
Corps de l’article
Introduction
Actuellement, il y a au Brésil plus de 305 peuples indigènes, 274 langues ; sont également enregistrés 114 peuples isolés découverts récemment. Selon le dernier recensement démographique, réalisé en 2010, 896 mille personnes se déclaraient ou se considéraient indigènes, dont 572 mille (63,8 %) habitant à la campagne. De ce total, 517 mille (57,7 %) habitaient les Terres Indigènes (TI) officiellement reconnues lors du dernier recensement démographique. Cela démontre une diversité ethnique expressive au Brésil et nous permet de comprendre le tournant constitutionnel du texte de 1988, qui reconnait ces peuples, leur organisation sociale, leurs mœurs, leurs langues, leurs croyances, leurs traditions et leur droit originaire aux terres traditionnellement occupées (art. 231, CF/88). Le nouvel ordre juridique est ainsi fondé dans un État pluriethnique[1], en rompant avec le paradigme de la tutelle jusqu’alors en vigueur qui soumettait les peuples originaires à une politique indigéniste fondée sur des actions qui visaient l’assimilation des peuples indigènes.
Le domaine juridique a connu d’importants progrès vis-à-vis des peuples indigènes et des communautés traditionnelles, depuis la promulgation de la Constitution Citoyenne jusqu’aux normes infra-constitutionnelles appliquées ces dernières années par des gouvernements de nature plus progressiste. La situation politique actuelle du Brésil est très défavorable aux peuples indigènes, depuis l’élection en 2018 de Jair Bolsonaro, premier président élu après la période de redémocratisation qui se soit ouvertement opposé aux droits des peuples indigènes.
Depuis lors, l’application de la politique indigéniste brésilienne est pensée et inspirée par la logique des propriétaires ruralistes dans une perspective plus rétrograde que jamais. Comme l’indique bien le document final du Acampamento Terra Livre (ATL), qui a eu lieu en avril 2020 et organisé par l’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil (APIB) :
Dès que Bolsonaro a pris le pouvoir il a publié une mesure provisoire 870/19, par laquelle il actait le démembrement de la Fondation Nationale de l’Indigène – FUNAI et de ses attributions, en plaçant les missions de certification environnementale et de démarcation des terres indigènes sous l’autorité du Ministère de l’Agriculture, soumis au groupe parlementaire ruraliste hostile à nos peuples, représenté par la ministre propriétaire Teresa Cristina, « la muse du poison ».
(APIB 2020a)
En plus de diriger ses actions contre les territoires indigènes, en rendant impossible les démarcations des terres indigènes et en proposant de légaliser l’exploitation minière dans ces territoires, l’actuel gouvernement fait évoluer l’institution indigéniste de l’État brésilien – la FUNAI – en fonction des intérêts de l’agro-industrie en nommant aux postes stratégiques de l’institution des personnes liées au groupe parlementaire ruraliste et des militaires.
À partir du moment où l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a déclaré la pandémie de Covid-19, les organisations et les communautés indigènes savaient que la situation s’aggraverait énormément. Au vu des violations déjà en cours, la pandémie serait surtout une porte ouverte à d’autres violations qui mettraient en péril l’attention portée à la santé et la vie des peuples indigènes. Une perspective chaotique s’est dessinée à partir de la position du gouvernement, marquée par l’irrationalité et le mépris de la science, qui a eu comme priorité des politiques d’urgence dirigées vers le marché économique et non vers les personnes, spécialement celles qui appartiennent à des groupes à risque. Face à cela, le mouvement indigène s’est réinventé encore une fois et a cherché des alliances au sein de la société civile, au niveau national et international mais également auprès des institutions relevant du droit public interne susceptibles d’agir sans être soumises au gouvernement.
Ainsi, cette contribution a pour but de décrire, dans le cadre d’un simple article, la situation des peuples indigènes au Brésil dans le contexte de la pandémie de Covid-19 en ayant recours à deux orientations théorico-méthodologiques. La première consiste à observer les actions du mouvement indigène brésilien engagées juste après que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a déclaré la pandémie du nouveau coronavirus, et en particulier les stratégies mises en œuvre par les communautés et les organisations indigènes face à l’absence, de la part de l’État, du moindre plan ou de la moindre action spécifiquement dédiés aux peuples indigènes, augmentant ainsi leur vulnérabilité et le risque de contagion par le virus. L’autre perspective est centrée sur l’État et son incapacité à gérer la réalité indigène brésilienne, laquelle est encore aggravée par le négationnisme adopté face à la pandémie. Même dans ce cadre limité, notre travail entend décrire la situation de manière consistante et offrir un panorama de la situation et du déroulement des événements. Il entend également nourrir des réflexions sur les défis des peuples indigènes dans un contexte qui dépasse la pandémie. En effet, ces circonstances nous imposent d’exposer les demandes historiques des peuples et leur résistance, ce qui passe forcément par une analyse du rapport de l’État aux peuples originaires, la mention de l’indispensable reprise du processus de démarcation des terres indigènes pour le mener à son terme, et celle du respect de la cosmovision indigène concernant leurs territoires. D’ailleurs, la conception indigène à propos du respect de la terre-mère et de ses richesses naturelles entre en résonance avec notre intelligence des crises épidémiques et pour saisir que la préservation de la nature, si elle est vitale pour les peuples indigènes, l’est tout autant pour garantir la vie humaine sur la planète. Il y a là un message politique que le mouvement indigène et ses leaders martèlent de longue date, sans qu’il ait été sérieusement pris en considération par les différents pays. Les territoires traditionnels, vitaux pour les peuples indigènes, jouent un rôle dans l’équilibre de la vie humaine, et le capital qui opprime ces peuples nous oblige tous désormais à réfléchir sur le bien-vivre comme sur les conséquences climatiques mondiales de la destruction de la biodiversité.
