Le monde contemporain semble aujourd’hui traversé par une multitude de courants contradictoires et complexes. On parle de monde multipolaire, en recomposition, voire de pluralité de mondes. Les objets symboliques sont également multiples, foisonnants, et porteurs de contradictions. Face à cela, chacun semble dans une certaine confusion et l’appréhension linéaire des évènements ne semble plus de mise. Divers circuits, boucles et autres trajets plus complexes paraissent dès lors se mettre en place, et ce, aussi bien pour les récepteurs que pour les producteurs de contenus symboliques. On a souvent dit que ceux-ci, fortement modelés par la présence des réseaux informatiques, prenaient la forme d’hyperliens, de rhizomes, etc. Mais une autre forme, cousine de ces dernières, pourtant très présente dans les images contemporaines, et en forte résonance avec la pluralité des mondes contemporains, n’a que peu été théorisée : c’est celle du compositing. On pourrait d’ailleurs remarquer une telle lacune par l’absence de traduction française adéquate du terme. Cette lacune est d’autant plus frappante à une époque où la multitude d’appareils contemporains porteurs d’écrans renforce la prégnance de l’articulation composite. Par ailleurs, en 2001 déjà, Lev Manovich remarquait la chose suivante : En remplaçant dans cette citation le terme néomédiatique par numérique, on peut dire que le point de vue développé par Lev Manovich se voit largement confirmé en 2021, époque dite du « tout numérique » et du « Web 2.0 », où les cas particuliers de l’opération plus générale de compositing (compositage) se multiplient. En effet, le nombre d’images composites produites par une grande quantité d’individus et distribuées sur Internet est très important à l’heure actuelle. On peut même arguer qu’aujourd’hui l’image homogène, non composite, est devenue plutôt rare. Cette augmentation de production est également visible chez les artistes. À la lumière de ces constats – similarité entre composite et organisation des mondes contemporains, portée de l’image composite à l’époque actuelle –, il paraît important de s’interroger sur le composite, autant du côté de l’image que pour les mondes contemporains. Cette interrogation permettra notamment de mieux comprendre l’organisation actuelle des objets symboliques, leurs effets et la portée critique qu’une exploration artistique permet, et ce, autant pour les images que pour les différents espaces sociopolitiques co-existants. Ce sera l’objet de cet écrit collectif. Afin d’aller plus avant sur la centralité des notions d’images et de mondes composites à notre époque, il paraît important de préciser la définition de l’image composite, son histoire et ses multiples accointances avec des réflexions actuelles touchant les mondes contemporains. Dans un sens général, l’image composite peut se définir comme un assemblage d’éléments visuels disparates en un tout à l’apparence plus ou moins homogène. L’assemblage se fait horizontalement et verticalement. L’assemblage horizontal se rapproche de l’idée de mosaïque (ensemble d’éléments disparates mis ensemble pour composer une seule image) et l’assemblage vertical de l’intégration (étant entendu qu’un ensemble de calques superposés constituent l’image finale). Si on considère l’image en mouvement, la succession des différentes compositions s’approche du mixage musical plutôt que du montage. Par ailleurs, l’image composite n’est pas propre à un médium particulier, mais a été fortement explorée au cours du dernier quart du XXe siècle dans les pratiques vidéographiques, autant du côté de la télévision que du côté de l’art contemporain. C’est pour cette raison que je m’attarderai d’abord sur des définitions provenant de ce champ avant d’élargir la notion à ce qui l’a précédé, lui a tenu compagnie et l’a suivi. L’idée de mosaïque a été explorée par de nombreux auteurs, parfois en d’autres termes. En effet, Françoise Parfait affirme que la vidéo en tant qu’« image mixée » (entendons compositée) « présente …
Parties annexes
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