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Introduction

À nouveau, les vents nationalistes soufflent fort en Europe. Après la France, c’est en Suède qu’un parti dont les racines plongent à l’extrême droite a réalisé un score historique. Arrivés deuxièmes des législatives de dimanche, les Démocrates de Suède (SD) ont longtemps fait figure d’épouvantail dans un pays solidement attaché au consensus

(2022)

écrivait Jérôme Chapuis dans La Croix le 15 septembre 2022 quelques jours après les élections générales concernant les communes, les districts et le Riksdag, la chambre unique du Parlement suédois. Peut-on affirmer que c’était un coup de massue ou au contraire une nouvelle prévisible ? Avec un taux de participation de 84,2%, le résultat de l’élection est néanmoins à analyser avec prudence pour comprendre à la fois la poussée de l’extrême-droite mais aussi la stabilité des Sociaux-démocrates après deux mandats dont le dernier a été marqué par la mise en oeuvre d’un gouvernement minoritaire (Premat 2022b). Il serait impossible de ne pas rappeler le contexte géopolitique de l’invasion russe en Ukraine qui a eu pour conséquence directe de précipiter la demande d’adhésion à l’OTAN aux côtés de la Finlande (Regeringskansliet 2022). Nous proposons ici de revenir sur le résultat électoral mais aussi de le mettre en perspective par rapport aux mutations sociales que connaît le pays.

À la recherche d’une stabilité politique

La vie politique suédoise connaît de fortes turbulences depuis 2018 non seulement à cause de la difficile mise en place d’un gouvernement minoritaire, mais aussi en raison du contexte géopolitique tendu et d’une montée de la violence politique ayant provoqué un meurtre lors de la semaine politique à Almedalen, symbole de la vie démocratique[1]. La leader du parti centriste, Annie Lööf, a été citée comme étant la cible potentielle de cet attentat selon les premières données de l’enquête (TT Nyhetsbyrån 2022). En 2018, il a fallu 129 jours de négociations et de compromis pour fonder un gouvernement minoritaire, ce qui est un record dans ce royaume réputé pour sa stabilité politique (Premat 2022b). C’est au cours d’un compromis inédit nommé Januariavtalet (accord de janvier) que les Sociaux-démocrates avaient pu se hisser à la tête d’un gouvernement soutenu par les Verts, le Parti de Gauche, le Parti du Centre (Centerpartiet) et les Libéraux (Liberalerna)[2] (Premat 2022b). Le Parti de Gauche donnait un soutien passif en ne mettant pas d’embûches sur le chemin du gouvernement tandis que le Parti du Centre et les Libéraux avaient fait valoir un certain nombre de points de leur programme. Les Sociaux-démocrates et les Verts gouvernaient ensemble en prenant en compte les 73 points défendus par le Parti du Centre et les Libéraux tandis que le Parti de Gauche voyait son influence limitée (Forslund 2020). En réalité, il s’agissait d’une recomposition politique importante puisque les Libéraux et le Parti du Centre avaient toujours été intégrés à des blocs de droite (le terme d’Allians renvoyait au gouvernement des partis bourgeois avec les Conservateurs, les Chrétiens-démocrates, les Libéraux et le Parti du Centre) (« Alliansen » s. d.; Premat 2012a). Depuis 2014, les Conservateurs (Moderaterna) sont tentés de ne plus maintenir le cordon sanitaire autour de l’extrême-droite, ce qui a créé des remous au sein de la formation. L’ancienne cheffe de ce parti, Anne Kinberg Batra, avait brisé ce tabou en 2016, ce qui avait eu pour conséquence d’éloigner les Libéraux et le Parti du Centre. Par la suite, son successeur, Ulf Kristersson, n’a cessé d’oeuvrer à la mise en place d’un bloc conservateur-chrétien démocrate pour pouvoir trouver une majorité car en Suède, c’est le Riksdag qui a le dernier mot et qui contrôle et le légitime le gouvernement. En d’autres termes, le gouvernement ne tient sa légitimité que du Riksdag dont la composition reflète les rapports de force électoraux.