Violations socio-politiques contre les peuples indigènes
Ces derniers temps, je suis avec préoccupation l’avancée de la pandémie dans les communautés indigènes. Selon les données du Comité National pour la Vie et la Mémoire Indigène [2] de l’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil (APIB), au 10 septembre 2020, le pays comptait 792 indigènes décédés, 30 879 infectés et 158 peuples atteints par le virus. Six mois après le début de la pandémie, les états comptant le plus grand nombre de morts étaient Amazonas, Mato Grosso, Pará, Roraima, Mato Grosso do Sul et Maranhão. On remarque que le virus s’est propagé rapidement parmi les indigènes. Selon les données de l’APIB, le taux de létalité chez les peuples indigènes est de 9,6 %, alors que dans l’ensemble de la population brésilienne ce taux est de 5,6 % (APIB 2020d).
La pandémie a exposé les faiblesses du Système Unique de Santé (SUS) et, plus spécialement, celles du Sous-système d’Attention à la Santé Indigène (SASISUS) que les équipes de l’Attention Primaire à la Santé (APS) affrontent quotidiennement depuis des années, comme le manque d’infrastructures adaptées, l’insuffisance d’équipements de protection individuelle (EPI), le stock insuffisant d’intrants et de médicaments, l’excès de rotation du personnel, la difficulté d’assurer une formation adaptée et pour implanter une formation permanente des équipes, les problèmes d’intégration au réseau de santé, et la situation de précarité et d’insalubrité des Maisons de la Santé de l’Indigène (CASAI).
Il est nécessaire de pointer le racisme structurel qui frappe les peuples indigènes au Brésil. Depuis la période coloniale, les peuples indigènes virent leurs droits systématiquemsnet violés. Dans le Brésil colonial, on pouvait même douter de l’humanité des indigènes. Une bulle papale de 1532 en faisait bien des humains en reconnaissant que ceux-ci avaient une âme, et devenaient donc sujets à l’évangélisation. Par la suite, on a institué une tutelle légale au moyen de divers expédients légaux qui placaient les indigènes sous tutelle dans un statut d’incapacité juridique. Cette tutelle légale a persisté pendant plus de quatre siècles et, dans cette condition, les peuples indigènes n’avaient pas la moindre autonomie pour s’exprimer en leur nom propre, et encore moins pour revendiquer leurs droits. C’est seulement depuis la Constitution Fédérale de 1988 que « les indigènes, communautés et organisations » se sont vu reconnaitre les droits à une pleine autonomie et de représentation face à l’État brésilien pour défendre leurs droits et leurs intérêts.
Pendant toute cette période de tutelle légale les peuples indigènes furent victimes de politiques d’extermination et d’usurpation de leurs territoires comme d’exploitation des richesses naturelles présentes dans ces espaces. Les tenir pour des « sous-hommes » permettait de justifier le déploiement d’un projet colonial basé sur le génocide et, nonobstant la reconnaissance de leur humanité, de leur refuser la condition de sujet de droit, ce qui légitimait toutes sortes de mises en tutelle tournées vers l’assimilation des peuples et l’appropriation de leurs territoires originels.
Le contexte actuel a vu ce discours revenir en force. Le 23 janvier 2020, s’exprimant sur un réseau social, le président Jair Bolsonaro a dit que l’indigène évolue et « de plus en plus est-il humain comme nous » en parlant sur les attributions du Conseil de l’Amazonie, qui sera coordonné par le vice-président Hamilton Mourão. Cette affirmation du président Jair Bolsonaro est un remugle de la pensée coloniale toujours présente dans l’imaginaire de nombreux Brésiliens. Durant très longtemps, l’idée de supériorité raciale et la pratique tutélaire qui classa les peuples indigènes dans un statut d’incapacité juridique a marqué le rapport de l’État brésilien avec les peuples originaires. Après qu’on a pu se demander si les indigènes étaient humains ou s’ils avaient une âme, il a fallu, pour surmonter de telles affirmations, la mise en place de l’État Démocratique de Droit, qui a reconnu les peuples indigènes comme sujets de droit et garanti la protection de leurs territoires originels. Le discours régressif sur le besoin « d’évolution » des peuples indigènes manifeste l’intention de légitimer les violations du mode de vie des peuples indigènes. C’est bien ainsi que la spoliation des territoires, l’esclavage indigène et les actions publiques violant les droits fondamentaux des peuples étaient justifiés par des convictions positivistes basées sur l’argument d’une intégration programmée à une vague communauté nationale : les indigènes devraient subir tout type d’action tutélaire en vue d’un progrès supposé.
C’est bien ce même argument qui justifie actuellement le projet de loi n° 191/2020 qui prévoit les conditions particulières pour entreprendre des recherches et ouvrir l’exploitation de ressources minérales et d’hydrocarbures dans les terres indigènes ou pour y exploiter la puissance hydraulique pour produire de l’électricité en contrepartie d’une indemnisation pour la perte d’usage de ces terres par les indigènes. Et c’est encore lui qui fonde le gouvernement à dénier l’assistance sanitaire aux indigènes qui se trouvent hors des zones et pas encore reconnus officiellement par le gouvernement.
Le motif le plus fondamental semble être la négation des droits des indigènes, surtout les droits à la terre et à la préservation de l’habitat de chaque terre indigène et de leur mode de vie traditionel. Il est intéressant de remarquer que l’interprétation gouvernementale converge avec celle des braconniers du bois et des autres ressources naturelles : les indigènes ne sont pas fiables, ils sont indolents, pervers et veulent créer des États indépendants. Effet de préjugés archaïques, le racisme est ancré dans le manque de respect et l’ignorance de la diversité culturelle brésilienne et de la possibilité de fonder des modes de vie dans des connaissances solides qui priorisent le Bien Vivre de tous.
Répertorions donc quelques violences sociopolitiques contre les peuples indigènes au Brésil.
