Des journaux pour toutes. Femmes et féministes dans la presse en France, Italie et Espagne au XXe siècleSommaire dossier

Des journaux pour toutes. Femmes et féministes dans la presse en France, Italie et Espagne au XXe siècle[Notice]

  • Magali Guaresi et
  • Maria Grazia Scrimieri

L’histoire des féminismes, réécrite très récemment au pluriel (Pavard, Rochefort, et Zancarini-Fournel 2020), a montré la diversité des luttes, des modes d’actions et des dispositifs d’expressions des mouvements de femmes au XXe siècle. Parmi eux sont comptées les publications de périodiques (brochures, bulletins, journaux, revues) qui jouent un rôle central dans les moments de re-mobilisation féministe, dans la structuration idéologique des courants, dans la construction de réseaux et la circulation des idées. Comme le rappelle le numéro récent du Temps des médias (2017), l’histoire des féminismes – en tant que mouvement social disposant de peu de ressources – s’est écrite au fil de gestes médiatiques forts dans lesquels la presse a tenu une place importante dès le XIXe siècle. Songeons par exemple à La Française, organe de l’Union française pour le suffrage des femmes (Formaglio 2017) puis à La Fronde : « Grand Journal Quotidien Politique et Littéraire, Dirigé, Administré, Rédigé, Composé exclusivement par des Femmes », affirme-t-on dans l’oreille du périodique fondé par Marguerite Durand en 1897. « Les femmes – lit-on encore, dans un encart publicitaire publié dans la dernière page – paient les impôts qu’elles ne votent pas, contribuent par leur travail manuel ou intellectuel à la richesse nationale et prétendent avoir le droit de donner officiellement leur avis sur toutes les questions intéressant la société et l’humanité dont elles sont membres comme les hommes. La Fronde est l’écho fidèle de leurs approbations, de leurs critiques, de leurs justes revendications ». Ce journal quotidien français conçu par des femmes pour les femmes fait du journalisme un acte de féminisme (Lévêque 2009) et incarne une voie d’expression privilégiée des militantes, qui sera reprise et adaptée en France et plus généralement en Europe sous de multiples formes au gré des époques. Ainsi, plus tard, l’un des actes emblématiques de la deuxième vague féministe en France est la parution d’un article dans l’Idiot international puis d’un numéro de Partisans intitulé « Libération des Femmes : année zéro » en juillet 1970 et enfin du numéro 1 du Torchon brûle, premier journal autonome et autofinancé du Mouvement de Libération des femmes (Kandel 1980). On sait aujourd’hui, grâce aux travaux de chercheuses comme Audrey Lasserre (2014), que le foisonnement éditorial a été consubstantiel des mouvements de l’époque. Les périodiques féministes ont également traversé les creux des vagues, d’ailleurs aujourd’hui ré-évalués par l’historiographie, et concerné tous les champs de la vie publique : les organes syndicaux, partisans ou religieux s’en dotent. Au fil du XXe siècle, prises en étau entre une presse généraliste encore trop souvent sexiste et opportuniste et une presse féminine stéréotypée, les féministes ont éprouvé le besoin de se constituer une « presse à soi », qui se révèle plurielle, massive, spontanée, à l’initiative de groupes aux formes variables et plus ou moins institutionnalisés. Elles ont également, comme l’a montré Marie-Ève Thérenty (2019), investi les journaux généralistes dans les chroniques politiques, judiciaires ou dans le grand reportage, y ont inventé des pratiques et imposé des écritures. Si, dans le champ des études féministes, de nombreux travaux ont procédé au dépouillement de ces sources périodiques imprimées, peu les ont étudiées en soi et pour soi. Leur dispersion et leur état matériel, en dépit de quelques précieuses tentatives de numérisation, ont rendu difficile tout traitement sériel d’une certaine ampleur de ces fonds. Des travaux ont fait la part belle à certaines revues (Sullerot 1963). Des travaux ont également été menés sur les revues d’histoire des femmes (voir thebaud_clio_2002 et Florence Rochefort et Zancarini-Fournel (2015)), mais la question de l’objet, de l’usage et du rôle de la …

Parties annexes