À l’opposé de la France, le casting gouvernemental n’existe pas car ici ce sont les partis qui établissent des compromis pour trouver une majorité. Ainsi, les partis politiques se présentent aux élections avec un programme, une ligne idéologique mais aussi un positionnement possible en fonction des coalitions à rechercher. Chaque parti tente de maintenir un équilibre entre sa base électorale, son orientation idéologique (ses valeurs) et ses alliances possibles. Le parti ayant proposé un virage idéologique est sans aucun doute Les Libéraux qui, en quittant la compromis de Januariavtalet, se sont retrouvés dans l’opposition. Leur leader de l’époque, Nyamko Sabuni, avait même remis en cause le cordon sanitaire avec les Démocrates-suédois, chose que l’ancien chef de ce parti, Jan Björklund (actuel ambassadeur de Suède en Italie) n’aurait certainement pas vu d’un bon oeil. La démission de Nyamko Sabuni à quelques mois des élections et son remplacement par le vice-président du parti Johan Pehrson témoignent de ces difficultés. En l’occurrence, la soirée électorale du 11 septembre 2022 fut étrange tant les scores étaient apparus serrés et la seule véritable prise de parole fut celle de Johan Pehrson qui, soulagé de voir que son parti pouvait compter un groupe parlementaire en franchissant la barre fatidique des 4%, avait retenu l’attention des médias à l’heure où les quartiers généraux des partis étaient occupés à compter les voix pour évaluer les scénarios possibles de coalition.

Dans ce contexte, le parti des Démocrates-suédois (extrême-droite)[3] bouleverse ces divers scénarios dans la mesure où son score en fait un des grands partis suédois (Premat 2010b). Avec 20,5% des voix et 73 sièges au Parlement en 2018, il est le second parti de Suède en devançant les Conservateurs qui réalisent un modeste score de 19,1% des voix avec 68 sièges (« Valresultat 2022 – för riksdagsvalet, region- och kommunval » 2022). Que les Conservateurs puissent diriger un gouvernement minoritaire avec les Chrétiens-démocrates (5,3% des voix) et éventuellement les Libéraux (4,6% des voix) avec un soutien passif des Démocrates-suédois qui en contrepartie disposent des postes-clés au sein des commissions parlementaires montre sans aucun doute le désarroi et la porosité des idées d’extrême-droite[4]. L’autre résultat sur lequel on s’attarde moins est celui de la stabilité des Sociaux-démocrates qui ont amélioré leur score de 2018 (30,3% en 2022 contre moins de 28,3% en 2018) en progressant de deux points après avoir été au pouvoir depuis 2014. Certes, le résultat de 2018 était l’un des plus faibles scores de son histoire, mais sa stabilité relative est due à plusieurs facteurs. D’une part, les Sociaux-démocrates avaient préparé cette élection avec la démission de Stefan Löfvén en août et son remplacement par Magdalena Andersson qui devenait la première femme à devenir cheffe de gouvernement après avoir été Ministre des finances, garante de l’équilibre budgétaire (« Stefan Löfven avgår som partiordförande » 2021). D’autre part, ils ont eu l’habileté de se présenter au centre de l’appareil du pouvoir en montrant une capacité à former des coalitions avec des partis idéologiquement différents tout en excluant toute influence de l’extrême-droite. Cette culture de l’appareil d’État a souvent été valorisée par les Sociaux-démocrates qui ont joué sur leur expérience à l’heure où le pays connaît des menaces sans précédent (Premat 2011a, 2021a). Pendant la période 2018-2022, à chaque fois qu’il y a eu une démission potentielle du gouvernement et que le président du Riksdag a sondé les autres partis susceptibles de former un nouveau gouvernement, seuls les Sociaux-démocrates ont pu être capables de présenter une proposition crédible. Ce fut le cas au début de l’été 2021 lorsque le Parti de Gauche avait momentanément retiré sa confiance sur la question de l’indexation des loyers sur le marché. La confiance du Riksdag avait été perdue avant qu’un nouveau compromis ne soit trouvé pour permettre aux Sociaux-démocrates de gouverner.