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Absence de délimitation des terres indigènes. Le tableau général des terres indigènes, selon une enquête du Conseil missionnaire indigène (Cimi), montre qu’au moins 821 terres indigènes attendent une action du gouvernement brésilien et de ses diverses instances, ce qui correspond à 63 % des 1 290 terres indigènes. La négligence et la lenteur des procédures de régularisation caractérisent le processus de démarcation des terres. Nous pouvons également citer les actions en justice qui tentent de circonscrire les droits et les initiatives législatives qui perturbent la politique indigéniste et deviennent autant de freins à l’exercice des droits constitutionnels.
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Invasion des terres indigènes. Selon les données de l’Institut national de recherche spatiale (INPE), la déforestation légale en Amazonie en 2019, a augmenté de 30 % par rapport à 2018 – dans les États de Roraima, Acre, Amazonas et Pará. Les treize territoires indigènes les plus affectés sont situés dans les aires Ituna/Itatá, Apyterewa, Cachoeira, Trincheira Bacajá, Kayapó, Munduruku, Karipuna, Uru-Eu-Wau-Wau, Manoki, Yanomami, Menkü, Zoró et Sete de Setembro. En outre, le gouvernement Bolsonaro facilite la légalisation de l’occupation illégale des zones indigènes. Le 22 avril 2020, la FUNAI a publié l’instruction normative n° 9, par laquelle elle considère désormais susceptible de recevoir une Déclaration de reconnaissance de limites (ou attestation de non-interférence avec les territoires protégés) toute possession (détention reconnue sans acte notarié) ou propriété qui serait simplement sans incidence avec les terres indigènes homologuées, les réserves indigènes ou les terres indigènes domaniales. En d’autres termes, cette instruction libère pour l’achat, la vente et l’occupation toutes les terres indigènes encore en cours d’étude pour leur démarcation, celles délimitées par la FUNAI ainsi que les terres indigènes déclarées par le Ministère de la Justice, en plus des zones soumises à des ordonnances de restriction d’utilisation.
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Projets de grandes entreprises. Au Brésil, les terres indigènes occupent 13 % du territoire national, dont 98 % se situent en Amazonie. Mais 34 % de ces terres sont concernées par des activités d’exploitation minière. Il existe 4 777 procédures en cours les impliquant. Rien qu’au Pará, 2 357 autorisations accordées par les autorités publiques ont été enregistrées, allant des permis de recherche aux concessions minières. Certains territoires, comme le Muybu Sawré, le Xikrin do Rio Caeté, les terres indigènes Kayapó et Arara, sont pratiquement couverts par des intérêts miniers. Le territoire indigène le plus touché est celui des Yanomami, où certaines communautés comptent déjà environ 92 % de personnes contaminées par le mercure utilisé dans l’extraction de l’or. En outre, quelque 56 Territoires Indigènes voient plus de 60 % de leur surface affectée par ces procédures. Dans les zones indigènes les plus petites, ces procédures portent facilement sur plus des deux tiers des surfaces et 8 terres indigènes sont réquisitionnables pour plus de 90 % de leur superficie. Outre l’exploitation minière, les projets hydroélectriques sur les terres indigènes constituent une autre menace, car ils sont mis en œuvre sans consultation ni consentement préalable, libre et éclairé, comme le prévoit la convention 169 de l’OIT. En ce qui concerne les projets des grandes entreprises, la situation des peuples indigènes et des communautés traditionnelles de la région de la rivière Teles Pires[3] doit être signalée : depuis plus de quinze ans, un complexe de quatre projets hydroélectriques est planifié et mis en œuvre de manière irrégulière sur le fleuve avec l’accord et l’autorisation de l’État brésilien. Le tronçon touché par le complexe de barrages est situé entre le milieu et le bas de la rivière Teles Pires, où se trouve un corridor de zones protégées qui font partie de la mosaïque amazonienne du sud et dans laquelle vivent des communautés traditionnelles, en particulier des communautés riveraines et de pêcheurs[4] et 4 peuples autochtones – les Kayabi, les Munduruku, les Apiaká et les peuples autochtones en isolement volontaire. Ces peuples habitent les terres indigènes : Kayabi, Mundurukânia et Apiaká do Pontal et Isolados, situées dans les municipalités de Jacareacanga/Pará et Apiacás/Mato Grosso. Depuis 2014, le peuple Munduruku est le seul de ces peuples et de ces communautés à disposer du protocole CCPLI [5]. La rivière Teles Pires et ses zones protégées ont été complètement détruites et ses peuples indigènes, ses communautés traditionnelles et ses territoires ont été violemment touchés par le complexe hydroélectrique de Teles Pires, qui prévoit d’installer 6 grands barrages hydroélectriques sur la rivière.[6]. Au cours de la dernière décennie, quatre de ces entreprises ont déjà été installées sur un tronçon de la rivière Teles Pires sur une distance de 1 000 km, produisant des effets cumulatifs et synergiques sur les peuples et les communautés, leurs terres et leurs territoires, leurs coutumes, leurs croyances et leurs traditions, leurs eaux, leur faune, leur flore, leur patrimoine culturel, leur archéologie, leurs paysages naturels et leurs vies. Depuis la planification du Complexe hydroélectrique jusqu’à présent, les entrepreneurs, leurs financeurs et les organismes gouvernementaux chargés de délivrer les licences n’ont jamais consulté les peuples et les communautés et continuent de violer le droit à la CCPLI des peuples indigènes et des communautés traditionnelles de la rivière Teles Pires à chaque décision légale et administrative qui pourrait les affecter[7]. Ces populations affirment sans cesse que l’État brésilien et ses agences admnistratives ne respectent pas leur droit à l’information, à la participation, à la consultation et à la décision concernant les documents et les activités d’étude et de planification des quatre entreprises et sont mises à l’écart des intentions de l’État d’installer deux autres entreprises sur son fleuve[8].
