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Intervalles sériels : introduction[Notice]

  • Marta Boni,
  • Thomas Carrier-Lafleur et
  • Frédérique Khazoom

Le contexte médiatique contemporain est riche en expériences sérielles : pensons au roman-feuilleton, aux franchises cinématographiques, au cinéma conçu dans son histoire intermédiale et sérielle, à la BD, aux séries télévisées qui se déclinent sur tous les médias, aux jeux vidéo et, surtout, à l’engagement multiforme et interminable des publics qui suivent ces récits pluriels. Ce dossier est né de la volonté de traiter de manière approfondie un aspect précis, mais incontournable, de l’essence des séries : les intervalles. L’intervalle, qu’il soit distance spatiale ou période de temps, est un écart existant entre deux valeurs : appréhendé en tant que phénomène dépassant les frontières médiatiques et disciplinaires, il est un concept qui intéresse à la fois notre relation aux contenus et la façon de construire notre connaissance du réel. Ces interruptions, interstices, pauses, blancs et temps d’arrêt nous demandent de faire attention aux frontières, au rythme et donc à l’identité propre d’une expérience sérielle. Nous les subissons (la pause publicitaire imposée, la fin d’une saison, la livraison discontinue des tomes d’une saga de romans ou de jeu vidéo) ou nous décidons de les impartir au contenu (arrêter la lecture à un moment plutôt qu’un autre). Ces « vides » qui nous alertent de la fin, ces vides que la fin (toujours provisoire ?) d’un récit produit en nous et avec nous, sont à penser comme des moments nécessaires aux séries et même des espaces productifs. Dans la course à pied, l’athlète qui s’entraîne par intervalles ajoute de pauses utiles entre les efforts, ce qui lui permet de récupérer de l’effort précédent, mais de façon incomplète. L’intervalle est donc à concevoir comme une méthode pour améliorer sa performance. Pour l’étude des médias, l’intervalle possède un rôle heuristique : il est une interruption qui se révèle utile à l’analyse car il brise une continuité, nous permettant de faire ressortir des œuvres là où autrement il y aurait un flot ininterrompu ; il permet de trouver de la discrétion dans la continuité des flux. Les intervalles sont une composante essentielle du récit, mais aussi, au sens plus large, du média, les médias étant conçus comme des assemblages de textes, dispositifs et infrastructures de production dans leur histoire complexe, englobant les usages par les publics. La saturation médiatique des marchés contemporains permet d’abonder dans le sens d’une horror vacui qui consisterait à (trop) combler ces espaces creux, en y ajoutant sans arrêt du matériel. Les études sur la culture participative des fans nous renseignent par ailleurs sur la richesse de l’activité discursive qui opère dans les pauses et qui, entre les plis du tissu sériel, produit d’innombrables variantes et relectures. Intervalle, pause, écart, entracte : autant de façons de dire la dimension provisoire de la fin – suivie par une reprise, une résurrection, relancée par un reboot, par un remake, rattrapée au détour d’un spinoff. Penser les intervalles veut dire analyser la sérialité à travers les lentilles de la périodicité, de la discontinuité, de la différance derridienne, de la durée et de l’attente, des intermittences, de la tension et de la densité, de la ritualité, du vide. Comprendre et appréhender l’intervalle signifie donc trouver une porte d’entrée vers l’expérience de la sérialité : saisir, avec les textes, les modalités de création et de réception qui façonnent des formes de savoir toujours plus élargies, étendues. Penser l’intervalle correspond finalement à remplacer l’absence par un rythme, à découvrir des battements ou pulsations capables d’animer, d’instiller du sens à un continuum autrement inintelligible. Ces questions sont abordées par les contributeurs et contributrices de ce dossier à partir de domaines aussi différents, mais connexes, que la …

Parties annexes