La campagne électorale du côté des Sociaux-démocrates et d’une certaine manière du Parti du Centre a été marquée par cet argument pragmatique de capacité à effectuer des coalitions pour faire passer des réformes importantes pour le pays. Dans le même temps, le défi est de pouvoir maintenir un cap et un équilibre entre valeurs fondamentales (la composante idéologique) et capacité à négocier avec d’autres partis (Premat 2009b). Dans ce cadre, il était compliqué de partir en campagne (gå till valet en suédois) uniquement sur une capacité à négocier quand on ne sait pas, en dehors des projections sondagières, avec quelles forces il serait possible de négocier. Le couple infernal idéologie-pragmatisme se confirme ici : plus on va vers l’idéologie, plus on conforte sa base et moins on a d’espace pour négocier ; à l’inverse, plus on ouvre le champ de négociation et plus on perd sa boussole idéologique (Premat 2011c). Les Sociaux-démocrates ont bénéficié de l’effet majoritaire pour des électeurs ne voulant pas de gouvernement minoritaire dans un monde géopolitique incertain et pour des électeurs conservateurs refusant de voir leur parti phagocyté par les Démocrates-suédois (Premat 2014). Comme les élections générales en Suède impliquent qu’un citoyen vote à la fois pour élire le Parlement, les communes et les régions, il est intéressant d’analyser localement les résultats. La ville de Stockholm, traditionnellement à droite, a basculé vers la gauche surtout en raison de la peur de voir le jeu politique monopolisé par les Démocrates-suédois[5]. Les Sociaux-démocrates y arrivent en tête au niveau communal avec 29,4% des voix tout comme le Parti de Gauche qui atteint presque 15,4% des suffrages. Les Conservateurs y sont en recul avec seulement 18,3% tandis que les Démocrates-suédois ne totalisent que 8% des voix. Par conséquent, cela renforce l’idée que l’électorat social-démocrate (mais aussi plus largement de gauche si on inclut les Verts et le Parti de Gauche) est concentré dans les grandes villes. Les résultats pour la commune de Göteborg vont dans le même sens avec 26,4% des voix pour les Sociaux-démocrates contre 17,1% pour les Conservateurs, le Parti de Gauche atteint les 15,8%, les Démocrates-suédois arrivant en quatrième position avec 10,7% des voix (« Valresultat 2022 för Göteborg i kommunvalet » s. d.). À cet égard, la Suède ne diffère pas des autres pays européens et de la France en particulier où la géographie électorale avait mis en évidence un électorat frontiste à profil rural, un électorat périurbain plus volontiers de gauche plurielle et un électorat des grandes villes aisées du centre-droit.

Les thèmes de la campagne électorale de 2022

La crise de l’énergie

La Suède n’échappe pas aux fractures territoriales avec de profondes inégalités en ce qui concerne l’accès aux services publics. Un silence protestataire s’est installé dans le monde rural où les lois élaborées dans les centres urbains sont souvent mal appréciées. Quand la France connaissait son mouvement des Gilets Jaunes à partir de novembre 2018 (Stiegler 2020), des groupes de citoyens protestaient en Suède contre l’augmentation du coût de la vie et en particulier le prix de l’essence. Le mouvement se nomme Bränsleupproret 2.0 et est parti d’un groupe Facebook discutant les effets de l’augmentation du prix de l’essence et de manière plus générale du coût de la vie (Premat 2022a). Peder Blom Bokenhielm, le leader de ce mouvement, a annoncé son ralliement au Parti conservateur au cours de la campagne électorale tout en rappelant le caractère transpartisan de ce mouvement (Blohm Bokenhielm 2022). Dans son réquisitoire justifiant son ralliement au Parti conservateur, Peder Blom Bokenhielm dénonce en filigrane l’augmentation des impôts sur les énergies fossiles.