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La thèse juridique de la base historique dans le système judiciaire. Cette base historique est une interprétation juridique que certains juges appliquent dans la jurisprudence brésilienne. Selon cette thèse, les peuples indigènes n’auraient droit qu’aux terres qu’ils occupaient le 5 octobre 1988, date de la promulgation de la Constitution fédérale. Il s’agit d’une interprétation restrictive du droit originel de ces peuples. Sur la base de cette interprétation, de nombreux juges ont ordonné l’expulsion de communautés indigènes et l’annulation de procès en reconnaissance de territoires, particulièrement dans le Mato Grosso do Sul, à Bahia, au Paraná et dans le Rio Grande do Sul. Cette interprétation est extrêmement préjudiciable aux peuples indigènes.
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Propositions législatives du parlement brésilien. Au sein du Congrès brésilien, plusieurs propositions de lois visent à censurer les droits des peuples indigènes. Les principales sont la proposition d’amendement constitutionnel (PEC) 215 qui prévoit le transfert au Congrès national de la compétence de démarcation des terres indigènes, le projet de loi (PL) 490 qui prétend conditionner la reconnaissance des terres indigènes au respect de la clause temporelle, et le projet de loi (PL) 191 qui légaliserait l’exploitation minière sur les terres indigènes.
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Emprisonnement et incrimination des dirigeants indigènes. Voici un aspect très grave de la réalité des peuples indigènes brésiliens. Un nombre significatif de dirigeants indigènes sont poursuivis parce qu’ils se battent pour leurs droits. Cette persécution se fait par le biais d’enquêtes policières, d’actions pénales et de commissions d’enquête parlementaires (CPI). Les États qui enregistrent le plus grand nombre d’autochtones incriminés sont le Mato Grosso do Sul et Bahia, précisément là où se concentrent les conflits fonciers. Outre ces procédures judiciaires, un grand nombre d’autochtones sont emprisonnés. Dans ce contexte, leurs droits et garanties fondamentaux sont violés, tels que le droit à un interprète dans les procédures judiciaires, à un régime spécial d’exécution des peines et à un rapport anthropologique. Les États qui concentrent le plus grand nombre de prisonniers indigènes sont le Mato Grosso do Sul, l’Amazonas, l’Acre, le Roraima, ceux de Bahia et du Rio Grande do Sul. En ce qui concerne le système pénitentiaire, le Conseil national de la justice a émis la recommandation n° 62/2020, le 17 mars 2020, au tout début de la pandémie au Brésil. Ce texte porte sur les groupes humains les plus vulnérables au Covid-19. Parmi les recommandations à l’intention des peuples indigènes figurent : I) l’adoption de mesures socio-éducatives en milieu ouvert pour les adolescents délinquants, que ce soit pendant l’enquête ou pour l’exécution de peines ; II) la réévaluation des prisons provisoires ; III) la sortie anticipée des régimes fermés et semi-ouverts, selon la jurisprudence du STF n. 56 ; IV) informer la Fondation nationale de l’Indien (FUNAI), le Secrétariat spécial pour la santé des indigènes (SESAI), le ministère public fédéral (MPF) et la communauté intéressée de l’adoption de mesures qui touchent directement les indigènes privés de liberté, conformément à la résolution du CNJ n° 287/(2019). Cependant, les recommandations du CNJ n’ont pas de force normative contraignante obligeant le pouvoir judiciaire à s’y conformer.
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Assassinats d’indigènes. Le rapport sur la violence du Cimi (2019) a enregistré 50 meurtres d’indigènes en 2018. Ceux-ci ont été enregistrés dans les États d’Acre (3), Alagoas (1), Amazonas (4), Bahia (3), Maranhão (1), Mato Grosso (2), Mato Grosso do Sul (13), Minas Gerais (1), Pará (3), Paraná (3), Rio Grande do Sul (1), Roraima (5), Santa Catarina (6) et Tocantins (4). Six victimes étaient des femmes et parmi les victimes masculines, un garçon de 9 ans. L’âge des hommes se situe entre 15 et 61 ans, dont 18 victimes entre 15 et 29 ans, 16 autres entre 34 et 45 ans et 7 victimes entre 48 et 61 ans. Ces données montrent que les jeunes sont particulièrement touchés par ces actes violents. En admettant que la tranche d’âge entre 19 et 45 ans est constituée d’adultes, totalisant 32 décès, cela ne serait pas sans affecter jusqu’à la force de travail de certaines communautés. Parmi les raisons de ces agressions, il y a un féminicide déclaré, où le mari a avoué avoir tué sa femme en la battant par jalousie, et un autre où le mari a tué sa femme à coups de machette devant leur fille de deux ans. Neuf cas de bagarres, avec ou sans alcool et drogues, de vol et de délire ont été signalés. La plupart des meurtres ont des motifs inconnus. Une grande partie a été commise avec des armes blanches, des bâtons, des pierres et des coups. Neuf d’entre eux ont été commis avec des armes à feu, impliquant des policiers, des inconnus et visant des dirigeants indigènes.
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Droit à la consultation et au consentement. Dans le cadre institutionnel brésilien, les principaux mécanismes de participation des peuples indigènes ont été supprimés. Le Conseil national de la politique indigène (CNPI) et le Forum du président du conseil de district de la santé indigène (FPCONDISI) ont été désactivés. Et, surtout dans ce contexte de pandémie, les directives sanitaires indigènes sont élaborées sans tenir compte du contrôle social de la santé indigène, formé par les dirigeants indigènes élus par les communautés. Le droit à la consultation et au consentement a été utilisé à contresens par le gouvernement. Une note technique envoyée par le ministre Damares Alves au président Jair Bolsonaro, signée le 6 juillet 2020 par Esequiel Roque, secrétaire adjoint à l’égalité raciale, demandait au président Jair Bolsonaro de supprimer la loi protégeant les populations indigènes par l’obligation de l’Union, des États et des municipalités de fournir des ressources comme l’eau potable, du matériel de nettoyage, d’hygiène et de désinfection, des lits d’UTI, des ventilateurs pulmonaires et du matériel d’information sur le Covid-19. Selon la ministre de la femme, de la famille et des droits de l’homme, Damares Alves a demandé à Jair Bolsonaro de refuser d’offrir des lits de soins intensifs et des produits de nettoyage aux indigènes parce que la population n’avait pas été « directement consultée par le Congrès national » [9].