Rysslands invasion av Ukraina har drivit upp bränslepriserna betydligt under senare tid, men redan innan kriget bröt ut hade Sverige extrema priser på bensin och diesel. Det beror på en kombination av höga bränsleskatter och en radikal politik för inblandning av biodrivmedel i bränslet. Det är aktiva val och politiska beslut som lett oss hit[6].

(Blohm Bokenhielm 2022)

Au-delà ces questions de pouvoir d’achat, le mécontentement a grandi dans les campagnes suédoises où l’accès aux soins ressemble à un véritable parcours du combattant. Le Parti chrétien-démocrate avait profité de la pandémie pour faire de l’accès aux soins une priorité en critiquant la bureaucratisation de ce système incapable de gérer les files d’attente et de prodiguer les soins de première nécessité (Åsberg 2018). Dans beaucoup de régions, des protestations sont nées souvent à partir d’un groupe Facebook pour défendre la délocalisation d’emplois liés au secteur de la santé voire le maintien de certains services de santé. La plupart de ces mouvements locaux se battent pour protéger les emplois et les services publics. La pandémie a révélé la fragilité de la campagne suédoise et en particulier l’isolement de la région du Norrbotten (dans le discours politique francais, on parlerait de « territoires » oubliés). Depuis des années, le Parti chrétien-démocrate avec à sa tête la charismatique Ebba Bush Thor, a fait de ce thème le vecteur de son programme pour dénoncer la manière dont les campagnes (landsbygd) avaient été délaissées (« Valresultat 2022 för Stockholm i kommunvalet » s. d.). Même le Parti du Centre, qui historiquement avait une base rurale, n’a pu proposer de politiques publiques convaincantes et audibles par ces électeurs. Nul doute que les questions énergétiques n’ont fait que renforcer ce mécontentement en révélant des inégalités criantes. Ainsi, on aurait pu s’attendre à ce que la demande d’adhésion à l’OTAN fasse l’objet d’un débat électoral, mais les Sociaux-démocrates ont réglé la question bien avant la campagne pour ne pas laisser la part belle à l’opposition qui aurait haussé le ton sur cette question durant la campagne électorale. Pourtant, en quelques mois, la Suède a effectué un virage historique qui a totalement chamboulé la position classique d’une liberté d’alliances chère à l’ancien Premier ministre Tage Erlander[7]. Les menaces russes se sont intensifiées avec des exercices d’intimidation dans les airs (drones, survol de zones) et dans les eaux profondes (sous-marins…), ce qui a poussé la Suède à renforcer sa coopération militaire multilatérale en matière de défense (OTAN) et bilatérale (accord avec le Royaume-Uni). L’argument récurrent du régime russe selon lequel la Suède aurait basculé dans une « russophobie » de masse paraît bien insuffisant au regard de l’appréciation de la situation géopolitique[8]. L’augmentation du budget de la défense, l’activation des cellules de crise et la préparation des opinions publiques à une forme de défense civile sont petit à petit acceptées par la population. De ce point de vue, il est bien évident que les Sociaux-démocrates ont su tenir la barre et agir en conséquence pour répondre à l’état des menaces. Dans son discours à la Nation faisant suite à l’invasion russe de l’Ukraine, la Première Ministre Magdalena Andersson, avait bien insisté sur la nécessité de filtrer l’information et de ne pas propager de fausses informations.

Le Far West suédois

Dans ce contexte, on aurait pu s’attendre à ce que la situation géopolitique suédoise soit au centre de la campagne, mais il n’en a rien été et en réalité, ce sont les thèmes de sécurité et d’immigration qui se sont largement imposés, faisant prévaloir un agenda conservateur rythmé par les Démocrates-suédois, comme si la Suède devait solder le compte de sa politique généreuse d’accueil des réfugiés lors de la dite « vague migratoire » de 2015. De ce point de vue, les Démocrates-suédois peuvent se vanter d’une victoire idéologique sur le front de l’immigration puisque même l’appareil social-démocrate a repris la rhétorique d’une immigration qu’il faut maîtriser et limiter (« Erratum to “Standing Up for Sweden? The Racist Discourses, Architectures and Affordances of an Anti-Immigration Facebook Group” » 2019). Selon le bon vieux dicton politique, les victoires idéologiques annoncent les victoires électorales de demain même si aucune recherche scientifique n’a montré de lien entre l’immigration et l’insécurité en Suède. La question des gangs criminels a inévitablement infecté le débat, le royaume devenant l’un des mauvais exemples européens en la matière avec des meurtres à répétition dans les banlieues suédoises des trois grands centre métropolitains (Stockholm, Göteborg et Malmö) mais aussi dans des villes de taille plus modeste (Nyheter et Derblom Jobe 2019). Cette gangrène criminelle révèle des sociétés parallèles et des pratiques maffieuses se généralisant dans certains milieux où le sentiment d’appartenance commune (le terme d’utanförskap ayant été employé à maintes reprises) n’existe plus (Kyeyune 2021).

Si le problème n’est pas nouveau (Premat 2013), c’est plutôt son intensité qui est préoccupante. Ces morts à répétition ont eu un effet traumatisant sur l’opinion publique tout en venant souligner la forte ségrégation urbaine. En effet, la communalisation de l’école (transfert de la gestion des écoles de l’État vers les communes depuis la fin des années 1980) et l’essor des écoles indépendantes à but lucratif ont montré les conséquences délétères d’une approche néolibérale du secteur éducatif qui a sans aucun doute été le grand sacrifié des politiques publiques suédoises (Premat et Lundborg 2013). Le thème de l’éducation tout au long de la vie, qui était l’un des vecteurs de l’éducation populaire, n’a même pas été abordé de manière significative pendant cette campagne (Premat 2009a). L’assainissement des finances publiques suédoises en 1990 tient en partie à ce transfert de responsabilités même si l’État a un contrôle sur les programmes et les conditions d’exercice dans les établissements scolaires. Alors que l’école a souvent été au centre des débats électoraux, ce thème a en grande partie été abordé à partir de la question de l’intégration des nouveaux arrivants avec l’obtention de meilleurs résultats pour certaines écoles, la maîtrise de la langue suédoise et des savoirs fondamentaux. Les perspectives d’une égalité des élèves vis-à-vis du savoir et d’un meilleur accompagnement pédagogique n’ont pas retenu l’attention des médias.

L’économie en trompe-l’oeil

Pendant la pandémie, la ministre des finances de l’époque, Magdalena Andersson, ne cessait de vanter la robustesse de l’économie suédoise qui disposait de marges de manœuvre suffisantes pour réagir à des crises majeures (Premat 2022b). Les gouvernements suédois sont souvent réticents à creuser les déficits pour intervenir, d’où l’attitude de défiance vis-à-vis du grand emprunt contracté par l’Union européenne. La Suède a suivi la fronde des pays frugaux pour afficher sa distance par rapport à toute approche fondée sur des investissements massifs (Premat 2020a). L’invasion en Ukraine, la crise énergétique et l’inflation ont commencé à faire fondre l’état des recettes du pays, la part des dépenses publiques ayant augmenté et correspondant à environ 25 000 euros par habitant (« Suède - Dépenses publiques 2021 » s. d.). Selon les données de l’Agence centrale des statistiques en Suède, le produit national brut aurait augmenté de 3,9% en 2022 si on le compare au second trimestre 2021. La consommation des ménages aurait augmenté de 0,9%, mais que signifient ces chiffres par rapport aux défis contemporains (« BNP ökade under andra kvartalet 2022 » 2022) ? Le pays résiste bien sur le front de l’emploi avec un taux de chômage de 6,9% en octobre 2022, mais les chiffres montrent un chômage des jeunes relativement important avec un taux de 20,3% (« Suède - Chômage 2022 » s. d.). La force du pays tient actuellement à un taux d’emploi assez stable avec relativement peu de perturbations du côté du marché du travail, ce qui est dû au haut degré d’organisation collective avec une relation constructive entre syndicats et patronat capable de conjuguer les défis de l’économie et le bien-être social, ce qui est encore affiché comme l’une des caractéristiques principales du modèle suédois (Premat 2021a, 2021b, 2010a). En revanche, la Suède demeure l’un des pays où le poids de la dette privée est le plus important d’Europe (203% du revenu net disponible par habitant) avec des familles qui se sont endettées pour acquérir un bien immobilier. La crise financière actuelle pourrait avoir des conséquences sur le niveau de vie des Suédois si cet endettement n’est pas limité (« Dette des ménages » s. d. ; « Dépenses des ménages » s. d.). Les contractions des marchés financiers en fonction des aléas géopolitiques pourraient avoir un impact significatif sur le moral des ménages et sur la consommation et, à terme, pourraient remettre en cause les fondements de la stabilité politique du pays.