Les réponses du mouvement indigène brésilien
Cet article vise à mettre en évidence le caractère autonome et la souveraineté des peuples indigènes du pays, dont le respect mérité est un principe de base obligatoire. Le mouvement indigène brésilien est structuré en communautés et organisations locales, régionales et nationales, et l’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil (APIB) est leur plus haute instance représentative. L’APIB représente les peuples indigènes au niveau national, rassemblant des organisations indigènes régionales : Articulation des Peuples et Organisations Indigènes du Nord-Est, du Minas Gerais et de l’Espírito Santo (APOINME) ; Coordination des Organisations Indigènes de l’Amazonie Brésilienne (COIAB) ; Articulation des Peuples Indigènes du Sud (ARPINSUL) ; Articulation des Peuples Indigènes du Sud-Est (ARPIN-SUDESTE) ; Conseil du Peuple Terena ; Aty Guasu Guarani Kaiowá et Commission Guarani Yvy Rupa. Selon son règlement intérieur disponible sur son site, l’APIB a été créée lors de l’Acampamento Terra Livre (ATL) de 2005, cette mobilisation nationale, annuelle depuis 2004, rend visible l’état du droit indigène et exige de l’État brésilien qu’il réponde aux demandes et revendications des peuples indigènes. Selon son règlement intérieur, la mission de l’APIB est de « promouvoir et défendre les droits des indigènes, sur la base de l’articulation et de l’union entre les peuples et organisations indigènes des diverses régions du pays ».
Dès le moment où l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a déclaré la situation de pandémie de la Covid-19, la coordination exécutive de l’APIB a réfléchi aux mesures de prévention et de sécurité pour les peuples et les communautés indigènes. La première délibération a été de suspendre la tenue du Acampamento Terra Livre 2020 (ATL/2020). Cette grande assemblée annuelle qui se tient au mois d’avril à Brasilia réunit des chefs et des dirigeants de différents peuples de différentes régions du pays, est le principal acte de mobilisation indigène. Cependant, conscients de la gravité de la situation, les dirigeants indigènes n’ont pas hésité à anticiper sur les recommandations officielles des autorités sanitaires et ont annulé toute réunion présentielle.
Pour autant, les dirigeants n’ont pas tiré un trait sur l’Avril Indigène : ils ont mis sur pied le premier ATL en ligne, avec des conférences et des débats organisés entre le 27 et le 30 avril. Dans ce cadre, il s’agissait de mettre en valeur ceux des dirigeants indigènes qui se sont efforcés de se connecter aux sessions en ligne ouvertes par l’APIB. il fut donc possible à la coordination de l’APIB de présenter divers échanges sur le Acampamento Terra Livre virtuel, portant sur la gestion des territoires, les restrictions légales et la pandémie ; on a pu ainsi analyser la vulnérabilité, l’impact et le combat contre la Covid-19 dans le contexte des communautés indigènes ; des jeunes indigènes ont parlé des stratégies de communication ; des panels juridiques ont également été mis en place pour mettre en question la jurisprudence tenant la date de la constitution comme référence légale et traiter de la protection des droits humains au plan international ; il fut aussi question de la situation des peuples indigènes en situation d’isolement volontaire et des cas de premier contact avec ces populations dans le contexte du nouveau coronavirus, en s’attachant particulièrement sur la vulnérabilité épidémiologique et territoriale.
Conformément au programme de mobilisation et compte-tenu du nombre croissant de cas de Covid-19 chez les indigènes, l’APIB a organisé l’Assemblée Nationale de la Résistance Indigène, dans le but de rassembler les dirigeants indigènes et les scientifiques des diverses régions pour élaborer en commun le plan de lutte contre la pandémie. Dans son manifeste, l’APIB disait :
Les actions des institutions publiques ne sont pas seulement inefficaces, mais aussi irresponsables, car il y a eu des cas de contamination causés par des personnes travaillant pour le Sesai dans les territoires. Parallèlement à la pandémie, les peuples indigènes continuent à faire face, sur leurs territoires, aux attaques des criminels habituels, usurpateurs de terres, orpailleurs et bûcherons. En d’autres termes, en plus de la pandémie, ils doivent combattre le surcroît d’une criminalité trop souvent encouragée et soutenue par les propos et les mesures institutionnelles de l’actuel gouvernement.
(APIB 2020b)
À partir de cette perspective assumée par la coordination du mouvement indigène, l’Assemblée entend « coordonner les stratégies de lutte contre la diffusion du nouveau coronavirus de manière unifiée et dans le respect des différences régionales et culturelles ». Il est important de souligner la vision transdisciplinaire qui anime les leaders indigènes pour mettre en place et promouvoir un agenda de mise en œuvre d’un plan de lutte, en cherchant à mobiliser les dirigeants indigènes régionaux et les experts non indigènes les plus variés pour partager les diagnostics locaux des conséquences de la diffusion du virus et pour comprendre comment les communautés géraient l’apparition de cas et si elles avaient accès à des unités de soins.
Cette même approche conduit à lutter contre la sous-déclaration de maladie qui explique la quasi-absence de cas concernant officiellement les indigènes et pour assurer un suivi quotidien, l’APIB, le COIAB et l’APOINME ont mis en place leurs propres bases statistiques en accord avec les dirigeants locaux, les communautés et les organisations. Ces bases furent essentielles pour dénoncer la négligence du gouvernement fédéral. Au niveau national, « l’Alerte APIB » a été lancée, c’est à dire un bulletin d’information quotidien sur les indigènes infectés, indiquant le nombre de décès, les lieux d’occurence et les communautés d’appartenance. Ces données sont fondamentales pour comprendre la progression de la pandémie sur les terres indigènes et parmi les indigènes vivant à proximité des villes ou dans les centres urbains.
Un autre instrument fondamental a été le lancement du site web, organisé et maintenu par l’APIB, où sont affichés le suivi des cas, les notes des organisations indigènes, divers rapports et informations. Pour produire ces pages, le réseau de communiquants indigènes « Midia Índia » est en action, qui traduit également les informations dans diverses langues indigène. Ces indications sont transmises aux communautés et aux dirigeants indigènes par le biais des radios communautaires, des bulletins des associations locales et des groupes WhatsApp.
Les barrières sanitaires établies par les communautés indigènes et leurs dirigeants ont constitué de véritables mouvements autonomes bloquant l’accès de toute personne étrangère au territoire. Ces mesures ont été adoptées par plusieurs communautés qui, faisant usage de leur autonomie organisationnelle, ont clairement mené des actions aux effets pratiques immédiats. Les communautés indigènes de diverses régions et statuts ont fermé leurs territoires, limitant ainsi efficacement toute entrée sur les terres indigènes. Dans certains cas, la restriction s’est même étendue à tous les indigènes venus des villes, travailleurs temporaires ou étudiants.
Dans le domaine judiciaire, l’APIB, la COIAB, le Conselho Terena et Aty Guasu, ainsi que plusieurs autres entités indigènes (Conseil missionnaire indigène, Institut socio-environnemental, Centre de Travail Indigéniste, entre autres), ont obtenu du Supremo Tribunal Federal - STF la suspension de tous les processus et recours judiciaires liés aux démarcations territoriales jusqu’à la fin de la pandémie de la Covid-19 ou jusqu’à ce qu’aboutisse l’obtention du recours extraordinaire (RE) 1017365 dont les effets seraient universels. Le 6 mai 2020, le juge Edson Fachin a fait droit à la demande des organisations indigènes et indigénistes, suspendant toutes les actions litigieuses en matière de propriété contre les communautés indigènes tant que la pandémie persistera[10]. En accordant la suspension, le ministre rapporteur a souligné qu’en raison de la pandémie, dont le terme est inconnu, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a invité les gouvernements et les populations à adopter la distanciation physique, entre autres mesures, pour prévenir la propagation de l’infection. de plusi, le juge suprême Edson Fachin a souligné « que les populations indigènes souffrent depuis des siècles de maladies qui sont souvent responsables de la décimation de groupes ethniques entiers à l’intérieur du pays, en raison de leures déficiences immunitaires ».
Dans le domaine politique, le mouvement indigène, s’appuyant sur le mandat de la députée fédérale Joenia Wapichana (Rede-RR) a élaboré et présenté le projet de loi n° 1142/2020, analysé et voté par les députés le 21 mai 2020. Le projet de loi de la députée Rosa Neide (PT/MT) prévoyait l’instauration de mesures pour empêcher la diffusion de la Covid-19 dans les communautés indigènes, les quilombolas (territoires où se sont historiquement réfugiés les esclaves évadés, encore peuplés par leurs descendants) et les communautés traditionnelles. Un projet de loi alternatif a été présenté par la rapporteuse, la députée Joenia Wapichana (Rede-RR), indiquant que « les mesures sanitaires feront partie d’un plan d’urgence coordonné par le gouvernement fédéral, mais d’autres actions devraient également être prises mises en place pour assurer la sécurité alimentaire ». Les actions prévues dans le PL approuvé à la Chambre, et transmis au Sénat, « serviront les villageois indigènes ou ceux qui vivent en dehors de leurs terres dans les zones urbaines ou rurales et les peuples indigènes venant d’autres pays et qui sont temporairement au Brésil ». En ce qui concerne le projet de loi approuvé, il ne fait aucun doute que plusieurs de ses actions prennent en compte les besoins concrets des peuples indigènes. Cependant, le mouvement indigène s’ext exprimé au sujet de ce qui concerne la disposition qui traite des peuples isolés. La COIAB a publié une note de rejet contre ce qu’elle a qualifié comme « tentative de légalisation des missions religieuses dans les territoires occupés par les indigènes en isolement volontaire ». Selon cette note, « l’inclusion sournoise […] de ce paragraphe, en autorisant l’entrée de tiers et en garantissant la permanence des missionnaires dans ces territoires pendant la pandémie, met clairement en danger la vie des peuples en isolement volontaire ». De là ce rappel : « les missionnaires historiquement prosélytes ont envahi les territoires indigènes et ont forcé le contact avec les peuples en isolement volontaire, violant les principes d’autodétermination et d’autonomie des peuples indigènes isolés garantis par la législation brésilienne par la politique de non-contact ». Le projet de loi a été adopté à la Chambre et au Sénat, puis a fait l’objet d’un veto du président Jair Bolsonaro.
C’est dans ce contexte de risque concret de génocide des peuples indigènes, que l’APIB a ouvert une procédure auprès du Supremo Tribunal Federal. La pétition pour non-respect d’un principe fondamental (Arguição de Descumprimento de Preceito Fundamental – ADPF) n° 709 a demandé au STF de déterminer les mesures de protection des peuples indigènes. Dans cette plainte, l’organisation indigène a souligné que les droits à la vie, à la santé et à l’identité culturelle des peuples indigènes étaient violés. Les principales demandes visaient à ce que l’État brésilien adopte toutes les mesures nécessaires au retrait des envahisseurs des terres indigènes Yanomami, Karipuna, Uru-Eu-Wau-Wau, Kayapó, Araribóia, Munduruku et Trincheira Bacajá et à ce qu’il détermine l’emplacement des barrières sanitaires dans 31 terres indigènes où sont présents des peuples indigènes isolés ou en contact récent[11]. De plus, il est demandé que les services du sous-système de santé indigène soient fournis à tous les indigènes brésiliens, y compris ceux qui se trouvent hors des zones démarquées - en ville ou dans des zones qui n’ont pas encore été définitivement délimitées.