Conclusion

La formule suédoise d’une coalition minoritaire avec le soutien passif des Démocrates-suédois avait été recherchée dans le contexte actuel surtout lorsque la demande sécuritaire se faisait de plus en plus pressante avec l’accumulation des meurtres et de la délinquance. Cela signifie que les Démocrates-suédois ont un pied dans le système (avec des postes de direction au sein des commissions parlementaires) et un pied dehors en n’entrant pas au gouvernement. Ce « soutien passif » est un pari dangereux qui semble parfois déresponsabiliser les partis politiques en n’assumant pas les décisions collectives. Ainsi, le 14 octobre 2022, l’accord de Tidö (Tidöavtalet) a été conclu entre les Démocrates-suédois, les Conservateurs, les Libéraux et les Chrétiens-démocrates (Ruderstam, Westling, et Hällsten 2022). Les Démocrates-suédois obtiennent dans ce nouveau cadre une victoire idéologique conséquente puisque leurs exigences sont au centre du jeu politique suédois sans qu’ils assument la responsabilité politique puisqu’ils ne sont pas au gouvernement. Ulf Kristersson est ainsi le Premier ministre de cette nouvelle coalition avec une très courte majorité (176 pour / 173 contre) (Regeringskansliet 2017) qui suscite beaucoup d’interrogations notamment chez les Libéraux qui ont dû renoncer à un certain nombre de leurs principes. Les militants de ce parti ont d’ailleurs demandé immédiatement des comptes sur cet accord qui a été passé en leur nom et qui a posé les fondamentaux d’une nouvelle philosophie suédoise beaucoup plus restrictive. Nul doute que le droit des étrangers en Suède risque de connaître de sévères remises en question. Cette situation inédite en Suède montre une normalisation des thèses des Démocrates-suédois. En outre, en consultant les articles des quotidiens suédois, il est intéressant d’observer le recul de l’expression « extrême-droite » lorsqu’il s’agit de se référer aux Démocrates-suédois. En revanche, les journalistes n’hésitent pas à ajouter cet adjectif voire celui de « postfasciste » quand il s’agit d’évoquer les situations politiques des pays du sud de l’Europe et en particulier l’Italie. Avons-nous ici une euphémisation répondant à une adaptation du service public de l’information à une nouvelle donne politique ? Considère-t-on la montée des Démocrates-suédois comme étant le reflet d’une optique nationale conservatrice ou fait-on davantage confiance à la puissance du « modèle suédois » susceptible de digérer cette situation inédite dans un monde de plus en plus incertain ? Ces questions restent posées et méritent une vigilance particulière dans ce royaume qui avait su faire parler de sa spécificité lors de la gestion de la pandémie du coronavirus (Premat 2022b).