Le 7 juillet 2020, le juge Luis Roberto Barroso du STF a prononcé un arrêt faisant droit pour l’essentiel à ces demandes. Et le 5 août 2020, la plénière du tribunal fédéral suprême a confirmé à l’unanimité cet arrêt, demandant une carte de positionnement des barrières sanitaires sur les territoires proches de peuples indigènes isolés ou de contacts récents, un plan de lutte et de vigilance sanitaire contre la Covid-19 dans les terres Indigènes du Brésil et un calendrier pour l’expulsion des envahisseurs des Sept terres indigènes et, enfin, que le Secrétariat spécial de la santé indigène (Sesai) serve les indigènes vivant dans des zones en attente d’homologation.
La lutte pour la terre, mère de toutes les luttes
Les peuples indigènes, au vu de leur mouvement organisé, ont démontré leur profonde capacité à s’opposer aux agressions dans divers contextes. Il en fut de même au temps de la pandémie de Covid-19. Le plan de lutte élaboré à partir de la tenue de l’Assemblée Nationale de la Résistance Indigène nous le confirme. Sur fond d’attaques en nombre croissant et inacceptables contre les droits des peuples indigènes, l’APIB a élaboré ce plan qui réunit 58 propositions présentées par des dirigeants de la base. Le plan intègre des actions d’urgence sanitaire, juridiques, internationales et de communication. Les propositions visent à mettre en évidence et à apporter des réponses aux défaillances de l’État brésilien dans la lutte contre la pandémie de Covid-19 auprès des peuples indigènes, criantes dans un scénario de démantèlement des droits et de la politique indigènes et d’affaiblissement des agences et institutions publiques chargées de concevoir et de mettre en œuvre l’assistance aux peuples indigènes, la protection de leurs territoires et la promotion de leurs droits.
Nous concluons ce texte en présentant les quatre objectifs prioritaires du mouvement indigène qui exigent des actions d’urgence, juridiques, internationales et de communication : 1) Exiger des réponses culturellement appropriées ainsi que des mesures d’urgence pour sauver des vies indigènes et garantir des moyens de subsistance sur l’ensemble du territoire national, sans discrimination, ainsi que des mesures structurelles tenant compte de l’impact prolongé de la pandémie, dont la nécessaire participation et consultation des populations indigènes par les organismes publics responsables des politiques d’aide aux populations indigènes ; 2) Dénoncer la situation de génocide des peuples indigènes qui s’aggrave au Brésil et exiger de la part de toutes les administrations concernées la mise en place de toutes les formes possibles de prévention, ainsi que la mise en cause de l’État brésilien en raison des défaillances qui menacent la survie d’individus, de communautés, de peuples et de cultures dans leur ensemble, que ce soit en matière de santé publique, d’assistance et/ou de protection des terres indigènes contre les intrusions d’envahisseurs et d’autres personnes non indigènes susceptibles de transmettre la maladie ; 3) Comptabiliser les cas de Covid-19 au sein des populations indigènes, en dénonçant la sous-déclaration des cas et en contribuant par des informations, des orientations et des bonnes pratiques à aider les populations indigènes à se protéger durablement par la distanciation physique dans leurs maisons, leurs communautés et leurs territoires comme à adopter des mesures de prévention et de soins contre la Covid-19, en évitant de se déplacer en dehors des terres indigènes ; et 4) Renforcer la coordination et la solidarité des alliés et des partenaires de l’APIB, en rassemblant les connaissances et les contributions médicales, techniques, artistiques, logistiques et financières pour affronter la Covid-19, conférant une large visibilité nationale et internationale à la situation des peuples indigènes, à notre résistance et à notre lutte.
L’enjeu-clé de ce débat est formulé ainsi par les peuples indigènes : « la terre mère connaît des jours sombres. Le monde traverse sa plus grande crise sociale, économique et politique, provoquée par la pandémie de Covid-19, poussant l’humanité à une profonde réflexion et à lutter pour la préservation de la vie ». Une fois encore, pensons au rôle capital des territoires traditionnels pour la stabilité de l’humanité. En ce sens, le document final de l’APIB prend tout son sens en exprimant qu’« il est temps de se pencher sur les modes de vie que nous avons cultivés jusqu’à présent, tant les diverses crises et catastrophes environnementales sont le fruit d’actions dont l’impact considérable sur l’environnement nous conduisent à l’augmentation du réchauffement climatique, à la déforestation et aux profondes transformations de la nature ». Aujourd’hui comme hier, les peuples indigènes nous avertissent : nos rapports avec la terre-mère doit être repensés de toute urgence.
Parties annexes
Note biographique
Eloy Terena
Avocat indigène issu du peuple Terena. Docteur en Anthropologie sociale au Musée national de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), il a également mené un stage doctoral à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Paris. Membre de la commission sur les questions indigènes (CAI) de l’Association brésilienne d’anthropologie (ABA). Membre du « Groupe de travail Peuples indigènes et torture » de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT). Il a été membre de la Commission spéciale pour la défense des droits des peuples indigènes du Conseil fédéral de l’Ordre des avocats du Brésil (OAB) de 2012 à 2016. Il est conseiller juridique de l’Articulation des Peuples indigènes du Brésil (APIB).
Notes
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[1]
À propos de l’État pluriethnique, la procureur de la république Déborah Duprat signale que « la Constitution de 1988 représente une rupture par rapport à tout le système constitutionnel antérieur, dès lors qu’elle reconnaît l’État brésilien comme pluriethnique et non plus basé sur des fausses homogénéités garanties par une perspective d’assimilation, qui favorise subrepticement l’imprégnation de nouveaux goûts et d’habitudes qui corrompent les différents groupes ethniques, en les conduisant à renier ce qui est spécifique à leur identité jusqu’à se soumettre à une complète invisibilité. Un changement de paradigme identique peut être observé dans le droit international : la Convention 107 de l’OIT, du 5 juin 1957, affirmait dans son préambule viser l’intégration des populations indigènes à la communauté nationale. La Convention 169, du 7 juin 1989, compte-tenu de l’évolution du droit international, prend acte de l’aspiration des peuples en question à avoir le contrôle de leurs institutions, de leurs modes de vie et de leur développement économique propres et à conserver et développer leur identité, leur langue et leur religion dans le cadre des Etats où ils vivent » Duprat (2002) p. 41.
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[2]
Le Comité National pour la Vie et la Mémoire Indigène a été créé par l’APIB à la fin de l’Assemblée Nationale de la Résistance Indigène, qui a eu lieu les 8 et 9 mai 2020. Le groupe réunit des militants et des communiquants indigènes qui collectent quotidiennement les données des organisations locales et des communautés indigènes sur l’avancée de la pandémie dans les terres indigènes et parmi les indigènes qui se trouvent hors de ces territoires.
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[3]
La rivière Teles Pires, également appelée São Manoel, naît dans le cerrado, se poursuit au nord du Mato Grosso et sépare cet État du Pará jusqu’à ce qu’elle rencontre la rivière Juruena, où elles forment ensemble la rivière Tapajós en Amazonie. Voir la carte
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[4]
Outre ces peuples et communautés, il existe d’autres peuples indigènes et communautés traditionnelles dans le même bassin fluvial, situé sur la rivière Tapajós, le bassin principal, dont la rivière Teles Pires est un affluent.
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[5]
Protocole du peuple autochtone Munduruku
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[6]
Le complexe devait mettre en place six centrales hydroélectriques sur la rivière Teles Pires et ses affluents — Sinop, Colíder, Teles Pires, São Manoel, Foz de Apiacás et Magessi. Les quatre premiers sont déjà en service et les deux derniers sont inventoriés et devraient faire l’objet d’une licence, également sans consultation préalable et consentement éclairé des populations autochtones et des communautés traditionnelles concernées. Les scientifiques mettent en garde contre l’infaisabilité de ces deux dernières installations
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[7]
Cf. Manifeste des Kayabi, Apiaká et Munduruku contre les utilisations hydroélectriques de la rivière Teles et le documentaire « Le Complexe »
- [8]
- [9]
- [10]
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[11]
Les terres sont les suivantes : des peuples isolés, Alto Tarauacá, Araribóia, Caru, Himerimã, Igarapé Taboca, Kampa et Isolés de la rivière Envira, Kulina de la rivière Envira, Riozinho de Alto Envira, Kaxinauá de la rivière Humaitá, Kawahiva de la rivière Pardo, Mamoadate, Massaco, Piripkura, Pirititi, Rio Branco, Uru-Eu-Wau-Wau, Tanaru, Vale do Javari, Waimiri-Atroari et Yanomami ; et les peuples de contact récent, Zo’é, Awa, Caru, Alto Turiaçu, Avá Canoeiro, Omerê, Vale do Javari, Kampa et Isolés d’Alto Envira et Alto Tarauacá, Waimiri-Atroari, Arara de la Terre Indigène Cachoeira Seca, Araweté, Suruwahá, Yanomami, Alto Rio Negro, Pirahã, Enawenê-Nawê et Juma.
Bibliographie
- APIB. 2020a. « ACAMPAMENTO TERRA LIVRE 2020 – DOCUMENTO FINAL ». APIB. http://apiboficial.org/2020/05/01/acampamento-terra-livre-2020-documento-final/.
- APIB. 2020b. « Lideranças indígenas organizam assembleia para construir plano de enfrentamento à pandemia ». APIB. http://apiboficial.org/2020/05/07/assembleia-resistencia-indigena/.
- APIB. 2020c. « Nota da APIB: Governo deve apresentar plano de prevenção e atendimento para evitar riscos de contaminação de Coronavírus nos territórios indígenas ». APIB. http://apiboficial.org/2020/03/20/governo-deve-apresentar-plano-de-prevencao-e-atendimento-para-evitar-riscos-de-contaminacao-de-coronavirus-nos-territorios-indigenas/.
- APIB. 2020d. « Plano de enfrentamento do Covid-19 no Brasil ». https://drive.google.com/file/d/1omnIVPAflCSpUUVMoL72IcOB9-IJVV3W/view?usp=sharing&usp=embed_facebook.
- Câmara dos Deputados. 2020. « Câmara aprova projeto que prevê ações para prevenir Covid-19 entre indígenas e quilombolas - Notícias ». Portal da Câmara dos Deputados. https://www.camara.leg.br/noticias/663632-camara-aprova-projeto-que-preve-acoes-para-prevenir-covid-19-entre-indigenas-e-quilombolas/.
- COIAB. 2020. « NOTA DE REPÚDIO ». COIAB. https://coiab.org.br/conteudo/1590113259203x242154533360238600.
- Conselho Nacional de Justiça. 2019. « Resolução nº 287 ». https://atos.cnj.jus.br/atos/detalhar/2959.
- Conselho Nacional de Justiça. 2020. « Recomendação Nº 62 ». https://atos.cnj.jus.br/atos/detalhar/3246.
- Duprat, Deborah. 2002. « O Estado pluriétnico ». In Além da tutela : bases para uma nova tutela política indigenista III, édité par Maria Barroso-Hoffmann et Antonio Carlos de Souza Lima. Contra Capa.
- Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais (INPE). 2019. « A estimativa da taxa de desmatamento por corte raso para a Amazônia Legal em 2019 é de 9.762 km² ». http://www.inpe.br/noticias/noticia.php?Cod_Noticia=5294.
- Lima, Antonio Carlos de Souza. 1995. Um grande cerco de paz : poder tutelar, indianidade e formação do Estado no Brasil. Vozes.
- Supremo Tribunal Federal. 2020a. « Arguição de Descumprimento de Preceito Fundamental (ADPF) 709 ».
- Supremo Tribunal Federal. 2020b. « Relator suspende tramitação de processos sobre áreas indígenas até fim da pandemia ». Supremo Tribunal Federal. http://portal.stf.jus.br/noticias/verNoticiaDetalhe.asp?idConteudo=442822.